Convention entre la République française et le Grand-duché de Luxembourg (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-duché de Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune.

Discussion générale

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe .  - La France a été l'un des moteurs des travaux de l'OCDE en matière de lutte contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices, dite BEPS, ayant conduit en 2016 à l'adoption d'une convention multilatérale.

Le 20 mars, la convention fiscale franco-luxembourgeoise de 1958 a été révisée pour en tenir compte. C'est la première fois que nous dérogions au principe de lex loci laboris : les travailleurs frontaliers demeurent soumis à l'impôt au Luxembourg, même pour les jours télétravaillés, tant que ceux-ci demeurent en deçà d'un plafond de 29 jours.

Mais le covid et le développement du télétravail ont changé la donne. Pendant le covid, considéré comme une force majeure, des accords amiables y dérogeaient jusqu'en juin 2022, mais il fallait revoir les règles. En effet, dans la perspective d'un retour à la normale, le plafond de 29 jours est apparu obsolète pour ceux des 122 000 transfrontaliers qui sont concernés par le télétravail.

Les autorités françaises et luxembourgeoises ont donc conclu un accord le 19 octobre 2021 pour relever le plafond de 29 à 34 jours par an. L'avenant signé en 2022, soumis aujourd'hui à votre approbation, entérine cette disposition. Au-delà des 34 jours, la totalité des jours de télétravail seront imposés là où le travail se réalise physiquement.

Ce relèvement améliorera la qualité de vie des transfrontaliers grâce à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. En outre, les déplacements quotidiens seront réduits : l'impact en matière de protection de l'environnement n'est pas négligeable. Ce forfait de 34 jours a par ailleurs été étendu à la fonction publique.

Nous prévoyons ainsi une règle d'imposition claire, répondant aux attentes de nos compatriotes travaillant au Luxembourg.

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE) En application de l'article 53 de la Constitution, il appartient au Parlement d'approuver ou de ratifier les conventions fiscales. Le Sénat est la première chambre saisie de ce projet de loi, porteur de l'avenant du 7 novembre 2022 à la convention franco-luxembourgeoise du 20 mars 2018.

Cette dernière a remplacé la précédente, qui datait de 1958, afin de tenir compte des dernières avancées de l'OCDE : une définition modernisée de la résidence fiscale, une clause anti-abus et une définition de l'établissement stable avaient été incluses.

Le Luxembourg est particulièrement dépendant de la main-d'oeuvre transfrontalière. Près de 121 000 - ou peut-être 122 000, monsieur le ministre... - Français travaillent au Luxembourg. Ils résident principalement en Moselle et en Meurthe-et-Moselle.

La convention prévoyait un forfait de 29 jours. Concrètement, un Français qui travaille au Luxembourg y est en principe imposé ; mais au-delà de 29 jours télétravaillés, l'activité est imposée dans le pays de résidence au premier jour. Une convention amiable, signée le 16 juillet 2020, en règle les modalités.

La perte fiscale pour la France, en deçà de 29 jours, est estimée de 30 à 60 millions d'euros par an. Cette perte pourrait être compensée par la TVA acquittée en France par les télétravailleurs, à l'occasion de leurs achats. En dépit de ce manque à gagner fiscal, les deux gouvernements se sont mis d'accord pour étendre ce forfait de télétravail.

S'il est vrai que la portée de cet avenant est limitée, il n'en est pas moins attendu par les travailleurs transfrontaliers et par le Luxembourg. Le forfait passe à 34 jours à la demande du Luxembourg, afin qu'il soit cohérent avec ce que prévoient ses conventions avec la Belgique et l'Allemagne. Les travailleurs transfrontaliers sont ainsi sur un pied d'égalité, quel que soit leur pays d'origine.

L'avenant est étendu aux contribuables percevant des rémunérations publiques. Le principe général est que les rémunérations publiques sont imposées dans l'état de source : concrètement, un Français travaillant au Luxembourg pour l'ambassade de France est imposé en France. Par exception, la convention stipule que les rémunérations publiques sont imposées dans l'état d'exercice de l'activité lorsque le contribuable est résident de cet état et dispose de sa seule nationalité : lorsqu'un Luxembourgeois travaille au Luxembourg pour l'ambassade de France, il est imposé au Luxembourg. Or le télétravail peut faire basculer un contribuable d'une hypothèse à l'autre : un Français qui travaille pour la ville de Luxembourg est imposé au Luxembourg en présentiel et en France en télétravail. Pour remédier à cette situation, l'avenant permet de prévoir qu'en deçà du seuil de 34 jours de télétravail, les revenus sont imposés dans l'État de source. Nous alignons ainsi le régime des employés du public sur celui des employés du privé.

