Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et du temps de parole.
Meurtre de Louise et hyperviolence des jeunes
Mme Marie-Do Aeschlimann . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Franck Menonville et Daniel Fargeot applaudissent également.) Monsieur le ministre de la justice, la petite Louise avait 11 ans et toute la vie devant elle. Elle a été sauvagement assassinée. J'adresse mes sincères condoléances à sa famille, ses proches et ses camarades. Avec mon collègue Jean-Raymond Hugonet, sénateur de l'Essonne, je partage leur douleur.
Il y a trois semaines, c'est Élias, 14 ans, qui était poignardé à mort à Paris.
La jeunesse est insouciante et vulnérable : nous avons le devoir de la protéger. Or ces tragédies ne sont pas de simples faits divers, mais un fait de société qui appelle une réponse politique forte. En 2023, 100 000 mineurs ont été victimes de violences physiques. Le danger est au coin de la rue, à 500 mètres de la maison, en rentrant du sport et même dans la cour de récréation. Je pense au lycéen de Bagneux, dans mon département, les Hauts-de-Seine, poignardé la semaine dernière et qui a heureusement survécu.
Aucun parent ne devrait regarder son enfant s'éloigner de sa maison en craignant pour son intégrité. Certains parents recourent à des applications de géolocalisation pour surveiller leur enfant... Une violence débridée déferle au sein même des écoles, qui devraient être des sanctuaires dédiés à l'instruction.
Une autre jeunesse est en proie à la violence, a perdu ses repères et ne connaît aucune limite. Il y a urgence à ce que la loi change pour prévenir et réprimer plus efficacement la violence. Il faut supprimer l'excuse de minorité, prévoir des sanctions plus adaptées et plus rapides et les faire appliquer.
Comment comptez-vous rétablir l'autorité à tous les étages ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe UC ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - En restant à ma modeste place, je vous remercie, monsieur le président du Sénat, pour le moment de recueillement auquel vous nous avez invités. Les drames de Louise et d'Élias nous touchent tous.
Le ministre de l'intérieur et moi-même sommes tout à fait convaincus de vos constats. Comme ministre des victimes, j'exprime notre compassion devant l'effondrement que représente la perte d'un enfant dans ces conditions.
La jeune Louise a été assassinée par une personne qui, manifestement - l'enquête le confirmera -, n'a pas l'âge d'être pénalement responsable et n'a pas d'antécédents judiciaires, du moins de cette nature. Au contraire, le jeune Élias a été assassiné par des mineurs dont le parcours aurait dû nous alerter collectivement.
Sans doute faut-il un texte de loi qui prévoie une réponse plus dure dès les premières infractions, pour éviter que les délits ne deviennent des crimes. L'éducation passe avant tout par une première sanction immédiate. Je refuse la culture de l'excuse.
Sous l'autorité du Premier ministre, le ministre de l'intérieur et moi-même accueillons la proposition de loi de Gabriel Attal avec la volonté de l'enrichir davantage encore sur le plan de la fermeté. Car fermeté et éducation vont ensemble : c'est le moyen de lutter contre la double augmentation de la violence des mineurs et de la violence contre les mineurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur certaines travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
Calendrier de mise en oeuvre des mesures du Ciom
M. Dominique Théophile . - Le 18 juillet 2023, la Première ministre Élisabeth Borne réunissait le Comité interministériel des outre-mer (Ciom) en vue d'une refondation ambitieuse des politiques publiques en faveur de nos territoires : 72 mesures ont été annoncées, centrées sur des piliers essentiels, dont la compensation de l'éloignement et la modernisation de la fiscalité. Un dialogue approfondi avec les élus et les acteurs économiques devait en garantir l'ancrage local.
Près d'un an et demi plus tard, la mise en oeuvre de ces engagements semble souffrir d'un manque de lisibilité. Il faut dire que la succession de quatre ministres en moins de dix-huit mois n'est pas propice à une action crédible et suivie.
Vie chère, compétitivité, continuité territoriale : nos compatriotes ultramarins attendent des avancées concrètes et durables. Par ailleurs, alors que le Président de la République évoque la possibilité de référendums cette année, certains de nos territoires s'interrogent sur leur avenir institutionnel ; peut-être y a-t-il là matière à consultation.
Monsieur le ministre, pouvez-vous préciser le calendrier de mise en oeuvre des mesures du Ciom ? Comment comptez-vous aborder les aspirations institutionnelles émergentes ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Catherine Conconne applaudit également.)
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer . - Oui, les difficultés rencontrées par nos compatriotes ultramarins sont nombreuses. Il est urgent de leur apporter des réponses fortes, mais aussi suivies dans la durée, à la faveur d'une action pugnace.
Parmi les urgences, il y a bien sûr Mayotte, mais aussi la Nouvelle-Calédonie où je me rendrai dans quelques jours. Je pense également aux enjeux liés à la vie chère.
