Négociations en cours relatives à l'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur les négociations en cours relatives à l'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Christine Herzog et M. Franck Menonville applaudissent également.) En application de l'article 50-1 de la Constitution, le Premier ministre a souhaité un débat sur l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur. Le Président de la République, le Premier ministre et moi-même vous le disons : nous nous opposons à cet accord, tel qu'envisagé par la Commission européenne.
MM. Jacques Grosperrin et Jean-Baptiste Lemoyne. - Bravo !
Mme Annie Genevard, ministre. - Nous voulons donner à cette décision une assise transpartisane forte.
Je rassure nos partenaires d'Amérique latine : nous ne souhaitons pas remettre en cause notre relation historique, mais voulons lui donner l'ambition nécessaire pour qu'elle se renforce durablement.
Les Français ne souhaitent ni la fin des accords commerciaux ni celle des échanges agricoles. Ces accords ont justement fait de notre pays le sixième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires, réalisant en 2023 un chiffre d'affaires à l'export de 85 milliards d'euros et un excédent commercial de 6,5 milliards d'euros.
La France est pleinement mobilisée pour discuter de nouveaux accords, à condition qu'ils nous soient favorables et que notre modèle agricole et alimentaire soit respecté, ce qui n'est pas le cas de l'accord négocié avec le Mercorsur depuis vingt-cinq ans - sinon, il aurait sûrement déjà été adopté...
Cet accord fait peser un risque économique et sanitaire sur l'agriculture européenne. L'Union européenne s'impose des normes rigoureuses, mais ne s'assure pas de leur respect par ses partenaires.
Parce que l'agriculture est au coeur de l'identité de notre pays et de notre continent, nous devons veiller à ce qu'elle ne soit pas traitée uniquement comme un secteur défensif, mais aussi comme un secteur stratégique à promouvoir.
La France veut la pleine application des clauses miroirs. Pourquoi un produit importé ne respecterait-il pas les contraintes pesant sur nos producteurs ? Ce serait renier les efforts consentis depuis soixante-dix ans pour protéger notre modèle agricole européen et la sécurité des denrées alimentaires.
Les audits menés depuis 2017 par la Commission européenne sur la traçabilité montrent que les contrôles des pays du Mercosur ne sont pas fiables. Certaines failles sont systémiques. Nous ne pourrions donc pas assurer nos concitoyens de la qualité des denrées, ni nos agriculteurs d'une concurrence loyale.
En ratifiant l'accord, nous entérinerions le fait que nous pourrions retrouver jusqu'à 145 pesticides interdits dans les 180 000 tonnes de sucre auxquelles nous ouvririons le marché européen. Nous accepterions le dépassement, jusqu'à six fois, des limites maximales de résidus. Nous accepterions de retrouver des molécules toxiques, mutagènes et cancérogènes interdites dans les 180 000 tonnes de volaille supplémentaires importées. Nous accepterions donc le non-respect des normes européennes et, pour nos agriculteurs, une concurrence insupportable.
Ces circonstances font peser un risque sérieux sur notre souveraineté alimentaire. Comment expliquer une baisse de leurs prix aux producteurs de viande bovine, de volaille, de sucre, d'éthanol, de maïs, alors que leurs marges sont déjà faibles ?
Avec cet accord, nous signerions un contrat de délocalisation de notre production agricole et importerions plus de produits, le respect des normes en moins.
Il serait inacceptable que la reconquête de notre souveraineté, lancée depuis le covid-19, soit remise en cause.
Les risques sont grands pour l'avenir de la relation entre l'Union européenne et les agriculteurs. Il est urgent d'agir pour répondre au désarroi de ces derniers.
Les ambitions légitimes défendues par la France et l'Europe en matière d'environnement, de santé et de bien-être animal ont exigé des efforts considérables. Ne laissons pas cet accord rallumer des braises mal éteintes.
La France a des raisons sérieuses et concrètes de s'opposer à cet accord tel qu'envisagé par la Commission européenne.
Nos préoccupations sont partagées. La Pologne a annoncé son opposition à cet accord. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Franck Menonville et Bernard Pillefer applaudissent également.)
Si vous en êtes d'accord, le Parlement, le Gouvernement et les Français s'uniront avec détermination pour convaincre la Commission européenne et les autres États membres que l'Union européenne ne doit pas s'engager dans cet accord. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP et du RDSE, ainsi que sur des travées du RDPI ; M. Yannick Jadot applaudit également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe . - Selon le souhait du Premier ministre, nous débattons de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur. Cet échange est essentiel : il était inconcevable de ne pas associer le Parlement.
Je souscris aux propos d'Annie Genevard et réaffirme avec force la détermination du Gouvernement et du Président de la République.
Ces négociations ont été initiées il y a vingt-cinq ans en raison d'intérêts communs. Pour autant, ne prêtons pas le flanc au somnambulisme bureaucratique et à la négociation automatique : en l'état, l'accord est inacceptable. Si cette négociation dure depuis plus de vingt ans, c'est bien parce que quelque chose ne va pas.
Cet accord n'est pas qu'un sujet technique. Il aurait des conséquences majeures pour nos sociétés, nos territoires et notre économie.
Alors que les agriculteurs construisent des murs de parpaing pour symboliser la distance qui les sépare de l'Union européenne, la représentation nationale s'est engagée de manière exemplaire, avec une lettre de plus de 600 parlementaires à la présidente de la Commission européenne. Cet engagement nous oblige et nous rappelle que les grandes décisions européennes doivent puiser leur légitimité dans les aspirations de nos concitoyens. Toutes les opinions doivent être entendues.
J'étais à Bruxelles mardi dernier, où j'ai rappelé notre opposition ferme à la version actuelle de l'accord. Soyons clairs : la Commission doit respecter le mandat du Conseil. Un changement sur la règle de l'unanimité pour entériner l'accord serait inacceptable et contraire au mandat de 1999 auquel la Commission se réfère.
M. Laurent Duplomb. - Très bien ! Ce n'est pas souvent que l'on entend cela !
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Le Gouvernement alerte sur le caractère dangereux de cet accord. Sa version finale n'étant pas encore connue, nombre d'États membres ne se sont pas encore prononcés. Mais on constate que le débat est porté sur le devant de la scène, en Pologne comme au Parlement européen.
La ministre de l'agriculture a exposé les menaces contenues dans la version actuelle de cet accord. L'agriculture ne sera jamais une variable d'ajustement. Nous la défendrons.
