Approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2023 (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2023.

Discussion générale

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins .  - L'examen du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) est le deuxième exercice de ce type depuis son instauration par la loi organique du 14 mars 2022, d'initiative parlementaire. Ce texte offre à la représentation nationale et aux Français une photographie factuelle de l'état des comptes sociaux - il s'agit tout simplement d'argent public, de l'argent de nos concitoyens.

Je suis très attachée à l'évaluation des politiques publiques ; c'est par un texte comme celui-ci que nous pouvons faire progresser la culture de l'évaluation, qui fait parfois défaut à notre pays.

S'il traduit les choix politiques pour l'exercice écoulé, ce projet de loi est aussi un guide pour les décisions futures, au moment où nous sommes à la croisée des chemins : nous devons répondre aux enjeux de justice sociale et assurer la pérennité de notre modèle en le modernisant.

En cette période charnière, je soulignerai les progrès collectivement accomplis comme les défis à relever. Nous devons adopter une vision prospective de nos finances publiques ; autrement dit, penser le temps long.

Malgré un contexte difficile, des améliorations sont intervenues en 2023. Le solde des administrations de sécurité sociale (Asso) est ainsi positif, à 0,5 milliard d'euros, notamment grâce à l'excédent de la Cades, de 18 milliards d'euros. Le déficit global a été contenu à 10,8 milliards d'euros, un niveau très inférieur au pic de 39,7 milliards d'euros atteint en 2020.

Cette amélioration témoigne de l'efficacité des mesures prises pour contenir le déficit tout en protégeant notre système de santé et en garantissant l'accès aux soins. Dépenser plus efficacement pour protéger notre modèle : cette même approche nous a guidés dans la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, que je présenterai après-demain devant votre commission. Nos objectifs sont de renforcer la justice sociale, de garantir l'accès aux soins et d'accompagner l'engagement des professionnels de santé.

Mais ne nous voilons pas la face : le déficit reste élevé, supérieur de 2 milliards d'euros à la prévision, en raison d'une baisse des recettes et de la dynamique inflationniste.

L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), un des principaux leviers de maîtrise budgétaire, a atteint 247,8 milliards d'euros, seulement 0,2 milliard de plus que prévu. Ce dépassement mineur témoigne de la maîtrise des dépenses de santé.

Les dépenses des établissements de santé s'élèvent à 102,9 milliards, soit 4 milliards de plus que la prévision. Ce niveau résulte de la compensation de mesures statutaires et de l'aide exceptionnelle destinée à faire face à l'inflation.

Les soins de ville ont atteint 105,3 milliards d'euros, 2 milliards de plus que prévu.

Les dépenses exceptionnelles liées à la covid ont largement décru, à 1,1 milliard d'euros, contre 11,7 milliards en 2022.

Le déficit de la branche maladie est de 11,1 milliards d'euros, deux fois moins élevé qu'en 2022.

Nous devons faire preuve de responsabilité, car la maîtrise de nos comptes est un impératif démocratique. Nous devons assurer la viabilité de notre système à moyen et long termes face aux évolutions démographiques, à commencer par le vieillissement de la population. Nous devons notamment concentrer nos efforts sur la prévention.

Bien qu'en croissance, les recettes n'ont pas évolué aussi favorablement que prévu. Replaçons les résultats dans leur contexte : c'est le ralentissement de la croissance, couplé à un contexte international incertain, qui a affecté nos recettes, malgré les progrès réalisés dans la lutte contre la fraude, notamment la fraude aux prestations, et le travail dissimulé. Les redressements de l'Urssaf ont augmenté de 50 % : 1,2 milliard d'euros, contre 800 millions en 2022. Nous visons 5,5 milliards d'euros en 2027.

En matière de prestations sociales, 400 millions d'euros de fraudes ont été détectés par la caisse d'allocations familiales, 200 millions par la caisse d'assurance vieillesse et 400 millions par l'assurance maladie. Nous allons intensifier ce combat, notamment par la systématisation des contrôles de l'assurance maladie, car chaque euro détourné est un euro qui manque à ceux qui en ont besoin.

