Homicide routier

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière.

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Nous avons toutes et tous été bouleversés par les drames causés par des conducteurs en excès de vitesse, sous alcool ou stupéfiants. Nous connaissons tous des parents dévastés, des familles endeuillées et révoltées.

J'entends les critiques contre une justice qui prend le temps d'investiguer, alors que les victimes appellent à un procès rapide. Par son langage, la justice ajoute parfois au malheur des victimes.

Notre droit doit prendre en compte toutes les situations. Nous devons l'adapter aux nouveaux comportements, pour qu'il n'aggrave pas, par ses mots, la souffrance des victimes.

C'est pourquoi cette proposition de loi n'est pas que symbolique. Elle propose de nommer avec justesse des comportements injustifiables sur nos routes. Elle n'est pas que sémantique. Les mots ont un sens, mais surtout, ils emportent des conséquences sur le fonctionnement des enquêtes, le déroulement des audiences, sur la prise en charge des victimes. Ils obligent la justice.

La qualification pénale d'homicide ou de blessures « involontaires » n'est pas appropriée lorsqu'un conducteur s'est délibérément mis dans un état dangereux. L'acte n'est pas totalement accidentel lorsqu'une personne conduit sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants, voire les deux. Il n'y a rien d'involontaire à s'enivrer ou à prendre des stupéfiants, rien d'involontaire à prendre la fuite après avoir causé un accident.

À travers le nouveau qualificatif d'homicide routier, le caractère inacceptable du délit est pris en compte.

Ce texte accroît par ailleurs la répression, avec de nombreuses mesures renforçant les sanctions en matière routière. Il s'inscrit dans la droite ligne des annonces du Gouvernement à la suite du comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du 17 juillet 2023.

La loi du 13 juin 2003 avait déjà consacré des incriminations spécifiques. L'article 221-6-1 du code pénal prévoit que « Lorsque la maladresse, l'imprudence, l'inattention, la négligence ou le manquement à une obligation législative ou réglementaire de prudence ou de sécurité est commis par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur, l'homicide involontaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. » Les peines sont doublées si l'homicide a été commis avec au moins deux circonstances aggravantes.

L'article premier a été profondément remanié par la commission des lois. Si je salue la créativité, l'inventivité de votre rapporteur...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - On peut dire ça comme ça !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - ... je ne suis pas favorable à la nouvelle architecture qui en résulte. Vous consacrez une atteinte aux personnes causée par un auteur qui n'est pas un conducteur : seraient ainsi créés des délits d'homicide par mise en danger et de blessures par mise en danger.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est génial !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Ces deux délits s'ajouteraient aux délits d'homicide et de blessures involontaires, d'homicide routier et de blessures routières. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Votre nouvelle incrimination ne répond pas aux exigences de précision et de lisibilité de la loi pénale.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Exactement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Lorsqu'une victime est blessée ou décède, la mise en danger est avérée, indépendamment de la violation délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence.

Votre rédaction de l'article 1er emporterait une complexification de notre droit. Coexisteraient une section 1 relative aux atteintes volontaires à la vie, une section 2 relative aux atteintes involontaires, une section 2 bis relative aux atteintes par mise en danger, une section 2 ter relative à l'homicide routier, une section 2 quater relative aux blessures routières, une section 2 quinquies relative à l'homicide résultant de l'agression commise par un chien... L'équilibre du code pénal serait fragilisé.

Vous édifiez une frontière dangereusement poreuse entre infractions non intentionnelles et infractions volontaires. La qualification deviendrait trop complexe. L'exigence constitutionnelle de clarté de l'incrimination pénale ne me semble pas respectée. Pour ces raisons, je suis favorable au rétablissement de l'article 1er tel que voté par l'Assemblée nationale.

L'homicide involontaire et les blessures involontaires par conducteur, dès lors qu'ils sont aggravés, seront désormais caractérisés comme homicide routier ou blessures routières. D'autres circonstances aggravantes méritent d'être ajoutées, en plus de celles déjà prévues par le code pénal, qui demeurent.