Sans aller jusqu'à affirmer, comme Fernand Braudel dans L'Identité de la France, que l'agriculture exprime à elle seule une certaine conception de la France, elle demeure l'énergie de nos sociétés, nourrissant les populations, façonnant les paysages et jouant un rôle clé dans la transition écologique.
Notre souveraineté alimentaire est un enjeu stratégique. Une géopolitique de l'alimentation émerge ; des puissances hostiles comme la Russie en jouent. Le covid et la guerre en Ukraine nous ont rappelé que nous ne pouvons pas dépendre des autres.
L'agriculture européenne doit se battre à armes égales contre ses concurrents. L'Europe ne peut pas être le dindon de la farce de la mondialisation. Le libre-échange oui, mais selon des règles de réciprocité et de loyauté. Quand on demande à nos agriculteurs de respecter des normes, nos partenaires doivent les respecter aussi.
Il faut préserver le temps de la terre et le cycle des saisons. Or cet accord est en décalage avec les défis environnementaux. Nous ne pouvons laisser entrer dans l'Union européenne des produits moins-disant sur le plan environnemental. Ce serait contradictoire avec le nouveau paradigme de l'Union, qui insiste sur les enjeux de durabilité.
Nous ne pouvons accepter qu'un accord négocié en 2024 ne s'aligne pas sur les normes exigeantes récentes, inscrites dans l'accord avec la Nouvelle-Zélande. Nous n'accepterons pas un texte qui ne respecterait pas l'accord de Paris, ni un accord dont les dispositions en matière de développement durable n'auraient pas de caractère exécutoire.
Nous ne sommes pas seuls : nombre d'États sont inquiets des conséquences de cet accord.
Pour notre part, nous estimons qu'il faudrait un rééquilibrage vers plus de respect de l'environnement et un mécanisme de sauvegarde dans le domaine agricole. Prenons le temps.
Ce débat invite à une réflexion plus large sur notre rapport au commerce international. La Commission européenne ne saurait avancer aveuglément. Il est temps d'examiner les raisons qui alimentent la montée du populisme partout dans le monde, en Europe comme aux États-Unis. Le rejet des accords de libre-échange par les Américains dans les années 1990 a contribué à la désindustrialisation de la Rust Belt ; on en voit le résultat aujourd'hui, avec la réélection de Trump.
Nous devons défendre nos intérêts - les autres ne s'en privent pas. Le projet d'accord avec le Mercosur nous place sur la défensive. Il ne s'agit pas de fermer l'Europe au commerce, mais de soutenir nos acteurs économiques sur les marchés internationaux et de veiller au maintien du volet industriel de l'accord.
Les accords doivent respecter des intérêts stratégiques réciproques. L'accord avec le Chili améliore l'accès au lithium, celui avec la Nouvelle-Zélande est favorable à l'écologie. (M. Yannick Jadot s'exclame.)
Le Président de la République l'a rappelé : le lien entre l'Europe et l'Amérique latine est fondamental. Mais les accords doivent être équilibrés et préserver notre modèle de société.
Je martèlerai ces arguments de bon sens auprès de nos partenaires.
Mesdames et messieurs les sénateurs, votre voix compte. Votre mobilisation est entendue de vos collègues parlementaires européens et vos relais à Strasbourg et Bruxelles sont des leviers puissants pour porter nos revendications au plus haut niveau. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)
M. Mathieu Darnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) La situation, inédite, doit nous pousser à une réflexion collective sur le processus qui nous a menés à débattre de l'accord avec le Mercosur. Inédite, parce que le début des négociations remonte à 25 ans, parce que le projet fait l'unanimité contre lui, parce qu'il fait peser un danger sur notre souveraineté alimentaire et suscite l'incompréhension des agriculteurs.
Depuis son arrivée à la tête de la Commission en 2019, Mme Van der Leyen proclame que la politique commerciale doit entrer dans une nouvelle ère. Nos concitoyens ont constaté depuis longtemps les effets néfastes de la politique commerciale de la Commission. Pour autant, le monde a changé en 25 ans, la compétition internationale s'est intensifiée, de nouveaux enjeux se sont ajoutés à l'équation. Nous n'avons pas le même recul sur le libre-échange qu'en 1999.
La politique commerciale commune doit évoluer radicalement.
La puissance commerciale de l'Union européenne doit nous permettre de corriger les défauts de cet accord.
Il est temps de mettre fin aux dépendances qui entament notre souveraineté, de sortir de la naïveté et de défendre résolument les intérêts de nos consommateurs, de nos industriels et de nos agriculteurs.
La présidente de la Commission tente de présenter cet accord comme une victoire du libre-échange. C'est plutôt un coup de massue sur les agriculteurs.
À l'heure où le verdissement de la PAC et le Green Deal engagent notre agriculture dans une transition à marche forcée, comment comprendre la déstabilisation de l'outil de production ?
Les agriculteurs subissent déjà les effets de la surtransposition des normes européennes et la chute de compétitivité qui l'accompagne. Une pratique bien française !
Le projet d'accord n'est toutefois pas sans vertu. Des secteurs comme l'automobile ou la pharmacie bénéficieraient de nouvelles opportunités. Mais face à l'exacerbation de la compétition internationale, il est nécessaire de sécuriser nos approvisionnements stratégiques, notamment en matériaux critiques.
Il y a vingt ans, l'Europe réalisait 30 % de la production mondiale. D'ici 2050, ce sera seulement 10 %. Or quarante millions d'emplois sont liés aux exportations. Mais cela justifie-t-il de sacrifier notre souveraineté alimentaire et de renoncer au principe de réciprocité ?
L'agriculture n'est pas une activité comme les autres. Elle est un pilier de notre existence ! Des décennies de prospérité nous ont fait oublier l'enjeu alimentaire, qui devient pourtant chaque jour plus crucial.
Les agriculteurs nous alertent sur leurs difficultés à vivre de leur travail. Nous devons leur apporter des réponses concrètes et immédiates.
Cet accord représente tout ce que l'Union européenne fait de pire. En voulant accéder à de nouveaux marchés, elle oublie ses valeurs. Ce sont les agriculteurs et les consommateurs qui en paieront le prix.
Nos industries et nos agriculteurs subissent toujours plus de normes pour protéger l'environnement et la santé. Comment pourrions-nous autoriser les volailles de fermes-usines brésiliennes, la viande aux antibiotiques de croissance et le maïs brésilien traité avec des pesticides interdits en France depuis vingt ans ?
