SÉANCE

du lundi 25 novembre 2024

25e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président

Secrétaires : Mme Nicole Bonnefoy, M. Philippe Tabarot.

La séance est ouverte à 10 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Projet de loi de finances pour 2025

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale.

Discussion générale

M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie .  - J'ai l'honneur de vous présenter, avec Laurent Saint-Martin, le PLF 2025. Vous connaissez le contexte politique exceptionnel dans lequel ce budget a été préparé, et le contexte économique international, qui ne l'est pas moins. L'économie mondiale se remet de plusieurs chocs, dont le covid et l'invasion de l'Ukraine, et la croissance mondiale est estimée à 3 % en 2024 et en 2025.

L'Union européenne court un risque de décrochage, notamment en matière de productivité et de compétitivité, selon le rapport Draghi. La compétition mondiale fait peser un risque existentiel sur nos industries et sur notre tissu économique. Le résultat des élections américaines risque d'aggraver ce contexte.

Cela nous appelle à un agenda européen d'investissement et de compétitivité. Nous devons sortir de la naïveté, exiger la réciprocité dans les accords et, parfois, assumer une préférence européenne. (M. Olivier Paccaud acquiesce.)

La France a des arguments, avec une croissance de 1,1 % en 2024, supérieure à la zone euro - 0,8 % - , une inflation en cours de stabilisation sous les 2 % et un taux de chômage parmi les plus bas depuis quarante ans. Entre 2017 et 2023, nous avions créé 130 000 emplois industriels. Les dirigeants d'entreprise ont maintenu leur confiance dans le pays.

Notre situation financière est très préoccupante. La dette atteint 113 % du PIB, soit 3 300 milliards d'euros, à la suite de déficits successifs. Nous n'avons pas connu de budget à l'équilibre depuis 1974. Depuis cette date, la dette française a augmenté de près de 100 points de PIB. Ce niveau de dette affecte notre souveraineté et notre crédibilité. Nous paierons bientôt plus de 50 milliards d'euros d'intérêt par an, soit 1 euro sur 8 euros dépensés par l'État. Est-ce ce que nous voulons ? Notre taux d'emprunt, supérieur de 0,5 point à celui de l'Allemagne, a augmenté de 0,3 point, soit 10 milliards d'euros supplémentaires de charge de la dette. C'est autant que nous ne consacrerons pas aux dépenses prioritaires.

On trouve toujours des justifications pour augmenter les dépenses. Ce n'est jamais le bon moment pour faire des économies. Il est tentant de laisser le problème aux suivants. Mais nous sommes à la croisée des chemins : soit nous décidons de réduire le déficit, processus long, demandant des efforts structurels...

M. Albéric de Montgolfier.  - J'ai déjà entendu cela.

M. Antoine Armand, ministre.  - Soit nous repoussons encore cette exigence et l'austérité sera imposée de l'extérieur, de façon plus brutale.

Oui, le texte que nous vous soumettons est perfectible, et nous comptons sur les débats au Sénat pour l'améliorer. Mais nous devons nous retrouver sur l'objectif de déficit public à 5 % du PIB en 2025. Nous le devons aux Français et à l'Union européenne, pour repasser sous la barre des 3 % en 2029, afin d'aller vers le désendettement et de renforcer notre souveraineté financière.

Cet objectif doit d'abord être atteint par la baisse des dépenses : nous avons la dépense publique la plus élevée de l'Union européenne. Il faut la maîtriser, réduire le train de vie de l'État, supprimer les doublons.

Tout ne pourra être fait cette année : nous lancerons des revues de dépenses régulières, afin d'améliorer de 8 milliards d'euros l'efficacité de cette dépense publique. Toutes les administrations seront mises à contribution. Cette revue portera aussi sur les niches fiscales et sociales.

Cette efficacité de la dépense publique devra s'accompagner d'un renforcement de la lutte contre toutes les fraudes. Aucun effort n'est acceptable si certains enfreignent les règles.

Les prélèvements obligatoires doivent rester temporaires, exceptionnels et ciblés. Ils doivent affecter le moins possible la croissance et la décarbonation de l'économie. Nous demandons un effort aux 400 groupes dont le chiffre d'affaires est supérieur à 1 milliard d'euros et qui sont bénéficiaires. Je salue l'esprit de responsabilité de leurs représentants.

Nous proposons de décaler la suppression de la CVAE, même si le Gouvernement la souhaite. Les impôts de production ont déjà baissé de 15 milliards d'euros depuis 2017 et continueront, car ils affectent l'emploi et l'investissement. Mais nous devons être responsables : nous ne pouvons pas nous le permettre cette année.

Chacun devra contribuer : l'État, les collectivités territoriales, la sphère sociale. Non parce qu'il y aurait de bons et mauvais gestionnaires, mais parce que l'effort à fournir nécessite l'engagement de chacun.

L'État doit réduire son train de vie, même quand c'est symbolique. Sinon, comment justifier des prélèvements supplémentaires ? Et comment ramener le déficit à 5,5 % d'ici à 2025, dans un pays champion des prélèvements obligatoires ? Les crédits de mon ministère seront ainsi réduits de 22 %.

Ce n'est pourtant pas un budget d'austérité. La dépense publique augmente de 0,4 % en volume.

Ce budget est conçu pour éviter l'austérité, afin d'éviter, comme dans d'autres pays, la diminution de 25 % du salaire des fonctionnaires ou la baisse des pensions de retraite. Au contraire, nous revaloriserons les petites retraites et soutiendrons l'activité et l'emploi.

De nombreuses propositions ont été avancées à l'Assemblée nationale pour augmenter les impôts et les dépenses. Le texte final, heureusement rejeté, ajoutait 34 milliards d'euros de prélèvements obligatoires. Il faut faire tout l'inverse : la France taxe trop et dépense trop. Elle travaille moins que ses voisins. Or ce n'est qu'en travaillant plus que nous financerons notre modèle social.

Je sais que le Sénat partage cette urgence et je salue ses propositions constructives. Dans le contexte politique actuel, il a plus que jamais une responsabilité majeure. Je ne doute pas que chacun en ait conscience.

Notre stratégie économique doit rester une politique de l'offre, répondant à la dette budgétaire et écologique, pour être résilients face aux chocs sans casser la croissance et l'emploi. Nous voulons préserver notre modèle social sans faire des entreprises la variable d'ajustement de notre incapacité à réduire le déficit.

Notre priorité est de réindustrialiser le pays et d'atteindre le plein emploi, en baissant la fiscalité sur les entreprises, en transformant le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), en soutenant les TPE et PME, qui en ont besoin. C'est pourquoi les crédits d'impôt recherche (CIR) et les crédits d'impôt innovation (CII) sont maintenus.

Nous voulons aussi poursuivre la décarbonation du tissu industriel, pour avoir des sites industriels pérennes : France 2030, crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de l'industrie verte (C3IV)... Au 15 octobre, pas moins de 64 demandes avaient été déposées pour 13 milliards d'euros d'investissement pour ce crédit d'impôt.

Je salue le travail de l'Assemblée nationale pour ouvrir 1,5 milliard d'euros de crédits supplémentaires pour décarboner l'industrie.

Pour libérer la croissance et gagner en compétitivité, la simplification sera la boussole du Gouvernement, aussi bien à l'échelon européen, principal producteur de normes, en étant plus parcimonieux dans les transpositions, qu'à l'échelon national.

Je salue le travail sur le projet de loi de simplification, qui comprend des propositions concrètes pour prendre en compte l'impact des normes sur nos entreprises.

Enfin, cette responsabilité budgétaire collective doit passer par plus de transparence et d'exactitude. Nous devons mieux piloter nos finances publiques et mieux associer la représentation nationale.

Nous avons établi un plan d'action pour améliorer nos capacités de prévision et assurerons un suivi plus régulier de l'évolution des comptes. Un mécanisme d'alerte précoce se déclenchera en cas de dérapage.

Le redressement de nos équilibres budgétaires est non seulement l'occasion d'améliorer l'efficacité de notre dépense, mais aussi celle de lancer un grand chantier d'amélioration de l'action publique. Tout cela doit entraîner les entreprises vers plus de confiance. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Louis Vogel applaudit également.)

M. Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics .  - Je me réjouis de commencer l'examen de ce PLF 2025. La première partie ayant été rejetée à l'Assemblée nationale, c'est le texte initial qui a été transmis au Sénat. Je regrette d'avoir à m'en réjouir. Le socle commun a agi en responsabilité en rejetant la copie...

M. Pascal Savoldelli.  - Avec le Rassemblement national !

M. Laurent Saint-Martin, ministre.  - ... car celle-ci n'avait plus rien à voir avec la proposition initiale du Gouvernement : alourdissement des impôts jusqu'à l'overdose, rejet de la contribution de la France à l'Union européenne et amendements manifestement contraires à la Constitution. C'était tout simplement inacceptable, irresponsable.

Le texte du Gouvernement n'est pas parfait. Depuis plusieurs jours, des débats ont lieu pour trouver le meilleur chemin d'une juste participation de l'ensemble des acteurs de notre pays, l'État au premier chef, pour redresser les comptes.

Je connais votre attachement aux collectivités territoriales. Je souhaite que nous travaillions à leur participation de façon constructive.

Le Gouvernement ne fera pas table rase des débats à l'Assemblée nationale et reprendra certaines avancées par voie d'amendement. Nous améliorerons le budget tout en protégeant le pouvoir d'achat des Français : indexation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation ; baisse des factures d'électricité ; refus de renchérir le coût du logement. J'ai noté à ce titre les propositions intéressantes du Sénat.

Nous veillerons à améliorer le budget tout en protégeant l'activité économique et la compétitivité. La politique de l'offre n'est pas un totem politique, mais nous mènerons une politique du travail, de la création d'emploi, pour que notre chômage baisse toujours - il est sous la barre des 8 %. Grâce à cette politique, notre croissance s'élèvera à 1,1 %, soit plus que nos voisins européens. C'est ainsi que nous rouvrirons des usines.

Nous pouvons améliorer le budget, à condition que le cadre de responsabilité du Gouvernement soit respecté. C'est une ligne de crête entre l'exigence de protéger le pouvoir d'achat des Français, les fondamentaux de notre économie, mais aussi la nécessité de renouer avec une trajectoire des finances publiques soutenable.

Notre niveau d'endettement et notre charge de la dette s'accroissent. Il est urgent d'agir.

Nous proposons un effort de 60 milliards d'euros pour atteindre 5 % de déficit public en 2025, et revenir sous les 3 % à l'horizon 2029, condition sine qua non pour financer nos services publics, investir dans l'avenir, retrouver nos marges de manoeuvre et protéger nos concitoyens. L'état actuel de nos finances publiques résulte de l'action de l'ensemble des agents de notre pays face à la crise sanitaire. Il nous faut désormais les redresser pour nous préparer aux nouvelles crises.

Tel est l'équilibre : économies budgétaires et contributions fiscales.

La fiscalité doit représenter une part minoritaire de l'effort de redressement des finances publiques. Nous avons une règle d'or : pour 1 euro de recettes supplémentaires, 2 euros d'économies. Autrement dit, pour 40 milliards d'euros de baisse de la dépense, 20 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Si cet équilibre devait évoluer, nous souhaiterions aller vers plus d'économies. Nous refusons le matraquage fiscal alors que notre taux de prélèvements obligatoires est l'un des plus élevés d'Europe.

La fiscalité doit être ciblée. Il faut la limiter à certains contribuables, tels que les ménages les plus fortunés et certaines très grandes entreprises profitables. Cette fiscalité doit réduire notre dette écologique autant que notre dette financière. Consolider le malus automobile ne doit pas être un gros mot. Idem sur la contribution sur les billets d'avion, surtout en classe affaires sur les longs courriers plutôt que vers nos territoires d'outre-mer.

Le budget atteste de notre préoccupation environnementale : 47 milliards d'euros de dépenses financent des actions favorables à l'environnement, soit 3 milliards d'euros de plus que l'an dernier.

Enfin, la fiscalité doit augmenter de façon temporaire, pour plus de prévisibilité. Les contributions exceptionnelles sur les ménages et les entreprises ne dureront pas. Nous donnons un cap de réduction des dépenses d'abord, de réforme structurelle ensuite.

Nous devons baisser la dépense publique - ce n'est pas un tabou. C'est par sa hausse que nous avons dégradé nos finances publiques. C'est une fierté d'avoir su maintenir notre niveau d'activité et éviter une récession trop importante pendant la crise du covid. C'était un choix collectif ; celui de dépenser moins désormais doit en être un aussi.

L'effort doit être partagé entre toutes les administrations. D'abord, les administrations de sécurité sociale (Asso), dont le déficit risque de déraper plus encore. Ainsi, dans le PLFSS, nous avons proposé un réel coup de frein, nécessaire.