Il faut être en phase avec la réalité vécue par les enquêteurs, magistrats et victimes : les conducteurs qui téléphonent au volant, se livrent à des rodéos urbains, consomment du protoxyde d'azote ou prennent la route malgré un traitement médicamenteux interdisant la conduite, et qui blessent ou tuent, doivent être poursuivis pour homicide ou blessure routiers. Les peines principales encourues sont celles actuellement prévues pour homicide ou blessures involontaires aggravés.

Un amendement du rapporteur en commission a rétabli l'article 132-19-1 relatif aux bonnes vieilles peines planchers. Je suis défavorable à un tel rétablissement. Les peines planchers n'ont pas démontré leur efficacité ni entraîné de baisse de la délinquance entre 2007 et 2014 - période bénie pour vous ! Le taux de prononcé des peines planchers n'a cessé de diminuer, passant de 50 % en 2007 à 37 % en 2011, les tribunaux y ayant dérogé. Les peines planchers n'ont eu aucun impact sur le nombre de peines d'emprisonnement prononcées et sur leur quantum : entre 2008 et 2013, sept mois ferme en moyenne ; après leur abrogation, entre 2014 et 2019, huit mois ; en 2022, dix mois.

Enfin, le rétablissement des peines planchers va aggraver le délai de traitement des dossiers en matière pénale. Il suppose un temps d'audience prolongé afin que le ministère public et les parties échangent leurs arguments et le juge doit prendre le temps de motiver sa décision.

Je préfère l'efficacité à la démagogie, je sais que le Sénat aussi. Je souscris à une répression ferme, fondée sur des peines principales et complémentaires efficaces, prévenant toute réitération.

La proposition de loi crée un nouvel article 221-21 prévoyant des peines complémentaires et obligatoires en matière d'homicide routier ou de blessures routières. Il est prévu d'élargir la peine complémentaire de confiscation du véhicule, qu'il soit ou non la propriété du conducteur.

L'annulation du permis de conduire de plein droit est étendue à toutes les condamnations pour homicide routier ou blessures routières en cas d'ITT supérieure à trois mois. Cela permet de nommer et d'acter la gravité de certains comportements à l'origine de nombreux accidents.

L'excès de vitesse de 50 km/h devient un délit, la récidive est davantage pénalisée, les peines d'emprisonnement pour conduite sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants sont aggravées.

La loi doit responsabiliser et donc réprimer les auteurs de comportements volontairement dangereux, et ainsi répondre aux réalités de la délinquance routière, dont la consommation de protoxyde d'azote et autres substances psychoactives. Elle doit nommer précisément ces délits. Homicide routier ou blessures routières sont des qualifications appropriées dans ce cas. C'est le bon sens. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et sur quelques travées du groupe UC)

M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pas moins de 3 267 morts sur la route en 2022 : ce n'est pas anodin. Il est insupportable pour les familles qu'un décès provoqué par celui qui prend le volant sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants soit qualifié d'homicide « involontaire », d'accident dû à la fatalité.

Le comité interministériel de juillet 2023 a plaidé pour la qualification d'homicide routier, qui renforce le caractère symbolique de l'infraction et permet une meilleure acceptation sociale.

Je ne conteste pas que la loi a une portée symbolique. C'est un marqueur, les mots traduisent une colère sociale légitime. La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale répond à cette attente et correspond à ce que souhaitait le Gouvernement.

Monsieur le ministre, je suis sensible à vos éloges sur ma créativité, mais je ne les mérite pas : je n'ai fait que recopier servilement le code pénal.

L'article 1er est le plus important. Il m'a paru choquant que nous divisions les familles en deux catégories : celles qui ont perdu leur proche à la suite d'un homicide involontaire, accidentel, et celles qui ont été victimes d'un manquement délibéré. Il n'y a pas des victimes de première classe et de deuxième classe. Tous ceux qui meurent sur la route sont victimes d'un homicide routier.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Je ne suis pas d'accord.

M. Francis Szpiner, rapporteur.  - Pour souligner le caractère délibéré des comportements à l'origine de ces drames, certaines circonstances ont été ajoutées à la liste des cas figurant déjà dans le code pénal. Nous souscrivons à la volonté d'abaisser le seuil de dépassement de la vitesse de 50 à 30 km/h.