Ce projet de loi doit être l'occasion de saluer les progrès réalisés, tout en restant conscients des défis qui nous attendent pour moderniser notre modèle, mais jamais au détriment de la solidarité et de l'accès aux soins. Travaillons dans un esprit de responsabilité pour garantir la viabilité de notre système fondé sur la solidarité.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales .  - La commission des affaires sociales a déposé une motion tendant à opposer la question préalable au Placss, afin de marquer que, malgré d'incontestables améliorations, les obligations organiques restent insuffisamment respectées : évaluation des niches, actualisation des indicateurs, notamment.

La commission souhaite aussi exprimer son désaccord avec la politique sociale du précédent gouvernement. Si le déficit est passé de 20 à 10 milliards d'euros, en chiffres arrondis, c'est essentiellement parce que les dépenses liées à la crise sanitaire ont quasiment disparu, et non en raison de mesures correctrices.

Le législateur organique a instauré ce rendez-vous annuel pour évaluer l'efficacité et l'efficience des politiques menées, dans une démarche de chaînage vertueux - chère à mon prédécesseur, Jean-Marie Vanlerenberghe.

Mais la dissolution a bouleversé le calendrier, qualifié par d'aucuns de baroque. Notre tâche n'en est pas facilitée.

Je me ferai la porte-parole de nos rapporteurs de branche en résumant les résultats de leurs travaux d'évaluation - dans l'esprit du législateur organique, qui était de tenir ce genre de débats.

Rapporteur pour la branche vieillesse, Pascale Gruny s'est penchée sur le non-recours au minimum vieillesse, de 50 % en 2016. Il est particulièrement élevé chez ceux qui bénéficient d'un patrimoine, comme les non-salariés agricoles, sans doute par crainte d'un recouvrement sur succession - le problème se pose aussi en outre-mer. Notre collègue propose d'actualiser régulièrement l'estimation du phénomène, d'évaluer les conséquences du relèvement du plafond de recouvrement intervenu l'an dernier et de mieux suivre les efforts d'accompagnement des caisses.

Rapporteure pour l'assurance maladie, Corinne Imbert s'est penchée sur les rendez-vous de prévention créés il y a deux mois, trop timidement promus par les pouvoirs publics, sous l'appellation « Monbilansanté ». Leur mise en oeuvre a été tardive et le législateur ne dispose d'aucune évaluation. En outre, il n'est pas évident que le dispositif cible bien les publics les plus éloignés du soin. Je regrette au demeurant, madame la ministre, que la prévention ait disparu de l'intitulé de votre ministère.

Notre collègue s'est penchée aussi sur la quatrième année de médecine générale, qui doit servir à réaliser un stage, notamment en zone sous-dotée. La commission souligne le très haut niveau d'incertitude dans lequel les étudiants sont conduits à faire des choix d'orientation déterminants, du fait des multiples retards dans la parution des textes attendus.

S'agissant du financement des établissements de santé, la garantie instaurée pendant la crise sanitaire a été remplacée par un mécanisme de sécurisation modulé selon l'activité. Le déficit des établissements publics est de l'ordre de 2 milliards d'euros en 2023.

Rapporteur de la branche famille, Olivier Henno a travaillé sur la réforme du congé paternité, porté de onze à vingt-cinq jours il y a deux ans. Si la durée du congé moyen est passée à vingt-trois jours en 2023, les pères qui n'y recouraient pas ne le font pas davantage. Il faut augmenter ce taux de recours et inscrire le congé de paternité dans une réflexion plus large sur les congés parentaux.

Chantal Deseyne s'est penchée sur les relations entre la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et les départements. En la matière, une réforme est urgente pour simplifier l'architecture des concours, les rendre plus lisibles et plus cohérents et répondre aux besoins territoriaux.

Enfin, Marie-Pierre Richer s'est intéressée à l'indemnisation des victimes de l'amiante. Les aides versées par le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) sont plus élevées que celles de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), mais le Fiva souffre d'un taux de non-recours de 35 à 45 %.

Nous faisons de l'adoption du Placss un acte politique. C'est légitime, même si ce n'est pas l'esprit dans lequel il a été instauré. Espérons que, lors des prochains exercices, nous pourrons renouer avec cet esprit et que, dans l'immédiat, ce débat serve à obtenir quelques réponses du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Michel Canévet, en remplacement de M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis de la commission des finances .  - (Applaudissements sur des travées du groupe UC) Vincent Delahaye, rapporteur pour avis de la commission des finances, m'a demandé de vous exposer les raisons pour lesquelles il a proposé un avis défavorable sur ce texte.