Ensuite, nous demandons aux collectivités territoriales de contribuer. Ce n'est pas une punition ni une façon de les désigner comme responsables. Mais toutes les administrations publiques doivent participer à l'effort. Les marchés regardent le solde public et non ce qui le constitue. Nous avons entendu les alertes des élus locaux. Le Premier ministre a déjà annoncé que le Gouvernement était prêt à modifier l'effort : nous réduirons fortement les contributions au fonds de précaution et nous assurerons que les fonds prélevés seront reversés aux collectivités contributrices. Les mesures relatives au FCTVA n'auront pas d'effet rétroactif. Et nous soutiendrons les départements, avec le relèvement du plafond des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

Nous proposons que l'État et ses opérateurs prennent en charge la moitié des économies, soit 21,5 milliards d'euros. Nous avons procédé en deux étapes : les 15 milliards d'euros d'économies issus des lettres plafonds du précédent gouvernement sont assortis de 5 milliards d'euros d'efforts supplémentaires sur les missions de l'État et ses opérateurs, par voie d'amendement.

Nous augmentons cependant certains budgets prioritaires comme les armées, l'intérieur, la justice et la recherche. (M. Thomas Dossus ironise.) Il n'est pas question de transiger avec ces priorités, même si elles sont parfois décalées ou lissées dans le temps.

Nous ferons cet effort, car nous le pouvons : oui, nous pouvons faire mieux avec moins d'effectifs, de moyens, à condition de réformer et de mieux les utiliser. (M. Pascal Savoldelli proteste.)

La fin des boucliers tarifaires sur l'inflation et l'électricité doit être assumée. C'est de la bonne gestion. Le bouclier énergétique, l'aide sur l'apprentissage, l'aide à l'achat de véhicules propres ont été efficaces. Nous devons savoir décélérer et allouer des moyens à d'autres priorités. Un ministère avec une bonne politique n'est pas forcément un budget dans lequel les dépenses publiques augmentent.

Ayons le courage d'adapter les emplois publics aux besoins réels. On a beaucoup parlé de la baisse du nombre d'enseignants. Nous ne souhaitons pas réduire leur faculté à exercer leur métier. Au contraire, nous augmenter le taux d'encadrement. Mais face à la baisse attendue de 97 000 élèves à la rentrée 2025, réduire de 4 000 le nombre de recrutements est de bonne gestion !

L'enjeu de ce budget est le plus important de notre histoire récente : si nous ne démontrons pas, comme l'ont fait nos voisins européens, notre capacité à opérer un redressement des finances publiques après des années de protection inédite et de dépense publique extrêmement élevée...

M. Albéric de Montgolfier.  - Un peu trop !

M. Laurent Saint-Martin, ministre.  - ... alors la charge de la dette, systématiquement en hausse, grèvera nos politiques publiques et notre pays ne sera plus capable de protéger ses citoyens et ses entreprises. C'est un enjeu de souveraineté. Ayons collectivement la volonté de rester un pays qui protège. Concilions politique de l'offre et État-providence. C'est une histoire de cycles : après la protection, le redressement. Le groupe socialiste a eu à l'assumer en son temps, entre 2012 et 2017.

Il est temps de démontrer que nous pouvons relever le pari de l'emploi, de l'activité et de l'attractivité en redressant nos comptes publics. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe INDEP) Rarement, peut-être jamais, les incertitudes budgétaires n'ont suscité autant de débats dans notre pays. Les contingences de notre vie politique l'expliquent largement, mais le contexte économique et budgétaire tout autant, car il est à l'origine du contenu même du PLF 2025. J'invite les Français à prendre de la hauteur, car si l'on ne comprend pas la situation budgétaire, on ne peut comprendre le budget. La France vit à crédit depuis cinquante ans. Depuis 1975, elle est en déficit. Ce n'est pas en soi un problème, sauf quand deux limites sont franchies : un remboursement de la dette insoutenable et des investisseurs qui n'ont plus confiance.

En 2022, le déficit de la France s'élevait à 4,8 % du PIB. Depuis, la France a laissé ses comptes se dégrader : on est passé à 5,5 % sans récession ni choc particulier, et l'on atteindra 6,1 % cette année, toujours sans récession ni choc particulier. La charge de la dette explose dangereusement : de 30 milliards d'euros par an en 2020, elle atteindra 100 milliards d'euros par an en 2029.

Il n'y a pas d'argent magique. Ces 70 milliards d'euros supplémentaires seront financés soit par de l'impôt en plus, soit par des dépenses en moins.

La France emprunte à des taux plus élevés que l'Espagne, le Portugal ou la Grèce, alors que cette dernière frôlait la cessation de paiements il y a dix ans. Nous sommes dans un état d'urgence budgétaire.

Nous avons travaillé sur cette question au cours de notre mission d'information sur la dégradation budgétaire depuis 2023, avec le président Claude Raynal. Je vous renvoie à nos travaux.

Le déficit pour 2024 est prévu à 6,1 % alors que la loi de finances, adoptée avec le 49.3, l'estimait à 4,4 %. Un regret : personne n'endosse la responsabilité de ces 50 milliards d'euros d'écart. Tous les responsables politiques auditionnés ont rétorqué qu'ils n'étaient responsables de rien. Cela représente tout de même la moitié de l'impôt sur le revenu ou deux fois le budget de notre police et de notre gendarmerie. « Ce n'est pas moi », « ce n'est pas ma faute », « pas de bol »... Comment lutter contre la crise démocratique quand nos responsables politiques n'assument pas leur responsabilité ?

Comment faire comprendre le budget 2025 aux Français si l'on nous explique que tout va bien ? Ou que c'est la faute d'un gouvernement constitué le 21 septembre ?

Il est temps de dire la vérité aux Français. J'approuve donc ce budget de vérité et d'efforts collectifs inédits.

Cette année, les sous-jacents macro-économiques du budget me semblent crédibles, contrairement à l'an dernier, où les prévisions de croissance du Gouvernement étaient plus élevées que toutes les autres prévisions institutionnelles.

La croissance, prévue à 1,1 % en 2025, pourrait être affectée par l'effet récessif d'un budget de redressement. Mais selon le consensus des économistes, elle s'élèverait 0,9 %. C'est très proche.

Enfin, le Gouvernement fait autre chose que parler. Messieurs les ministres, je regrettais que les belles paroles de vos prédécesseurs n'aient pas été suivies d'effets. L'an dernier, les dépenses de l'État continuaient d'augmenter, encore et encore, de près de 6 milliards d'euros hors mesures de crise par rapport à 2023. Au total, si l'on neutralise l'inflation, elles ont progressé de 14 % depuis 2017. C'est une hausse historique.

Je me réjouis que ce projet de loi de finances signe la fin du « quoiqu'il en coûte ». Il aura fallu quatre ans pour nous désintoxiquer de la dépense publique. Pour 2025, les dépenses de l'État baissent de 3,2 %. L'effort est réel n'est pas seulement dû au retrait des mesures de crise. Il était nécessaire, compte tenu de l'état d'urgence budgétaire. Nous ne pouvons pas demander à nos concitoyens de payer plus d'impôts ni continuer à vivre à crédit. Il nous faut donc réduire la dépense publique.

La commission des finances proposera d'aller plus loin que le texte initial, non par dogmatisme, mais pour sortir du marasme budgétaire sans augmenter les impôts. Nous avons voté plus de 3 milliards d'euros d'économies supplémentaires, sur l'apprentissage, les opérateurs de l'État, l'aide médicale de l'État (AME), le service national universel ou encore l'immobilier de l'État et l'audiovisuel public.

J'entends, venant de certains bancs, la nécessité de réformes structurelles. Je partage ce constat. Mais le Gouvernement a été constitué le 21 septembre. Qui peut lui demander de mettre en oeuvre des réformes structurelles en si peu de temps ? Je tends la main aux ministres pour mener des réformes d'ampleur.

Notre priorité doit être de préserver le pouvoir d'achat des Français plutôt que telle ou telle enveloppe budgétaire. Pour cela, il faut faire des économies et éviter les hausses de fiscalité. D'où notre refus d'augmenter la fiscalité sur l'électricité. Oui, le prix de l'électricité va baisser. Mais ce ne doit pas être, pour l'État, l'occasion d'augmenter subrepticement les impôts. La commission des finances propose 3,4 milliards d'euros d'impôts en moins et donc de pouvoir d'achat en plus pour les Français.

Le Sénat est la maison des collectivités territoriales. Voilà des années qu'elles sont montrées du doigt. Or c'est l'État et non les collectivités territoriales qui est responsable de l'explosion des déficits. C'est donc lui qui doit fournir l'essentiel de l'effort de redressement des comptes publics.

Grâce à votre gouvernement, nous sortirons, j'espère, de la caricature que les relations entre l'État et les collectivités territoriales étaient devenues. À la différence notable de vos prédécesseurs, vous ne faites pas semblant de croire que la dégradation viendrait de la mauvaise gestion des collectivités territoriales. C'est salutaire. Merci, cela fait du bien ! (M. Antoine Armand apprécie.)

Je suis favorable à un effort des collectivités territoriales pour contribuer au redressement des finances publiques. Il serait irresponsable de préserver de tout effort les collectivités territoriales, qui bénéficient de 50 milliards d'euros de transferts financiers de l'État. Mais nous divergeons sur l'ampleur de cet effort. Nous souhaitons qu'il soit de 2 milliards d'euros et non de 5 milliards d'euros. Nous proposerons donc le rejet de votre réforme du FCTVA.

La Commission des finances proposera un dispositif de lissage conjoncturel élaboré par Stéphane Sautarel, qui remplacera le fonds de réserve de 3 milliards d'euros proposé par le Gouvernement.

Tel est l'équilibre que je défendrai au cours de nos débats.

Enfin, comment proposer un redressement des comptes publics de 60 milliards d'euros sans effort sur la fraude fiscale, sans lutter contre les CumCum ? Vous connaissez ces pratiques. Sous le nom « d'arbitrage des dividendes », on désigne des pratiques organisées de démarchage de clients dans le but de détourner l'impôt. On entend tout et n'importe quoi : ces pratiques n'existeraient pas, y mettre un terme aurait des conséquences sur l'attractivité de la place de Paris...

Soyez raisonnables : elles existent et s'élèvent à plusieurs centaines de milliers d'euros par an. Notre priorité à tous doit être l'application de la loi fiscale. D'autres pays l'ont fait et les pratiques frauduleuses, comme par enchantement, ont disparu... C'est ce que nous proposerons. L'initiative, collégiale et unanime, est partagée sur tous les bancs.

Voilà les orientations de la commission des finances. Dans un monde idéal, le gouvernement Barnier n'aurait pas eu à affronter un déficit à 7 points de PIB. Faute d'avoir réagi plus tôt, ce budget est néanmoins celui de la vérité et de la raison.

Sous réserve de l'adoption des amendements de la commission des finances, je proposerai d'adopter ce PLF. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et du RDSE)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En ma qualité de président de la commission des finances, je rappellerai que voilà plus d'un mois que les rapporteurs généraux et les rapporteurs spéciaux analysent ce nouveau budget. Que l'ensemble des membres de la commission et les rapporteurs pour avis soient remerciés pour leurs travaux.

Alors que le précédent PLF avait été marqué par l'utilisation du 49.3, le Sénat est saisi cette année du texte initial, soit 65 articles seulement. Le Sénat se trouve donc doté d'un rôle inédit ; le texte issu de ses débats pourrait servir de base à la future commission mixte paritaire (CMP).

Nous ne pouvons que collectivement regretter que le texte initial du Gouvernement n'ait pas été enrichi par l'assemblée la plus représentative de l'état actuel de l'opinion, et que le volet des dépenses n'ait même pas été examiné.

Le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) arrête le déficit de nos finances publiques à 6,1 % du PIB, déficit le plus élevé depuis la guerre, hors période de crise.

Le déficit a augmenté en un an de plus de 50 milliards d'euros ; il s'établit à 6,1 %, contre les 4,4 % annoncés. Il faut donc redresser les finances publiques, réduire le niveau de déficit pour diminuer l'appel à l'emprunt, et tout cela sans peser sur la qualité des services publics et la croissance, qui, au regard du contexte économique international, ne sera guère très élevée.

Les moyens pour y parvenir divergent. Le diable se cache dans les détails. Au moins nous n'entendons plus les principaux responsables de la situation dire que l'augmentation d'impôts est une ligne rouge. Mais ces baisses d'impôts auraient dû prendre fin dès le début de la crise covid. Face à deux crises majeures, l'une sanitaire, l'autre énergétique et inflationniste, la France seule s'est privée de produits fiscaux très lourds, dont la suppression de la taxe d'habitation...

M. Albéric de Montgolfier.  - Connerie !

M. Claude Raynal, président de la commission.  - ... et celle de la CVAE. Imperturbables, les gouvernements successifs ont poursuivi méthodiquement leur politique de l'offre, creusant la dette et le déficit.

Depuis 2018, les baisses de produits fiscaux coûtent 62 milliards d'euros par an. Elles sont la cause de l'augmentation de la dette de 10 points de PIB, soit 300 milliards d'euros.

Quelles solutions ? Toujours les mêmes : des coupes budgétaires sévères, et quelques recettes nouvelles, temporaires pour le monde économique, ...