La mise en danger de la vie d'autrui n'est pas une invention : elle existe à l'article 121-3 du code pénal depuis 1994. En 1996, le manquement à l'obligation de prudence et de sécurité constituait déjà une infraction ; en 2000, le manquement délibéré a même été considéré comme susceptible de constituer un délit, voire un crime.

La commission a voulu inscrire dans le code pénal les notions d'atteinte à la vie par mise en danger et d'atteinte à l'intégrité physique ou psychique des personnes mises en danger. Ces infractions demeurent néanmoins non-intentionnelles et délictuelles, ce qui nous amène au problème des peines.

Quoi qu'en dise le garde des sceaux, je ne suis pas un inconditionnel des peines planchers, mais je veux que la loi ait un sens. Vous changez les mots, mais concrètement, pour le délinquant, rien ne change. Certes, on saisira la voiture - même si elle n'est pas propriété du conducteur. Bonne chance pour défendre cette atteinte au droit de propriété devant le Conseil constitutionnel... Mais en réalité, rien ne change dans les peines.

On aurait pu faire entrer ces manquements délibérés dans la catégorie criminelle, à l'image des coups et blessures volontaires ayant provoqué la mort sans intention de la donner. Mais cela posait la question de l'intentionnalité, et aurait engorgé les cours criminelles et les assises, allongeant les délais. Nous avons écarté cette possibilité.

Deuxième possibilité : ne toucher à rien, comme vous le faites, et laisser les peines en l'état. (M. Éric Dupond-Moretti proteste.)

Comment le juge va-t-il appréhender la gravité du comportement en cause ? Dans ces affaires, la peine moyenne est de seize mois. La peine minimale que nous proposons oblige le juge à se poser la question de la détention, comme le demandent de nombreuses associations. Motiver sa décision ne rallongera pas le procès de plus d'une heure ou deux !

Le changement de nom inciterait le juge à une plus grande répression ? J'ai beaucoup d'estime pour la magistrature...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Moi aussi.

M. Francis Szpiner, rapporteur.  - ... mais il n'est pas inutile que, de temps en temps, le législateur indique la voie.

Une étude récente montre que les peines planchers ont un effet sur la récidive, or la délinquance routière est souvent le fait de récidivistes. Notre position n'est pas partisane : nous voulons simplement que le juge pose la question de la liberté de l'auteur, avec la possibilité de l'écarter.

L'inscription des différentes infractions dans les parties appropriées du code pénal n'a rien d'anormal. Cette réécriture est extrêmement simple, je ne comprends pas les critiques qu'elle suscite.

Je passe sur les autres articles ajoutés par l'Assemblée nationale, qui répriment la conduite sans permis.

La loi n'est pas faite pour satisfaire l'opinion sans lui apporter quelque chose, or vous changez un mot sans changer la situation. Cette loi doit servir à mieux accompagner les victimes. Car une fois le jugement rendu, le drame continue pour les survivants.

Les gens doivent comprendre que même si, juridiquement, nous ne retenons pas la qualification criminelle, de tels comportements au volant sont criminels. En Afrique du Sud, on voit des panneaux : « If you drink and drive, you're a killer. » Il faut sensibiliser. La peur du gendarme est nécessaire, et la sanction du juge, pas totalement inutile. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Cette proposition de loi concerne un sujet grave. En 2023, 3 402 personnes ont perdu la vie sur nos routes, et 224 rien qu'en février 2024. On a recensé 232 000 blessés, dont 16 000 blessés graves. Autant de destins brisés, auxquels s'ajoutent la douleur des proches, et le sentiment d'injustice devant la qualification d'homicide « involontaire », appliquée à des comportements irresponsables de conducteurs qui ont délibérément fait reposer sur autrui le poids de leur inconscience fautive. C'est une forme de double peine.

Je pense aux associations de victimes et salue leur engagement.

Conformément aux recommandations du CISR, il s'agit ici de faire la distinction entre l'homicide involontaire et l'homicide routier - qualification qui sera retenue en cas de circonstances aggravantes. Cette évolution sémantique répond à une attente forte. Si en droit pénal, la qualification d'homicide involontaire fait sens, elle est injurieuse pour les victimes.