La Commission promet qu'elle veillera au respect des normes sanitaires européennes, mais comment s'en assurer, sans clauses miroirs ? Nous sommes inquiets, au vu des insuffisances du contrôle douanier. La Commission reconnaît elle-même que le Brésil n'est pas capable d'apporter les garanties suffisantes.
Les volumes du Mercosur sont immenses ! Les quotas préférentiels que nous lui octroierions seraient remplis et stimuleraient davantage les filières d'exportation vers l'Europe.
Le fonds de compensation agricole proposé par la Commission est un pied de nez aux agriculteurs, et la preuve que la Commission sait qu'elle ouvre la porte à une concurrence déloyale.
Notre vote réaffirmera notre engagement en faveur des agriculteurs, pour empêcher la signature d'un accord mortifère. Il enverra un message d'unité des deux chambres à la Commission européenne, ce qui est suffisamment rare pour être relevé.
Il serait inconcevable que l'accord entre en vigueur contre la volonté de la France, seconde économie et première agriculture européenne. Les traités européens sont clairs, le mandat de la Commission aussi : le traité doit être ratifié à l'unanimité des États membres.
En début d'année, le Président de la République s'était réjoui d'avoir suspendu les négociations. Pourtant, nous n'avons jamais été aussi proches de la signature d'un accord. L'arrangement juridique envisagé par la Commission pour se contenter d'une majorité qualifiée est inconcevable. Balayer d'un revers de main l'avis de la France aurait de lourdes conséquences politiques.
Les autorités européennes doivent désormais associer plus étroitement les parlements nationaux.
Le Gouvernement doit continuer à s'opposer avec fermeté à la manoeuvre de la Commission, et rallier des partenaires à notre cause. À ce titre, nous nous réjouissons de la position polonaise.
Nous réaffirmons que l'agriculture, au-delà de l'image d'Épinal, tient une place centrale dans notre société. Elle irrigue nos territoires, contribue à l'économie, suit des traditions et savoir-faire millénaires.
M. Guillaume Chevrollier. - Tout à fait !
M. Mathieu Darnaud. - Elle est la première actrice de la transition écologique et la première victime du changement climatique.
Nous refusons un accord qui donne une prime à la concurrence déloyale, qui fragiliserait nos agriculteurs et emporterait ce qu'il reste de notre souveraineté alimentaire.
Nous refusons de condamner les Français à consommer toujours plus de produits importés tout en faisant disparaître notre agriculture.
M. Bruno Sido. - Très bien !
M. Mathieu Darnaud. - Le groupe Les Républicains votera contre cet accord. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, du RDSE et du groupe INDEP)
M. Didier Marie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Quelles sont les motivations du Gouvernement ? Nous attendons depuis 2019 le projet de loi de ratification du Ceta, qui a lui aussi fait l'objet d'une contestation populaire et d'une mobilisation des agriculteurs, mais a pourtant été scindé pour permettre son application provisoire.
S'agit-il d'une prise de conscience, tardive mais bienvenue, à l'écoute de nos arguments ?
Ou serions-nous en réalité l'objet d'une petite manoeuvre ? Servirions-nous de caution à un gouvernement en mal de majorité pour envoyer un message d'apaisement aux agriculteurs en colère ?
Je m'inquiète de la signification de notre vote. S'agit-il d'un soutien au Gouvernement, d'une adresse à la Commission européenne, d'une rupture stratégique ? Nous ne voulons pas jouer les idiots utiles... Il faut non seulement recueillir notre soutien, mais aussi nous écouter. L'initiative arrive bien tard.
Que s'est-il passé depuis 2019 ? Rien ! Le compte n'y est toujours pas. La France est désormais isolée : onze pays sont favorables à l'accord. D'ailleurs, la Commission est prête à scinder l'accord pour éviter un veto. Rien, si ce n'est que le Gouvernement a soutenu le report du règlement sur la déforestation, ouvrant ainsi une brèche dans l'accord.
Voilà 25 ans que les négociations ont débuté. Depuis, le monde a changé : dérèglement climatique, protectionnisme américain, intensification de la guerre commerciale entre la Chine et le reste du monde, panne du multilatéralisme... Voilà 25 ans que l'Union européenne a un mandat de négociations obsolète !
Cet accord est dangereux pour notre agriculture et notre souveraineté alimentaire.
Le fossé entre le cadre réglementaire européen relatif à l'environnement, à la santé et au bien-être animal et les pratiques du Mercosur représente un risque pour les agriculteurs et les consommateurs européens.
Alors que l'Union européenne a adopté le Pacte vert et la stratégie Farm to Fork, elle s'apprête à autoriser des produits qui ne respectent pas ses normes. Quel désaveu ! La quantité de pesticides utilisée au Brésil est deux fois plus importante qu'en France ; on y utilise 145 pesticides interdits en Europe. Les activateurs de croissance et les antibiotiques sont largement répandus dans l'élevage.
Il n'est pas acceptable que l'Union européenne ouvre 180 000 tonnes de quotas d'importation de volaille élevée dans des fermes-usines cinquante fois plus grandes que ce qui est autorisé en Europe. Ni qu'elle accepte l'entrée de 99 000 tonnes de viande bovine engraissée aux antibiotiques dans des exploitations de 10 000 bêtes, alors qu'elle promeut le pâturage. On ne peut pas davantage autoriser un million de tonnes supplémentaires de maïs traité à l'atrazine, herbicide interdit en France depuis vingt ans. Idem pour les quotas sans droit de douane pour le sucre, qui déstabiliseraient nos outre-mer.
Au-delà des volumes, ce sont aussi les conditions de production des pays du Mercosur qui inquiètent. Le Brésil a récemment suspendu ses exportations de viande de génisse à la suite de l'un des trois rares audits de la Commission européenne sur place, attestant de l'impossibilité d'avoir confiance dans le système de traçabilité brésilien.
Cet accord ferait peser un risque majeur sur la sécurité des approvisionnements agricoles et la traçabilité alimentaire. Il profiterait essentiellement aux immenses exploitations agricoles qui produisent sans considération environnementale et sociale, au détriment des petits producteurs et des peuples autochtones chassés de leurs terres.
Certains acteurs sud-américains commencent à douter de cet accord, qui pourrait bien devenir perdant-perdant en forçant le Mercosur à poursuivre un modèle de production intenable, néfaste pour le climat et socialement injuste.
