Sécuriser le mécanisme de purge des nullités (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités, présentée par MM. François-Noël Buffet, Philippe Bonnecarrère et plusieurs de leurs collègues, à la demande de la commission des lois.
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Ce texte est examiné selon la procédure de législation en commission (LEC) prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.
Explications de vote
Mme Isabelle Florennes, rapporteure de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi traite d'un sujet aride, mais essentiel : le mécanisme de purge des nullités, qui peuvent avoir un effet dévastateur sur une procédure, d'autant plus lorsqu'elles sont découvertes tardivement. La presse relayait encore récemment le cas de personnes soupçonnées de trafic de drogue qui ont été libérées pour vice de procédure.
Certes, dans un État de droit, des vices graves de procédure doivent conduire à l'annulation de l'acte, mais il faut aussi assurer la bonne administration de la justice en évitant les recours dilatoires et les annulations prononcées au dernier moment.
C'est pourquoi le législateur a instauré, au début des années 1990, un mécanisme de purge des nullités, notamment dans les procédures d'information judiciaire. En contrepartie, l'ordonnance de renvoi devant une juridiction de jugement couvre toutes les nullités antérieures à la clôture de l'instruction.
Cela peut sembler marginal, les informations judiciaires représentant moins de 2 % des affaires devant le tribunal correctionnel, mais il s'agit des affaires les plus graves, les plus techniques et les plus complexes - narcotrafic, délinquance économique et financière. Ce sujet est donc tout sauf anecdotique.
Déposé en juin 2024, le texte dont nous débattons découle d'une décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023 prise à la suite d'une QPC.
Le requérant avait découvert une cause potentielle de nullité après la clôture de l'instruction, alors que le vice était survenu pendant l'instruction. Le Conseil constitutionnel a estimé que le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense avaient été méconnus et qu'il appartenait au législateur de prévoir des exceptions à la purge des nullités dans ce cas. Le Conseil constitutionnel a donc censuré une partie de l'article 385 du code de procédure pénale, avec effet au 1er octobre 2024. Il n'y a plus, depuis cette date, de purge des nullités devant les tribunaux correctionnels. Nous devons donc agir sans tarder pour combler cette lacune.
L'enjeu est de sécuriser le mécanisme des purges dans l'ensemble de nos droits, et pas seulement en matière correctionnelle. Le texte exclut de ce mécanisme tous les vices dont les parties ne pouvaient avoir connaissance avant la fin de l'instruction, en matière correctionnelle, mais aussi contraventionnelle et criminelle. C'est une réponse pertinente et équilibrée à la censure constitutionnelle.
Mes amendements, adoptés par la commission avec l'assentiment du Gouvernement, précisent que l'ignorance de la personne ne peut lui profiter qu'en l'absence de manoeuvre ou de négligence de sa part et recentrent la gestion des nullités sur les juridictions du fond, afin de ne pas risquer d'engorger les juridictions d'instruction.
Avec cette proposition de loi urgente et nécessaire, adoptée par un large consensus, le Sénat prend ses responsabilités. Monsieur le garde des sceaux, j'en appelle au Gouvernement pour assurer l'adoption rapide de ce texte par l'Assemblée nationale. Les juridictions nous regardent. Répondons à leur légitime attente !
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice . - Cette proposition de loi fait suite à la décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023, qui a, comme vous l'avez rappelé, censuré une partie de l'article 385 du code de procédure pénale.
Le mécanisme des purges des nullités encadre le droit pour les parties de soulever des nullités au cours de l'information judiciaire, puis devant le tribunal correctionnel. Dès lors que le tribunal a été saisi à l'issue de l'information judiciaire, aucune nullité relative aux actes de procédure ne peut plus être soulevée à l'audience - contrepartie logique de la faculté donnée aux parties de recourir aux nullités pendant l'information judiciaire.
Les effets de l'abrogation ont été reportés au 1er octobre 2024, d'où l'urgence de cette proposition de loi. Je remercie le Sénat pour la qualité et la rapidité du travail mené.
Le mécanisme de purge des nullités est essentiel : il sécurise les procédures en cours et limite les recours dilatoires. Ce dispositif est d'autant plus nécessaire que tous les actes subséquents d'un acte annulé le sont aussi, ce qui peut entraîner l'annulation de pans entiers de procédures longues et complexes.
Il constitue l'une des spécificités de la procédure d'information judiciaire et est le corollaire d'un cadre procédural qui accorde une place renforcée au principe du contradictoire.
La proposition de loi rétablit le mécanisme devant le tribunal correctionnel et y ajoute l'exception résultant de la décision du Conseil constitutionnel. Par cohérence, elle le prévoit pour l'ensemble des juridictions répressives.
L'un des trois amendements de la rapporteure simplifie le dispositif en confiant la purge à la juridiction compétente au fond.