Le Ciom ne doit pas être un acronyme creux. Celui de 2023 a marqué un temps fort, avec 72 mesures, dont 32 mises en oeuvre. C'est trop peu et beaucoup trop lent. Nous devons accélérer. C'est aussi le sens de la décision du Premier ministre d'élever mon ministère au rang de ministère d'État. Je suis déterminé à agir et ne lâcherai rien.
Le Ciom se réunira à nouveau au deuxième trimestre de cette année. Dans la concertation et sans tabou, nous aborderons l'ensemble des questions économiques, sociales, sécuritaires et éducatives, mais aussi institutionnelles. Nous devons répondre à un éloignement qui s'est parfois créé entre ces territoires et l'État. Le mot « mépris » est parfois prononcé. Le Ciom doit servir, notamment, à réduire cette distance. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Vingt ans de la loi Handicap (I)
Mme Laure Darcos . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Je m'associe, avec mes collègues de l'Essonne, aux mots du Président au sujet de la jeune Louise.
Nous commémorions hier les vingt ans de la loi Handicap, voulue par le président Chirac. Le regard sur le handicap a changé, mais il reste beaucoup à faire pour parvenir à une société réellement inclusive. Nous avons tous mesuré la ferveur entourant les athlètes des jeux Paralympiques - mais loin des podiums, la réalité est tout autre.
Ainsi, malgré la création de postes d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), nombre d'enfants atteints de handicap ne trouvent toujours pas leur place à l'école. Par ailleurs, le taux de chômage des personnes en situation de handicap reste bien trop élevé et les formations adaptées, trop rares. Un tiers des gares et la moitié des établissements recevant du public ne sont toujours pas accessibles.
S'agissant du droit à compensation, tout reste à faire, en raison du non-recours, des restes à charge élevés, de la complexité des démarches et de la sous-évaluation des besoins. L'État se désengage des fonds de compensation : en Essonne, son soutien se réduit de 4 à 5 % par an. Les départements, compétents en matière de handicap, ne pourront assumer ces compensations en plus de financer les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
L'accessibilité universelle reste un horizon lointain, trop lointain. Comment comptez-vous obtenir des résultats tangibles pour que, vingt ans après, chaque personne handicapée puisse exercer l'intégralité de ses droits et se sentir pleinement citoyenne ? Comment assurer l'équité sur tout le territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC ; Mmes Marie-Pierre Monier et Marie-Arlette Carlotti applaudissent également.)
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles . - Mes pensées vont à la famille, aux proches et aux camarades de la jeune Louise, qui habitait votre département.
Vingt ans après la loi voulue par Jacques Chirac, je ne parlerai pas d'anniversaire, mais de rendez-vous. Le président Chirac voulait l'inclusion des personnes handicapées dans leur vie personnelle comme dans leur vie professionnelle.
Comme vous, je parlerai d'abord de l'école. En vingt ans, nous avons multiplié par quatre le nombre d'enfants en situation de handicap scolarisés, qui atteint 550 000. Il y a un an, vous adoptiez la proposition de loi d'initiative sénatoriale visant la prise en charge de l'accompagnement des élèves en situation de handicap sur le temps de pause méridienne. Nous devons progresser pour répondre toujours mieux aux besoins des familles.
Dans l'enseignement supérieur, le nombre d'étudiants en situation de handicap a été multiplié par neuf. Là aussi, les efforts doivent être poursuivis, car la formation est la voie vers l'autonomie.
J'aborderai les autres sujets en réponse aux questions ultérieures. (MM. François Patriat et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent.)
Soutien aux entreprises françaises de l'IA
M. Bernard Fialaire . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe UC) Le sommet de Paris sur l'intelligence artificielle est une réussite. La France réussit toujours l'organisation des grandes manifestations internationales, à l'instar des jeux Olympiques - mais nous n'avons pas eu le record des médailles pour autant...
Dans l'IA aussi, nous avons nos Léon Marchand, Teddy Riner et Antoine Dupont : Mistral, LightOn, Owkin... Certains de nos athlètes français ont été soutenus par nos administrations et nos entreprises publiques. Que comptez-vous faire pour que celles-ci privilégient nos entreprises de l'IA plutôt que le recours aux Gafam, solution de facilité ?
Si le Quatar a investi dans le PSG, les Émirats arabes unis investissent avec le Canada dans l'intelligence artificielle en France. Nous sommes les champions de l'épargne : ne pourrait-on mobiliser aussi notre épargne privée pour soutenir nos entreprises émergentes ?
Aux jeux Olympiques de Paris, les nations européennes réunies ont eu plus de médailles que les États-Unis et la Chine. N'est-ce pas là l'échelle pertinente pour envisager cette industrie nouvelle, dans le respect de notre éthique ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique . - Je vous remercie d'avoir salué le succès du sommet pour l'action sur l'IA. La France a été pendant quelques jours la capitale de l'IA, mais nous avons bien l'intention de rester une grande puissance dans ce domaine.