Depuis 1999, l'équivalent de la surface de la péninsule ibérique est parti en fumée en Amazonie. Alors que l'Union européenne a adopté un règlement pour lutter contre les produits issus de la déforestation, ratifier cet accord serait un non-sens historique.
Cet accord est néfaste et dangereux, nous disent les agriculteurs. Au-delà de ce traité, ils demandent à être reconnus pour leurs apports à la nation et revendiquent des prix justes.
La compensation financière est une illusion, un pansement sur une jambe de bois.
M. Laurent Duplomb. - Bravo !
M. Didier Marie. - Elle financerait la disparition de pans entiers de notre société, en achetant le silence des agriculteurs.
L'agriculture ne saurait être un objet de marchandage. Il ne peut y avoir de deal entre malbouffe et belles voitures.
Nous demandons une réorientation radicale de cet accord au service de nos intérêts stratégiques. La force de l'Union réside dans sa capacité de régulation. Elle seule peut porter un modèle de développement durable, grâce à la force de son marché. Respect des droits humains, des objectifs de développement durable de l'ONU et de l'accord de Paris, clauses miroirs, mécanismes contraignants assortis de sanctions, clauses de revoyure, clauses de devoir de vigilance et de responsabilités sociétales : voilà les enjeux.
Le culte du libre-échange, qui a transformé l'Europe en continent de consommateurs, dépendant de ses concurrents, qui a conduit à une casse sociale favorisant la montée de l'extrême droite, ne doit pas aujourd'hui détruire la cohésion européenne.
L'Union européenne s'affaiblit sur la scène internationale : elle risque de ne plus pouvoir défendre ses valeurs de durabilité et de solidarité.
Nos concitoyens se méfient de cet accord. La crise de confiance est nourrie par la Commission qui poursuit les négociations tambour battant et voudrait scinder l'accord en deux, à rebours du mandat qu'elle a reçu. Cela poserait un problème de légitimité démocratique.
Les résolutions adoptées à l'Assemblée nationale en 2023 et au Sénat en 2024 ont souligné que les conditions n'étaient pas réunies pour ratifier l'accord.
Madame la ministre, vous avez un large soutien dans l'opinion publique et chez les parlementaires. Qu'en ferez-vous ? Nous vous soutiendrons, mais demandons un moratoire sur l'ensemble des accords commerciaux en cours. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Franck Menonville . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. M. Vincent Louault applaudit également.) Pour la troisième fois, nous allons exprimer notre opposition à la ratification de l'accord en l'état. La Pologne s'est alignée hier sur les positions françaises.
Je salue l'engagement personnel du Premier ministre pour convaincre d'autres États de constituer une minorité de blocage.
Le contexte est inflammable. La présidente von der Leyen souhaite accélérer la ratification, quitte à passer en force. Pourtant, 76 % des Français s'y opposent et les agriculteurs ont démarré l'acte II de leur contestation.
Comme l'a indiqué Sophie Primas, le Brésil est le premier partenaire commercial de la France en Amérique latine. Nous n'avons pas attendu l'accord avec le Mercosur !
Nous ne remettons pas en cause le principe d'un approfondissement de nos relations. Toutefois, nous défendons trois lignes de force.
Premièrement, protection n'est pas protectionnisme. Le retour de l'isolationnisme américain et l'agressivité commerciale chinoise obligent l'Union européenne à réagir. Le rapprochement avec l'Amérique du Sud peut créer des opportunités, mais l'accord, sous sa forme actuelle, peut engendrer des déséquilibres commerciaux. En 2017, notre balance commerciale avec le Mercosur était déficitaire de 20 milliards d'euros sur les produits alimentaires, et excédentaire de 26 milliards d'euros sur les produits industriels. Le déséquilibre risque de s'accentuer, avec une baisse anticipée de la production agricole européenne au profit d'importations accrues du Mercosur.
Nous craignons que l'agriculture européenne soit la variable d'ajustement des accords commerciaux. Cette crainte est renforcée par le fonds de compensation des agriculteurs envisagé par la Commission. Inacceptable et inenvisageable !
M. Laurent Duplomb. - Bravo.
M. Franck Menonville. - Les agriculteurs ne demandent pas la charité.
M. Guillaume Chevrollier. - Absolument.
M. Franck Menonville. - Nous sommes nombreux à défendre cet engagement.
Deuxièmement, le pragmatisme ne doit pas céder à la caricature. Certaines filières, comme l'automobile, le vin, peuvent trouver bénéfice à cet accord. Mais comment ne pas partager l'incompréhension des agriculteurs à qui l'on demande d'être toujours plus vertueux ?
L'accord pourrait déstabiliser nos filières. Le rapport de Stefan Ambec de 2020 parle d'une occasion manquée d'obtenir des garanties environnementales et sanitaires, d'autant que, depuis, les ambitions environnementales des politiques européennes ont été rehaussées. Comment imaginer que la présidente von der Leyen, qui a promu la stratégie Farm to Fork, ait si peu d'exigences face au Mercosur ?
Troisièmement, en tant que fervents Européens, nous plaidons pour un contrôle démocratique accru de ces accords commerciaux. Ce traité doit être ratifié par l'ensemble des parlements nationaux. Le politologue bulgare Ivan Krastev parle de « démocratie frustrée » quand la mondialisation creuse les inégalités.
D'abord, une convergence réglementaire : les mêmes contraintes pour tous. Les clauses miroirs sont indispensables. Une simple annexe ne suffit pas !
Ensuite, la transparence des négociations : nos concitoyens et les parlementaires nationaux ont le droit d'être informés du contenu de cette nouvelle génération d'accords, qui va au-delà des aspects commerciaux.
Enfin, la responsabilité : les parlementaires nationaux doivent être davantage associés aux négociations.
L'audit mené en octobre dernier par la direction générale Santé de la Commission illustre la défaillance du Brésil en matière de contrôle de la grippe aviaire.
Le groupe UC n'est pas opposé par principe aux accords internationaux, mais celui avec le Mercosur ne correspond ni à notre époque, ni à nos ambitions, ni à la situation géopolitique. En outre, il fait peser un trop grand risque sur notre souveraineté alimentaire. Il va à l'encontre de nos grands principes. La réciprocité est indispensable pour rassurer nos concitoyens.