M. Albéric de Montgolfier.  - Je demande à voir.

M. Claude Raynal, président de la commission.  -  ... permanentes pour les ménages.

Il n'est pas inutile de porter un jugement sur cette politique de baisse fiscale. La mesure de suppression de la taxe d'habitation pour 80 % des ménages a coûté 20 milliards d'euros ; son extension aux plus aisés, à la suite d'un avis sans surprise du Conseil constitutionnel, a coûté 9 milliards d'euros. Ces derniers l'ont vue comme un bonus, permettant d'épargner plus, non de consommer davantage. Le taux d'épargne, stabilisé à 12,9 % en 2018, s'élevait à 17,8 % au deuxième trimestre 2024, soit l'un des plus élevés d'Europe.

Au lieu de sous-indexer les retraites, je propose que nous reprenions, grâce à une surtaxe temporaire d'impôt sur le revenu, un tiers du gain des Français les plus aisés, soit 3 milliards d'euros. Si nous ne le faisons pas, l'État aura rendu aux plus aisés ce qu'il propose maintenant de prélever sur tous. Une sorte de Robin des bois, mais à l'envers.

France Stratégie n'a pas pu évaluer l'impact de la suppression de 15 milliards d'euros d'impôts de production. Encore un milliard d'euros a été rendu aux entreprises, ce qui n'aura aucun effet, selon le président même du Medef. Je propose donc que la CVAE soit rendue aux intercommunalités et aux départements et que l'État récupère la TVA correspondante, pour renouer le lien entre l'économie et les territoires, redonner des recettes à l'État et restaurer une contribution résidentielle.

Le Gouvernement a lui-même ouvert la voie à une remise en question des baisses d'impôts non gagées actées par ses prédécesseurs. Avec une surtaxe sur deux ans des très grandes entreprises, il revient sur la baisse du taux d'impôt sur les sociétés de 33 % à 25 %. Faisons la même chose pour une partie du produit perdu de la taxe d'habitation ou de la CVAE. Plutôt que d'augmenter les impôts, revenons sur des baisses d'impôts inconséquentes.

Concernant la suppression d'exonérations de cotisations patronales, je vous propose une lecture symétrique : il s'agit d'une baisse de la dépense, non d'une augmentation des recettes. Pour l'impôt sur Ie revenu, pour la taxe d'habitation, pour la CVAE, faisons la même chose.

Dans son rapport sur la libre administration des collectivités territoriales, le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation a suggéré d'inscrire dans la Constitution un principe d'autonomie fiscale des communes. La crise des finances publiques nous impose d'avancer en revenant sur les erreurs passées. C'est un moment unique pour trouver une sortie constructive aux travaux du Sénat. Une telle opportunité ne se représentera pas de sitôt. Adoptons les réformes du Sénat !

Si quelqu'un a quelque raison que ce soit de s'opposer à ce mariage, qu'il parle maintenant ou se taise à jamais ! (Sourires ; Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Thierry Cozic applaudissent.)

M. Albéric de Montgolfier.  - On va se taire alors ! (Sourires)

M. Claude Raynal, président de la commission.  - Si vous êtes favorable à un pouvoir fiscal des collectivités territoriales, dites-le maintenant ou n'en parlez plus jamais. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE ; M. Louis Vogel applaudit également.)

M. Laurent Saint-Martin, ministre.  - On va le faire en anglais ! (Sourires)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°I-1541 de M. Savoldelli et du groupe CRCE-K.

M. Pierre Barros .  - Que les choses soient claires : il n'est pas question de refuser le débat. Mais quel est l'intérêt de débattre d'un tel texte ? Le PLF 2025 est annoncé comme celui du partage de l'effort pour redresser les finances publiques, à la suite de la gestion calamiteuse des gouvernements précédents.

Face à un budget de récession sociale, les députés ont légitimement adopté 472 amendements à l'issue de trois semaines de débat. La gauche a démontré qu'un autre budget pour la France est possible : un budget pour le partage des richesses, un budget qui montre que l'austérité pour tous est un choix politique, non une fatalité. La taxe Zucman a été adoptée, l'exit tax renforcée, la soumission à cotisation sociale des dividendes inscrite dans le marbre.

Le travail de nos collègues à l'Assemblée nationale a été riche d'enseignements politiques, à l'image des alliances opportunistes entre le Gouvernement, la droite républicaine et l'extrême droite pour faire barrage à plus de justice fiscale - voyez le résultat des votes...

Le Premier ministre, inquiet de voir son PLF transformé, agite le spectre du 49.3, ce qui aggraverait encore davantage la crise démocratique.

Pourquoi refuser de prendre à bras-le-corps le sujet de la justice fiscale ? Pourquoi ne pas reconnaître l'échec absolu de la politique de l'offre et ses conséquences désastreuses : chômage en hausse, licenciements à venir, fermetures d'usine, charge de la dette qui s'envole ?

Nous refusons d'être réduits à un rôle de figurants, face à un budget écrit d'avance, nous refusons de participer à cette comédie politique, qui renforce le ressentiment de la population à l'égard de tous les élus.

Rassurez-vous, si cette motion n'est pas validée, nous démontrerons, article après article, que votre projet est injuste. Et nous serons force de proposition.

Mais parlons de ce PLF pour 2025. En sept ans, nous sommes passés du « quoi qu'il en coûte » au « quoi qu'il advienne ». Bruno Le Maire (M. Albéric de Montgolfier ironise.) s'était targué d'avoir réalisé 55 milliards d'euros de baisses d'impôts. Mais selon la Cour des comptes, « les baisses d'impôts et de cotisations depuis six ans ont contribué à la dégradation des déficits publics et modifié la structure des recettes des administrations publiques », et ce pour 62 milliards d'euros en 2023.

Pas de changement de cap : vous vous attaquez désormais aux services publics portés par les collectivités territoriales, partant du postulat mensonger selon lequel elles seraient responsables du déficit.

Dans cette situation politique lunaire, je salue votre habileté sémantique : vous utilisez des mots qui ont un sens, mais pas forcément celui qu'on attend...

Dans votre présentation du texte à l'Assemblée nationale, nous avons été choqués de la façon dont vous traitiez les collectivités. Vous avez décidé de créer un fonds de résilience des finances locales - en réalité un mécanisme de prélèvement, parfois nommé « fonds de précaution », « fonds d'autoassurance » ou « fonds de réserve », en ponctionnant les collectivités de 3 milliards d'euros. Il faudra nous préciser de quoi il retourne. Résilience... mais face à quoi ?

Le discours du Premier ministre devant l'Assemblée des départements de France était, là aussi, des plus habiles : renonciation prétendue aux efforts demandés aux collectivités, mais par le biais d'un lissage des mesures, sans réelles perspectives. C'est aussi le ressenti de nombreux élus locaux à l'issue du Congrès des maires de France.

Que vous envisagiez de telles coupes budgétaires pour le service public local montre votre déconnexion à l'égard des réalités quotidiennes de nos villes et villages. Tandis que le PLFSS culpabilise malades et retraités, le PLF, avec 10 milliards d'euros de recettes en moins pour nos territoires, culpabilise agents et élus. Baisses de recettes, dépenses qui augmentent : l'effet ciseau est une réalité. S'y ajoutent les émeutes et les catastrophes climatiques, qui laissent les élus démunis.

Depuis quatre ans, être élu local, c'est de la gestion de crise en continu. C'est se demander, au 31 décembre, si un assureur répondra à nos demandes. C'est accompagner des familles dans la recherche d'un médecin pour constater un décès. C'est être face à des habitants auxquels ne reste que la colère. C'est être incapable de donner des moyens aux écoles, pour les routes, les pompiers, la police municipale, les travailleurs sociaux... Et vous souhaitez encore en rajouter ?

La contribution des collectivités est fixée à 5 milliards d'euros. Monsieur le ministre, à part les dépenses de masse salariale, que réduire ? Quels postes toucher : les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) dans les écoles, les policiers municipaux ? En frappant les collectivités, vous vous trompez de cible. Les 500 plus grandes fortunes ont gagné 1 200 milliards d'euros, soit 5 % de plus qu'en 2023.

Les collectivités territoriales et les services publics ne peuvent être la variable d'ajustement de libéraux qui profitent de la crise. De cet effort budgétaire résulteront un recul de l'investissement local et des services publics, non-sens à tous les niveaux.

Derrière un habillage faussement technique, le PLF distille l'idée que les Français ne travaillent pas assez et génèrent trop de dépenses sociales. Mais avez-vous mesuré l'impact de vos décisions sur leur vie : perte d'accès aux soins, de pouvoir d'achat, dégradation des conditions de travail ?

La gauche sénatoriale propose un budget au service de la solidarité nationale, non au profit de quelques-uns. Nous refusons de renoncer à la justice sociale et à la justice fiscale ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Thierry Cozic et Mme Marie-Arlette Carlotti applaudissent également.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Merci à nos collègues d'avoir déposé cette motion. Vos propos mêmes attestent de votre attente d'un débat. Nous la partageons.

Dans les circonstances difficiles que traverse le pays, le Sénat a une responsabilité éminente. La chambre haute, celle des territoires, doit démontrer sa capacité à débattre, à confronter les avis, et à tracer des solutions et des perspectives.

Nos concitoyens attendent de nous, après le mikado politique issu des législatives, que nous prenions nos responsabilités. C'est difficile, les ministres l'ont dit eux-mêmes, mais nous devons nous atteler à cette tâche. À nous de réduire les inquiétudes. La voie est étroite, mais elle mérite la quinzaine de jours de débats qui commence.

Je vous invite à ne pas adopter la motion de rejet, car elle nous priverait d'un temps de débat fort utile pour le pays.

M. Laurent Saint-Martin, ministre.  - Je suis en ligne avec le rapporteur général. Monsieur le sénateur, auriez-vous déposé une motion de rejet si le texte avait été adopté à l'Assemblée nationale ? C'est plus au fond du texte gouvernemental que vous vous opposez qu'à sa forme. Débattons donc des options qui sont les vôtres.

Nous partageons un même constat : il faut redresser les finances publiques. Si vos propositions diffèrent, échangeons ! Jamais un gouvernement n'a été aussi ouvert ; le texte est perfectible, vu le calendrier contraint de son élaboration. Fuir le débat serait contraire à la séquence politique que traverse le pays. Nous avons tous intérêt à faire vivre ce débat, et le Gouvernement est à la disposition du Sénat.

Il serait contradictoire de rejeter un tel texte, quitte à pousser le Gouvernement à le faire passer sans débat, alors que nous nous sommes dits ouverts à l'évolution de la contribution des collectivités territoriales, et à la révision de la définition du fonds de précaution : qui contribue, pourquoi, comment rétribuer les collectivités territoriales qui y participent ? Sans débat, nous ne pourrons clarifier tout cela.

Rejeter le débat serait donc contre-productif.

M. Pascal Savoldelli.  - Voilà qui clarifie la situation : le ministre vient de dire qu'il était en ligne avec le rapporteur général. Voilà ce que sera la ligne des travaux du Sénat.

Regret ou réjouissance ? Aucun amendement de l'Assemblée nationale n'a été retenu. (M. Antoine Armand le conteste.) Notre motion visait aussi à respecter le travail de nos collègues députés !

En outre, le vote contre les propositions de l'Assemblée nationale s'est fait avec le soutien des députés du RN ! Il faut une certaine clarté politique !

Le 49.3, la CMP... vous éliminez le travail des parlementaires à l'Assemblée nationale, vous vous montrez imperméables à ce qui se passe dans la société : les 7 500 ouvriers qui perdent leur travail, la colère des agriculteurs...

Il fallait un moment de clarification, dès le départ ; tel est le sens de notre motion.

M. Emmanuel Capus.  - Le groupe INDEP s'opposera à cette motion. Favorables au débat, nous nous opposons par principe à toute motion de rejet. C'est se tirer une balle dans le pied que de refuser de débattre.

Qui plus est, cette année, ce serait une aberration. L'Assemblée nationale, fait exceptionnel dans la Ve République, n'a pas voté la première partie. Nous avons la responsabilité historique de modifier et d'améliorer la version du Gouvernement, conformément au pouvoir que la Constitution nous a donné. Ce serait une erreur que de ne pas le faire valoir. (M. Vincent Louault applaudit.)

M. Laurent Saint-Martin, ministre.  - On ne peut pas dire qu'on ne respecte pas la volonté de l'Assemblée nationale quand elle a, elle-même, rejeté le texte ! Ce n'est pas le Gouvernement qui a décidé de ce rejet. Il n'y a pas eu de déni de démocratie à l'Assemblée nationale.

M. Pascal Savoldelli.  - Mais une alliance avec le RN !

M. Laurent Saint-Martin, ministre.  - Il y a eu alliance avec le RN sur les amendements de fiscalité proposés par la gauche... (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Emmanuel Capus applaudit également.) Je vous invite à regarder les résultats du vote final : le socle commun et le groupe Liot ont rejeté ensemble le texte proposé. Il n'y avait pas besoin des voix du RN pour cela.

L'alliance « main dans la main » avec le RN ne s'est pas faite au niveau du bloc central. Les échanges à l'Assemblée nationale ont été très clairs sur ce point.