La semaine dernière, le Premier ministre a présidé une réunion interministérielle visant à accélérer sur l'IA. Nous avons déjà des champions : mille entreprises françaises sont dans la course mondiale. Pour les financer, je réfléchis avec le ministre de l'économie aux moyens de mobiliser notre épargne et de continuer à attirer les investissements étrangers. L'investissement de 109 milliards d'euros est déjà prévu pour créer les infrastructures nécessaires au développement de l'IA en France.
Le financement, c'est bien, mais les contrats, c'est mieux. (Marques d'ironie sur quelques travées) Avec Laurent Marcangeli, j'ai présenté notre stratégie de soutien à nos entreprises par les contrats publics. Quand France Travail choisit de travailler avec Mistral, c'est parce que Mistral offre la solution la plus performante et parce que c'est un choix stratégique. Nous entendons impliquer tous les ministères dans l'utilisation d'une IA française et européenne. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Anne-Sophie Patru et M. Jean-François Husson applaudissent également.)
Vingt ans de la loi Handicap (II)
Mme Annie Le Houerou . - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SER) Vingt ans après la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, les 12 millions de personnes en situation de handicap et leurs proches nous font part de l'écart abyssal entre l'ambition de ce texte et sa mise en oeuvre, en dépit des nombreux progrès réalisés.
La Défenseure des droits confirme que l'accès des personnes en situation de handicap à leurs droits est le premier motif de sa saisine.
Les MDPH, guichet unique créé en 2005, ne parviennent pas à faire face au flux croissant des demandes légitimes : le nombre de demandes concernant des enfants a augmenté de 40 % entre 2015 et 2022. Je salue l'engagement des personnels de ces structures, mais la majorité d'entre elles manquent de moyens humains. Elles sont placées sous la tutelle des départements, mais ceux-ci sont exsangues et privés d'autonomie fiscale ; ils ne sauraient être les boucs émissaires des carences d'un État qui n'assure pas la solidarité nationale et l'égalité territoriale.
La politique du handicap doit rester une politique de proximité, qui assure les prestations individuelles de compensation au plus près des besoins. Le parcours du combattant de l'accès aux soins est source de frais supplémentaires, et la reconnaissance médicale et le suivi sont autant d'obstacles à franchir.
Quelle réforme structurelle envisagez-vous pour donner aux MDPH les moyens de répondre aux besoins avec humanité ? Comment comptez-vous verser aux départements les compensations auxquelles ils ont droit ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K et du GEST)
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles . - Vous avez rendu hommage à juste titre au travail des MDPH et de leurs personnels.
Je rappelle que chaque département détermine sa stratégie en matière d'accueil et d'accompagnement des personnes en situation de handicap. Des échanges d'expériences ont lieu au sein de Départements de France.
Dans l'un des départements bretons, j'ai constaté il y a quelques mois que les délais de traitement des dossiers avaient pu être considérablement réduits, à la suite d'un choix du président du conseil départemental.
M. Michel Canévet. - Dans le Finistère ! (Sourires)
Mme Catherine Vautrin, ministre. - Le PLFSS actuellement en discussion prévoit un effort extrêmement important : 270 millions d'euros, au lieu des 200 millions d'euros prévus annuellement dans le cadre du plan « 50 000 solutions ». Quant au budget consacré au handicap, il est en hausse de 650 millions d'euros.
Sous la présidence du Premier ministre, un comité interministériel du handicap se tiendra le 6 mars prochain, avec bien sûr Charlotte Parmentier-Lecocq. (MM. François Patriat et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent.)
Mme Annie Le Houerou. - L'accessibilité universelle nécessite une mobilisation générale. Ce sursaut doit être impulsé et financé par l'État ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K et du GEST)
Vingt ans de la loi Handicap (III)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) La diversité est une richesse et l'égalité, un principe fondamental : elle doit être effective pour toutes et tous, dans tous les domaines - logement, éducation, engagement citoyen, emploi.
C'est ce que nous aurions dû fêter hier, à l'occasion des vingt ans de la loi Handicap. Cette loi, après celle de 1975, avait créé un immense espoir pour les personnes en situation de handicap, le monde associatif et les aidants.
Certes, des avancées ont eu lieu ces dernières années ; mais elles sont, reconnaissons-le, bien en deçà des objectifs de 2005.
Vous avez annoncé la gratuité des fauteuils roulants : c'est une avancée notable pour les personnes modestes. Mais beaucoup reste à faire, et c'est un choix politique et financier. Or les signes ne sont pas encourageants lorsque vous amputez le budget de l'association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) de 50 millions d'euros.
Les départements font face à une explosion de leurs dépenses sociales obligatoires : aide sociale à l'enfance (ASE), prestation de compensation du handicap (PCH), allocation aux adultes handicapés (AAH). Vous placez les présidents de département face à des choix cornéliens : ils doivent arbitrer entre des politiques de solidarité, c'est inacceptable !