Le groupe UC votera en faveur de la déclaration du Gouvernement et s'opposera à la ratification de l'accord. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)
M. Philippe Folliot. - Bravo !
M. François Patriat . - Ce qui compte, c'est l'unité de la nation face au péril qui nous menace. Nous ne pouvons pas demander à nos agriculteurs de respecter des normes et à nos industriels de décarboner leurs activités et, dans le même temps, supprimer les droits de douane sur des produits qui ne respectent pas les règles. C'est schizophrénique !
M. Laurent Duplomb. - Exactement.
M. François Patriat. - Le Président de la République a été clair : cet accord n'est pas compatible avec notre agenda climatique et de biodiversité. Il l'a dit dès 2021 : la France n'a pas attendu ces derniers mois pour s'opposer à cet accord. Le Président de la République a invariablement défendu la position française, un refus clair de la ratification de l'accord tel que présenté par la Commission.
La France se bat pour protéger des secteurs qui risquent de pâtir de l'accord. Nous ne transigerons pas sur le respect de nos normes environnementales et sanitaires, ni de l'accord de Paris. Il suffirait que retranscrive l'accord de Paris pour qu'il s'applique aux accords de libre-échange, mais la Chine, le Mercosur et les États-Unis s'y refusent.
Nous ne pouvons accepter que les importations de viande bénéficient d'un taux préférentiel de 7,5 %, contre 40 % actuellement, sans respecter les normes imposées à nos agriculteurs, et alors que notre production se distingue par sa qualité et la stabilité de ses rendements. Cela introduirait une concurrence déloyale.
La Commission argue que les produits importés ne déstabiliseraient pas les filières européennes, car ils ne représenteraient que 1,6 % de la production. Elle oublie de dire que les accords de libre-échange ne portent que sur les pièces nobles de la carcasse, que les marchés européens peinent déjà à liquider. Les pays du Mercosur ont une consommation axée sur la viande hachée et préfèrent exporter leurs pièces nobles.
La conséquence pour les éleveurs européens est colossale : les importations représenteraient non plus à 1,6%, mais 25% des pièces nobles consommées en Europe. C'est la fin de la compétitivité des éleveurs français et européens, voire un risque de disparition.
L'Union européenne interdit depuis 1998 les hormones de croissance et depuis 2006 les antibiotiques de croissance. Mais faute de traçabilité et de contrôle, Bruxelles ne peut garantir que la viande importée respecte ces obligations.
Selon la dernière analyse d'impact, un accord n'engendrerait que 0,1 % de croissance supplémentaire dans l'Union européenne à horizon 2032 - et il serait probablement récessif pour la France. Selon Stefan Ambec, les gains économiques attendus ne compenseraient pas les coûts environnementaux et sociaux.
Je ne condamne pas tous les accords de libre-échange. Ils nous ont permis de croître et de faire rayonner nos produits - je pense notamment à la filière viticole. Les 27 % de droits de douane appliqués sur nos vins par les pays du Mercosur rognent les marges de nos viticulteurs. Dans un contexte où la Chine et bientôt les États-Unis augmentent leurs droits de douane, les pays du Mercosur, marché de 300 millions de consommateurs, représentent une opportunité pour nos viticulteurs, nos spiritueux, nos produits laitiers ou encore notre industrie automobile. C'est pourquoi nous devons continuer à négocier pour obtenir les clauses miroirs indispensables.
Si l'accord était signé en l'état, avec l'opposition résolue de la France, il marquerait un tournant pour notre pays en Europe. Notre position sera regardée de près par les autres pays avec lesquels négocie l'Union : la question est politique, pas simplement commerciale.
Je vous invite à vous prononcer contre l'accord en l'état, afin de donner pleine légitimité à la position française. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP)
M. Pierre Médevielle . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) L'accord avec le Mercosur est en négociation depuis plus de vingt ans. Nul besoin de se précipiter.
Le contexte a changé depuis le mandat confié à la Commission européenne : inflation normative, évolution des exigences environnementales et sanitaires, manifestations agricoles du début d'année. Les agriculteurs, exténués, ont encore une fois le sentiment d'être une variable d'ajustement. Le volet agricole de l'accord inquiète, car la ferme France n'est plus aussi compétitive. Notre balance commerciale ne cesse de se dégrader : de deuxième puissance agricole, nous ne sommes plus que sixième.
Cela doit nous faire réfléchir aux surtranspositions. Dans un marché ouvert, aller très vite, trop vite, revient à se tirer une balle dans le pied. Notre faible compétitivité est visible en Europe. Nos contraintes sont plus lourdes qu'ailleurs, entraînant des distorsions de concurrence.
Jadis fierté nationale, notre agriculture est désormais déconsidérée. Le Mercosur briserait un peu plus encore notre compétitivité. S'il est signé, ce sera le plus important accord de libre-échange conclu par l'Union européenne, avec l'ouverture d'un marché de 780 millions de personnes. La suppression des droits de douane risquerait de déstabiliser nos filières - viande bovine, sucre ou volaille - car nous n'appliquons pas les mêmes règles environnementales ou sanitaires.
Bien sûr, certaines filières - vins, spiritueux et fromages - pourraient en tirer profit, tout comme les secteurs de la chimie, de la pharmacie ou de l'automobile. Cet accord faciliterait l'importation de métaux rares dont nous avons besoin.
Les récentes crises et tensions géopolitiques, dont la menace d'une guerre commerciale avec les États-Unis et la Chine, nous incitent à diversifier nos partenariats, à trouver de nouveaux débouchés, à limiter notre dépendance envers quelques acteurs et à trouver des solutions pour les secteurs stratégiques.
Certains accords commerciaux, comme le Ceta, ont pu se révéler bénéfiques. Ainsi les échanges commerciaux entre la France et le Canada ont augmenté de 34 % entre 2017 et 2023. Grâce à la clause de sauvegarde, nos exigences sanitaires ont été respectées.
Mais le projet d'accord avec le Mercosur n'est pas le Ceta. Nous ne voulons pas sacrifier nos agriculteurs, ni transiger sur nos ambitions environnementales.
Nous entendons l'inquiétude des agriculteurs. Nous ne sommes pas favorables à un tel accord en l'état. Il faut renforcer les contrôles et la traçabilité, pouvoir activer la clause de sauvegarde, avoir des clauses miroirs, respecter les droits du travail, mettre en oeuvre l'accord de Paris.