Le texte initial ajoutait des circonstances aggravantes pour les homicides routiers ou blessures routières, avec des peines complémentaires.

Je salue le travail des députés et de la rapporteure Anne Brugnera pour renforcer la répression. Les excès de vitesse de plus de 50 km/h constituent des délits, et la suspension du permis de conduire devient automatique en cas de conduite sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants.

La commission des lois a souhaité aller au-delà du dispositif initial de l'Assemblée nationale, pour systématiser la nouvelle qualification à tous les homicides ou blessures commis à l'occasion de la conduite d'un véhicule, que le conducteur ait eu un comportement à risque ou non. Cela fait disparaître la qualification d'homicide involontaire, même en cas de simple maladresse.

Or le RDPI considère que la distinction entre homicide involontaire et homicide routier fait toute la pertinence de ce texte. Nous voulons mettre la lumière sur les situations où le conducteur a délibérément mis en danger autrui, par son comportement à risque.

Nous craignons que la proposition du rapporteur n'ouvre un débat sur les peines planchers, qui serait préjudiciable à l'adoption du texte. Si le juge conserve la faculté de déroger à la peine plancher, il doit motiver cette décision, ce qui peut freiner son action. Conservons une certaine souplesse. Nous proposerons de revenir sur ces peines.

Nous avons tous à coeur de mieux lutter contre les violences routières, mais le mieux est parfois l'ennemi du bien. Nous en appelons à la responsabilité de chacun pour que, dans l'intérêt supérieur des victimes, nous trouvions un compromis nécessaire pour l'adoption du texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Maryse Carrère applaudit également.) Nous connaissons les chiffres : en 2023, 3 400 personnes sont décédées dans un accident de la route. Il faut tout faire pour éviter ces drames.

Un quart des accidents mortels est causé par un excès de vitesse, un quart par un état d'ivresse ou l'usage de stupéfiants, un quart par la fatigue, et un quart, par des motifs divers. Au final, la moitié des accidents mortels résultent de comportements inacceptables.

La proposition de loi transpartisane présentée à l'Assemblée nationale a pour objectif de résoudre la difficulté de la qualification d'homicide involontaire là où l'on considère qu'il y a eu un comportement coupable, qui rend ce qualificatif d'involontaire insupportable.

Au-delà de la qualification juridique, il y a la douleur des familles ayant perdu un proche - je pense à la famille du jeune Antoine Alléno, tué par un chauffard alcoolisé, ou à l'affaire Palmade.

Nous devons avoir une démarche efficace. Le législateur n'est pas là pour faire du symbole, mais celui-ci a aussi son importance. Désormais, tout accident mortel sera qualifié d'homicide routier dès lors que le conducteur n'était manifestement pas en état de conduire.

Le rapporteur propose, lui, de qualifier d'homicide routier l'ensemble des accidents mortels sur la route, indépendamment du comportement du conducteur. Cette différence d'appréciation n'est pas neutre. On installe une confusion juridique entre les homicides réellement involontaires et ceux qui sont imputables à l'état dans lequel était conducteur, que nous cherchons à stigmatiser et à punir plus sévèrement. Le texte de la commission créerait trois types d'infraction : les homicides volontaires, les homicides involontaires, les homicides routiers.

Moins créatifs que le rapporteur, nous avons déposé un amendement pour dire les choses simplement. L'homicide routier avec une circonstance aggravante doit être qualifié d'homicide routier ; lorsqu'il y a deux circonstances aggravantes, le quantum de peine doit être augmenté. On ne saurait avoir la même dénomination pour toutes les sortes d'homicides.

L'occasion étant belle, le rapporteur a souhaité, par un amendement distinct, réintroduire les peines planchers. Je ne rouvrirai pas le débat sur le fond. Les introduire dans ce texte est une curiosité : elles n'existeraient que pour une seule infraction, et non pour d'autres délits ou crimes, parfois autrement plus graves. (M. Laurent Somon s'exclame.) La confusion juridique est totale, d'autant que vous englobez les homicides involontaires réellement involontaires... Nous souhaitons supprimer cette mesure - ce que la commission a finalement accepté ce matin.