D'abord, le calendrier a été fortement bouleversé en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale.

Ensuite, ce texte témoigne de l'état catastrophique de la sécurité sociale : le déficit est anticipé à 18 milliards d'euros en 2024, 16 milliards en 2025.

Le solde légèrement positif des Asso est un résultat en trompe-l'oeil, puisqu'il intègre les résultats de la Cades, destinée à amortir la dette sociale. Sans la Cades, les comptes sont en déficit de 5,1 milliards d'euros. Le déficit total s'élève à 10,8 milliards d'euros.

Les crises sanitaire et inflationniste ne justifient pas une telle situation. En 2023, les dépenses liées au covid n'ont été que de 1 milliard d'euros et l'inflation a un effet haussier aussi sur les recettes.

En réalité, les recettes ont été sous-estimées de 2,3 milliards d'euros. Les dépenses ont augmenté de 3,1 % - et même de 5 % si l'on exclut le covid. Les branches maladie et retraite sont particulièrement concernées. L'Ondam a été supérieur de 3,7 milliards d'euros aux prévisions. Mal ciblées, les dépenses de la branche maladie dérapent depuis 2019, l'Ondam augmentant chaque année de 5,4 %, au-dessus de l'inflation. Les déficits de la branche vieillesse augmentent chaque année et devraient atteindre 6,1 milliards d'euros en 2027. La Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) contribue au déficit à hauteur de 2,5 milliards d'euros, après avoir été ponctionnée de plus de 100 milliards ces dernières années pour soutenir d'autres régimes.

L'explosion des déficits entraîne une forte hausse de la dette sociale. Elle est pour l'instant portée par la Cades, mais aucune dette supplémentaire ne pourra lui être transférée après 2025 en l'absence d'une nouvelle loi. Laquelle n'est pas souhaitable, puisqu'elle entérinerait la pérennité de la dette sociale.

Dépenses non maîtrisées, recettes plus faibles que prévu, endettement social sans précédent : c'est sur le fondement de ces constats inquiétants que la commission des finances nous invite à rejeter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Bernard Jomier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette procédure d'approbation des comptes de la sécurité sociale marque un progrès indéniable pour le contrôle parlementaire.

C'est pour le saluer que, l'an passé, et malgré les lacunes du texte présenté, le groupe SER avait souhaité l'étude complète de celui-ci en séance. Mais il est temps d'en venir à un respect plus strict de l'esprit et de la lettre de la loi organique de 2022. On en est loin.

Le dépôt tardif du Placss a empêché son examen avant la dissolution. Puis le Gouvernement a redéposé le texte en juillet, mais sans réunir le Parlement. La forme rejoint ici le fond, et le désordre dans le calendrier est révélateur du désordre dans les comptes. De fait, les chiffres sont alarmants : le creusement du déficit continue et continuera - 18 milliards d'euros attendus en 2024, davantage encore en 2027.

Nous avons maintes fois exprimé notre inquiétude devant vos prédécesseurs, madame la ministre, issus comme vous de la mouvance présidentielle - une inquiétude partagée par la Cour des comptes, le Haut Conseil des finances publiques et le Haut Conseil pour le financement de la protection sociale, qui soulignent qu'aucune perspective de retour à l'équilibre n'est proposée.

Pour mettre fin à cette dynamique de déficits, il faut redéfinir l'ambition de notre système de protection sociale. En particulier, les allègements des cotisations sur les bas salaires ont modifié la structure des finances sociales : les cotisations ne représentent plus que 48 % des ressources de la sécurité sociale, contre 64 % en 1990. En 2023, les exonérations ont privé la sécurité sociale de 19 milliards d'euros de recettes.

En réalité, la sécurité sociale est maintenue en déficit constant. Le déficit est un choix délibéré, organisé, qui sape la légitimité de notre modèle.