Ces règles sont cependant un cadre provisoire. C'est un compromis équilibré qui allie protection des travailleurs transfrontaliers et le respect des deniers publics, mais il serait opportun à l'avenir de rehausser le forfait de télétravail - les travailleurs transfrontaliers y sont très favorables -, mais aussi d'envisager une meilleure répartition des recettes fiscales entre la France et le Luxembourg.

L'avenant du 27 juin 2023 à la convention franco-suisse de 1966 prévoit ainsi un forfait de télétravail de 40 % - soit deux jours par semaine - au cours duquel s'applique le principe d'imposition de l'État qui accueille l'activité. L'État qui dispose du droit d'imposer reverse en contrepartie une partie de l'impôt à l'État de résidence.

Les Mosellans en rêvent !

En attendant, la commission des finances vous propose d'adopter ce projet de loi sans modification.

Autorisez-moi une parenthèse : les Français qui travaillent au Luxembourg et sont élus en France ne disposent d'aucun des droits accordés aux élus qui travaillent en France, tels que des crédits d'heures ou les autorisations d'absence. Lors de l'examen de la proposition de loi portant statut de l'élu, j'ai demandé à Mme Faure de s'assurer que le sujet serait abordé lors de la prochaine commission intergouvernementale franco-luxembourgeoise.

Dans des communes proches du Luxembourg, 90 % des habitants y travaillent. J'en connais même une, où seuls le secrétaire de mairie et l'instituteur n'y travaillent pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Le monde du travail a connu une transformation sans précédent, accélérée par la crise sanitaire. Le télétravail, autrefois un privilège ou une exception, s'est imposé comme un élément central de notre quotidien professionnel. Le travail à distance est non seulement viable, mais il apporte aussi de nombreux bienfaits aux employés comme aux entreprises.

Son adoption massive et sa pérennisation soulèvent toutefois des questions, notamment de fiscalité. La modification de la convention fiscale avec le Luxembourg intervient dans ce contexte.

Avec le passage de 29 à 34 jours pour le forfait de télétravail, nous reconnaissons l'évolution du monde du travail. Le cadre législatif doit évoluer avec les réalités du monde professionnel. En étendant cette flexibilité aux fonctionnaires transfrontaliers, nous donnons les mêmes droits à tous les travailleurs.

En prévoyant une nouvelle discussion d'ici fin 2024, l'avenant consacre une évolution continue en fonction des besoins. Cela témoigne d'une volonté de rester attentif et réactif face au changement. La convention restera ainsi pertinente et bénéfique. Aussi, le groupe RDPI soutient-il ce projet de loi.

M. Michaël Weber .  - L'avenant que nous examinons accorde davantage de souplesse aux travailleurs transfrontaliers. C'est louable. On se réjouit de rehausser le seuil de télétravail sans changement d'imposition de 29 à 34 jours.

Mais cette mesure est au mieux transitoire. La convention, en l'état, ne gratifie le contribuable que de moins d'une journée par semaine de travail à distance et le nécessaire partage de la ressource fiscale n'est pas réglé.

Cette question est cruciale : près de la moitié de la population active luxembourgeoise est composée de frontaliers. Avec des axes routiers et ferroviaires saturés, on peut comprendre leur réticence à perdre trois heures par jour dans les embouteillages. Avec l'explosion de l'immobilier, les Luxembourgeois eux-mêmes sont nombreux à élire résidence dans les communes près de la frontière. Si le Luxembourg veut maintenir son niveau de développement économique actuel, il lui faudra plus de 9 000 travailleurs supplémentaires d'ici 2030.

Le recours au télétravail est indispensable. Alors pourquoi ce seuil de 30 jours plutôt que d'une cinquantaine ? Parce que ce plafond est celui des conventions signées avec la Belgique et l'Allemagne.

Le Grand-duché veut placer les télétravailleurs sur un pied d'égalité. Mais dès lors, pourquoi ne pas harmoniser la rétrocession fiscale accordée aux communes belges - l'accord Junker-Reynders -, mais pas aux communes françaises et allemandes ? C'est pourtant indispensable au vu des coûts importants des services publics sans rentrée fiscale. Le canton de Genève reverse ainsi une partie des recettes à l'Ain et à la Haute-Savoie.