M. Pascal Savoldelli.  - Nous aurons des débats difficiles...

La motion n°I-1541 est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°77 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 260
Pour l'adoption   18
Contre 242

La motion n°I-1541 n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

M. Raphaël Daubet .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Bien sûr, nous n'ignorons pas la gravité de la situation. Mais nous avons du mal à croire qu'il ait fallu attendre le début de l'automne pour découvrir l'ampleur du déficit. C'est ubuesque ! Le fonctionnement de Bercy serait donc devenu le symptôme d'une maladie de la République en phase terminale ? Le directeur de cabinet du Premier ministre était auparavant celui de Bruno Le Maire ; il fut le directeur général des finances publiques et le directeur de cabinet du ministre des comptes publics : bref, celui qui a préparé tous les budgets depuis 2017. Certes, la haute fonction publique est là pour exécuter les ordres des responsables politiques, non l'inverse, mais on est en droit de s'interroger.

L'Assemblée nationale a échoué à trouver un compromis. Le Sénat se trouve donc, plus que jamais, face à ses responsabilités. Je comprends donc l'urgence à agir. Mais je ne comprends pas, messieurs les ministres, l'exercice que vous nous demandez. Soixante milliards d'euros d'économies dès cette année, est-ce bien raisonnable ? La récession de 1993 et la crise de 2008 avaient plongé le solde public dans les profondeurs que nous connaissons actuellement. Le retour à l'équilibre avait pris, à chaque fois, sept et neuf ans. Face à un effet récessif majeur, aux conséquences dramatiques pour les Français, pourquoi ne pas échelonner davantage ?

Nous savons à quel point l'action publique est indispensable à nos villes, à nos territoires, à notre économie. La technocratie regarde les graphiques et les courbes, mais pas le défi industriel gigantesque qui se dresse devant nous. J'étais à Souillac, pour l'inauguration d'une nouvelle chaîne de l'entreprise familiale Pivaudran : 7,5 millions d'euros d'investissement, une capacité de production qui double et une réduction d'un tiers de la consommation d'eau et d'énergie. Voilà le paradoxe de l'industrie française : plans sociaux et fermetures d'usine d'une part, réussites incroyables d'autre part, là où se font les mutations. Il faut les soutenir. C'est vrai pour l'industrie, mais aussi pour l'agriculture. Je ne vous apprends rien.

Je ne comprends pas non plus, messieurs les ministres, la nature de l'exercice : coup de frein, ou coup de volant ? S'agit-il d'endiguer l'hémorragie des dépenses, ou de remettre en question nos politiques publiques ? Exercice comptable ou budget politique ? Il faut le dire !

Ce budget cache des choix politiques qui ne disent pas leur nom.

Être gestionnaire en bon père de famille ne signifie pas être réactionnaire, ni porter un coup aux collectivités territoriales, aux solidarités internationales, aux ambitions de la recherche et à l'innovation. Ce sont des politiques de renoncement.

Je me réjouis que vous soyez disposés à prendre en compte certains amendements du Sénat. Casser la croissance, qui est portée par la commande publique, serait une erreur funeste. Ne nuisons pas à ce qui nous a permis de faire nation. Les économies doivent être prises dans le fonctionnement de l'État, la surenchère des normes, la suradministration. Attaquons-nous à la multiplication des autorités administratives indépendantes (AAI), des observatoires et des comités Théodule qui dépendent de Matignon.

Les Français attendent un budget de justice sociale et fiscale, qui conduise au redressement des services publics, notamment l'éducation et les hôpitaux, ce patrimoine de ceux qui n'en ont pas.

Le budget que nous attendons, c'est un budget d'équité territoriale et d'aménagement du territoire, qui répare les fractures, et accompagne les communes. Notre pays a besoin d'un choc d'investissements, de décentralisation et d'audace, pour faire vivre les projets attendus, comme toutes les grandes nations l'ont fait. Nous serons attentifs à l'effort demandé aux collectivités territoriales.

Le budget que nous attendons, c'est un budget de progrès technique, scientifique, écologique, de progrès humain, tout simplement, car les radicaux y croient encore !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Nous aussi !

M. Raphaël Daubet.  - Nous devons investir dans la R&D, l'innovation, l'université.

Enfin, le budget que nous attendons, c'est celui qui n'abîmera pas la politique étrangère de la France, en alliant nos ambitions de défense et de sécurité à des politiques d'aide au développement, pour faire entendre la voix d'une France crédible et sans arrogance.

La majorité du RDSE ne votera pas le budget en l'état, mais abordera les débats dans un esprit constructif (M. Jean-François Husson le salue), non par facilité, mais par responsabilité.

La France mérite une autre copie : celle qui préfère l'audace à la peur, la confiance à la défiance et l'action au conservatisme. La grandeur de notre pays ne se mesure pas à l'aune de nos économies, mais de nos ambitions. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Michel Canévet .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Les membres du groupe UC vous souhaitent la bienvenue au Sénat, messieurs les ministres, pour votre premier PLF.

La situation des finances publiques est préoccupante. Un sursaut est nécessaire. Si le Sénat avait été plus écouté, la situation serait moins dégradée. Les membres du groupe UC vous appellent donc à vraiment tenir compte de nos propositions !

Le gouverneur de la Banque de France déclarait hier que « depuis trop longtemps la France vit au-dessus de ses moyens ». Nous sommes nombreux à déplorer ce constat : il y va de la crédibilité de la France !

Notre économie peine, et notre parole au sein de l'Union européenne est décrédibilisée en raison de la situation financière du pays. La France doit continuer à être un moteur de l'Europe ; elle ne le pourra que si elle est exemplaire.

Le groupe UC défend certains principes : stabilité fiscale au service de l'attractivité ; des économies dans un esprit de justice et d'équité fiscale.

La stabilité fiscale est essentielle. Ne battons pas en brèche tous les efforts récents réalisés sur l'impôt sur les sociétés pour revenir dans les standards internationaux.

Monsieur le ministre, les mesures fiscales sur les entreprises risquent d'avoir un effet déstabilisateur, comme le révèle le baromètre Hearst-EY publié la semaine dernière. Les investisseurs étrangers reportent leurs investissements face au manque de visibilité, tandis que notre taux de chômage est de 1 point supérieur à la moyenne européenne.

En matière d'économies, l'État doit être exemplaire pour justifier les efforts demandés à nos concitoyens. Concernant les dépenses de personnel, nous proposons de ne pas remplacer les départs à la retraite des agents qui assument des fonctions support. Nous proposons que les efforts soient systématiquement répartis entre deux tiers d'économies et un tiers de recettes fiscales supplémentaires.

L'effort doit être collectif, d'où notre demande d'accroître la durée du temps de travail. Nous travaillons 132 heures par an de moins que la moyenne des pays de l'OCDE.

Nous proposons aussi une augmentation de la TVA, pour que les efforts soient assumés par tous. (MM. Jacques Fernique, Patrick Kanner et Pascal Savoldelli protestent.)

M. Thierry Cozic.  - Par les salariés !

M. Michel Canévet.  - La TVA est l'impôt qui a le moins d'effet récessif à court et moyen termes, surtout par rapport à l'impôt sur les sociétés. (Marques d'ironie à gauche)

Nous devons aussi lutter contre la fraude sociale et fiscale, priorité défendue depuis longtemps par notre groupe. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)

M. Pascal Savoldelli .  - C'est avec sincérité et gravité que je m'exprime devant vous. (« Ah ! » sur plusieurs travées du groupe UC) Je pense à ceux qui subissent les conséquences d'une doctrine qui considère le capitalisme comme indispensable et comme la fin de l'histoire. Je pense aux 7 500 ouvriers sur la sellette : Michelin, Sanofi, ArcelorMittal... Les fermetures d'usines atteignent un niveau inédit. Pour nous, 7 500 ouvriers valent mieux que 70 milliards d'euros de dividendes.

Je pense aux agents de la RATP, aux cheminots, aux travailleurs du fret, qui subissent une privatisation à marche forcée, au nom d'une concurrence illibérale et faussée. Nous pensons aux Ultramarins, qui subissent la vie chère, aux agriculteurs qui subissent la concurrence inégale des accords du Mercosur. Autant de familles touchées par la crise du logement, la froide avalanche de plans sociaux et la fermeture des services publics locaux, familles qui ont en partage le rejet du libéralisme autoritaire.

À cet état de dysharmonie sociale, l'Assemblée nationale a répondu en votant 471 amendements de justice fiscale, pour 34,4 milliards de recettes, soit 10 % de recettes pour l'action publique. C'était responsable, et acceptable ! Seulement, le choix a été fait de refuser ces avancées : 362 voix contre, 192 pour.

Laisser le Sénat débattre, puis arbitrer avec un 49.3 et en CMP. Avec cet artefact institutionnel, le Gouvernement minoritaire rendra ce budget majoritaire, choix déjà fait avec la réforme des retraites et le texte sur l'immigration, projets les plus antisociaux et réactionnaires que notre pays ait connus de longue date.

Ce PLF s'en prend aux plus vulnérables. Le cap reste le même : le piège de la dette, enfermant dans une politique récessive qui pèsera sur les classes populaires et les entreprises.

Certes, vous mettez à contribution les plus riches et les entreprises, mais avec quelle timidité ! Citons la contribution différentielle sur les hauts revenus : seulement 2 milliards d'euros de recettes en 2025, 2026 et 2027. Quant à la contribution exceptionnelle des grandes entreprises, elle ne concerne que celles dont le chiffre d'affaires est supérieur à 1 milliard d'euros ! Vous leur avez rendu 11 milliards d'euros d'impôts sur les bénéfices, précisément la somme que vous demandez aux collectivités territoriales. Les bénéfices seront moins imposés qu'en 2017, alors qu'ils atteignent le record de 153 milliards d'euros ! Quant à la taxe sur les rachats d'action, elle ne rapportera que 200 millions d'euros, soit 0,6 % du montant des rachats. On frise l'insolence...

Il faudrait que l'action publique fasse mieux avec moins ? Demandez d'abord aux riches de faire mieux en leur prenant un peu plus.

La mission « Dégrèvements » augmente de 7 milliards d'euros ; à 147 milliards d'euros, c'est la mission la plus importante du budget !

Vos économies affaiblissent la puissance publique, à hauteur de 40 millions d'euros : 4 000 postes d'enseignants supprimés, 500 postes pour la politique de l'emploi, fin du chèque énergie.

Et que dire du soutien à l'investissement local ? Les prélèvements sont intenables ! Vous décentralisez la dette de l'État ! Alors que les collectivités territoriales présentent un solde cumulé positif de 1,9 milliard d'euros, l'État affiche un solde négatif de 690,7 milliards d'euros ! Comment expliquer cette ponction sur les collectivités territoriales ? La dette des collectivités territoriales est saine, car elle repose uniquement sur l'investissement.

La majorité sénatoriale a annoncé quelques modifications substantielles pour réduire l'effort demandé. Mais, au-delà de l'exercice comptable, assécher les moyens des collectivités territoriales est illusoire, car elles ne participent en rien à la dette de l'État.

Il y a un loup : l'effacement de l'action publique nationale et locale, terrain d'entente entre le Gouvernement minoritaire et la majorité sénatoriale, qui va entraîner un transfert des moyens de l'action publique vers le privé. C'est dans cet esprit qu'on privatise les crèches municipales, les bus, les TER et bientôt les agences.

L'objectif n'est pas de rétablir les comptes publics. Le capital a besoin de la dette, pour financer la France : 300 milliards d'euros de titres et d'obligations. Avec Emmanuel Macron, les créanciers de la dette ont pris le pouvoir, et cela continuera avec ce budget.

Monsieur Armand, vous avez parlé de transparence et d'exactitude : pourquoi ne pas dire que le HCFP estime que les prévisions du Gouvernement sont trop optimistes ?

Et que dire de la dette privée, véritable tabou ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Que nenni !

M. Pascal Savoldelli.  - Pourquoi ? Elle frôle les 162 % du PIB. Il faudrait en parler, car c'est nous qui la payons. Mais la majorité sénatoriale partage l'adage « socialisation des profits et privatisation des pertes » !

M. Olivier Paccaud.  - Légère caricature...

M. Pascal Savoldelli.  - Nous divergeons sur la dette, sur les collectivités, sur la place du salariat, sur l'impôt... De citoyens, les Français deviendront-ils des clients consommateurs ?

Dans le PLFSS, vous avez eu l'indécence de demander sept heures de travail gratuit aux salariés. Maximisation des profits grâce à la mondialisation, dogme de la concurrence libre et non faussée et individualisme libéral sont si ancrés qu'il faudrait une révolution fiscale pour changer de paradigme.

C'est ce que nous proposons (l'orateur tape du poing sur le pupitre) : impôt sur les sociétés à 33 %, puis progressif ; abrogation du pacte Dutreil ; création de dix tranches au barème de l'impôt sur le revenu ; plan majeur en faveur du service public pour protéger les Français contre les crises ; soutien au pouvoir d'achat, au logement, à l'énergie décarbonée. Voilà notre conception de la nouvelle décentralisation. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Ghislaine Senée .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Ce débat s'ouvre dans un contexte politique singulier, l'avenir du Gouvernement étant des plus incertains.

Messieurs les ministres, vous assumez le bilan de sept ans de gestion des finances publiques par Bruno Le Maire. C'est téméraire. Les décisions du président Macron, adoptées au forceps par 49.3, ont été lourdes de conséquences. Le refus d'un projet de loi de finances rectificatif (PLFR) en 2024 et le manque d'anticipation ont mené la France dans cette situation critique de déficit abyssal.