La France n'est plus isolée : l'Italie, la Pologne ont rejoint sa position. Nous souhaitons que les travaux se poursuivent et être rassurés sur nos demandes. Nous voterons la déclaration du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. Fabien Gay . - Nous nous félicitons de ce débat. Depuis vingt-cinq ans, des négociations sont menées dans une opacité totale, à l'abri des délibérations des peuples. Pis, la Commission européenne souhaite scinder ce texte pour permettre l'exécution provisoire de son volet commercial, soustrayant ainsi ce texte au vote des parlements nationaux.
Le Sénat avait voté notre proposition de résolution sur le Ceta, mais le précédent gouvernement n'a pas transmis le texte à l'Assemblée nationale. Où est-il ? Maintenant qu'une partie de la droite sénatoriale est au Gouvernement, soumettez donc ce texte à l'Assemblée nationale !
Sur le Mercosur, nous rejoignons les inquiétudes des syndicats agricoles, des ONG et des peuples mobilisés contre cet accord.
Les exploitations sud-américaines peuvent exporter des stocks colossaux. Si l'on ajoute ces quotas à ceux prévus par les dix-sept autres traités de libre-échange, cela conduira à un dumping social et une mise en concurrence déloyale de systèmes de production très différents. Comment un éleveur de Charolaise ou de Limousine pourra-t-il rivaliser avec les boeufs sud-américains, canadiens, néo-zélandais ?
Ce traité nous empêcherait de travailler à un nouveau pacte agricole, une meilleure rémunération des paysans, une alimentation de qualité accessible. Il risque d'accélérer les fractures du monde agricole et la mainmise financière sur les sols et les productions.
Au Brésil, le secteur agro-industriel prive de terres 4 millions de petits paysans et attente aux droits des peuples autochtones.
Cet accord promeut un système de monoculture intensif, nocif pour les sols, la biodiversité, l'Amazonie, le climat. Il entraînera une hausse de 5,5 millions de tonnes des émissions de gaz à effet de serre en favorisant le commerce de voitures thermiques. Souhaitons-nous diminuer notre impact environnemental pour une planète habitable ou délocaliser notre pollution hors d'Europe ?
Comment justifier l'interdiction des pesticides en Europe s'ils sont autorisés dans les produits alimentaires importés ? Les gains de pouvoir d'achat ne peuvent se faire au détriment de la santé ou de l'environnement.
Nous ne nous contenterons pas d'une vague renégociation ou « d'exigences additionnelles ». Les déclarations conjointes ou les protocoles additionnels sont de pâles somnifères qui permettent la mise en oeuvre à marche forcée de tels accords.
Si le président Lula est en rupture avec la ligne de son prédécesseur, le président Milei affirme, lui, que le réchauffement climatique est un mensonge. Dans un pays où les services publics sont détruits, où la pauvreté explose, où incendies et sécheresses se multiplient, la France ne peut soutenir un modèle extractiviste et productiviste.
Nous nous dirigeons bien vers un monde à plus 2,5°C, qui incite à repenser nos modes de production et de consommation.
Les vrais bénéficiaires de cet accord sont les multinationales européennes, désireuses de mettre le grappin sur de nouveaux marchés. Ainsi de Lactalis, qui investit depuis 2019 au Brésil pour y produire du lait qui sera exporté vers l'Europe, et réduit en conséquence sa collecte en France, laissant sur le carreau près de 300 petits producteurs.
Quel modèle européen voulons-nous ? Et quel modèle de développement humain ? Souhaitons-nous répondre aux besoins de la population ou accroître les bénéfices des industriels ? Pourquoi Emmanuel Macron n'a-t-il pas révoqué le mandat de négociation ? Son opposition n'est-elle que de façade ? Il est hypocrite de prétendre se soucier de l'environnement devant les caméras quand on vote à Bruxelles pour reporter le règlement sur la déforestation.
M. Didier Marie. - Exact !
M. Fabien Gay. - Ce traité ne protège pas les peuples, mais les profits des multinationales. Nous refusons la prédation fondée sur l'appropriation des fruits du travail et les discriminations systémiques. La coopération avec les peuples du Mercosur doit passer par la reconnaissance de la dette coloniale creusée par les pays européens, se faire autour des valeurs de solidarité et d'équité et déboucher sur des investissements vertueux. (Murmures à droite)
Sans majorité sociale et politique, le Gouvernement doit oeuvrer pour l'abandon de ce projet de libre-échange. Nous vous donnons mandat pour le refuser. (Applaudissements à gauche, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains et du RDSE)
M. Yannick Jadot . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Quelle unité ! C'est notre moment JO de Paris. J'en suis heureux, car il n'est pas trop tard.
Le Mercosur est un accord dinosaure, conçu alors que l'on ne parlait pas d'environnement, de malbouffe, de cancer, à une époque où les gouvernements assumaient d'abandonner les classes populaires ici pour les exploiter de l'autre côté de la planète, de faire de chaque hectare une marchandise à exploiter.
Nous n'étions pas si nombreux à l'époque à dénoncer l'explosion des accords de libre-échange qui nous ont rendus dépendants, vulnérables, et nous ont affaiblis socialement, économiquement et politiquement.
Depuis un quart de siècle que ces accords ont été lancés, l'Amazonie s'est réduite de l'équivalent de la péninsule ibérique, et plus de 200 000 fermes ont disparu dans notre pays. Cet accord, c'est la mondialisation du dérèglement climatique, de l'effondrement de la biodiversité, de la disparition des paysans ici et là-bas, de la malbouffe et de la souffrance animale.
Sur les 500 pesticides utilisés dans le Mercosur, près de 150 sont interdits en Europe. D'ailleurs, l'ancien président Bolsonaro n'a pas seulement incendié l'Amazonie, il a autorisé des dizaines de pesticides très dangereux. Le président Milei fera pareil : l'extrême droite ne fait pas qu'intoxiquer les esprits, elle contamine aussi les corps. Accélérateurs de croissance, antibiotiques et hormones, interdits chez nous, sont courants là-bas. Sans parler de la terrible souffrance animale dans les abattoirs brésiliens, avec des travailleurs souvent soumis au travail forcé.
Dans la lettre ouverte que j'ai initiée, signée par plus de 600 parlementaires, nous avons alerté la Commission et le Conseil que ratifier l'accord sans l'aval de la France générerait une déflagration démocratique, dans un climat de populisme anti-européen.
Nous nous opposons aussi à cet accord pour des raisons démocratiques : un mandat de négociation accordé en 1999, jamais renégocié ; un accord dont le contenu n'est accessible ni aux citoyens ni aux parlementaires ; une volonté de la Commission de couper en deux l'accord pour passer outre à l'avis des parlements.