À Villerupt, où 70 % de la population travaille au Luxembourg, l'investissement public est paralysé. Peut-on se contenter d'un prétendu codéveloppement alors que les inégalités sont criantes ?

Nous devons éviter tout frein administratif au télétravail. Inspirons-nous de l'accord avec la Suisse, où le plafond atteint deux jours par semaine.

Pour parachever cette démarche, il faut compenser la perte pour le Trésor public français. Ainsi, les négociations avec la Suisse ont fixé une compensation à 40 % du montant des impôts dus sur ces rémunérations.

Il faut plus d'harmonisation à l'échelle de la grande région si l'on veut traiter toutes les entités, qui sont devenues interdépendantes, sur un pied d'égalité. Il faut une volonté politique de s'accorder et de décider en commun et non au cas par cas, en fonction de conventions à géométrie variable.

M. Jean-François Husson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Marie Mizzon et Mme Véronique Guillotin applaudissent également.) Si les effets du télétravail sont encore incertains, cet avenant est très attendu par les plus de 120 000 travailleurs transfrontaliers. Le recours accru au télétravail désengorge les infrastructures de transport et améliore la qualité de vie de ces travailleurs.

C'est la deuxième modification de la convention entrée en vigueur en 2019. Nous avions déjà examiné en 2020 un avenant sur les modalités d'imposition des revenus. Cet avenant comporte une clause de revoyure qui laisse entrevoir une nouvelle modification. Ces modifications successives révèlent un vrai problème de méthode dans la négociation des conventions fiscales avec le Luxembourg : il faudrait mieux prendre en compte les spécificités de notre relation avec ce pays.

Certes, les avancées du groupe de travail Beps - que nous avions saluées au sein de la commission des finances - doivent nous inspirer, mais il faut mieux anticiper les difficultés locales de mise en oeuvre.

Tous les acteurs de la coopération transfrontalière doivent être consultés, au-delà du domaine fiscal. Elle doit englober la santé, les transports, la sécurité... Nous devons cesser d'appréhender ces sujets un par un et d'un point de vue uniquement technique.

En décembre 2023, le Sénat a adopté un avenant au protocole d'accord franco-luxembourgeois et à la convention bilatérale en matière de transport : c'était il y a trois mois seulement ! Je déplore cet examen en silo.

En second lieu, le cadre de la coopération transfrontalière est perfectible. Il existe une mosaïque d'outils : groupements européens de coopération transfrontalière, EPCI, syndicats mixtes, pôles métropolitains transfrontaliers, dont les compétences sont mal définies.

L'impulsion être intergouvernementale. Les sujets transfrontaliers relèvent de négociations d'État à État : c'est ainsi que nous avancerons.

Mais je regrette que ces rencontres entre les ministres interviennent en aval des difficultés. La commission intergouvernementale pourrait être le point de départ d'une véritable révolution de nos méthodes bilatérales. Il faut des échanges bilatéraux, au niveau ministériel - voire entre les deux Premiers ministres. Cessons de recourir à des groupes de travail trop cloisonnés.

Nous devons travailler ensemble pour définir un cap clair au niveau politique et rénover les méthodes de travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE)

M. Pierre Jean Rochette .  - La France fournit le plus grand nombre de travailleurs transfrontaliers au Luxembourg, loin devant la Belgique et l'Allemagne.

Cette situation nous rappelle le grand décalage de compétitivité entre nos deux pays. C'est évidemment la principale raison pour laquelle nos compatriotes choisissent de travailler chez un voisin où le salaire moyen et le PIB par habitant sont plus élevés.

L'intégration européenne facilite ce choix, mais l'imposition des travailleurs relève des conventions fiscales bilatérales. Celle de 2018 avait fait évoluer les choses. Elle a été amendée en 2019 pour mieux prendre en compte le télétravail.

Avec ce projet de loi, le plafond du nombre de jours télétravaillés serait relevé de 29 à 34 jours : cela apportera sécurité et confort à toutes les personnes concernées. Si zone grise il y a, mieux vaut pour les transfrontaliers qu'elle se situe autour de 34 jours plutôt que 29. De plus, les autorités luxembourgeoises demandent le relèvement du plafond - on les comprend, puisque cela leur assure des recettes fiscales supplémentaires. Mais nos compatriotes y trouvent aussi leur compte : ainsi, les intérêts de nos deux pays convergent.