Résultat : les recettes fiscales ont fondu, le dynamisme économique n'est pas au rendez-vous, la croissance est atone et le chômage repart à la hausse. Le constat est sans appel : 900 milliards d'euros de dette supplémentaire, et un déficit à 6,1 %. Un comble, pour des partisans de l'orthodoxie budgétaire !

Le PLF 2025 est un budget de restriction qui se trompe de cible. Vous prenez au plus grand nombre pour préserver les plus riches, vous refusez de nouvelles recettes mais coupez violemment dans les dépenses, sans vous soucier de l'effet récessif de l'austérité budgétaire.

Vous imposez 60 milliards d'euros d'effort, là où la trajectoire de la Commission européenne n'en impose que 30 milliards. Alors que le Premier ministre dit vouloir lutter contre la surtransposition des directives européennes, cela ne manque pas de piquant.

Ce budget achèvera de faire les poches des collectivités territoriales et des institutions publiques. Par votre refus dogmatique de lever de nouvelles recettes sur les hauts patrimoines, vous hypothéquez l'avenir.

Alors que vos prédécesseurs ont accusé les collectivités d'être responsables de la flambée du déficit, pensiez-vous qu'elles apprécieraient de payer les cadeaux fiscaux non compensés depuis sept ans ? Pensiez-vous les mobiliser en n'affichant que 5 milliards d'euros de coupe sur leurs budgets, quand ce sera quasiment le double ?

Les maires vous ont répondu lors de leur Congrès en arborant une écharpe noire. Gel de la DGF, amputation du FCTVA, fonds de précaution, hausse de la cotisation employeur à la CNRACL, réduction de 50 % du fonds vert, suppression du plan vélo, baisses des crédits des missions locales... N'en jetez plus ! Les maires se demandent quelles missions ou quels services publics ils devront sacrifier.

Les concessions aux départements annoncées par le Premier ministre, le rabot de 2 milliards d'euros pour le bloc communal, négocié avec la droite, seront insuffisants.

Pour la première fois, le Sénat sacrifie les collectivités territoriales sur l'autel de la doxa libérale.

Le lien de confiance entre l'État et les élus locaux s'érode. Administrer une collectivité, c'est jongler entre des règles et normes qui changent sans cesse. Les collectivités doivent retrouver une capacité à agir ; cela passe par plus d'autonomie fiscale. S'attaquer aux collectivités, c'est s'attaquer à ceux qui y vivent.

Tout est question de priorités et de choix. Les lois de programmation sont respectées pour l'armée, la justice et l'intérieur, pas pour la recherche ou l'environnement.

L'État dispose de nombreux outils pour répondre à la crise climatique, mais sans financement ni calendrier. Vous ne tenez pas les objectifs malgré l'urgence. Dès qu'il faut faire une économie, c'est sur le climat : décret d'annulation pour 2,1 milliards, gel et surgel décidés cet été pour 1,6 milliard, baisse des crédits de 17 % dans le PLF, aggravée de 745 millions d'euros par un amendement du Gouvernement.

Pourtant, investir dans la décarbonation et l'agroécologie est économiquement rentable et socialement juste, disent tant le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz que le rapport Draghi. L'inaction climatique coûtera bien plus cher à terme.

Votre budget va à l'encontre de l'anticipation nécessaire, sacrifiant l'écologie mais aussi l'éducation - 4 000 postes d'enseignants en moins  - la santé et le social.

Il faut changer de braquet. Vous héritez de sept ans de politiques fiscales qui ont généré de la mauvaise dette et accru les inégalités, mais gardez dogmatiquement le même cap.

Mais des alternatives existent. Avec les groupes de gauche, nous défendrons une autre vision de la fiscalité et de la justice.

La justice fiscale est un enjeu de cohésion sociale. C'est pourquoi nous proposons d'appliquer la taxe Zucman, qui taxe de 2 % les patrimoines supérieurs à 1 milliard d'euros. Cela touche 147 personnes, les « premiers de cordée » qui ont accumulé les richesses. À eux de montrer l'exemple. Cette taxe générerait 16 milliards d'euros. Nous voulons aussi rétablir l'impôt sur la fortune, avec un volet climatique, et élargir la surtaxe Barnier sur les bénéfices des grandes entreprises.

Pour financer nos priorités, nous voulons réaffecter des crédits, notamment rationaliser les primes à l'embauche d'apprentis, ce qui économiserait 1 milliard d'euros par an.

Nous voulons également rétablir durablement la CVAE, augmenter le taux des DMTO, et déplafonner le versement mobilité pour financer les infrastructures de transport du quotidien.

Le GEST porte un regard très critique et inquiet sur ce PLF déconnecté des défis à venir, dix ans après les accords de Paris. Il est temps de rebâtir l'action publique plutôt que de l'affaiblir. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Patrick Kanner applaudit également.)

M. Thierry Cozic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Lors de la passation de pouvoirs, M. Armand déclarait, un brin flagorneur, à un Bruno Le Maire autosatisfait : « je mesure la chance d'hériter d'un tel bilan ». (M. Jean-François Husson s'en amuse.) Le bilan de sept ans de macronisme ? Outre les 1 300 milliards d'euros de dette supplémentaire, onze millions de pauvres, 7 % de chômage, un record de défaillances d'entreprises, des plans sociaux sur tout le territoire, une procédure pour déficit excessif à Bruxelles. Vous êtes le seul à vous estimer chanceux !

De cette faillite économique découle le discrédit politique, matérialisé par la déroute de l'ancienne majorité présidentielle aux législatives. Votre présence ici tient de l'anomalie démocratique, tant vous êtes illégitimes à présenter ce budget - le PLF de l'internationale de la lose qui ressert ses vieilles recettes libérales et ose donner des leçons de sérieux budgétaire.

Vous êtes illégitimes : le seul gagnant des élections, c'est le front républicain, sur lequel vous vous êtes assis en vous plaçant dans la main de l'extrême droite. Sans lui, point de groupe Les Républicains à l'Assemblée !

Lors des débats à l'Assemblée, votre attelage brinquebalant a été souvent battu, y compris par vos alliés en carton du « socle commun ». Ils ont concentré plus de la moitié des amendements ; mention spéciale aux députés Les Républicains qui se sont comportés comme des opposants à leur propre budget - et qui prétendent être la voix de la raison... Rappelons qu'ils avaient exigé le chèque carburant en 2023 !

Votre gouvernement est dans une situation insoluble. Il manquait déjà 5 milliards d'euros dans votre budget lors de son dépôt. Mais à mesure des annonces du Premier ministre, les économies fondent comme neige au soleil.

C'est ainsi que le groupe Les Républicains du Sénat refuse la hausse des taxes sur l'électricité, soit un manque à gagner de 3,4 milliards d'euros. En voulant ramener l'effort sur les collectivités territoriales à 2 milliards, il vous prive de 3 milliards d'euros d'économies. De son côté, le groupe Ensemble pour la République à l'Assemblée nationale refuse le coup de rabot à 4 milliards sur les cotisations patronales. On déshabille Paul pour rhabiller Jacques en fonction de la météo politique. Vous avez même laissé Laurent Wauquiez jouer les vice-Premier ministres et annoncer la division de votre mesure sur les retraités...

J'en viens au texte. Les hypothèses macroéconomiques ne sont pas crédibles : la prévision de croissance à 1,1 % ne prend pas en compte l'effet récessif du budget - l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) table sur 0,8 point. La réduction trop rapide grèvera la croissance et l'investissement, alors que de nombreux plans sociaux se profilent. Votre budget détruira 130 000 emplois selon l'OFCE.

Selon le Président Macron, le dérapage ne tient pas aux dépenses mais aux moindres recettes. Nous vous ferons des propositions en faveur de la justice fiscale, et contre la régression sociale annoncée.

Comment ne pas parler d'austérité, quand vous supprimez 4 000 postes d'enseignants, 500 postes pour la politique de l'emploi, 100 millions d'euros pour l'insertion des personnes en situation de handicap - un temps privées de ministre dédié ? Quand vous faites 4 milliards d'euros d'économie sur la santé alors que les déserts médicaux s'étendent ? Quand l'écologie est une variable d'ajustement ?

Vous faites plus le cas de la dette budgétaire que vous avez creusée que de la dette économique que vous laisserez à nos enfants.

Prenons acte de la déclaration du Président de la République : nos propositions visent à combler le déficit que vous avez laissé béant.

Nous proposerons d'augmenter le prélèvement forfaitaire unique (PFU) de seulement trois points, soit 1 milliard d'euros de prélèvement supplémentaire, alors que les revenus du patrimoine ont augmenté de 59 milliards d'euros en 2023 ; de taxer les superprofits à hauteur de 15 milliards, alors que le CAC40 en a cumulé 36 milliards ; de mettre fin à la pratique de l'arbitrage, qui a explosé depuis 2017. Sur le front des dépenses, nous couperons dans les coûteux crédits d'impôt.

Enfin, nous vous demanderons de ne pas faire des collectivités locales le bouc émissaire de sept ans de gestion erratique. L'État, en déficit de 3 300 milliards d'euros, ne saurait faire la leçon à des élus locaux tenus par la règle d'or de présenter des budgets à l'équilibre ! Pour leur garantir des marges de manoeuvre solides, nous vous proposerons d'indexer la DGF sur l'inflation ou d'augmenter significativement le taux des DMTO.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Thierry Cozic.  - Nous sommes non pas fatalistes mais responsables. Point d'opposition stérile, nous jugerons sur pièce.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Et sur place !

M. Thierry Cozic.  - En l'état, nous voterons contre ce budget 2025. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Pascal Savoldelli applaudit également.)

M. Aymeric Durox .  - Le contexte est inédit : pas de majorité à l'Assemblée nationale, pas de consensus dans le pays, un gouvernement ballotté dans une coalition des contraires et des ambitieux, à la longévité incertaine.

La situation budgétaire est dramatique : prévision de croissance excessive, faillite dans l'évaluation des recettes, retournement de l'économie, situation internationale dangereuse.

La réponse semble évidente : faire des économies. Le Premier ministre annonçait un effort de 60 milliards d'euros : deux tiers sur les dépenses, un tiers de recettes nouvelles. La Cour des comptes comme les débats à l'Assemblée ont montré qu'on était loin de la réalité, qui est celle d'un budget de hausse de la dépense, d'efforts pesant surtout sur les collectivités et les droits sociaux des Français, d'impôts nouveaux sur les grandes mais aussi les petites entreprises, de dizaines de taxes supplémentaires sur les Français, déjà les plus taxés au monde.

Alors qu'il faudrait miser sur la croissance, vous répondez par budget flou et récessif. Les plans sociaux s'égrènent, la confiance s'érode, les investissements des entreprises privées sont en baisse, tout comme les investissements immobiliers des ménages. Alors que les collectivités portent 70 % de l'investissement public, vous cassez la dynamique en leur imposant des coupes insensées de 5 milliards d'euros, alors que leurs dépenses sont contraintes et leur autonomie fiscale rognée.

Oui, il faut faire des économies. Le RN plaide pour des baisses claires, afin d'envoyer aux acteurs économiques un message de confiance et de sérieux. Or vous ne touchez pas au coûteux maquis des opérateurs de l'État, qui se partagent un pactole de 80 milliards d'euros. Vous ne touchez pas à la gabegie structurelle de l'aide au développement - on donne des centaines de millions d'euros au Mexique ou à la Chine ! Vous ne revenez pas sur le scandale des contrats léonins dans l'éolien. Vous ne revenez pas sur le dogme immigrationniste, avec 750 millions d'euros de subventions publiques versées à 1 350 associations pro-migrants - un chiffre multiplié par trois en dix ans, quand le nombre de reconduites à la frontière, lui, a été divisé par trois.

Nous proposons 25 milliards d'euros d'économies réelles, par la rationalisation des dépenses publiques, la suppression des comités Théodule et de délires budgétaires comme le plan vélo ou les aides trop nombreuses à la presse. Au lieu de toucher au tonneau des Danaïdes des dépenses sociales, cette chambre a voté sept heures de travail gratuit pour financer les retraites - mais le maintien de notre système social passera par la croissance. Il faut une France des travailleurs et des producteurs, non une France des subventions et des profiteurs.

Au lieu d'augmenter les salaires, vous augmentez les cotisations sociales, au moment où la consommation des ménages et la confiance des entreprises sont au plus bas. Je pourrais poursuivre dans le musée des horreurs... Plutôt que remettre en cause le marché de l'énergie européen, vous réformez encore l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), qui a condamné notre fleuron EDF, et augmentez les taxes sur l'électricité et les chaudières au gaz.

La contribution de la France à l'Union européenne augmente encore, comme si nous pouvions nous le permettre ! Ce budget respire le conformisme des solutions éculées, la douceur endormante du déclin.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Aymeric Durox.  - Nous ne pouvons l'approuver, et attendons la rupture, gouvernementale puis politique, nous permettant de remettre la France en ordre et au travail.