Notre position nous oblige à la crédibilité et à la cohérence. D'abord, ne pas exporter ce que nous refusons d'importer. Car nous produisons et exportons des pesticides que nous interdisons à nos agriculteurs ! Ces mêmes toxiques reviennent dans nos supermarchés. Il faut faire appliquer la loi Égalim ; Christophe Béchu s'y est engagé, rien n'a été fait. Sur les 7 300 tonnes de pesticides interdits exportés par la France en 2023, la moitié va au Brésil. Mettons fin à cette funeste hypocrisie !
Ne faisons pas aux petits paysans brésiliens ce que nous refusons pour les nôtres. Ainsi l'exportation de milliers de tonnes de lait en poudre européen serait une catastrophe pour les éleveurs laitiers du Mercosur.
La souveraineté alimentaire, que nous défendons depuis les années 1990, c'est le droit pour un pays de décider démocratiquement de l'organisation de son agriculture et de son alimentation, pour ne pas dépendre excessivement de l'extérieur, y compris pour les intrants. C'est privilégier les producteurs et les consommateurs, plutôt que l'agro-industrie, l'agroalimentaire et de l'agrochimie.
Soyons cohérents dans le choix de notre modèle agricole.
En arrivant au pouvoir, Bolsonaro et Trump ont attaqué les agences publiques chargées du climat et de la santé. Je regrette les discours critiquant l'Anses et l'Office français de la biodiversité (OFB) (applaudissements sur les travées du GEST), livrée aux violences d'une minorité. Madame la ministre, soutenez les agents publics de l'OFB !
Mme Annie Genevard, ministre. - Je l'ai fait.
M. Yannick Jadot. - Qui peut croire qu'en sapant nos normes, nous serons plus compétitifs ? C'est un pari funeste qui accélère la disparition de nos fermes et précarise les agriculteurs. (Marques d'impatience à droite, l'orateur ayant dépassé son temps de parole.) Qui peut croire qu'en sabordant le plan Protéines, le plan Ecophyto et la planification écologique, nous nous adapterons au dérèglement climatique ? (Les manifestations d'impatience redoublent.)
Mme Annie Genevard, ministre. - C'est faux !
M. Yannick Jadot. - En nous opposant, ensemble, au Mercosur, on peut toujours débattre du modèle agricole. (Applaudissements à gauche)
M. Henri Cabanel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La guerre de la viande a-t-elle commencé ? Alexandre Bompard a indiqué que Carrefour ne commercialiserait aucune viande en provenance du Mercosur, par solidarité avec le monde agricole, entraînant une réaction outrée du ministre de l'agriculture brésilien.
Cet accord, qui fait l'unanimité contre lui, avec une tribune signée par 622 parlementaires, n'est pas récent. Le Sénat avait adopté le 27 avril 2018 une proposition de résolution du RDSE soulignant nos inquiétudes. Une nouvelle résolution a été approuvée le 16 janvier 2024.
Mais le contexte a changé, avec la guerre en Ukraine et la dissolution de l'Assemblée nationale qui nous a fragilisés.
Les enjeux sont économiques, environnementaux, sanitaires et démocratiques. La proposition de résolution que nous avons déposée souligne le risque de fragilisation de plusieurs filières agricoles : la filière bovine, avec l'importation de 160 000 tonnes, surtout les beaux morceaux, mais aussi la volaille, le sucre, le bioéthanol.
Alors que l'Union européenne impose une agriculture vertueuse, nécessitant des investissements coûteux, on laisserait entrer des produits sud-américains, faisant fi des émissions importées et des conditions de production ? Ce serait une concurrence déloyale et inéquitable.
S'ajoute la problématique sanitaire, en l'absence de clauses miroirs. Les agriculteurs en colère ne comprennent pas que le niveau d'exigence qui leur est imposé ne s'applique pas aux produits importés de pays tiers, en matière d'antibiotiques ou de produits phytosanitaires. Ils veulent gagner leur vie par leur travail, sans dépendre de compensations financières. Ils n'ont pas peur de la compétitivité, à condition que les règles soient les mêmes pour tous.
Dans la perspective d'accords futurs avec le Chili, l'Inde, le Kenya ou l'Indonésie, des clauses miroirs solides sont une absolue nécessité. Le 13 décembre 2016 déjà, Jean-Claude Junker insistait sur la réciprocité.
L'Europe, divisée, s'est oubliée. Elle abandonne ses agriculteurs, sa souveraineté alimentaire s'érode. Le court-termisme face au protectionnisme de la Chine et des États-Unis montre notre fragilité.
Quel bénéfice social pour les pays d'Amérique latine, alors que la déforestation pousse les petits agriculteurs vers les terres moins fertiles ? En Colombie, après l'accord de 2013 avec l'Union européenne, l'accaparement des terres par quelques familles a explosé.
Enfin, nous sommes face à un problème démocratique. La Commission veut scinder l'accord, au mépris des parlements nationaux et du mandat de négociation. Ce serait inquiétant pour l'avenir de l'Europe si la confiance était ainsi bafouée d'un revers de main. En 2019, le communiqué de la Commission promettait un partenariat stratégique « respectant l'environnement et préservant les intérêts des consommateurs et des secteurs économiques sensibles de l'Union européenne ». Nous en sommes loin.
Quelle sera notre force de frappe ? La France n'est pas isolée et pourrait rassembler une minorité de blocage. Mais les récentes décisions du Parlement européen reportant d'un an le règlement sur la déforestation ne sont pas un bon signe. La France doit rester vigilante face aux arrangements entre faux amis et continuer le combat pour que cet accord, en l'état, ne voit pas le jour.
Nous resterons attentifs à un accord équilibré, où la variable d'ajustement ne serait pas uniquement l'agriculture française. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST, ainsi que sur quelques travées du RDPI)
M. Christopher Szczurek . - Ce débat tombe à point nommé, alors que rebondit la légitime colère de nos agriculteurs et que le projet de loi agricole ne suscite aucun espoir. Comme l'Assemblée nationale, nous refuserons d'approuver en l'état l'accord avec le Mercosur. Sous la pression populaire, le Gouvernement veut l'appui du Parlement pour négocier de meilleures garanties pour notre agriculture.