Comment comptez-vous mettre un terme au sous-financement chronique de l'État vis-à-vis des collectivités territoriales ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles . - Effectivement, la diversité est une richesse. Permettez-moi de citer le président Chirac : « La force d'une nation, c'est sa cohésion ; son moteur, c'est l'égalité des chances », disait-il à Troyes. Cela doit nous guider.
Vous m'interpellez sur l'AAH. Dans le budget de 2025, ses crédits s'élèvent à 1,35 milliard d'euros, soit une augmentation importante. La déconjugalisation était réclamée depuis longtemps : c'est désormais chose faite.
C'est vrai, beaucoup reste à faire. Un anniversaire comme celui-ci permet de mesurer le chemin parcouru et celui qui reste à parcourir.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale permettra de mieux accompagner les personnes en situation de handicap. Le taux de chômage des personnes handicapées s'élève à 12 % : c'est quatre points de plus que la moyenne, mais six points de moins qu'en 2005.
Continuons ensemble : nous pouvons nous retrouver de manière transpartisane sur de tels sujets. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC)
Seuil de TVA applicable aux autoentrepreneurs
M. Jean Hingray . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) « Ma petite entreprise ne connaît pas la crise », chantait Bashung... Et pour cause : c'était avant la baisse du seuil de la franchise de TVA pour les autoentrepreneurs ! (Sourires)
Cette décision pose problème, sur le fond comme la forme.
Sur le fond, nombre d'autoentrepreneurs n'y survivront pas ou basculeront dans le travail dissimulé. Bercy attendait 800 millions d'euros de recettes, mais parle maintenant de 400 millions d'euros : aurait-elle anticipé la fraude ? La ministre du commerce a annoncé hier à l'Assemblée nationale une étude d'impact : n'est-ce pas désavouer les prévisions ?
Sur la forme, l'amendement adopté au Sénat un dimanche après-midi au milieu d'une batterie de secondes délibérations n'a jamais été vraiment débattu ; il n'a été supprimé ni en CMP ni lors du 49.3.
Pour couronner le tout, nous apprenons à la télévision que vous voulez suspendre cette décision. Avec quelle légitimité démocratique ? De quelle manière, techniquement ? Par un projet de loi de finances rectificative ? En soutenant la proposition de loi de La France insoumise à l'Assemblée nationale ? (Sourires)
Plus globalement, allez-vous mener une étude approfondie de la fiscalité des autoentrepreneurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et INDEP)
M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique . - La franchise de TVA, introduite à l'article 10 du projet de loi de finances le 1er décembre dernier, concerne 2 millions d'entreprises. Elle ne remet pas en cause le régime fiscal des autoentrepreneurs ni les avantages sociaux associés, mais elle n'a pas fait l'objet d'un débat suffisant ; nous avons donc décidé, avec la ministre Véronique Louwagie, de nous donner le temps de la concertation.
Attention : cette mesure avait été demandée par les entrepreneurs du bâtiment, estimant souffrir de concurrence déloyale (M. Yannick Jadot s'exclame). Il s'agissait d'un rééquilibrage entre professionnels. (M. Jean Hingray hoche la tête en signe d'assentiment.)
Qu'allons-nous faire ? Procéder aux concertations d'ici la fin du mois, afin de trouver un point d'équilibre par voie réglementaire ou législative.
Nous sommes attachés aux 3 millions de microentreprises qui contribuent à notre croissance et donnent un avenir à nombre d'entrepreneurs.
Position de la France sur la régulation de l'IA
Mme Ghislaine Senée . - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) Pas moins de 485 milliards d'euros par-ci, 200 milliards par-là, 109 milliards ici : bienvenue dans le monde miraculeux de l'IA et de celui qui a la plus grosse... enveloppe. (Murmures)
Ces derniers jours, les discours et cette pluie éhontée de milliards cherchent à présenter l'IA comme la solution à l'ensemble de nos problèmes, le nouvel eldorado des investisseurs, le summum du technosolutionnisme. Mais dans la vraie vie, comme l'épisode DeepSeek le montre, c'est une bulle : peu de certitudes sur les résultats, mais déjà beaucoup de contraintes. Son coût est énorme : coût social demain, coût humain dès aujourd'hui, car reposant sur l'extraction minière, à l'origine des 3 000 morts au moins au Nord-Kivu.
Elle met en danger notre santé mentale, la propriété intellectuelle, nos principes fondamentaux et la démocratie. Seule l'Union européenne propose une régulation via cinq textes, dont l'AI Act, déjà attaqué.
Le président Macron, thuriféraire de la start-up nation, a mis en scène hier la signature d'une déclaration pour une « IA éthique, inclusive, ouverte et durable » - le fameux « en même temps » !