M. Emmanuel Capus .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Jean-François Husson applaudit également.) « L'État c'est moi », disait Louis XIV. En république, l'État, c'est nous tous. Mais qu'attend-on de lui ?

L'État, c'est avant tout ses missions régaliennes : la sécurité, la justice, l'armée, la diplomatie, la monnaie.

M. Olivier Paccaud.  - L'école !

M. Emmanuel Capus.  - Des missiles traversent le ciel européen - et certains parlent encore de décaler la loi de programmation militaire (LPM) qui porte nos dépenses de défense à seulement 2 % du PIB.

Nous dépensons 38 milliards d'euros par an pour la politique du logement, trois fois le budget de la justice. Pour quel résultat ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - On est d'accord.

M. Emmanuel Capus.  - Des gens dorment dans la rue alors qu'il neige et une crise immobilière menace.

Nous dépensons deux fois plus pour payer les intérêts de la dette que pour les forces de l'ordre.

L'État doit penser à ses missions premières, mais aussi à la santé et à l'éducation, ainsi qu'aux générations futures, en investissant dans la recherche et la lutte contre le changement climatique.

Pour y arriver, il a besoin d'un budget équilibré. Karl Marx a écrit « Il n'y a qu'une seule façon de tuer le capitalisme : des impôts, des impôts et toujours plus d'impôts ». Malgré les importants efforts réalisés depuis 2017, notre taux de prélèvement obligatoire reste le plus élevé de l'OCDE. Ce record n'est pas une gloire : il contraint nos concitoyens dans leur liberté et nos entreprises dans leur capacité d'innovation.

Nous n'avons presque plus de marges de manoeuvre fiscales pour faire face à la crise budgétaire.

Les baisses de fiscalité ont produit des résultats : baisse du chômage, hausse des investissements étrangers, compétitivité.

Face à la chute imprévue et rapide des recettes, le Gouvernement fait le choix d'une augmentation temporaire, exceptionnelle et ciblée, de la fiscalité sur les ménages les plus aisés et les plus grandes entreprises. Nous nous y résignons, à contrecoeur. Une fois la crise évitée, cette hausse devra s'éteindre. Nous saurons vous le rappeler.

Attachés aux dépenses régaliennes, nous soutiendrons l'application complète des lois de programmation des ministères de la défense, de la justice et de l'intérieur. Nous proposerons de diminuer les dépenses des missions non régaliennes et de sanctuariser la santé, l'éducation, la lutte contre le réchauffement climatique, la recherche et l'innovation.

Un milliard d'euros, c'est le montant du fonds d'accélération de la transition écologique créé par Christophe Béchu, qui financera des actions concrètes des collectivités en faveur de la transition écologique. Dix milliards d'euros, c'est le coût d'un porte-avions nouvelle génération ; nous n'en construisons qu'un tous les trente ans. En 2024, la charge des intérêts de la dette représente plus de 50 milliards d'euros : chaque année, nous sabordons donc une flotte entière en payant les intérêts d'une dette, fruit de cinquante ans de mauvaise gestion. Sans elle, nous aurions financé la marine la plus puissante du monde en trois ans !

Au-delà de la crise budgétaire, interrogeons-nous sur la manière dont nous dépensons sur le long terme. Édouard Philippe avait su engager la baisse des dépenses. (M. Vincent Capo-Canellas renchérit.)

M. Claude Raynal, président de la commission.  - Ah bon ?

M. Emmanuel Capus.  - Il faut remonter à 2006 pour retrouver trace d'un tel sérieux.

Dès la crise budgétaire évitée, il faudra nous employer à baisser durablement les dépenses de fonctionnement des ministères et des agences, afin de nous redonner des marges de manoeuvre.

De même pour nos collectivités, coeur battant de notre République. Elles sont prêtes à participer à l'effort, mais il doit être juste, soutenable et équitablement réparti. C'est pourquoi, aux côtés du rapporteur général, nous nous opposerons à la révision du FCTVA et soutiendrons la révision du fonds de réserve proposée par Stéphane Sautarel.

Nous soutiendrons loyalement le Gouvernement, en faisant porter l'essentiel de l'effort sur la diminution des dépenses et, pour une moindre part, sur une augmentation exceptionnelle, temporaire et ciblée de la fiscalité sur ceux qui le peuvent. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, Les Républicains et UC)

M. Claude Raynal, président de la commission.  - Brillant !

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP) Avez-vous déjà joué à des jeux de société ?

M. Olivier Paccaud.  - Oui !

Mme Christine Lavarde.  - Ils nous enseignent quelques impératifs.

La stabilité, d'abord : sans règle claire et précise, pas de jeu. Une fois définies, les règles ne peuvent pas être changées en milieu de partie. De même en économie. (M. Olivier Paccaud approuve.) Il n'est donc pas possible d'accepter la remise en cause a posteriori des règles relatives au FCTVA, au malus auto, ou encore de reporter le mécanisme remplaçant l'Arenh. Les acteurs ont besoin de sécurité juridique.

Si vous jouez aux jeux de société, vous savez également que la règle doit être simple et facilement intelligible. Après la crise de 1958, le général de Gaulle forme un gouvernement d'union nationale et se consacre à une tâche de stabilisation aux effets durables. Le comité Rueff, dans un rapport de 25 pages - inimaginable aujourd'hui ! - prescrit une sévère cure d'amaigrissement de l'administration.

Il y a un an, j'ai appelé à simplifier les 340 aides aux entreprises en matière de transition écologique. Rien n'a changé, les chantiers de simplification s'apparentant plus à de la communication.

À l'illisibilité s'ajoute l'absence d'une vision de long terme. Comment convaincre les Français de poursuivre l'électrification des usages quand l'électricité sera l'énergie la plus taxée par tonne de CO2 émise ? La fiscalité de rendement a du sens à court terme mais n'oriente pas les comportements de long terme. Mieux valait appliquer la même règle à toutes les énergies : dans un contexte de baisse des prix de gros, cela reviendrait à faire rembourser partiellement l'aide de 50 milliards d'euros octroyée pendant la crise de l'énergie.

Entrevoir la victoire sous le prisme du gain budgétaire ou politique n'est pas gouverner. C'est succomber à la tragédie du moment. Savoir ne pas s'y soumettre, c'est le sens de l'État

Troisième règle : le souci du nombre. Jouer au Clodo à deux ou à huit, ce n'est pas la même difficulté. (M. Antoine Armand sourit.) Or nous ne tenons pas compte de la chute de la démographie - depuis 2010, la natalité a reculé de 19,8 %. Nous indexons les retraites sans tenir compte de la chute drastique du nombre d'actifs pour les financer. Le PLF 2025 est le premier à intégrer l'effet année pleine de la réforme paramétrique de 2023. Or selon le Conseil d'orientation des retraites (COR), le système sera déficitaire dès cette année !

Nous votons un PLFSS sans tenir compte des milliards nécessaires pour financer le grand âge et la dépendance.

Comment repenser l'enseignement pour éviter de voir exploser le coût par élève sans effet sur le niveau scolaire ?

Pour gagner aux échecs, il faut anticiper. En économie ouverte, il faut tenir compte du nombre de joueurs et anticiper leur stratégie.

Dernière règle : l'égalité entre les joueurs. Deux cartes du Monopoly imposent une contribution particulière, prévisible et fixe. Les prélèvements sur bénéfices au milieu du jeu n'existent pas. Or l'État, quand il manque de trésorerie, lève des impôts supplémentaires, ce qui crée de l'incertitude. Il profite de ses prérogatives pour dévier des règles. Le baromètre d'EY sur l'attractivité en témoigne : la confiance des investisseurs s'est évanouie. Les entreprises quittent la France. Tikehau Capital, un fonds d'investissement de 50 milliards d'euros, réfléchit à Wall Street ; Canal+ va être coté à Londres, Havas à Amsterdam.

La hausse de la fiscalité n'est acceptable que lorsqu'elle incite à un comportement plus vertueux. Punir celui qui ne respecte pas la règle, celui qui pollue, a du sens.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Très bien !

Mme Christine Lavarde.  - Au Monopoly, la banque ne fait jamais faillite : elle peut émettre des reconnaissances de dettes sur papier libre. Cela fait rêver, n'est-ce pas ? (M. Antoine Armand sourit.)

Les règles financières de la France sont plus complexes : l'État ne peut pas mettre en circulation autant d'argent que nécessaire, quoi qu'en aient pensé certains à l'époque du « quoi qu'il en coûte » et encore aujourd'hui... (M. Jean-François Husson s'en amuse.)

Le taux d'intérêt de notre dette a augmenté, car les investisseurs ont évalué à la hausse le risque français.

Ces prochaines semaines, nous n'aurons pas le temps de jouer aux jeux de société, mais gardons à l'esprit ces principes : ne pas changer la règle du jeu, anticiper les évolutions démographiques et macroéconomiques, avoir une fiscalité prévisible et orientant les comportements, s'interdire toute politique de l'argent magique.

La France mérite que ce Gouvernement réussisse. Lions courage et responsabilité, rigueur et créativité, souci du temps long et celui du grand nombre. Viendra ensuite le temps des réformes structurelles, pour répondre aux défis des transitions écologique, démographique et numérique. Mobilité et stabilité ne sont pas antinomiques : un cycliste n'est stable qu'en avançant, disait Jacques Chirac. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et sur quelques travées du groupe UC)

M. Georges Patient .  - Notre situation financière est très préoccupante. Nous devons faire preuve de responsabilité et trouver des compromis, pour sortir de la crise par le haut.

L'objectif premier du PLF 2025 est le redressement des comptes de la nation. Face à la baisse des recettes, le gouvernement précédent avait annulé 10 milliards d'euros et doublé la réserve de précaution. Il faut aller plus loin, pour nous adapter aux changements climatique et démographique, pour faire face aux menaces et aux crises et pour conserver notre crédibilité dans le monde. En Guyane, nous le voyons : notre souveraineté est bafouée par ceux qui pillent nos ressources aurifères et halieutiques.

L'effort -  60 milliards d'euros  - est inédit. Côté dépenses, cet effort sera réparti entre l'État, ses opérateurs, les collectivités territoriales et la sécurité sociale.

Le RDPI salue le discours de vérité du Premier ministre sur la situation difficile des collectivités territoriales. Alors que leurs dépenses incompressibles augmentent, les 8 000 élus locaux présents la semaine dernière au Congrès des maires nous ont fait part de leurs inquiétudes, voire de leur colère.

Nous saluons la réduction du taux de mise en réserve de l'article 64 et l'ouverture du dialogue sur la réforme du FCTVA de l'article 30.

D'un déficit de 7 % du PIB si rien n'est fait, l'objectif du Gouvernement est de revenir à 5 %. Il s'agit aussi d'éviter de provoquer une récession. La prévision de croissance, à 1,1 %, inférieure aux prévisions de l'OCDE et du FMI, est prudente. L'inflation inférieure à 2 % devrait contrebalancer l'effet récessif du choc budgétaire.

Près de la moitié des rentrées fiscales de 2025 sont issues de mesures nouvelles, pour près de 15 milliards d'euros : contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises pour 8 milliards ; contribution temporaire sur les plus hauts revenus pour 2 milliards ; hausse des accises sur l'énergie et retour au taux normal de TVA sur les abonnements pour 2,8 milliards ; suspension de la baisse de CVAE pour 1,5 milliard d'euros ; taxe sur le fret maritime pour 0,5 milliard.

Le RDPI est habituellement opposé à toute augmentation des impôts des Français, d'autant que nos prélèvements obligatoires font déjà partie des plus élevés d'Europe, même s'ils ont fortement baissé ces dernières années -  moins deux points en 2023, du jamais vu depuis 2012 !

Le RDPI soutiendra la grande majorité de ces nouvelles mesures fiscales, pour la plupart temporaires et équilibrées. Mais certaines toucheront tous nos concitoyens, quel que soit leur niveau de revenu, d'où notre amendement sur le plafonnement de l'accise sur l'électricité.

Pour lutter plus efficacement contre la fraude, nous avons déposé des amendements sur les logiciels de comptabilité dits permissifs autocertifiés et les comptes d'actifs numériques.

Nous souhaitons aussi protéger les ressources des chambres consulaires, essentielles pour le développement économique de nos territoires, en maintenant leur trajectoire pluriannuelle d'économies.

Les objectifs de dépenses -  qui diminuent de 0,4 % en volume  - seront plus difficiles à atteindre. Oui, il faut faire des économies, mais sans casser les dynamiques de rattrapage engagées par exemple dans la justice -  dont le budget est passé de 6,9 milliards d'euros en 2017 à plus de 10 milliards en 2024. Le Premier ministre s'est engagé à ajouter les 500 millions d'euros manquants ; nous y serons attentifs.

Les lois de programmation ne sont pas contraignantes, mais elles limitent la tentation de faire des économies budgétaires dans des domaines jugés prioritaires par la nation. C'est ainsi que les crédits de la mission « Défense » augmentent de 3,3 milliards d'euros. Mais nous déplorons qu'il n'en soit pas de même pour la mission « Recherche et enseignement ».