En 2018, les comptes ont été ramenés à l'équilibre ; depuis sept ans, vous les avez plongés dans le déficit sans stratégie de retour à l'équilibre. Votre échec est triple : déficits, qualité insuffisante du service rendu, fondements de la protection sociale malmenés. Votre gestion court-termiste hypothèque l'avenir. L'Ondam est déconnecté des besoins et, faute de pilotage stratégique, nous ne faisons que subir les événements.

Un exemple : le surpoids, problématique croissante, est lourd de conséquences pour les comptes sociaux. Quels sont les programmes prévus pour lutter contre ce phénomène, notamment sur le plan de la prévention ? Je ne vois dans le PLFSS pour 2025 aucun chapitre sur le tabac ou l'alcool...

Le dépassement de l'Ondam est d'autant plus préoccupant que les dépenses liées à la covid ont beaucoup baissé. La gestion actuelle de l'Ondam rend impossible une politique plaçant la prévention au coeur des préoccupations avec une trajectoire financière crédible.

Le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de la branche famille ne peut que conduire le législateur à rejeter ce texte.

La question des recettes ne peut plus être éludée : nous ferons des propositions à cet égard dans la discussion du PLFSS. Les erreurs ou les errements - on ne sait - en matière de prévision de recettes sont incompréhensibles. Comment les expliquer sinon par une gestion financière approximative ?

Le déficit des hôpitaux atteint 1,9 milliard d'euros, quatre fois plus qu'en 2021. C'est le résultat de choix politiques. L'hôpital public n'est pas financé à la hauteur des missions qui lui sont confiées.

Ce Placss est trop marqué par son calendrier et votre mauvaise gestion pour qu'il soit légitime d'en débattre plus avant. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Je remercie la rapporteure générale et les rapporteurs de branche pour leur excellent travail de pédagogie.

Sur la forme, le calendrier appelle une remarque : le Placss est supposé permettre au Parlement de se pencher sur les comptes de l'année précédente en amont de l'examen du budget de l'année suivante. La situation politique ne l'a pas permis. Les conditions d'examen du texte sont donc loin d'être optimales.

Malgré des progrès, la maîtrise des dépenses publiques reste insuffisamment efficace. En raison d'un grand nombre d'erreurs, la Cour des comptes n'a pas certifié les comptes de la Cnaf ni ceux de la branche famille. Plus que d'un refus, il s'agit du constat d'une impossibilité. Mais c'est loin d'être satisfaisant.

Nulle raison de se réjouir de la baisse du déficit de la sécurité sociale à 11 milliards d'euros, car il s'agit d'une conséquence automatique de la fin de la crise sanitaire. On ne peut passer sous silence le dépassement de 3,7 milliards d'euros de la prévision de déficit.

L'adoption de ce texte n'est donc pas évidente, mais il faudrait au moins en débattre. Le non-recours, notamment au minimum vieillesse et au Fiva, ou la lutte contre les fraudes et abus sont, par exemple, des sujets à aborder. Merci à Pascale Gruny et Marie-Pierre Richer d'avoir mis l'accent sur ces aspects.

De même, nous aurions voulu aborder la dette abyssale de la sécurité sociale, de 92 milliards d'euros. Notre modèle de protection sociale, longtemps sujet de fierté, est devenu un motif d'inquiétude. Depuis trente ans, la Cades amortit environ 80 milliards d'euros par décennie. Comment amortirait-elle 136 milliards en moins de dix ans ?

Cela illustre le caractère insoutenable de la situation et la nécessité de réformes profondes. Mais, privilégiant toujours le débat, le groupe INDEP ne votera pas la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Bernard Buis applaudit également.)

M. Pierre Jean Rochette.  - Excellent !

M. Philippe Mouiller .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Placss, création parlementaire, vise à séparer le temps du regard vers le passé, au printemps, du temps de la préparation de l'avenir, à l'automne. Il s'agit d'éviter que l'examen des comptes de l'année passée ne soit précipité, si seulement il a lieu.

Hélas, ce chaînage vertueux a du retard à l'allumage... L'année dernière, nous avons rejeté le texte, en l'absence d'éléments essentiels d'information. Cette année, en dépit de quelques progrès, le compte n'y est pas. D'où la motion déposée par la commission.

Les circonstances politiques du printemps nous conduisent à examiner le Placss alors que l'Assemblée nationale a entamé l'examen du PLFSS : cette concordance est très éloignée de l'intention du législateur organique.