Madame la ministre, vous nous parlez performance et accélération. Confirmez-vous le soutien sans faille de la France à l'AI Act et sa résistance aux pressions des géants de la tech ? Soutiendra-t-elle le leadership européen face à la vague d'illibéralisme et de dérégulation outrancière ? (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique . - La semaine dernière, dans cet hémicycle, nous entendions que les États-Unis avaient gagné la course en mettant 500 milliards euros sur la table. Aujourd'hui, on dit que 109 milliards, c'est trop. Un peu de cohérence !
Arrêtons le pessimisme et embrassons cette technologie utilisée par les médecins pour accélérer la recherche contre le cancer, par les chercheurs pour mettre au point de nouveaux matériaux qui remplacent le plastique : c'est important pour l'environnement.
M. Thierry Cozic. - Ce n'est pas la question !
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. - Il faut donc être au rendez-vous.
M. François Patriat. - Très bien !
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. - Vous parlez d'éthique. Hier, sous le leadership français, soixante pays se sont engagés pour une IA éthique, inclusive et durable. (On ironise sur les travées du groupe SER.) C'est fondamental. Cette technologie ne doit pas se développer uniquement aux mains de certaines entreprises.
L'Union européenne a une réglementation ambitieuse. Ceux qui le regrettent se trompent. La réglementation européenne, c'est un marché unique, 27 pays avec les mêmes règles. L'IA n'est ni bonne ni mauvaise, ce sont ses usages qui le sont.
M. Fabien Gay. - Et Musk ?
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. - Nous ne voulons pas d'une IA qui note les individus, utilise les émotions. Voilà notre vision. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. Jean-François Husson. - Très bien !
Avenir du site de Saint-Avold
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains) J'associe à ma question les plus de 450 maires et conseillers régionaux et départementaux qui ont cosigné ma démarche. À moins de trois mois d'une échéance fatidique, les salariés de Saint-Avold continuent de se battre. Le Président de la République s'était engagé à convertir les centrales à charbon dans le cadre d'une transition énergétique plus juste.
Un projet de conversion au biogaz a été proposé par l'exploitant du site et un projet important d'intérêt européen commun (Piiec) d'hydrogène vert, reconnu d'intérêt commun par la Commission européenne, va faire l'objet d'un financement à hauteur de 20 millions d'euros. Mais sans soutien de l'État, un pan entier de l'économie locale risque de s'effondrer dans quelques semaines.
Notre souveraineté énergétique est un enjeu majeur. Avec mes collègues de Moselle, nous avons déposé une proposition de loi transpartisane sécurisant l'avenir du site et de ses salariés. Je sollicite le soutien du Gouvernement. Tiendrez-vous les engagements de l'État en faveur de la transition du site ? Des centaines de familles sont dans l'expectative ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique . - Je salue l'engagement de l'ensemble des élus mosellans et des salariés de la centrale de Saint-Avold, une des deux dernières centrales à charbon devant fermer avant 2027.
Le Président de la République s'était engagé à la transformer en centrale à biomasse d'ici à 2023, mais l'étude menée avec GazelEnergie a révélé que c'était trop complexe. L'engagement pris sera tenu grâce à d'autres évolutions.
On ne peut transformer la centrale vers le biogaz à droit constant. Un amendement en loi de finances a été rejeté, mais une proposition transpartisane a été déposée. Sous le contrôle de Patrick Mignola, ministre chargé des relations avec le Parlement, je vous assure que nous trouverons très vite un moment pour qu'elle soit débattue.
Mme Catherine Belrhiti. - J'espère que nous aurons rapidement l'occasion d'y travailler ensemble. Les salariés comptent sur vous ! (M. Jean-François Husson renchérit ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Intelligence artificielle et éducation
M. David Ros . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER.) À l'instar de mes collègues de l'Essonne, j'adresse mon profond soutien à la famille de Louise.
Depuis l'ouverture du sommet sur l'IA, les annonces présidentielles soufflent en bourrasque. Le Président de la République veut que le navire France rattrape son retard face aux États-Unis et à la Chine.
Je ne vous interrogerai pas sur les enjeux de souveraineté nationale associés aux 109 milliards d'euros d'investissements annoncés, ni sur les enjeux démocratiques que représente la collecte de données sur des serveurs contrôlés par de grandes entreprises capitalistes. Un rapport remarquable de Patrick Chaize et Corinne Narassiguin pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) y répond.
En revanche, quel rôle jouera le porte-avions Éducation nationale ? Madame la ministre, vous avez annoncé la présentation d'une stratégie globale d'ici fin mars ; quelles orientations pour le primaire, le collège et le lycée, sur la maîtrise des usages, la compréhension du fonctionnement de l'IA et les risques éthiques ? N'est-ce pas l'occasion de doter les futures générations d'esprit critique et de culture scientifique, dans un monde balayé par des tourbillons d'informations ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche . - L'IA est une révolution qui touche dès à présent notre société, notamment la manière d'enseigner et d'apprendre. Presque tous les étudiants et lycéens l'utilisent, de nombreux collégiens aussi - mais seulement 20 % des professeurs. Chacun doit pouvoir s'en saisir, pour en maîtriser les atouts, tout en en mesurant les biais et les limites.