Plusieurs dispositions intéressantes ont été proposées pour les victimes. Certaines, certes, alourdissent la procédure. Mais cela ne fait pas peur au rapporteur... Il est utile de mieux informer les parties civiles.

Alors que nous partageons l'objectif du texte, nous souhaitons, par ces deux amendements, une appréciation plus fine de l'organisation juridique. Entendez nos propositions ; nous déterminerons ensuite notre vote - je maintiens le suspense. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du RDSE)

Mme Alexandra Borchio Fontimp .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les familles endeuillées subissent la double peine, lorsque le chauffard qui a tué leur enfant ne passe pas le moindre jour en prison. C'est courant, même quand le meurtrier a 2 grammes d'alcool dans le sang - comme celui qui a fauché Guillaume, 21 ans, en 2017, à Amiens.

Avec Laurent Somon et Stéphane Demilly, nous avions déposé une proposition de loi pour qu'aucune famille ne subisse plus cette humiliation.

Nul ne peut cautionner cet état de fait. Avant d'être parlementaires, nous sommes parents, enfants, frères ou soeurs. Nous comprenons la douleur, la colère légitime et l'indignation devant ces situations. Nous avions déposé cette proposition de loi dès octobre 2022, bien avant l'affaire Palmade. Un homicide involontaire avec circonstance aggravante, c'est sept ans de prison. Le chauffard qui a tué Guillaume a fait zéro jour de prison...

À Antibes, sa famille pleure la disparition de Noé, tué à 17 ans par un chauffard ivre et sous l'emprise de stupéfiants - qui a repris le volant par la suite, malgré l'interdiction, et qui est toujours en liberté.

Ces personnes prennent le volant en sachant qu'elles peuvent blesser ou tuer, mais n'en ont cure, sans doute car elles savent ne pas risquer grand-chose. Là est la double peine.

Nous disons : plus jamais ! Ce texte est l'occasion de mettre fin au mépris de ces délinquants routiers qui passent entre les mailles du filet. La notion d'homicide « involontaire » est inaudible. Je soutiens donc la notion d'homicide routier, tout en regrettant la faible effectivité des peines. En 2022, sur dix-neuf personnes condamnées, sept seulement ont été placées en détention...

Nous voulons une plus grande fermeté dans l'application des peines et une meilleure prise en charge des victimes. Comment comprendre qu'elles ne soient pas tenues au courant de la date de l'audience, des modalités d'exécution de la peine ? Ces mesures de bon sens renforceraient le sentiment de justice et de considération.

Ce texte, utile mais perfectible, a fait l'objet d'un travail rigoureux en commission des lois. Je soutiens la volonté du rapporteur d'instaurer une peine minimale, à laquelle le juge pourra déroger par une motivation spéciale. Mais la répression n'a pas de sens sans politique de prévention et de sensibilisation. Je présenterai un amendement en ce sens.

Pour Noé, Antoine, Guillaume et les autres victimes de comportements meurtriers sur les routes, les sénateurs Les Républicains répondront présents ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

Mme Corinne Bourcier .  - La voiture est essentielle à la mobilité de nos concitoyens dans nombre de territoires, mais ils doivent pouvoir se déplacer sans risquer leur vie. Plus de trois mille Français meurent sur la route chaque année, c'est inacceptable.

Certaines causes d'accident sont évitables : alcool, drogue, excès de vitesse, usage du téléphone portable au volant, ... La voiture n'est pourtant pas un bureau ambulant ! Malgré les contrôles et les actions de prévention, d'aucuns continuent d'adopter des comportements dangereux, avec des conséquences parfois tragiques. Nous devons donc renforcer notre arsenal répressif.

Il est incompréhensible pour les familles des victimes d'entendre parler d'homicide involontaire, lorsque celui qui a tué a pris le volant en étant ivre ou drogué. En commission, le rapporteur a écarté la qualification de crime, mais introduit des peines planchers. Nous comprenons sa démarche, mais, si nous ne sommes pas opposés aux peines planchers, il ne nous paraît pas opportun de les réintroduire dans notre droit à cette occasion.