Nous regrettons aussi la réduction des moyens de l'apprentissage, de 1,2 milliard d'euros. Le coût de cette politique est important, mais le coût de jeunes non formés est bien plus élevé ! Pourquoi ne pas concentrer les aides à l'embauche sur les petites entreprises et les apprentis les moins qualifiés ?

Le RDPI souhaite augmenter le taux de la taxe sur les transactions financières (TTF), pour 1,5 milliard d'euros, afin de soutenir des actions de solidarité internationale ou de renflouer le fonds vert.

Outre-mer, les crises se succèdent. En un an, la Nouvelle-Calédonie et la Martinique ont connu troubles et violences, aux conséquences économiques et sociales importantes. La Guyane est frappée par une terrible sécheresse : plusieurs dizaines de milliers de personnes sont touchées et un pont aérien a été mis en place.

Les outre-mer craquent de partout. Ce n'est pas le moment de faire des économies ! Il faut au contraire investir massivement. La baisse des crédits de la mission « Outre-mer » et celle du budget de Bpifrance consacré aux entreprises sont de très mauvais signaux.

Les outre-mer, dont on a souvent dit qu'ils étaient une chance pour la France, se demandent désormais : la France est-elle une chance pour nous ? Heureusement, cette année le Gouvernement ne reprend pas la réforme de l'octroi de mer.

Le RDPI, premier groupe ultramarin du Sénat, a déposé de nombreux amendements sur le logement social, la TVA des produits de première nécessité, les aides fiscales à l'investissement et l'absence de diagnostic de performance énergétique (DPE).

Mieux qu'à l'Assemblée nationale, nous devons travailler tous ensemble. J'en appelle à votre sens des responsabilités. Soyons les auteurs d'un compromis qui fera honneur au Parlement et au bicamérisme ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC, MM. Jean-François Husson et Emmanuel Capus applaudissent également.) La voie est étroite : nous devons arrêter le dérapage du déficit public, éviter l'effet récessif d'économies mal calibrées et répondre aux besoins de certains secteurs essentiels.

Il faut agir simultanément sur la dépense publique et sur les recettes de l'État. L'année dernière, la plupart de nos propositions pour augmenter les recettes, adoptées par le Sénat, n'ont pas survécu au 49.3. Vous les reprenez et c'est tant mieux : report de la suppression de la CVAE, création d'une taxe sur les rachats d'actions, contribution des plus hauts revenus.

Nous souhaitons aussi réformer l'exit tax et l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), mieux lutter contre la fraude fiscale, rationaliser les niches fiscales et corriger une faille dans la fiscalité des plans épargne retraite.

Vous proposez de faire contribuer les collectivités territoriales au redressement des finances de la nation par une baisse de leurs ressources de 5 milliards d'euros via le fonds de réserve pour 3 milliards, le gel du versement de la part de TVA pour 1,2 milliard et la baisse du FCTVA pour 0,8 milliard. S'y ajoutent d'autres dispositions qui impactent indirectement les collectivités.

Même si les collectivités doivent prendre leur part au redressement des comptes publics, le groupe UC souhaite réduire cette contribution, en vertu de la justice territoriale, car les situations sont très disparates.

La baisse de 10 % du FCTVA et l'exclusion des travaux d'entretien de la voirie et des bâtiments communaux doivent être abandonnées, et pas seulement pour leur effet rétroactif ! Cette réforme qui touche toutes les collectivités -  petites ou grandes, riches ou pauvres  - est injuste.

M. Michel Canévet.  - C'est vrai !

M. Bernard Delcros.  - Elle percute en outre l'investissement des collectivités, dont les territoires ont tant besoin. Messieurs les ministres, renoncez à cette réforme injuste et contre-productive !

Vous proposez également une exonération partielle supplémentaire de taxe sur le foncier non bâti (TFNB) pour les terres agricoles. Nous approuvons cette mesure, mais pas ses modalités de compensation, qui pénalisent les petites communes rurales -  la TFNB peut représenter plus 50 % de leurs recettes fiscales. Cette compensation doit être justement calculée et indexée.

Le groupe UC sera, une nouvelle fois, force de proposition et nous espérons vous convaincre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, du RDSE et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Frédérique Espagnac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) « Si notre dette est élevée, c'est parce que j'ai sauvé l'économie française »... Dommage que l'auteur de cette phrase ne soit pas avec nous aujourd'hui ! (On ironise à gauche.)

La dette publique a atteint 3 300 milliards d'euros, soit 113 % du PIB, un niveau historique qui fragilise notre souveraineté, notre crédibilité internationale et notre capacité à investir. Plus de 50 milliards d'euros sont consacrés chaque année au paiement des seuls intérêts de la dette - autant de milliards qui échappent aux services publics.

Mais vous persistez dans une politique fiscale qui, depuis 2017, a organisé l'attrition de nos finances publiques, avec la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), de la taxe d'habitation, de la CVAE et de la contribution à l'audiovisuel public. Résultat : plus de 60 milliards d'euros évaporés chaque année depuis 2017, ceux-là mêmes que vous cherchez désespérément ! Nul besoin d'être inspecteur général des finances pour comprendre ce jeu de vases communicants...

Depuis 2017, le groupe SER et le président de la commission des finances n'ont cessé d'alerter votre prédécesseur. Vos choix budgétaires traduisent une impuissance coupable, aggravée par une obsession comptable déconnectée des réalisées. Ce PLF s'inscrit dans cette logique dangereuse : la réduction trop brutale du déficit public risque d'entraver la croissance et l'investissement. Ce que vous pensez gagner en économies, vous le perdrez en recettes ! La récession pointe ; les PME-TPE souffriront ; les licenciements suivront.

Les collectivités territoriales sont une fois encore sollicitées de façon injuste et disproportionnée au regard de leur responsabilité dans le dérapage des finances publiques. Vous leur demandez un effort de 7,8 milliards d'euros, même 11 milliards selon André Laignel, président du Comité des finances locales : mises en réserve, 3 milliards ; hausse des cotisations à la CNRACL, 1,3 milliard ; réduction du fonds vert, 1,5 milliard ; gel de la dynamique de la TVA, 1,2 milliard ; réforme du FCTVA, 800 millions d'euros. Ce choc budgétaire met en péril l'autonomie financière des collectivités et affaiblit leur capacité à répondre aux besoins de leurs habitants. C'est une remise en cause du pacte républicain entre l'État et les collectivités territoriales.

Les collectivités territoriales ne sont pas responsables de la dette publique - leur dette ne représente que 9 % de l'endettement national. Alors pourquoi une telle asphyxie financière ? Les économies et les recettes sont à chercher ailleurs. Un budget de justice fiscale et sociale est la seule voie crédible ; nous en sommes loin.

Le groupe SER proposera une série d'amendements cherchant des recettes chez les plus hauts revenus. Nous voulons renforcer le soutien à nos collectivités territoriales, en restaurant la CVAE, injustement supprimée.

M. le président.  - Il faut conclure.

Mme Frédérique Espagnac.  - Nous voulons garantir l'équité pour nos communes rurales et assurer une juste contribution des assurances aux Sdis.

M. le président.  - Il faut conclure vraiment !

Mme Frédérique Espagnac.  - Vous le voyez : nous avons des propositions ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Stéphane Sautarel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Vous ne m'entendrez pas dire que le déficit de la France est la faute des communes et des collectivités territoriales, je ne le pense pas », a dit le Premier ministre en clôture du Congrès des maires de France. Je salue ce changement de vocabulaire et d'attitude, qui contraste avec le précédent ministre de l'économie.

Ce PLF conçu dans l'urgence doit être suivi de réformes structurelles. Nous accompagnerons votre action de redressement : nos amendements respecteront la trajectoire, enfin sincère, d'un retour aux 5 % de déficit.

Notre pays a tant besoin de stabilité et de courage. Nous sommes assis sur un volcan - c'est un élu du plus grand volcan d'Europe, le volcan cantalien, qui vous le dit... (Sourires)

Ce budget sera bien sûr imparfait, mais il marquera une inflexion dans notre addiction à la dépense publique et à la fiscalité. Il trace un chemin escarpé, certes, mais le seul possible.

Nos dirigeants n'ont jamais remis de l'ordre dans nos comptes. Il n'est pas question de mettre à contribution les Français et les collectivités territoriales de manière inconsidérée, mais chacun devra contribuer à un effort juste, socialement et territorialement.

Le Gouvernement a découvert cette situation insoutenable et a dû proposer dans l'extrême urgence des solutions, pas toujours satisfaisantes, mais qui marquent une inflexion. Nous devrons réfléchir au périmètre de l'action de l'État. Nous ne pouvons mettre en péril l'investissement des entreprises et des collectivités territoriales. (M. Jean-François Husson approuve.)

Je centrerai mes propos sur la dette et les collectivités territoriales.

La dette, d'abord. Les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » s'élèvent à plus de 63 milliards d'euros, un niveau record qui nous prive de notre capacité d'agir au service des Français. Sans redressement des finances publiques, la charge de la dette doublera d'ici à 2029, approchant la barre folle des 100 milliards d'euros. Ce constat justifie à lui seul les efforts demandés.

Nous devons réduire le déficit pour réduire notre dette, qui nous coûte triplement : son coût budgétaire, ses conséquences pour nos services publics - coûteux et trop souvent inefficaces - et notre incapacité à préparer l'avenir. Nous allons brûler plus de 60 milliards d'euros en 2025. C'est de la folie ! Il est temps d'arrêter, et nous avons besoin pour cela de volonté politique. (M. Jean-François Husson approuve.)

Les relations entre l'État et les collectivités territoriales n'ont jamais été aussi dégradées, dans un contexte d'accélération de la fragilisation financière de ces dernières. Nous sommes sortis des procès d'intention ; il faut maintenant trouver des solutions partagées pour renouer avec la confiance.

L'État n'a cessé de transférer des charges, de prononcer des injonctions contradictoires, de s'enfermer dans un centralisme mortifère. Il faut au contraire redonner du pouvoir d'agir aux élus, recentrer l'État sur le régalien, mettre fin à l'enchevêtrement des compétences, faire de la subsidiarité ascendante. Les vraies économies simplifient, débureaucratisent et libèrent l'action. La performance est proportionnelle à la liberté et à la responsabilité. Il faut donc en finir avec la mise sous tutelle et l'infantilisation, pour répondre à la promesse de la décentralisation.

Nous avons besoin d'un choc de décentralisation et de simplification, qui passera par une réforme en profondeur de la fiscalité locale et de la DGF, notamment avant les élections municipales de mars 2026.

Nous avons fait le choix de réduire l'effort des collectivités territoriales de 5 à 2 milliards d'euros, autour de cinq marqueurs : réduire leur effort et respecter leur autonomie fiscale ; préserver leur capacité d'épargne et d'investissement ; refuser la rétroactivité de la réforme du FCTVA ; limiter les mesures qui touchent les départements ; revoir le fonds de précaution, qui doit être plus limité, plus juste et progressif - c'est le sens de notre amendement de réécriture de l'article 64.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Excellent !

M. Stéphane Sautarel.  - Voilà un nouveau paradigme pour renouer avec la confiance, en faisant le pari de la liberté. Nous attendons des signes forts.

Le pire serait que cela ne serve à rien. J'espère que la raison l'emportera. Sinon, notre pays plongera dans le chaos, avec une mise sous tutelle, synonyme d'austérité dont les plus fragiles seront les premières victimes.

La voie du sursaut est possible, commençons à l'emprunter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

M. Vincent Capo-Canellas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le débat est simple et se résume en quelques questions.

Faut-il voter un budget ? Oui, bien sûr : le scénario d'un rejet du PLF assorti d'une motion de censure doit absolument être écarté, car il nous plongerait dans de graves difficultés. Parions sur un accord en CMP.

La situation financière appelle-t-elle des mesures fortes ? Oui.

Le Gouvernement prend-il ce tournant ? Oui, et c'est heureux.

Le débat porte sur l'ampleur de l'ajustement qui éviterait un potentiel effet récessif. Les 45 milliards d'euros d'ajustement sont sans précédent et l'effort fiscal -  qui nous rappelle la période Hollande  - en représente les deux tiers.

La conjoncture économique est mauvaise et l'écart de taux avec l'Allemagne atteint 0,8 point. Nous allons vers une prime de risques élevée, il faut plus de crédibilité.

L'OFCE et la Commission européenne estiment qu'un déficit à 5,3 % est plus réaliste. Goldman Sachs prévoit 5,4 %, avec une hypothèse de croissance à 0,7 % -  et non 1,1 %.

Nous souffrons aussi d'un déficit de notre balance courante.

Selon Patrick Artus, nous devons financer une partie de notre déficit par des entrées de capitaux à court terme, ce qui nous expose à une crise de la dette publique.

La marche est très haute. Il faudra voter rapidement un PLFR, et enclencher les réformes structurelles absentes de ce PLF confectionné si rapidement.

Nous devons augmenter notre taux d'emploi. S'il rejoignait celui de l'Allemagne, nos finances publiques retrouveraient l'équilibre. Nous devons débattre des exonérations de charges et de la sensibilité de l'impôt sur les sociétés à la croissance. Il faut un phasage réaliste pour restaurer notre compétitivité. Les débats sur les collectivités territoriales et sur l'excès de taxation du transport aérien seront importants. Gare à ne pas détruire l'investissement et l'emploi.