Dès la prochaine rentrée, les élèves du second degré pourront être formés à la maîtrise du prompting et mesurer les biais de l'IA.
Nous proposerons aussi des formations aux enseignants, soit en ligne, soit via le catalogue de formation continue du ministère.
Nous travaillerons enfin à un partenariat d'innovation pour développer une IA souveraine et évolutive, afin d'améliorer les pratiques pédagogiques de nos enseignants. Nous voulons faire de l'IA une opportunité pour tous et pour toutes - car les filles s'orientent moins vers les filières scientifiques. (M. François Patriat applaudit.)
M. David Ros. - Jean de la Fontaine n'a-t-il pas dit : « Le vent redouble ses efforts/ Et fait si bien qu'il déracine/ Celui de qui la tête au Ciel était voisine/ Et dont les pieds touchaient à l'Empire des Morts » ? Soyons vigilants en impulsant un souffle nouveau dans le ciel de l'IA, qui se faufilerait à pas de chat, tel un mistral gagnant. (On apprécie sur diverses travées ; applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mariages blancs
M. André Reichardt . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Encore un maire convoqué par la justice pour une décision prise dans l'exercice de ses fonctions : il encourt cinq ans de prison, 75 000 euros d'amendes et une peine complémentaire d'inéligibilité. Son crime ? Avoir refusé de marier un étranger en situation irrégulière faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). (Murmures à gauche)
Certes, en tant qu'officier d'état civil, il n'a pas le pouvoir de refuser un tel mariage, et la liberté de contracter mariage n'est pas conditionnée à la régularité du séjour, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais n'est-ce pas le monde à l'envers ? C'est la personne hors la loi qui fait un procès au maire ?
Que pensent les Français d'une telle situation ? Ne faut-il pas modifier d'urgence le cadre législatif ? Les maires n'ont-ils pas droit à une juste protection ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - Ayant été maire, comme beaucoup ici, j'ai souvent constaté que le consentement n'était pas libre ou que le mariage était frauduleux. J'adressais au procureur de la République un certain nombre d'interpellations, pas toujours suivies d'effet à l'époque...
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - À l'époque ! (Mme Jocelyne Guidez renchérit.)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Mais je n'ai jamais été dans la situation du maire de Béziers. Il ne m'appartient pas de commenter une affaire de justice. Néanmoins, je peux vous dire que je donnerai un avis favorable à la proposition de loi de Stéphane Demilly portant sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est inconstitutionnel !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Le débat doit avoir lieu : je ne doute pas que votre assemblée trouvera un moyen de la rendre constitutionnelle. En l'absence de réponse du procureur, on donnerait alors raison au maire, et non l'inverse, comme c'est le cas aujourd'hui. La liste des pièces à fournir à l'officier d'état civil pourrait en outre inclure un titre prouvant la régularité du séjour, avec possibilité de recours en cas de refus de présentation.
M. Hussein Bourgi. - Donnez des moyens aux préfectures !
M. le président. - Silence !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Le mariage est un droit, pas un passe-droit : voilà ce que pensent nos concitoyens. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI ; Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'exclame.)
M. André Reichardt. - Même si les maires concernés avaient saisi le procureur de la République, cela n'aurait rien changé. L'irrégularité du séjour n'est pas un motif suffisant pour s'opposer à un mariage. (On ironise sur les travées du GEST.) Il faut changer la loi.
Je suis juriste...
Mme Laurence Rossignol. - On ne dirait pas !
M. André Reichardt. - Pourtant, j'ai du mal à suivre parfois. Alors, peut-on reprocher aux maires de ne pas tout comprendre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe INDEP)
Impact de la hausse des cotisations CNRACL
M. François Bonneau . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Imaginez une cuve qui convient parfaitement aux besoins de ses utilisateurs et que l'on vient subrepticement siphonner. Elle se tarit. Alors ceux qui l'ont asséchée demandent à ses utilisateurs de la remplir à nouveau. Telle est la fable de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Depuis des années, elle contribuait à la solidarité nationale - près de 100 milliards d'euros prélevés, sans aucune contrepartie. Et maintenant, pour la renflouer, l'État vient pomper dans les caisses des mairies, des collectivités et des hôpitaux, dans des proportions insensées.
Le taux maximal applicable à l'employeur doit grimper jusqu'à 43,65 % en quatre ans. La ville de Cognac, en Charente, a une masse salariale de 6 millions d'euros : sa cotisation augmentera de 200 000 euros, soit 800 000 euros au bout de quatre ans.