Le plafond de 34 jours rappelle celui des conventions signées avec l'Allemagne et la Belgique.

Le groupe Les Indépendants votera bien évidemment ce projet de loi.

M. Vincent Capo-Canellas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le Luxembourg est un partenaire économique important pour la France : en 2022, notre pays est son troisième fournisseur et son deuxième client. Les échanges s'élevaient à 16,3 milliards d'euros en 2021.

La convention de 2018 visait à mieux prendre en compte les avancées conclues à l'OCDE. Depuis, le Luxembourg s'est mobilisé en matière de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales : c'est un partenaire essentiel.

Cela dit, la situation des travailleurs transfrontaliers posait problème. Après une première modification intervenue en 2019, ce second avenant y revient. La crise sanitaire a bouleversé l'organisation du travail, avec le développement du télétravail. Le Luxembourg est particulièrement dépendant des travailleurs transfrontaliers - 121 000 Français.

Il est proposé de porter le forfait de télétravail annuel de 29 à 34 jours, à l'instar de ce que comportent les accords conclus entre le Grand-duché et l'Allemagne et la Belgique. Il en résulterait une perte fiscale de 30 à 60 millions d'euros annuels.

Cet avenant vise aussi à étendre le bénéfice de ces mesures aux personnes recevant des rémunérations publiques.

L'avenant ne bouleverse pas les grands équilibres des règles, mais la clause de revoyure prévue en fin d'année permettra d'en évaluer l'efficacité.

Notons les progrès, mais il reste encore du chemin à parcourir. Je salue le travail de Jean-Marie Mizzon, qui a noté tout l'intérêt d'un avenant de 2023 à la convention fiscale franco-suisse, qui pourrait servir de base à un nouveau régime d'imposition.

Les travailleurs transfrontaliers restent un sujet de préoccupation. Dans la majorité des cas, ce sont des personnes résidant en France et travaillant au Luxembourg. Ils occasionnent des dépenses élevées pour les services publics sans juste retour fiscal. Cela pose un réel problème. Ce premier pas est intéressant, mais insuffisant ; nous prônons des mesures de plus grande ampleur.

L'évitement fiscal est d'autant plus condamnable que ces entreprises utilisent souvent grandement les infrastructures publiques. À sa quasi-unanimité, le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Ghislaine Senée .  - Voici un nouvel avenant à la jeune convention fiscale entre la France et le Luxembourg, qui concerne principalement les travailleurs transfrontaliers.

Cette convention de 2018, presque visionnaire, organisait le télétravail deux ans avant le covid ! Il faut dire qu'il est particulièrement nécessaire dans une zone géographique où les transports publics sont lacunaires. Les écologistes préfèrent toujours le télétravail aux déplacements supplémentaires.

Nous voterons donc cette convention attendue localement, malheureusement temporaire : les travailleurs et travailleuses transfrontaliers ont besoin d'une convention pérenne. Nous regrettons la faiblesse de l'étude d'impact.

Le rapporteur a évalué à 60 millions d'euros la perte pour la France : ce n'est pas neutre alors que le Gouvernement annonce des coups de rabots dans les finances publiques.

Nous sommes attachés à l'évaluation dans le temps de ces conventions, à une cohérence vis-à-vis de tous les pays frontaliers et à la nécessité d'un contrôle réel de l'effectivité de cette convention. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Silvana Silvani .  - (M. Éric Bocquet applaudit.) Passer de 29 à 34 jours la non-imposition des travailleurs français au Luxembourg ne fait pas un projet politique.

Cet accommodement représente une perte de recettes fiscales pour la France de 40 à 70 millions d'euros. Nous parlons d'un avenant qui ignore les LuxLeaks et OpenLux, alors que l'urgence, c'est l'évasion fiscale du Luxembourg. Où en sommes-nous de l'imposition des multinationales ? Où en sommes-nous des 100 milliards d'actifs détenus par des Français dans ce paradis fiscal ?

En 2020, derrière les îles Vierges britanniques, le Luxembourg est le cinquième territoire pour la dissimulation d'actifs, avec 48,8 milliards d'euros.