Le texte renforce la répression d'une multitude de délits routiers. Il élargit la notion de récidive. Les excès de vitesse, parmi les infractions les plus fréquentes, causent plus du quart des accidents mortels. Au-delà de 50 km/h, ils seront punis comme des délits : notre groupe ne peut qu'y être favorable.

Nous soutenons aussi le renforcement des sanctions encourues par les automobilistes qui prennent le volant en état d'ivresse ou sous l'emprise de stupéfiants. Alcool et drogues sont responsables de 41 % de la mortalité sur la route. Il est urgent d'y remédier ! Nos concitoyens attendent la plus stricte fermeté. L'immobilisation et la mise en fourrière du véhicule incriminé sera dorénavant systématique.

Au total, le texte contient des dispositions intéressantes, d'autres plus discutables. Notre groupe se prononcera en fonction des débats.

Mme Olivia Richard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Il aura fallu que des personnalités publiques soient concernées pour que nous débattions de la qualification pénale d'homicide routier. En 2022, 3 550 personnes sont mortes sur la route, dont 25 % du fait d'un conducteur sous l'emprise de la drogue ou de l'alcool. En 2023, 232 000 personnes ont été blessées, dont 16 000 grièvement.

Face à ces chiffres dramatiques, nos collègues députés ont entendu faire droit aux recommandations du CISR, dont la création d'une qualification d'homicide routier.

Comment des parents peuvent-ils entendre que l'accident qui leur a arraché leur enfant est involontaire, lorsque le chauffeur concerné a pris le volant sous l'emprise de stupéfiants ? C'est inacceptable.

Nous devons veiller à l'efficacité de notre droit pour décourager les comportements irresponsables, aux conséquences tragiques.

Les deux tiers des atteintes involontaires sont commises avec une ou plusieurs circonstances aggravantes. Nous devons reconnaître le caractère délibéré des atteintes routières. Celui qui boit sait qu'il boit, comme celui qui se drogue ou roule en excès de vitesse.

Je salue donc la création des infractions d'homicide routier et de blessures routières. Ces infractions restent involontaires au sens juridique du terme, mais les victimes n'auront plus à subir l'adjectif.

La différence de nature entre homicide involontaire et homicide routier dépend de plusieurs circonstances aggravantes : ivresse, conduite sans permis, excès de vitesse supérieur à 30 km/h. Le rapporteur a supprimé la consommation de substances psychoactives, car, comme l'indique le Conseil d'État, un conducteur peut ne pas être conscient du risque qu'entraîne la consommation d'un produit psychoactif. Rappelons que le tabac est une substance psychoactive, comme de nombreux médicaments.

Nous sommes dubitatifs sur la création de l'infraction d'homicide par mise en danger, qui n'implique pas de véhicule. En revanche, nous nous félicitons de l'assimilation de la récidive de plusieurs infractions à un état alcoolique ou à l'usage de stupéfiant.

Les accidents de la route ne se produisent pas : ils sont causés. Aussi nous félicitons-nous des sanctions alourdies à l'égard des conducteurs sous l'emprise de stupéfiants ou dans un état alcoolique. Par souci de cohérence, leur permis sera automatiquement suspendu.

Nous sommes très réticents à l'idée de réintroduire les peines planchers dans notre droit pénal à la faveur de ce texte, qui a porté par une démarche transpartisane -  c'est suffisamment rare pour être salué. Un tel marqueur politique compromettrait l'aboutissement de la navette dans un délai raisonnable. (M. Éric Dupond-Moretti le confirme.)

Nous voterons les amendements visant à supprimer l'article 1er ter A et voterons naturellement l'ensemble de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Guy Benarroche .  - « Certains usagers, par les risques qu'ils acceptent de faire courir, se conduisent en véritables asociaux. J'ai rappelé aux parquets l'impérieuse obligation de requérir afin que soient réprimés énergiquement et rapidement les infractions les plus graves. » Ainsi Robert Badinter parlait-il en 1985 des irresponsables qui tuent et blessent sur nos routes.

Pour réprimer ces faits inacceptables, il n'a pas eu besoin de revenir sur le caractère volontaire ou involontaire des infractions. Si nous comprenons la demande des familles meurtries, nous devons légiférer avec le recul nécessaire pour assurer un ordre juridique cohérent.