Il est urgent de faire des choix dans les missions de l'État et le financement des retraites et de viser la préservation du niveau de vie des jeunes générations. (M. Emmanuel Capus applaudit.) Nous pourrions ainsi financer en partie nos retraites et notre protection sociale par une part de TVA ou de CSG -  une réforme difficile.

Nous devrons débattre de la stratégie d'agenciation de l'État et redéfinir ses missions. Le Cerema, l'Ademe et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) peuvent sans doute travailler ensemble. La direction générale de l'aviation civile (DGAC) ne pourrait-elle pas s'affranchir de son statut actuel ?

Nous avons un double devoir à l'égard de nos aînés : solidarité pour le grand âge et les petites retraites, mais aussi lien entre les générations. Préserver le niveau de vie des jeunes générations suppose peut-être des ajustements sur l'actualisation des retraites.

Pourquoi ne pas déclencher des alertes lors du dépôt de PLF ? Parfois, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) devrait s'affranchir d'un discours un peu trop diplomatique.

Nous serons constructifs, sans masquer les principaux points de débat. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP ; M. Jean-Baptiste Olivier applaudit également.)

Mme Florence Blatrix Contat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Après les records de chaleur de 2022 et 2023, 2024 est en passe de devenir l'année la plus chaude depuis le début de l'ère pré-industrielle. Nous avons déjà changé de monde. En 2023, le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz a chiffré le surcroît d'investissements publics nécessaires à 34 milliards d'euros par an.

Quand, lors de son discours de politique générale, Michel Barnier a mis la dette écologique et la dette financière sur le même plan, nous avons repris espoir. Mais cet espoir s'est éteint avec ce budget, qui acte une diminution des crédits de la mission « Écologie » de 10 % -  17 % en tenant compte de la baisse des prix de l'électricité. C'est le sacrifice pur et simple de toutes nos ambitions sur la transition énergétique ! Tous les domaines sont concernés : rénovation thermique des bâtiments, soutien aux collectivités territoriales, biodiversité... Cette trajectoire très inquiétante est à rebours de toutes les recommandations d'experts.

La France a besoin d'un plan d'investissements dans les infrastructures de transport durable. Nous ne devons pas remplacer le parc automobile thermique par un parc électrique équivalent : il faut planifier le report modal. Or ce budget diminue les financements pour les infrastructures de transport, réduit de 500 millions d'euros les aides à l'acquisition de véhicules propres et supprime la prime à la conversion.

Des solutions, sans impact sur l'activité, existent : taxation des yachts et des jets privés, durcissement du malus des SUV, encadrement des niches fiscales les plus polluantes. Nous vous ferons des propositions.

La France doit accélérer son soutien aux énergies renouvelables. Or vous amputez le fonds chaleur de 300 millions d'euros ; MaPrimeRénov' est taillée à la serpe ; le chèque énergie ne sera plus versé automatiquement. Alors que l'Insee a récemment estimé que la fin du bouclier inflation a pesé plus fortement sur les plus modestes, vous aggravez le risque de non-recours et de précarité énergétique. Nous nous réjouissons que la commission des finances souhaite, comme nous, rétablir le niveau d'avant-crise de l'accise sur l'électricité, dont le relèvement aurait pesé sur les ménages.

La préservation de la biodiversité a été sacrifiée : les crédits de la stratégie nationale ont été divisés par deux. Les plafonds des agences de l'eau devaient être relevés de 175 millions d'euros dès 2025 ; ce sera en 2026. Ce budget manque d'ambition pour lutter à la source contre les pollutions persistantes. Vous renoncez à appliquer le principe pollueur-payeur. Nous vous ferons des propositions.

Votre coalition a plongé le pays dans la crise budgétaire. Ce budget est un budget de renoncement écologique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Pascal Savoldelli applaudit également.)

M. Olivier Rietmann .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Michel Canévet et Emmanuel Capus applaudissent également.) Le mot « responsabilité » est sur toutes les lèvres. Je m'y rallie pleinement. Nous examinons un budget difficile, exigeant, qui ne fait plaisir à personne, car il exige des efforts inédits.

Il n'est plus possible de se défausser les uns sur les autres, comme l'ont fait certains responsables politiques. Les conclusions de la mission sénatoriale sur la dégradation des finances publiques sont édifiantes.

Le 15 octobre, la délégation sénatoriale aux entreprises a reçu les représentants des chefs d'entreprise. Contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises, énième report de la suppression de la CVAE, réduction des exonérations de charges, diminution des aides à l'apprentissage, etc. Le coup est dur pour les entreprises, déjà fragilisées. À cela s'ajoutent une coûteuse sur-complexité normative et l'augmentation des charges incompressibles - énergie et assurance. Pourtant, les patrons tiennent un discours de responsabilité face à la dette.

Ils craignent tout de même que ces mesures exceptionnelles ne deviennent permanentes, et je partage leur crainte. Monsieur le ministre de l'économie, vous avez réaffirmé leur caractère provisoire. Le Sénat veillera à ce que votre engagement soit tenu, car le risque pour nos entreprises est immense.

Nous sommes sur une ligne de crête : 49 % des investisseurs étrangers auraient réduit leurs projets d'investissements en France et une entreprise sur cinq a renoncé à des embauches ou à des investissements en raison de l'incertitude politique.

« Le transitoire qui dure, on connaît », alertent les entreprises.

Le risque de faillites inquiète aussi, car on peut s'attendre à dépasser les 65 000 procédures collectives en 2024. Le nombre d'ETI en redressement a doublé, dans tous les secteurs.

L'emploi doit aussi nous préoccuper : 1 219 suppressions d'emploi par semaine dans les entreprises de moins de dix salariés depuis le début de l'année, c'est, en trois semaines, autant de suppressions de poste que chez Michelin et Auchan réunis. Et personne n'en parle !

La responsabilité du Gouvernement doit être à la hauteur de ces efforts et de ces risques pour l'économie. Il est urgent de mener des réformes structurelles pour diminuer la dépense publique.

Monsieur le ministre de l'économie, nous attendons des décisions fortes sur la question du temps de travail, que vous avez évoquée.

Avançons aussi sur la simplification, ce mal français. Seul le test PME, voté au Sénat, fera sortir la France de sa cage d'acier. Associons les entreprises aux réformes qui les concernent et ne reproduisons pas le fiasco du guichet unique, qui les a paralysées pendant des mois.

Une fois encore, il faudra faire preuve de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Michel Canévet applaudit également.)

M. Jean-Baptiste Olivier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un État en situation de faillite : le Premier ministre pourrait reprendre les propos de François Fillon. Nous y sommes. Il n'est plus possible de repousser les sacrifices.

Nous sommes en état d'urgence budgétaire. Notre déficit public de 6,1 % en 2024 est le deuxième plus élevé d'Europe, derrière la Roumanie. La dette publique de 113 % du PIB nous place 25e sur 27 : seules la Grèce et l'Italie font moins bien que nous ; si rien n'est fait, nous dépasserons les 7 %.

Le budget 2025 n'est pas parfait, mais il est historique, avec un ajustement de plus de 50 milliards d'euros.

L'heure est enfin venue de nous interroger sur notre dépense publique, la plus élevée de toute l'OCDE. Le Gouvernement fait le choix courageux de réduire ses dépenses de 20 milliards d'euros. Tout le monde doit contribuer à cet effort.

La folle marche en avant de l'emploi public va enfin s'arrêter, avec 2 200 suppressions de postes, dont 1 000 chez les opérateurs de l'État.

Pour autant, les missions régaliennes seront financées, puisque les lois de programmation relatives à la justice, aux armées et aux forces de l'ordre seront respectées.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Baptiste Olivier.  - Mettons fin à la gabegie d'argent public et tournons définitivement la page du « quoi qu'il en coûte ».

L'augmentation de la charge fiscale, malheureusement indispensable, demeure mesurée et n'affectera pas les catégories populaires et les classes moyennes. Dans le pays le plus fiscalisé d'Europe, les marges de manoeuvre fiscales sont limitées, mais, compte tenu de l'urgence, cette hausse de la fiscalité est nécessaire. L'essentiel des mesures fiscales nouvelles est provisoire. L'effort est lourd, mais il n'est plus possible de faire le choix de la facilité ni dans le sens d'une baisse d'impôts ni dans le sens d'une foire à la taxation, comme l'Assemblée nationale en a donné le spectacle. Les populismes, de gauche comme de droite, sont mensongers ou irresponsables.

Ce budget, fondé sur les hypothèses macroéconomiques du HCFP, sera celui de la transparence, et évitera de mauvaises surprises en exécution. Loin d'être parfait, il sera amélioré par le Sénat. Le Gouvernement peut être assuré de notre plein soutien et peut compter sur l'inventivité et l'expertise du groupe Les Républicains pour corriger ce qui doit l'être. (On sourit à gauche.)

Il est tellement facile de promettre la retraite à 60 ans ou de faire des chèques. (M. Pascal Savoldelli s'exclame.) On est rarement populaire quand on demande des efforts, mais la survie de notre modèle est à ce prix. (M. Michel Canévet approuve.) Ceux qui prétendent le contraire le mettent en danger. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie .  - Merci pour vos interventions.

Je suis d'accord avec le rapporteur général : notre budget doit engager des réformes profondes sur l'économie, la productivité, l'innovation, et sur notre capacité à dépenser moins sans dégrader l'action publique. Nous avons 5 millions d'emplois publics, un record dans l'Union européenne !

Monsieur le président de la commission des finances, vous parlez d'un nouveau pouvoir fiscal. Je pense au contraire qu'une fois nos finances publiques redressées, nous devrons moins user de ce pouvoir fiscal.

Monsieur Daubet, il faut accompagner les mutations, vous avez raison. Nous devons mieux former pour construire les emplois de demain, avec les aides à la décarbonation, le crédit d'impôt pour l'industrie verte (C3IV) et le CIR.

Monsieur Canévet, je suis attentif à l'excès d'impôt pouvant peser sur les entreprises. (M. Michel Canévet apprécie.)

Monsieur Savoldelli et Madame Senée, par pitié, ne tombons pas dans la caricature. Ce n'est pas un budget d'austérité : les dépenses publiques augmentent de 0,4 % en volume !

Monsieur Cozic, merci d'avoir dit que vous ne vouliez pas être dans une opposition stérile. Vous êtes membre du PS : faites donc passer le message aux députés socialistes qui veulent voter une motion de censure avec LFI et le RN et supprimer le délit d'apologie du terrorisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Emmanuel Capus et Michel Canévet applaudissent également.)

Monsieur Durox et monsieur Capus, oui, il faut d'abord réduire les dépenses de fonctionnement - opérateurs, doublons, emploi central -, avant de nous attaquer aux dépenses d'investissement.

Je suis forcément sensible au rapport Rueff, madame Lavarde. Il doit nous inspirer. Je complète votre métaphore : contrairement au Monopoly où l'on jette les dés, ici tout dépend de nous. Si le Sénat le décide, nous pouvons faire plus d'économies et moins d'impôts, réduire l'emploi public, donner plus de libertés aux entreprises. Nous avons les dés en main.

Merci, messieurs Patient et Delcros, pour votre attention aux territoires d'outre-mer et à certains secteurs. Je serai attentif à la reconstruction de ces territoires.

Madame Espagnac, vous parlez d'obsession comptable. Mais atteindre 5 % de déficit en 2025, ce n'est pas une lubie du Premier ministre, mais l'une des conditions pour éviter le dérapage des comptes publics. Car des taux d'intérêt qui augmentent, ce sont des milliards d'euros en moins pour les services publics de proximité que vous défendez.

Monsieur Sautarel, vous parlez d'addiction à la dépense publique. Autrement dit, quand un problème économique se pose, la première solution, c'est la dépense publique. Les problèmes de productivité, d'innovation, d'investissement doivent être réglés par le public, et non le privé. Nous ne sommes pas les États-Unis, mais certains de nos partenaires extra-européens ne raisonnent pas comme nous : la dépense publique n'est pas la solution à tous nos maux, sans quoi nous serions la première puissance planétaire !

Monsieur Capo-Canellas, vous avez pointé du doigt la question des missions de l'État. Il faut travailler sur les missions qui, demain, ne pourront pas être financées par la dépense publique.

Madame Blatrix Contat, je ne peux vous laisser dire qu'il s'agit d'un budget de renoncement écologique, alors que le budget en faveur de la transition écologique est le plus haut de notre histoire ! Le fonds Chaleur va augmenter et nos aides à la rénovation énergétique sont les plus élevées de l'Union européenne. Vous pouvez demander davantage, mais quand vous voyez l'énergie déployée par Agnès Pannier-Runacher à la COP29, je crois qu'il faut plutôt encourager les efforts de financement de la transition.

Monsieur Rietmann, évidemment, si c'est possible, nous réduirons la fiscalité. Pour cela, il faut une majorité pour faire des économies.

Monsieur Olivier, vous avez mentionné l'importance du réarmement régalien. Je suis d'accord avec vous : la première des libertés, c'est la sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe UC)

La séance est suspendue à 13 h 35.

Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente

La séance reprend à 15 h 05.