Les comptes de la sécurité sociale sont dans un état extrêmement préoccupant. La baisse du déficit à 10,8 milliards d'euros ne résulte en rien de mesures structurelles, mais seulement de la fin des dépenses liées à la covid et de l'anticipation de l'indexation de diverses prestations. Le déficit devait se recreuser dès cette année et se situer à un niveau proche de celui des remboursements effectués par la Cades, ce qui est alarmant.

La responsabilité nous impose de cesser de léguer notre dette sociale aux générations futures. Nous devons pour cela mener des réformes de fond. Le groupe Les Républicains votera la motion et proposera des évolutions structurelles dans la discussion du PLFSS. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)

M. Stéphane Fouassin .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Urgence et pragmatisme : telle est ma double conviction.

Voulue par le Parlement, la loi organique du 14 mars 2022 prévoit l'examen du Placss avant celui du PLFSS. Ce texte offre une photographie des comptes sociaux. C'est un exercice de transparence bienvenu et un acte de responsabilité.

L'année 2023 est celle du rééquilibrage après le chaos de la covid et les investissements massifs réalisés, à raison, pour protéger nos concitoyens et notre économie. Le déficit a été ramené à 10,8 milliards d'euros, quatre fois moins qu'en 2020.

Mais ne nous leurrons pas : cette nette amélioration, nous la devons à la fin de la crise sanitaire, au cours de laquelle la France a su agir avec courage et cohérence. Si la branche maladie présente un déficit de 11,1 milliards d'euros, c'est le reflet d'un modèle qui protège nos concitoyens et garantit à tous l'accès aux soins.

La tentation est grande d'examiner ce texte à l'aune des prévisions : à 18 milliards d'euros, le déficit annoncé pour 2024 n'est pas réjouissant. Mais les défis structurels qui restent à relever ne doivent pas nous empêcher de reconnaître ce qui a été accompli. Les réformes à mener s'enracineront sur le socle de stabilité que nous avons construit. Rejeter ce projet de loi serait ignorer cet effort.

Les Asso sont en excédent, preuve de la résilience de notre modèle. Les branches famille et AT-MP présentent aussi un surplus.

Alors que 2024 sera une année difficile, faisons le choix de la responsabilité et ne tournons pas le dos aux progrès accomplis. Continuons à bâtir un système qui soigne, accompagne et protège. Oui, des réformes de structure sont nécessaires, mais nous en débattrons dans le PLFSS. Ne nous trompons pas de texte : le RDPI votera contre une motion qui exprime avant tout un rejet de la politique menée. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Guylène Pantel .  - Auparavant expédiée à l'automne, l'approbation des comptes sociaux de l'année précédente fait l'objet, depuis la loi organique du 14 mars 2022, d'un texte spécifique, théoriquement examiné en juin. Ce Placss succède à un projet de loi du même type présenté en mai puis devenu caduc à la suite de la dissolution.

Le RDSE est très attaché à cet exercice de transparence. Le chaînage vertueux est un progrès pour notre mission de contrôle et d'évaluation.

Nous sommes acquis à l'idée que la sécurité sociale exprime la solidarité nationale. Elle est fondée sur un contrat implicite qui lie tous les citoyens : chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.

Or ce système est en sursis avec la dégradation continuelle des comptes sociaux. Cette situation n'est pas le fruit du hasard, mais de choix politiques court-termistes. Les exonérations de cotisations offrent une bouffée d'air frais aux petites entreprises de nos territoires, mais sont plus discutables pour les grandes entreprises, surtout quand les contreparties prévues sont insuffisantes.

La Cour des comptes s'est déclarée dans l'impossibilité de certifier les comptes de la branche famille, en raison de multiples erreurs de paiement. Il est plus que temps d'endiguer ce phénomène récurrent par le réarmement financier, technique et humain des institutions de la sécurité sociale.

Je profite de cette discussion pour saluer le caractère atypique et l'efficacité du fonctionnement des organismes de sécurité sociale en Lozère. La caisse commune de sécurité sociale du département est un organisme tribranche, qui assure l'ensemble des missions d'une CPAM, d'une CAF et d'une Urssaf. Il s'agit d'une référence qui pourrait s'exporter.