La qualification d'involontaire est dure à accepter, mais je doute que le symbole sémantique de l'homicide routier suffira à satisfaire les proches des victimes.

La distinction des atteintes volontaires et involontaires repose sur l'intentionnalité. Faire apparaître les conséquences de l'acte plus que l'intention de l'auteur est un changement de paradigme, glissement entamé avec la loi sur l'irresponsabilité pénale.

Il y aurait donc six types d'atteintes aux personnes : les volontaires, les atteintes à la vie résultant d'une intoxication volontaire, les involontaires, les atteintes par mise en danger, les homicides routiers et les blessures routières.

Nous avions regretté l'intégration dans le code pénal de la notion de folie volontaire - la consommation volontaire des substances psychoactives en sachant que celle-ci est susceptible de conduire à mettre délibérément autrui en danger. L'avis du Conseil d'État était clair : la multiplication des incriminations autonomes, en réponse à des événements particuliers, complexifie le droit.

Avec ce texte, comment poursuivre une personne ayant volontairement conduit son véhicule pour donner la mort ? La notion de discernement est-elle définitivement révolue ?

L'aggravation pénale des comportements liés à l'addiction ou à la maladie mentale nous alerte d'autant plus que les moyens consacrés à leur prise en charge diminuent. Notre compassion infinie face à des situation dramatiques ne doit pas nous aveugler dans l'écriture du droit, surtout si cela complexifie le travail des juges.

Au-delà de l'intentionnalité du délit, nous sommes attachés à la personnalisation de la peine. Nous ne pouvons donc cautionner la réintroduction de sanctions automatiques. À l'instar de la Défenseure des droits, nous refusons la création d'une nouvelle amende forfaitaire.

La violence routière est d'autant plus inacceptable que chaque mort est évitable. Mais où sont les actions concrètes de prévention routière ? « Face à une telle situation, il faut évidemment réagir, et en premier lieu développer la prévention routière », disait Badinter en 1985. Or il n'est question ici ni de campagnes de prévention, ni d'éducation routière.

Nous sommes conscients des difficultés à satisfaire le besoin de justice et sensibles à la souffrance des familles. Mais ce texte fait naître une incertitude juridique qui ne servira personne. C'est pourquoi nous ne pouvons le voter dans sa rédaction actuelle. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Silvana Silvani .  - Au nom de notre groupe, j'ai une pensée pour toutes les personnes ayant perdu un proche sur la route, pour celles dont la vie a été détruite. Aucune loi ne pourra ramener les morts ni apaiser la douleur. En 2022, il y a eu plus de 3 550 tués sur nos routes ; 601 accidents en Meurthe-et-Moselle, dont 32 mortels.

La grande majorité sont causés par des facteurs comportementaux - vitesse, consommation d'alcool ou de stupéfiants - qui sont pris en compte au titre de circonstances aggravantes.

La proposition de loi alourdit les peines, qui passent de sept à dix ans pour l'homicide routier. Nous avons déposé un amendement contre les peines planchers, réintroduites en commission, qui portent atteinte au principe constitutionnel d'individualisation des peines.

Sans étude d'impact ni analyses complémentaires, difficile de savoir si un tel alourdissement des peines sera efficace. Un chauffard potentiel limitera-t-il sa vitesse parce que les peines encourues sont alourdies ? La loi ne peut raisonner un irresponsable.

Nous nous étonnons que le texte ne prévoie rien en matière de prévention, clé de voûte de la sécurité routière. Depuis les années 1970, la prévention a fait considérablement chuter le nombre de morts sur les routes. Nous avions déposé un amendement pour l'intégrer à la journée défense et citoyenneté : dommage qu'il ait été déclaré irrecevable.

M. Laurent Somon.  - Dommage, en effet.

Mme Silvana Silvani.  - Nous ne nous opposerons pas à ce texte, car nous voulons agir contre la violence routière. Mais nous devons former nos enfants dès le plus jeune âge, déployer des campagnes de prévention - et nous interroger sur la pertinence de construire des voitures toujours plus puissantes, quand la vitesse est la première cause de mortalité sur la route. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Michel Masset .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Bernard Buis applaudit également.) Ce texte touche nombre de nos concitoyens.