Les élus, démotivés, sont accablés sous les charges. La raison commande de ne pas dépasser le taux plafond du privé, de 28 %. La compensation de cette perte de recettes pourrait prendre la forme d'une fraction de CSG pour renflouer la caisse.
Allez-vous réduire le taux de cotisation à la CNRACL pour les collectivités et les hôpitaux et équilibrer la caisse en y affectant d'autres sources de financement ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville . - Vous connaissez la situation du régime de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Le déficit de la CNRACL est de 2,5 milliards d'euros en 2023 ; ce sera de 11 milliards en 2030 si rien n'est fait.
Vous savez que le financement de cette caisse repose exclusivement sur les cotisations de ses membres. Le déséquilibre est dû à la dégradation de la pyramide des âges et du ratio démographique. En outre, le recours croissant au personnel contractuel, non assujetti à cotisation, contribue au déficit.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Et alors ?
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Afin d'apporter une première réponse, le Gouvernement a décidé le 30 janvier dernier d'augmenter de trois points par an pendant quatre ans le taux de cotisation des employeurs de ce régime. Nous mesurons l'effort demandé, mais il est moins brutal que ce qui était prévu précédemment, conformément au souhait du Premier ministre. (Murmures) Pour autant, nous ne perdons pas de vue les autres pistes.
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Plusieurs mesures sont à l'étude. Le Gouvernement a saisi en novembre 2023 les inspections générales des finances, des affaires sociales et de l'administration, dont les propositions feront l'objet d'une concertation sans tabou, avec vous et avec les employeurs territoriaux et hospitaliers. (M. François Patriat applaudit.)
Situation sécuritaire à Saint-Martin
Mme Annick Petrus . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur Retailleau (Marques d'approbation sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Estrosi Sassone applaudit),...
M. Yannick Jadot. - Retailleau président !
Mme Annick Petrus. - ... la criminalité à Saint-Martin est cinq fois plus élevée que dans l'Hexagone. L'île est confrontée à une insécurité croissante : fusillades, braquages, agressions... La population s'inquiète et l'image de notre territoire se détériore. Encore deux agressions par arme à feu la nuit dernière !
Malgré une gendarmerie pleinement engagée, la montée de la violence dépasse ses capacités opérationnelles. Saint-Martin subit une criminalité importée, sous l'effet du narcotrafic et du trafic d'armes, qui transite par la Caraïbe. Les défaillances judiciaires et la réponse pénale insuffisante assoient un sentiment d'impunité.
La vidéosurveillance pourrait être un outil supplémentaire. Mais, depuis Irma, les dispositifs ont été détruits et on attend encore de passer des marchés.
Comment l'État compte-t-il enrayer cette dynamique ? Envisagez-vous un renforcement de la coopération sécuritaire et judiciaire avec les voisins les plus proches de la Caraïbe ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - Je partage absolument votre constat sur la dégradation du climat sécuritaire dans votre chère île de Saint-Martin.
Concrètement, d'abord, nous nommerons un préfet de plein exercice - il ne l'était pas auparavant - qui aura la lutte contre l'insécurité pour mission prioritaire et dont le ressort géographique s'étendra jusqu'à Saint-Barthélemy.
Ensuite, la gendarmerie nationale renforcera sa présence sur la voie publique, notamment sur les quatre points de passage avec la frontière néerlandaise de l'île, afin d'interpeller les fuyards - comme dans l'affaire récente du touriste américain blessé par balle au thorax.
Enfin, un troisième escadron de gendarmes mobiles renforcera le dispositif sécuritaire, avec l'appui ponctuel du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) de Guadeloupe.
Par ailleurs, on obtient des résultats quand il y a un continuum entre le ministère de la justice, les collectivités territoriales avec la vidéosurveillance et le ministère de l'intérieur. C'est pourquoi je me félicite du climat de coopération qui règne entre le garde des sceaux et moi-même.
Le narcotrafic est un facteur fondamental, en outre-mer comme en métropole : je félicite l'ensemble des sénateurs qui ont donné une formidable victoire à la République en votant la proposition de loi sur la lutte contre le narcotrafic, votre texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC ; M. Bernard Buis et Mme Véronique Guillotin applaudissent également.)
Menaces contre le monde judiciaire
M. Michaël Weber . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le ministère de la justice possède une curiosité anatomique, comme dirait Kurt Tucholsky : il écrit de la main gauche, dans les tribunaux, mais agit de la main droite, par la voix du ministre.
Plusieurs médias d'extrême droite menacent des membres du monde judiciaire - soit à l'issue d'une enquête en cours, soit pour jeter en pâture « les coupables de l'invasion migratoire ». Sont visés, nommément, des avocats, des magistrats, voire le tribunal administratif de Melun tout entier. Les commentaires sont haineux, abjects : « elle mérite une balle de 9 mm dans la tête », « il faut tirer à vue, flamber leur nid douillet ».