Nous devons nous poser la question d'une meilleure utilisation de l'argent public, pour aboutir à un équilibre financier et surtout pour répondre aux besoins de nos concitoyens et assurer une bonne qualité de vie au travail aux personnels des secteurs de la santé et du social.

Conformément à sa position constante, le RDSE votera contre la motion, pour privilégier le débat.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Ce Placss souffre d'une altération générale de l'état financier et de projections inquiétantes pour les années à venir. Une démarche corrective est nécessaire. Mais le principe d'annualité budgétaire semble condamner les gouvernements successifs à piloter à vue, sans penser une réforme structurelle.

Prenons l'exemple de la branche vieillesse : les ajustements paramétriques de la dernière réforme des retraites ne sont au mieux que des palliatifs. Une refonte du système s'impose, car le déficit est masqué par les subventions de l'État au régime public : 40 milliards d'euros pour la fonction publique d'État, sans compter les apports supplémentaires pour les régimes spéciaux déficitaires - 70 milliards d'euros au total.

Pour 2023, nous avions proposé des solutions pour remettre les comptes publics à l'équilibre. Qu'il s'agisse de la maîtrise de l'Ondam, de la lutte contre les actes médicaux redondants, de l'obligation d'inscription de tous les actes dans le dossier médical partagé, de l'amélioration de l'emploi des seniors, notre groupe a formulé des propositions, hélas peu suivies.

Ne devrait-on pas limiter le rôle des complémentaires santé à la prévention ou au remboursement de certains actes ciblés ? Faut-il continuer les financements croisés au risque d'alourdir les cotisations des assurés, plus particulièrement des plus âgés ?

Il est temps de refonder le système de santé sur des bases claires.

Lors de l'examen du PLFSS 2023, le Sénat avait formulé des propositions pour réduire les déficits. Le Gouvernement d'alors n'en avait retenu que quelques-unes et balayé le reste d'un coup de 49.3.

L'administration, aussi experte soit-elle, ne pourra gérer la crise sans la participation de tous les citoyens et des élus. Ils sont les premiers témoins de la dégradation des soins et de l'hôpital public.

La Cour des comptes a été dans l'impossibilité de certifier les comptes de la branche famille et de la Cnaf. Cela en dit long sur l'état de nos comptes sociaux, comme l'indiquait notre rapporteure générale.

Pour toutes ces raisons, le groupe UC votera la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Le Gouvernement demande d'approuver les comptes de la sécurité sociale de 2023 - contre lesquels nous avions voté et dont nous mesurons l'échec.

Selon la Cour des comptes, un tel niveau de déficit, 10,8 milliards d'euros, constitue un « point de bascule » car le financement du déficit de la sécurité sociale n'est plus assuré à terme. Ce déficit dépasse 4 milliards d'euros la prévision initiale. C'est la conséquence des politiques d'austérité et du refus du Gouvernement de dégager des recettes en mettant à contribution les entreprises et les revenus financiers, ainsi que du refus de prendre en charge les coûts de la pandémie qui pèsent sur la sécurité sociale.

Le déficit s'explique par les moindres recettes et la faible croissance. À la clé, moins d'emplois, moins de cotisations sociales et donc un déficit structurel.

Pour la première fois depuis trois ans, le nombre de salariés baisse. Le chômage augmente et les salaires stagnent en raison des compléments de salaires qui privent la sécurité sociale de 18 milliards d'euros, non compensés par l'État. L'allégement de cotisations sur les bas salaires maintient les salaires autour du Smic et prive la sécurité sociale des rentrées nécessaires.

Selon la Cour des comptes, les niches sociales, qui représentaient 87,5 milliards d'euros versés aux salariés en 2022, remplacent les augmentations de salaire et aggravent le déficit de la sécurité sociale. En ajoutant les 74 milliards d'euros d'exonération des cotisations patronales, on comprend vite le déficit organisé de la sécurité sociale.

Vous qui avez voté le PLFSS 2023, assumez donc la situation des hôpitaux publics, des urgences saturées, des professionnels épuisés ! Assumez les 2 milliards d'euros de déficit des hôpitaux publics, et celui des Ehpad publics.