Trois facteurs augmentent le risque d'accident : la vitesse, l'alcool et les stupéfiants. Ils sont déjà réprimés par notre droit pénal, en propre et comme circonstances aggravantes.

Ce texte crée une nouvelle infraction, l'homicide routier, sans remettre en cause son caractère involontaire. Il a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale.

Nous devons veiller à bien distinguer l'intentionnalité et la non-intentionnalité. La fonction première du droit pénal est de réparer les dommages à la société et de condamner les atteintes inacceptables.

Le texte issu de l'Assemblée nationale opérait une juste conciliation entre la modernisation du droit pénal pour mieux répondre aux attentes des victimes et la préservation de ses grands principes.

Hélas, le texte adopté par notre commission ne nous donne pas le même sentiment. Notre rapporteur a proposé d'élargir le dispositif à tous les homicides commis lors d'un accident routier, avec ou sans circonstance aggravante. Le risque est de dénaturer le dispositif et de lui faire manquer sa cible.

Quant aux peines planchers, elles vont à l'encontre des principes fondamentaux du droit pénal. Notre rapporteur, juriste averti, a d'ailleurs prévu des dérogations possibles. Introduire ce mécanisme par voie d'amendement et pour une seule infraction nous interroge.

Les sénateurs du RDSE détermineront leur position en fonction de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Laurent Somon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue le travail de nos collègues de l'Assemblée nationale, notamment de la rapporteure Anne Brugnera.

Martin Luther King disait : « J'ai fait un rêve ». Pour ma part, j'ai fait une promesse. Je l'ai faite à Yann Desjardins, dont le fils Guillaume a été fauché en 2017 par un chauffard à Amiens, alors que son père, atteint d'une leucémie, attendait la greffe d'un organe de son fils. Il souhaitait que le chauffard à l'origine de la mort son fils aille derrière les barreaux. J'ai promis à Thibaut, le frère de Guillaume, qui poursuit le combat, d'oeuvrer pour la création d'un homicide routier.

Je rends hommage aux associations de familles de victimes, qui se battent pour que celles-ci soient considérées avec empathie et sollicitude pendant l'enquête et la procédure et que les condamnations soient suivies d'effets.

Pourquoi avoir attendu aussi longtemps, monsieur le garde des sceaux ? J'espère que ce texte n'est pas lié à des circonstances particulières affectant des personnalités responsables ou victimes...

Mmes Pascale Gruny et Corinne Imbert. - Très bien !

M. Laurent Somon.  - Force est de constater que cette évolution est intervenue après le drame de Villiers-en-Bière. Quoi qu'il en soit, nous devons nous féliciter que le CISR de juillet dernier ait enfin abouti sur cette question.

« En droit, les mots consacrés par la loi ont encore plus de poids, surtout quand il s'agit de qualifier des actes qui ont causé la perte d'un être cher », avez-vous déclaré, monsieur le garde des sceaux. Et de poursuivre : « En droit, les mots emportent aussi des conséquences sur le déroulement des enquêtes et lors de l'audience. » Vous auriez pu ajouter : en droit, les mots emportent des conséquences sur les sanctions prononcées par le juge.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Elles sont déjà très élevées !

M. Laurent Somon.  - Je remercie la commission et son rapporteur pour le travail précis réalisé afin d'écarter toute interprétation confuse.

Avec Alexandra Borchio-Fontimp et Jean Sol, j'ai déposé plusieurs amendements pour accentuer les exigences que nous devons aux familles. Nous devons faire en sorte que les mots du droit n'aggravent pas la souffrance des victimes, que la procédure n'exclue pas le besoin d'expression et d'information des familles, que la sanction n'aggrave pas le sentiment d'injustice.

Ma promesse, c'est de répondre aux attentes et de voter une loi qui respecte l'équilibre entre la prise en compte de la douleur et l'accompagnement des familles et des sanctions effectives, dissuasives et réparatrices.

Je regrette que ce texte reste inachevé et rêve d'une justice responsable et humaine, qui apaise les douleurs et prononce des sanctions éducatives et préventives. Un rêve et une promesse : plus de sécurité routière, moins d'insécurité pénale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)