Lundi, le Gouvernement annonce la prolongation du moratoire sur l'application de la convention pour les foyers à revenu mixte, pour la troisième année consécutive : du provisoire qui dure, une raison de plus pour une révision de la convention qui ne viendra pas.

Mon département, la Meurthe-et-Moselle, représente 9 % des salariés au Luxembourg. Le télétravail serait une bénédiction pour une moitié d'entre eux, mais la perte de recettes fiscales est mal évaluée, à 60 millions d'euros. Il est intéressant d'être imposé au Luxembourg... Et la clause de revoyure accroîtra encore le nombre de jours non imposés en France : le patronat luxembourgeois réclame 96 jours !

Mais la vérité, c'est que le Luxembourg ne peut se passer de nos travailleuses et de nos travailleurs, dont des cadres surdiplômés qui vont chercher un eldorado financier au Luxembourg, où les salaires sont trois fois plus élevés que dans notre pays.

Cet avenant se fait au détriment des services publics français, qui, en Meurthe-et-Moselle, accueillent, nourrissent, soignent tous les citoyens. Quid de la contribution du Luxembourg à ces services publics ? Cantines, espaces de travail partagé, fibre : la question de la contribution du Grand-Duché doit être clairement posée.

Les collectivités subissent la désorganisation du travail transfrontalier sans retombées. Nous demandons une répartition des efforts pour que les travailleurs et travailleuses soient également des citoyens et des citoyennes, pas uniquement de passage. Nous voterons donc contre cet avenant, qui entérine une situation au détriment de nos collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) En 2018, 90 000 Français travaillaient au Luxembourg : ils sont aujourd'hui plus de 120 000, nombre qui pourrait doubler d'ici 2050, à rapporter aux 660 000 habitants du pays.

Ce dynamisme impose de revoir la copie initiale. C'est ainsi le troisième accord en cinq ans. Celui-ci porte à 34 jours le forfait de télétravail, sur les revenus perçus depuis le 1er janvier 2023. Or la crise sanitaire a renforcé le télétravail et les réseaux de transport sont engorgés : cette mesure est donc primordiale. Nous avons adopté un avenant en décembre dernier, avec 440 millions d'euros pour le ferroviaire, mais les 24 000 places de train prévues en 2030 ne régleront pas le problème.

Toutefois, cet avenant est transitoire : il faudra une solution pérenne. Une rencontre est déjà prévue.

Être voisin du Luxembourg représente une chance pour 120 000 Français, mais aussi des spécificités. Je salue le travail des acteurs locaux et de l'État, ainsi que les propositions pour la future CIG.

Mais j'insiste : pour un vrai bassin de vie transfrontalier, le Gouvernement doit s'engager plus avant dans la relation bilatérale. Il nous faut une voix qui parle d'État à État -  Jean-François Husson l'a dit.

Mardi, le groupe santé, auquel j'appartiens, formulait des propositions ambitieuses, tant les difficultés d'accès aux soins sont inquiétantes. Les élus du territoire plaident pour des propositions concrètes. À quelques mois des élections européennes, quid d'un institut transfrontalier de formation ou du cofinancement de crèches ?

Monsieur le ministre, les demandes sont fortes. Dans l'attente, le RDSE votera cet avenant. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-François Husson applaudit également.)

Mme Micheline Jacques .  - J'interviens à la demande de Catherine Belrhiti, sénatrice de la Moselle, empêchée aujourd'hui.

Nous nous réunissons pour la deuxième fois en trois mois afin d'évoquer nos relations avec le Luxembourg. Ce ne sera sans doute pas la dernière...

Cet avenant est lié au renforcement du transport transfrontalier examiné en décembre pour accompagner le mouvement des Français de Moselle et de Meurthe-et-Moselle travaillant de l'autre côté de la frontière. Ainsi, au dernier trimestre 2022, plus de la moitié des travailleurs transfrontaliers au Luxembourg étaient français -  une chance pour notre territoire.

Ce texte étend le forfait de télétravail à 34 jours, pour offrir plus de flexibilité à nos travailleurs. En effet, la multiplication des obligations déclaratives pour les employeurs au-delà de ce seuil constitue un frein pour les entreprises. Résultat : moins de télétravail. De même, l'extension aux contribuables percevant des rémunérations publiques est justifiée.

Cette mesure créera un cercle vertueux, réduisant la congestion de nos axes de transport, mais elle n'est pas complètement satisfaisante. Ainsi, la compensation des recettes fiscales perdues par la TVA liée à la consommation locale liée au télétravail n'est pas documentée, et l'absence de contrôle du télétravail rend le chiffrage impossible.