Nous refusons de valider un texte qui prévoyait un Ondam largement sous-évalué. Pour paraphraser Bossuet, nous déplorons l'attitude de ceux qui se plaignent des conséquences dont ils ont chéri les causes. Par cohérence avec notre vote contre la LFSS 2023, nous voterons contre ce Placss. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) On constate les effets de la gestion inefficace des risques sociaux que nous dénonçons à chaque PLFSS. D'année en année, l'Ondam ne tient pas compte de l'évolution des besoins de santé. D'année en année, la branche AT-MP est excédentaire alors qu'on déplore toujours plus d'accidents du travail. D'année en année, nous reportons le chantier de la transition démographique, de la prévention et du virage domiciliaire pour la branche autonomie. Le désengagement solidaire de la santé s'accompagne de l'augmentation du prix des mutuelles.

La précarité matérielle et sociale ne cesse de s'accentuer. Pour que la sécurité sociale remplisse ses missions, il faut rompre avec les exemptions d'assiette non compensées.

La prime Macron, devenue prime de pouvoir d'achat puis prime de partage de la valeur, s'est traduite par une attrition de recettes de 19 milliards d'euros en 2023, alors que le déficit était de 8 milliards d'euros. Alors que le déficit de la sécurité sociale se creusait de 6,6 milliards d'euros entre 2018 et 2023, les pertes de recettes dues à la désocialisation des compléments de salaire non compensés augmentaient de plus de 8 milliards.

Le Gouvernement a construit lui-même une bonne partie du déficit sur le recul des droits de salariés. Vous courez derrière des déficits que vous faites semblant de découvrir, tout en désarmant les recettes. Loin d'être un bon gestionnaire, le Gouvernement est le pompier pyromane des finances sociales depuis 2017, alimentant la crise sociale.

Pas question d'approuver une gestion fragilisant les finances sociales : le GEST votera contre le Placss. (M. Thomas Dossus applaudit.)

Mme Corinne Imbert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions) Ce Placss fait apparaître un déficit supérieur aux prévisions, en grande partie en raison de recettes manquantes et du dépassement de l'Ondam. Celui-ci a atteint 247,8 milliards d'euros, alors qu'il avait été voté à 244,1 milliards d'euros.

Nous avions refusé de voter l'Ondam 2023 en raison de son manque de crédibilité et de sincérité ; nous avions raison. L'Ondam 2023, supérieur de 3,8 milliards d'euros à sa prévision, est finalement supérieur à l'Ondam 2022, alors qu'il devait lui être inférieur. La branche maladie porte à elle seule la totalité du déficit : 11,1 milliards d'euros. Nous avons besoin de prévisions plus solides.

Deux ans après leur adoption, les rendez-vous de prévention commencent tout juste à se généraliser. Le Sénat avait soutenu cette mesure en recommandant d'associer les professionnels de santé.

Il avait également soutenu l'allongement du troisième cycle de médecine générale, reprenant la proposition de loi de Bruno Retailleau. Or près de deux ans après, la réforme est incomplète. La maquette est encore en débat, et les étudiants sont dans l'incertitude.

Alors que le déficit des hôpitaux publics atteint 2 milliards d'euros fin 2023, que l'on demande des efforts au secteur médical, nous devons orienter les politiques en tenant compte des défis qui nous attendent.

Sans surprise, je voterai la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions)

M. Khalifé Khalifé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions) L'équilibre financier prévu à l'article 34 de la Constitution est plus que jamais une chimère. Je n'imaginais pas, il y a un an, examiner un Placss présentant les mêmes défauts que le précédent, ignorant les recommandations de la Cour des comptes et méprisant les travaux du Parlement. Je ne savais pas que l'on pouvait accepter une telle fatalité, en suivant l'adage selon lequel la santé n'a pas de prix.

Ce Placss révèle un déficit de 11 milliards d'euros, dû essentiellement à la branche maladie. Peut-on se satisfaire que les autres branches soient à l'équilibre, quand seulement la moitié des personnes éligibles ont recours au minimum vieillesse, quand plus de 10 000 adultes handicapés sont hébergés dans les instituts médico-éducatifs (IME), interdisant aux jeunes d'y accéder ?

J'alerte sur les abus des arrêts de travail réalisés par télémédecine. À quoi servent les multiples agences de régulation ? Comment communiquent-elles ? Comment justifient-elles leur existence ?