Le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi et met tout en oeuvre pour qu'elle soit rapidement inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
M. Michel Masset . - Malgré un contexte contentieux et des requérants atypiques, ce texte appelle peu de commentaires sur le fond.
La censure du Conseil constitutionnel est compréhensible : l'article 385 du code de procédure pénale méconnaissait le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. La proposition de loi reprend les solutions esquissées par le Conseil constitutionnel et choisit une rédaction large qui couvre tous les types de juridictions, pour écarter le risque d'une nouvelle censure. Elle va dans la bonne direction.
Je salue ses auteurs, MM Bonnecarrère et Buffet, qui se sont emparés d'un sujet aride pour les non-juristes, ainsi que notre rapporteure, Isabelle Florennes.
Notre groupe n'a pas d'observations particulières et votera ce texte.
Mais la procédure législative pose problème. Le Conseil constitutionnel nous avait laissé un an pour légiférer... Combien de procédures ont-elles été fragilisées par notre retard ? Nous critiquons parfois le gouvernement des juges, mais nous pouvons ici pointer nos propres défaillances.
Et ce n'est pas la première fois. Je pense à la proposition de loi de Jean-Claude Requier sur les modalités d'incarcération ou de libération. Là aussi, une forme d'oubli et un calendrier législatif mal agencé étaient en cause.
Ce nouveau Gouvernement qui compte d'anciens sénateurs aura certainement à coeur d'éviter ce type de situations.
Le RDSE, dans sa pluralité, votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Jean-Michel Arnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue la qualité du travail d'Isabelle Florennes, à la suite de Philippe Bonnecarrère.
En matière pénale, lorsqu'un acte est affecté d'un vice grave de procédure, il peut être déclaré nul, tout comme les actes qui lui sont associés.
Le Conseil constitutionnel a censuré en partie l'article 385 du code de procédure pénal, mais a reporté l'effet de sa décision au 1er octobre 2024, afin de « ne pas entraîner de conséquences manifestement excessives ». Mais le mécanisme transitoire a pris fin, et nous devons préserver la bonne administration de la justice.
L'article 1er de la proposition de loi exclut du mécanisme tous les vices de procédure que les parties ne pouvaient pas connaître avant la fin de l'instruction. L'article 2 prévoit son application outre-mer, ce qui est la moindre des choses.
Le Sénat doit prendre ses responsabilités. Sans surprise, le groupe UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Ian Brossat . - Rappelons que les sages de Montpensier avaient été saisis par un ancien Premier ministre.
Le Conseil constitutionnel nous avait donné un an pour légiférer. Le gouvernement précédent ayant tardé, il était urgent que nous nous emparions du sujet.
L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. » D'où découlent le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable.
Le Conseil constitutionnel oeuvre au respect de l'État de droit, que nous avons obtenu grâce aux luttes politiques et sociales du peuple. Si nous bénéficions de droits fondamentaux protégés et de pouvoirs séparés, le combat pour défendre et protéger notre État de droit demeure d'actualité.
Le groupe CRCE-K votera naturellement ce texte, soucieux de ne pas mettre à mal nos juridictions déjà si abîmées et continuera à défendre notre État de droit.
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je veux mettre un terme à cet insupportable suspense : le GEST votera ce texte. Je remercie MM Buffet et Bonnecarrère et Mme Florennes pour leur travail sur ce texte aride.
Le législateur avait un an pour résoudre le problème. Le Gouvernement aurait pu l'inscrire à son ordre du jour pour préserver l'espace réservé des parlementaires...
Alors que les auteurs de la proposition de loi avaient prévu de laisser le soin aux juridictions d'instruction d'examiner les nullités, un amendement assigne cette responsabilité à la seule juridiction compétente au fond, au motif que les juridictions d'instruction sont déjà surchargées. Nous intériorisons le sous-financement chronique de l'institution judiciaire...
Ce n'est vraiment pas le moment de réduire les crédits de la justice. Aussi, je salue l'engagement du garde des sceaux pour obtenir des crédits supplémentaires ; il a le soutien du GEST. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Christophe Chaillou . - Ce texte résulte de la décision du Conseil constitutionnel de septembre 2023 qui assure une meilleure conformité de notre droit avec l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et avec l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
L'abrogation décidée devait prendre effet le 1er octobre 2024, afin de laisser un temps raisonnable au Gouvernement pour agir. Mais le précédent gouvernement ne s'est jamais saisi du sujet - vous n'y êtes pour rien, monsieur le garde des sceaux. Nous le regrettons, car c'est indispensable pour sécuriser les procédures et les droits de la défense.
Acculé à l'approche de la date butoir, le Gouvernement a décidé de soutenir la proposition de loi de MM. Buffet et Bonnecarrère, mais la dissolution a interrompu le processus législatif. Nous sommes donc dans une situation d'urgence et de vide juridique.