La clause de revoyure prévoit une nouvelle négociation d'ici la fin 2024, qui modifiera de nouveau l'équilibre. Cela mériterait de s'inspirer des relations avec d'autres pays, comme la Suisse, avec une compensation financière aux départements limitrophes. En effet, vu le coût de l'entretien de nos infrastructures, ce serait juste. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Le nombre de télétravailleurs devrait doubler d'ici à 2050.

Le rapporteur a soulevé le cas des élus français travaillant au Luxembourg, qui ne disposent pas des mêmes facilités que les élus travaillant en France. La CIG doit se saisir de cette question, qui ne me semble pas insurmontable.

Monsieur Weber, la position du Luxembourg, refusant tout mécanisme de rétrocession fiscale, est dure, mais des progrès ont eu lieu pour le financement des infrastructures routières et ferroviaires à hauteur de 460 millions d'euros.

Pour répondre à Jean-François Husson, je suggérerai au Premier ministre de présider la CIG en décembre 2024.

S'agissant des réflexions de Véronique Guillotin, je souhaite un comité interministériel transfrontalier. Les mêmes problèmes de santé et de garde d'enfants se posent des deux côtés de la frontière. C'est au Sénat, d'ailleurs, que nous avons fait avancer ce projet lancé par Laurence Boone.

Discussion de l'article unique

M. Éric Bocquet .  - Silvana Silvani a indiqué que nous voterons contre ce projet de loi. Pourquoi, s'il s'agit d'un texte technique ? Parce que le Luxembourg n'est pas n'importe quel État.

Ce 25 janvier, j'ai écrit à Bruno Le Maire au sujet d'OpenLux. Les Français, au premier rang, détiennent 17 000 des 55 000 sociétés offshore dénoncées -  détenant des actifs pour 6 500 milliards. Quand je l'avais sollicité le 15 février 2021, Bruno Le Maire m'avait répondu que les services de l'État y accordaient la plus grande attention...

Quel est l'état des lieux ? Quels montants ont-ils été recouvrés ? Ces sociétés sont-elles toujours actives ? J'attends toujours la réponse à mon courrier du 25 janvier.

M. Jean-François Husson .  - J'appelle l'attention du Sénat sur l'importance de ce vote. Nous parlons d'une amélioration des conditions de vie des transfrontaliers qui travaillent au Luxembourg. En votant contre, vous allez à l'encontre des intérêts de ces hommes et femmes. Cela serait difficile, ensuite, d'être compris de nos concitoyens.

Monsieur Bocquet, vous avez raison, le sujet que vous abordez mérite une réponse de Bruno Le Maire, qui est, il est vrai, très occupé... (Sourires)

Mme Véronique Guillotin .  - Notre groupe votera unanimement ce texte, qui est attendu. La commune de Villerupt, où je vis et qui compte de nombreux travailleurs transfrontaliers, ne comprendrait pas un rejet de cette mesure.

Mme Silvana Silvani .  - Il ne s'agit pas d'aller à l'encontre de la volonté des travailleurs et travailleuses transfrontaliers. Je viens du même département, toutefois je n'y ai pas entendu une telle volonté unanime.

J'ai bien entendu les difficultés des élus, mais un détail ne doit pas masquer le fond. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur de la commission des finances .  - Quelle est l'ambition de cette convention ? Simplement, de répondre à l'attente des transfrontaliers.

M. Jean-François Husson.  - Très bien !

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur.  - La relation avec le Luxembourg, que d'aucuns considèrent être un paradis fiscal, est un autre sujet. Cette convention n'enlève rien à personne. Elle est un progrès, elle doit certes être encore améliorée.

Comme l'a rappelé le ministre, que vous le vouliez ou non, le Luxembourg est un État souverain. (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Michaël Weber .  - Les travailleurs transfrontaliers réclament ces dispositions. Il faut distinguer nos exigences, avec celles des élus, et les réponses attendues par ces travailleurs transfrontaliers. Une adoption unanime serait un signe pour obtenir davantage d'avancées du Luxembourg. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-François Husson.  - Une rupture à gauche !

L'article unique est adopté. En conséquence, le projet de loi est adopté.

(Mme Véronique Guillotin et M. Jean-François Husson applaudissent.)