Au fond, tout cela est symptomatique de l'obsolescence d'un système de libre-échange purement comptable, qui a ravagé l'environnement et nos économies, pour surseoir temporairement à l'agonie de l'industrie allemande.
Les négociations avaient commencé il y a 25 ans. La planète comme nos compatriotes demandent que cesse cette logique mortifère.
Hier, on citait Audiard ; je citerai les Inconnus - n'y voyez aucune défiance générationnelle. La différence entre un bon et un mauvais traité de libre-échange est à peu près la même qu'entre un bon et un mauvais chasseur... L'un comme l'autre revient à vendre à des chômeurs des biens produits par des esclaves.
L'opposition française ne peut être seulement technique et se contenter de réclamer des clauses miroirs. C'est l'ensemble d'une logique économique et commerciale qu'il faut repenser.
À quoi sert ce débat ? Pour certains, à se dédouaner de leur responsabilité, car ils ont validé la compétence exclusive de l'Union européenne sur les négociations commerciales. La voix de la France ne compte plus.
Le Rassemblement national est constant dans son opposition à cette construction européenne faite contre les peuples, contre l'Europe.
Si nous voterons à l'unisson du Parlement, nous attendons que l'intérêt de la France et des Français prévale enfin.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt . - Je note avec satisfaction l'unanimité en faveur de la déclaration du Gouvernement posant le principe d'une opposition à ce projet d'accord avec le Mercosur. En dépit de nos différences, je veux vous en remercier.
M. Darnaud rappelait l'unanimité du Sénat contre ce projet d'accord ; 67 % des Français sont contre. L'incompréhension du monde agricole est totale, alors qu'il s'est plié aux politiques de verdissement.
Monsieur Marie, je crois à la capacité de régulation de l'Union européenne : elle a évolué vers le concept de souveraineté alimentaire qui encadre la libre concurrence, longtemps sa seule religion.
M. Menonville a souligné à juste titre l'obsolescence de cet accord, et fait une distinction utile entre protection et protectionnisme. Beaucoup ont dénoncé l'absence de transparence dans les négociations. Que nous n'ayons pas le détail de cet accord, que les parlements ne puissent se prononcer, que l'accord puisse être scindé en deux, c'est une forme de déni démocratique. Cette opacité a aussi été dénoncée par M. Gay.
Monsieur Jadot dit qu'il n'est pas trop tard. J'aime votre optimisme.
M. Yannick Jadot. - Ce n'est pas gagné !
Mme Annie Genevard, ministre. - La position de la France, à la quasi-unanimité du Parlement, a un poids politique - je l'ai constaté en Pologne.
S'agissant des attaques contre les locaux de l'OFB, j'ai été très claire : tolérance zéro contre les violences aux personnes et aux biens. Les organisations syndicales y ont vu, à tort, une mise en cause de la légitimité de leurs manifestations. Il faut rétablir la confiance entre l'OFB et les agriculteurs. Les inspections de l'agriculture et de l'environnement ont été missionnées pour y travailler. Je m'appuierai sur le rapport de MM. Longeot et Bacci.
Sur la souveraineté alimentaire, monsieur Darnaud, vous avez appelé à sortir de la naïveté, à raison. L'agriculture est un secteur essentiel, qui occupe une place centrale, sur le plan économique, environnemental, patrimonial. Elle ne peut être l'objet d'un marchandage.
M. Menonville a raison de contester le principe de compensation : on ne compense pas la perte de productions ou d'exploitations agricoles.
Monsieur Patriat, notre agriculture est effectivement notre fierté. Vous avez démontré l'effet d'une importation de viande bovine concentrée sur certains morceaux. Il y a un effet cumulatif des accords de libre-échange qui fragilise notre souveraineté.
En effet, monsieur Jadot, cet accord, tel que présenté par la Commission, c'est la disparition ici de fermes et là-bas de forêts, mais aussi, comme le disait M. Cabanel, d'exploitations. Or le modèle d'agriculture familiale est notre patrimoine agricole.
Vous avez également insisté sur les risques sanitaires contrevenant à la politique européenne.
M. Menonville a rappelé que les garanties environnementales avaient été imposées à nos agriculteurs, parfois à marche forcée. Nous avons besoin de davantage de contrôle.
Monsieur Marie, nous ne vous demandons pas un soutien au Gouvernement.
M. Didier Marie. - Nous en prenons acte.
Mme Annie Genevard, ministre. - Nous demandons un soutien aux agriculteurs, à nos territoires, à nos systèmes de production. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; MM. Bernard Buis et Henri Cabanel applaudissent également.)
Cette unanimité est une force. Contrairement à vous, monsieur Szczurek, j'estime que ce débat n'est pas inutile. Il servira, profondément. Nous sommes convaincus que notre agriculture a un bel avenir - qui ne passe pas par un accord tel que celui qui nous est proposé. Pas au prix du sacrifice de nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Bernard Buis et Mme Mireille Conte Jaubert applaudissent également.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe . - Je salue l'unanimité sur ces bancs pour rejeter l'accord tel qu'il est proposé. C'est un message fort adressé à nos homologues, un message de soutien à nos agriculteurs, dont la colère est légitime. Ce message sera entendu dans les autres parlements, et au Parlement européen, n'en doutez pas - l'évolution des positions chez certains de nos voisins en témoigne.
J'ai entendu votre opposition sur le fond de cet accord, qui ne respecte pas la réciprocité des normes environnementales, les clauses miroirs, l'équité commerciale - mais aussi sur la forme, avec une possible scission visant à contourner les parlements nationaux. C'est pourquoi ce débat est important.
Vous avez rappelé le contexte géopolitique, la concurrence accrue de la Chine et des États-Unis qui redoublent de protectionnisme. Nous ne pouvons être les derniers naïfs à ne pas défendre nos intérêts.
Le Gouvernement continuera à se mobiliser auprès de nos homologues pour faire bouger les lignes. Le vote unanime de ce jour sera un message fort.
Je rappelle l'importance de la diplomatie parlementaire : transmettez des messages à vos homologues, à vos partenaires, aux députés européens, portez la parole de la France ! Votre voix pèsera dans les débats. C'est tous ensemble que nous pourrons porter la parole de la France et refuser l'accord tel qu'il est proposé par la Commission. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP ; M. Bernard Buis applaudit également.)
À la demande du Gouvernement, la déclaration du Gouvernement est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°91 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l'adoption | 338 |
Contre | 1 |
La déclaration est adoptée.
La séance est suspendue quelques instants.