Contribution des Ehpad privés

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs, présentée par M. Jean-Luc Fichet et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.

Discussion générale

M. Jean-Luc Fichet, auteur de la proposition de loi .  - Cette proposition de loi vise à mettre à contribution les Ehpad privés réalisant des profits excessifs. Je remercie mon groupe politique, ainsi que le rapporteur Bruno Belin, malgré nos divergences d'analyse.

Ce texte est le fruit des remontées du terrain. Les élus locaux et les gestionnaires d'établissements veulent que les superprofits soient encadrés. Il ne s'agit pas d'empêcher les Ehpad à but lucratif de faire des bénéfices, mais ces derniers doivent rester raisonnables.

On annonce une loi Grand Âge depuis 2018, mais rien n'a bougé et je crains que rien ne bouge dans les prochains mois, malgré nos avertissements répétés.

La situation financière est due à l'incurie des gouvernements macronistes qui ont désarmé fiscalement notre pays par leur néfaste politique de l'offre. Rien n'a été fait non plus pour améliorer l'accès à la santé des Français, d'où la multiplication des déserts médicaux, terreau du vote d'extrême droite - nous l'avons constaté cette année.

En tant que gestionnaires de centres communaux d'action sociale (CCAS) ou d'Ehpad, les maires sont face à des situations très difficiles. Dernièrement, seize maires du Finistère et des Côtes-d'Armor ont saisi le tribunal administratif de Rennes pour exiger un véritable financement des Ehpad publics ; ils protestaient ainsi contre l'inaction de l'État.

Nous souhaitons tous que se développent des établissements accessibles à tous, dans le respect et le bien-être des résidents. Mais rien ne bouge !

Nous avons tous été choqués par les révélations sur les pratiques d'Orpea. La recherche de superprofits liés à « l'or gris » a entraîné une maltraitance scandaleuse dans certains Ehpad voyous : privation de nourriture, rationnement des changes, sous-effectifs, toutes les barrières morales furent enfoncées.

Il faut mettre un terme à ces pratiques. Le secteur de l'hébergement des personnes âgées n'est pas un secteur comme les autres.

Michel Barnier a lui-même évoqué la taxation des superprofits dans son discours de politique générale, et la commission des finances de l'Assemblée nationale y souscrit.

Les Ehpad privés à but lucratif touchent de l'argent public - les subventions représentent environ 40 % de leur chiffre d'affaires.

En France, il n'y a pas de liberté d'installation des Ehpad : l'État agrée gratuitement l'ouverture de structures, en fonction des besoins. Il me semble logique de taxer les superprofits.

Cette taxe se déclencherait à partir d'un taux de rentabilité de 10 %, s'agissant d'entreprises à vocation sociale. Elle serait progressive, avec deux tranches : une contribution égale à 20 % du montant de l'impôt des sociétés acquitté par l'Ehpad à partir de 10 % de rentabilité, et de 30 % si la rentabilité dépasse 15 %.

Nous envoyons un signal politique : il faut stopper la course effrénée aux superprofits et s'occuper du bien-être des résidents.

Le contexte économique de 2024 n'est pas celui de 2018, année du scandale Orpea. Pourtant, certaines pratiques ont toujours cours. Ainsi, les financements octroyés par les ARS et les départements se fondent sur des documents budgétaires élaborés par les seuls Ehpad. Il n'y a pas de contrôle !

Autre source d'étonnement : certains gestionnaires d'établissement présentent des états prévisionnels de recettes et de dépenses (EPRD) et des états réalisés des recettes et des dépenses (ERRD) en déficit, alors que leurs bilans fiscaux sont excédentaires, voire très excédentaires.

La chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine a constaté que les documents de présentation de la réalisation budgétaire transmis aux tutelles n'étaient pas exhaustifs. Autre anomalie : l'application de frais de siège, sans que l'établissement y soit autorisé.

Certes, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 permet de récupérer des financements octroyés et non consommés, mais ces dispositions ne semblent pas appliquées. La présente proposition de loi fluidifierait les relations entre les Ehpad publics, privés à but non lucratif et privés à but lucratif.

Plutôt que de subir cette contribution additionnelle, les dirigeants des Ehpad privés à but lucratif pourraient opérer des choix stratégiques en vue d'améliorer la situation des résidents : on créerait ainsi un cercle vertueux, à rebours des craintes exprimées par la majorité sénatoriale.

Je ne crois pas à une réduction des prestations offertes aux résidents en répercussion de cette contribution additionnelle : ce serait catastrophique pour l'image et l'attractivité du secteur.

Ne nous leurrons pas, les gestionnaires privés ont pour seul objectif le profit et les éventuelles mesures de réduction des coûts ont d'ores et déjà été prises.

Le produit de cette taxe additionnelle serait affecté à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), afin de financer des mesures en faveur des personnes handicapées ou dépendantes.

La financiarisation du système de santé s'étend, comme l'a montré un récent rapport du Sénat : elle affecte désormais le secteur des crèches. Le dernier livre de Victor Castanet, Les Ogres, en témoigne.

Il est temps que cesse cette course aux superprofits qui pénalise les plus fragiles. En adoptant cette proposition de loi, nous enverrions le signal que la France doit rester une République sociale et solidaire, ce qui passe par une lutte sans merci contre les superprofits, avatars d'un capitalisme débridé. (Applaudissements sur les travées des groupeSER et CRCE-K)

M. Bruno Belin, rapporteur de la commission des finances .  - Cette proposition de loi, qui nous donne l'occasion d'un débat sur le bien vieillir, tend à instaurer une nouvelle taxation sur les Ehpad à but lucratif.