Cette proposition de loi est une réponse pertinente, adaptée et équilibrée à la décision du Conseil constitutionnel. Elle s'appliquera en matière correctionnelle, contraventionnelle et criminelle. La rapporteure a simplifié et harmonisé le dispositif, dans un respect complet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Il est indispensable de sécuriser les décisions de justice et le droit des victimes tout en garantissant des procédures rapides et justes.
Nonobstant l'auteur de la QPC, le groupe SER votera ce texte, dans un esprit d'efficacité et de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Pierre Jean Rochette . - L'inflation normative est un fléau : de 2008 à 2022, le code de procédure pénale est passé de 1 700 à 2 400 articles. La refonte de ce code est de plus en plus urgente. Les états généraux de la justice demandaient déjà une étude d'impact sur la fusion des cadres d'enquête. Tant que ce chantier ne sera pas mené à bien, la procédure pénale sera juridiquement vulnérable et difficilement praticable.
Le principe des nullités suscite parfois les critiques de nos concitoyens qui ne comprennent pas pourquoi la justice devrait relâcher un suspect pour un vice de forme. Ils ont raison de s'indigner : oui, la justice doit respecter les règles de la procédure et l'État de droit est une absolue nécessité. « Ce qui préserve de l'arbitraire, c'est l'observance des formes », disait Benjamin Constant.
La bonne administration de la justice commande aussi que les motifs de nullité soient soulevés au plus tôt, pour que la justice ne travaille pas en vain. Toutes les parties au procès y ont intérêt.
Depuis le 1er octobre et jusqu'à la promulgation de la proposition de loi, le mécanisme de purge n'existe plus en matière correctionnelle. Les affaires concernées, sans être les plus nombreuses, sont les plus graves et les plus complexes.
Il faut rétablir le mécanisme de purge pour retrouver un équilibre entre respect des droits de défense et la bonne administration de la justice. La rédaction de la proposition de loi est tout à fait satisfaisante et répond aux exigences constitutionnelles. La procédure de LEC a montré son utilité, quand un texte consensuel doit être adopté en urgence.
Le groupe INDEP votera ce texte.
Mme Catherine Di Folco . - Cette proposition de loi de nos anciens collègues intervient après deux censures du Conseil constitutionnel.
La purge stabilise le dossier à l'approche du procès : l'ordonnance de mise en accusation couvre les éventuels vices de procédure qui lui sont antérieurs. C'est indispensable pour certains dossiers très complexes.
En 2021, le Conseil constitutionnel avait censuré les articles 181 et 305-1 du code de procédure pénale. En réaction à cette première censure, le Parlement avait adopté une procédure légèrement modifiée fin 2021, afin d'autoriser, dans certains cas, l'invocation de la nullité en matière criminelle après le délai normal de purge.
À la suite de la décision de septembre 2023 en matière correctionnelle, il est apparu que les garanties offertes par cette exception n'étaient pas suffisantes.
Cette proposition de loi tire les conséquences de ces deux censures, en rétablissant le mécanisme de purge des nullités et en le rendant compatible avec les exigences du juge constitutionnel. La rédaction retenue est suffisamment large et flexible pour régler durablement la question. C'est un texte opérationnel et efficace, destiné à entrer rapidement en vigueur.
Le Conseil constitutionnel avait reporté le plein effet de sa censure d'un an, jusqu'au 1er octobre 2024 - date dépassée. D'autres pans du régime des nullités pourraient tomber encore, en raison de nouvelles QPC. Il est urgent de légiférer.
Je salue le travail de perfectionnement d'Isabelle Florennes.
Monsieur le garde des sceaux, nous comptons sur vous pour faire avancer ce texte à l'Assemblée nationale.
Le groupe Les Républicains le votera.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) La proposition de loi aborde un sujet technique et fondamental pour le bon fonctionnement de notre justice. Ce sujet complexe a une importance cruciale pour la sécurité juridique et le bon déroulement des procès sur l'ensemble des territoires, y compris outre-mer.
Il s'agit de trouver un équilibre entre les droits de la défense et la nécessité de clore les procédures judiciaires dans des délais raisonnables. Il était urgent de légiférer, le mécanisme de purge n'existant plus en matière correctionnelle depuis le 1er octobre. L'ensemble des procédures risque d'être touché : une nouvelle QPC transmise à la Cour de cassation demande l'extension de la jurisprudence en matière criminelle.
Le mécanisme proposé est équilibré et adapté aux exigences de notre temps. Nous saluons la clarification apportée en commission concernant l'application outre-mer.
Ce texte restaure la stabilité de notre procédure judiciaire. Urgent et essentiel, il répond aux impératifs de la justice tout en respectant les droits des parties.
Je salue le travail du Sénat et j'exhorte le Gouvernement et le Parlement à adopter ce texte promptement.
Le RDPI votera cette proposition de loi, pour le bon fonctionnement de nos juridictions.
La proposition de loi est adoptée.
M. le président. - À l'unanimité.
La séance est suspendue quelques instants.