Des réformes structurelles s'imposent pour maîtriser la financiarisation du système, rendre plus efficiente la gouvernance de l'hôpital et valoriser les soignants.

On parle du prix des médicaments innovants, mais quel est le coût global du parcours du patient ? Quid de l'absence d'encaissement du 1,6 milliard d'euros de la clause de sauvegarde pour 2023, pourtant budgétée par l'industrie ? Et des dispositifs médicaux ?

À quand une véritable politique de prévention structurée ? Les soins de ville sont à consolider. L'évaluation du rôle des CPTS mérite d'être revue. Une réforme efficace des études de santé est urgente. Enfin, il faut revoir les statuts juridiques et fiscaux de certains montages pour l'exercice médical.

Je veux vous faire part du désarroi du praticien que j'ai été et de la colère de l'élu que je suis.

Madame la ministre, je vous souhaite de réussir ce chantier difficile - et d'en avoir le temps. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°1 de Mme Élisabeth Doineau au nom de la commission des affaires sociales.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales .  - Merci à tous pour vos interventions. Plusieurs raisons justifient cette motion. Le Placss ne répond pas aux obligations de la loi organique.

L'an dernier, la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes. Cette année, elle se déclare « dans l'impossibilité » de le faire. Ce Placss n'est donc pas encore satisfaisant à ses yeux.

Le rapport d'évaluation portait l'an dernier sur les deux années précédentes. Cette année, c'est sur l'année précédente. Or la loi organique impose une évaluation des trois années précédentes. Là encore, le compte n'y est pas.

Nous disposons de l'évaluation de dix-neuf niches sociales. C'est mieux que rien - l'an dernier, nous étions à zéro - mais ce n'est pas suffisant car la loi organique impose d'en évaluer au moins 30 %, soit 40 sur 120. Je note toutefois que le volume concerné est important.

Malgré une amélioration, le Gouvernement n'a pas défini de politique publique qui nous ramènerait sur la voie de l'équilibre. Nous atteindrons déjà en 2024 les montants de déficit prévus pour 2027 ! Face à ce mur, comment prolonger la Cades ?

Ce n'est pas une question de responsabilité, mais de non-respect des obligations organiques.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - Très bien !

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - J'entends que vous jugez que les obligations organiques ne sont pas respectées, que la Cour des comptes aurait refusé de certifier les comptes en 2022. Cette fois, elle se dit « dans l'impossibilité » de les certifier. Nous progressons !

M. Bernard Jomier.  - L'art de la nuance !

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - L'année prochaine, nous y serons !

Mme Émilienne Poumirol.  - Optimiste !

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - En définitive, nous évoquons un compte administratif, une photographie de ce qui s'est passé.

Je regrette que nous ne puissions poursuivre le débat ce soir, mais j'ai confiance dans les débats à venir.

Je constate, comme vous, la situation des comptes sociaux, l'insuffisante prise en compte de l'enjeu démographique, le défi de la structuration de notre système de santé, qui se fait à bas bruit, sur le moyen et le long terme.

Je suis très attachée à la prévention, premier pas pour conserver la santé. J'aurai besoin de vous pour construire une stratégie nouvelle et faire évoluer le financement de la protection sociale, afin qu'il demeure solidaire.

Je sais que le Sénat sera actif lors de l'examen du PLFSS et vous en remercie.

Avis défavorable à la motion.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Le GEST votera cette motion.

L'examen de ce Placss en octobre, à un mois du PLFSS, non seulement ne respecte pas la loi organique mais le vide de tout intérêt.

La trajectoire financière démontre l'insincérité des LFSS. Le dépassement de l'Ondam de plusieurs milliards d'euros témoigne d'une sous-évaluation des coûts de l'assurance maladie. Les économies attendues semblaient d'emblée insincères, or elles sont renouvelées dans le prochain PLFSS.

Ce Placss est la démonstration d'une gestion problématique.

Les exonérations atteindraient désormais 19 milliards d'euros, mais leur évaluation exacte fait défaut. C'est regrettable.

La motion n°1 est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°21 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 287
Contre   53

La motion n°1 est adoptée. En conséquence, le projet de loi est considéré comme rejeté.