Quel que soit leur statut, tous les Ehpad bénéficient de financements publics, en provenance des ARS, de la sécurité sociale ou des conseils départementaux, entre autres.

Je me pose la question de la pertinence de cette taxation.

Premièrement, taxer une seule catégorie d'Ehpad est susceptible de soulever les interrogations du Conseil constitutionnel.

Deuxièmement, chacun sait que les groupes peuvent habiller adroitement les résultats des établissements, sur lesquels vous proposez de vous fonder. De plus, la CNSA et le ministère de l'économie estiment que le produit de cette contribution serait minime.

Troisièmement, si les groupes ne peuvent financer cette nouvelle taxe, ce sont les patients qui le feront. Il n'y a que deux payeurs possibles : le contribuable ou le consommateur.

Nous avons tous été choqués par les cas de maltraitance révélés par le scandale Orpea. Mais depuis, il y a eu la pandémie de covid et ses nombreux décès. Les établissements ont évolué. Un rapport de Chantal Deseyne, d'Anne Souyris et de Solanges Nadille a montré que le modèle était déséquilibré : deux établissements sur trois sont en déficit et un groupe, Médicharme, a été placé en liquidation judiciaire. La situation de 2024 n'est pas celle de la fin des années 2010.

Nous avons besoin des Ehpad, plus qu'on ne l'imagine. Or on ne crée plus de places, alors que les besoins sont réels. La génération née après-guerre arrivera en situation de dépendance potentielle dans les années 2030 : il faudrait 100 000 places. Qui les financera ? Les collectivités le pourront-elles ? Les groupes privés à but non lucratif en auront-ils envie ? Nous aurons besoin des Ehpad à but lucratif. Ne les pointons pas du doigt.

Nous payons les conséquences des mauvaises décisions des années 1990 en matière de déserts médicaux - sans parler des déserts pharmaceutiques qui sont en train d'apparaître.

Monsieur le ministre, il faudra prendre les mesures nécessaires. Nous allons tous vieillir plus longtemps, c'est une bonne nouvelle. Nous aurons besoin de ces établissements. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Paul Christophe, ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes .  - Le modèle de financement des Ehpad est en crise. Si les difficultés touchent principalement les établissements habilités à l'aide sociale, les Ehpad privés à but lucratif ne sont pas épargnés : 40 % d'entre eux sont en déficit. Nous devons collectivement trouver des solutions.

Pour faire face au vieillissement, nous aurons besoin de tous les établissements qui existent et de leur personnel. Nos concitoyens ont besoin d'une offre accessible, d'où notre attention particulière pour les Ehpad publics et associatifs, qui ont bénéficié plus fortement des crédits d'urgence. La possibilité de différencier les tarifs d'hébergement, prévue par la loi Bien vieillir, leur donnera des marges de manoeuvre supplémentaires.

Le Gouvernement est défavorable à la proposition de loi, non sur ses objectifs mais sur les moyens proposés.

Les établissements privés lucratifs ont besoin comme les autres d'investir pour moderniser leur offre. Il n'est pas inconcevable que des profits soient réalisés à cette fin, sur la seule section hébergement, regroupant les dépenses d'alimentation, de logement et de services annexes. Les résidents qui font le choix de cette offre lucrative peuvent en attendre des prestations supplémentaires s'ils en ont les moyens.

Au-delà de la taxation ordinaire des résultats des entreprises que sont les Ehpad commerciaux, le vecteur fiscal proposé n'est pas exempt de défauts : la prévision de recettes est nulle pour la CNSA au regard des déficits actuels et il existe un risque de report sur les prix payés par les résidents ou sur la qualité des prestations.

Mais entendons-nous bien : je suis déterminé à tirer toutes les conséquences du scandale Orpea. Mon ministère ne fait preuve à cet égard d'aucune naïveté. Aucune utilisation défectueuse des moyens, publics ou privés, destinés la qualité de l'accompagnement des personnes ne sera tolérée. Je serai intraitable sur les maltraitances qui pourraient résulter de tels détournements.

D'ici la fin de l'année, chacun des 7 500 Ehpad aura été contrôlé. J'attends une synthèse de ces contrôles, dont je rendrai personnellement compte pour rassurer les personnes accueillies et leurs familles. Les résultats du nouveau référentiel national de la Haute Autorité de santé, qui fixe un cadre d'évaluation de la qualité des établissements, sont encourageants.

Avant le décret pris en 2022 à la suite du scandale Orpea, nous n'avions de vue que sur le soin et l'entretien de l'autonomie dans les Ehpad commerciaux. Désormais, les pouvoirs publics ont une vision analytique comptable sur l'ensemble du budget. Nous pouvons ainsi analyser finement l'usage des moyens et tenir un discours exigeant sur l'efficience au service des résidents.

Par ailleurs, nous disposons de nouveaux outils pour contrôler les groupes et caractériser d'éventuelles pratiques frauduleuses. La loi Bien vieillir nous donne plus de visibilité sur l'achat de nouvelles structures par certains acteurs, alors qu'ils en mettent d'autres en cessation d'activité. Nous pourrons ainsi nous opposer en amont à des prises de contrôle.

Enfin, parce que le secteur privé doit être concurrentiel, la loi permet de rendre publics de nouveaux indicateurs sur le fonctionnement des établissements, leurs ressources humaines et l'évaluation de la qualité. Comptez sur moi pour appliquer toutes ces dispositions.

L'engagement de l'immense majorité des professionnels ne saurait être remis en cause. Ils partagent avec nous l'objectif d'aider les personnes en respectant leurs droits, leurs besoins et leurs aspirations. (MM. Bruno Belin et Vincent Capo-Canellas applaudissent.)

La séance est suspendue à 13 h 20.

présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président

La séance reprend à 14 h 50.