Monsieur le garde des sceaux, vous avez beau avoir dissous trois groupuscules d'extrême droite, la bête immonde demeure tapie dans l'ombre. Comment protéger nos tribunaux et ceux qui font marcher notre justice ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - Nous partageons le constat. Vous aurez remarqué le soutien absolu que j'ai apporté aux magistrats de Marseille, placés sous protection policière car menacés par des narcotrafiquants. Je pense aussi aux agents pénitentiaires, interdits d'embrasser leurs enfants car sous la menace de narcotrafiquants, de terroristes islamistes, de tous ceux qui s'en prennent à l'indépendance de la justice.
Une revue d'extrême droite ayant mis en cause les avocats en droit des étrangers, j'ai écrit à la présidente du Conseil national des barreaux pour les soutenir. Ne confondons jamais l'avocat et son client !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Bien !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Magistrats, avocats, greffiers, agents pénitentiaires, policiers et gendarmes, tous ceux qui contribuent à l'autorité de l'État doivent être protégés, physiquement et psychologiquement. Nous protégeons les palais de justice.
La protection de la chaîne pénale, de son indépendance et de sa liberté est une exigence républicaine.
Dans le récent procès qui a touché l'extrême droite, j'ai écrit aux magistrats pour les assurer de mon soutien et d'une protection par les forces de l'ordre. (MM. François Patriat et Bernard Buis applaudissent.)
M. Michaël Weber. - Le Gouvernement contribue à cette ambiance. Le Premier ministre reprend le mythe de la submersion migratoire, pourtant démenti par les chiffres. (Soupirs sur les travées du groupe Les Républicains) Le ministre de l'intérieur remet en cause le droit du sol. La frénésie législative sur l'immigration joue sur les peurs, au détriment des droits des personnes, de la réalité migratoire et du respect de l'État de droit.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Rien à voir !
M. Michaël Weber. - La France a besoin de se rassembler, votre Gouvernement la divise. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Fermetures de classes en zone rurale
M. Stéphane Sautarel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La démographie scolaire en baisse ne peut justifier une approche aveugle et brutale. Il y a une dimension d'aménagement du territoire ; un enjeu de cohérence, aussi, entre ce qu'on décide à Paris et ce qui s'applique sur le terrain ; enfin, une dimension plus existentielle, sur ce que signifie « être français », pour citer le Premier ministre.
Au fond, c'est notre triptyque républicain « liberté, égalité, fraternité » qui est interrogé : liberté de vivre où l'on veut, égal accès au service public, promesse faite à chacun de s'élever grâce à l'école.
Dans le Cantal ou l'Allier, partout dans la ruralité, respecterez-vous l'engagement de non-suppression de postes devant les élèves ? Allez-vous donner des instructions à l'administration, qui ignore ce que le Parlement décide, pour mettre fin au psychodrame qui tue la confiance ?
Ne me parlez pas de chiffres. Il n'y en a qu'un qui vaille : zéro égal zéro ! Pas de suppression de postes dans le budget, pas de suppression de postes sur le terrain. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche . - La baisse démographique est importante : 800 000 élèves en moins en dix ans. À la rentrée 2025, on comptera 100 000 élèves en moins, dont 80 000 dans le premier degré.
Pour autant, nous faisons de l'éducation nationale l'une de nos priorités en annulant les suppressions de postes prévues. Nous faisons de la baisse démographique un levier pour la réussite des élèves, pour la réduction des inégalités sociales et territoriales, pour l'accélération de nos priorités, comme l'école inclusive ou les brigades de remplacements.
Stabilité des emplois ne signifie pas absence de fermeture de classes. Nous devons partager les constats et construire ensemble les réponses.
Première ministre, j'avais demandé une élaboration pluriannuelle des cartes scolaires. Les observatoires des dynamiques rurales sont une première réponse pour améliorer les échanges entre les Dasen et les élus.
Dans le Cantal, la projection démographique est de 145 élèves de moins dans le premier degré à la prochaine rentrée. Je m'engage à ce que le nombre moyen d'élèves par classe, actuellement de 21, n'augmente pas, et que le maillage territorial réponde aux besoins des familles. Mes équipes sont à votre disposition pour étudier la question. (M. François Patriat applaudit.)
M. Stéphane Sautarel. - Cette réponse ne me satisfait pas. Vous m'abreuvez de chiffres. Dans le Cantal, on supprimerait onze classes, pour 147 élèves de moins ; dans un département voisin, une classe, pour 758 élèves de moins... Le programme France Ruralités que vous aviez lancé n'est pas respecté.
Être français, c'est aussi, grâce à l'école du village, de Montboudif ou Bordères, pouvoir devenir un jour Georges Pompidou ou François Bayrou ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Avenir du service universel de La Poste
M. Patrick Chaize . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La délégation de service public désignant le groupe La Poste comme prestataire du service universel postal prendra fin le 31 décembre prochain. À ce jour, la procédure de désignation de l'entreprise qui aura la charge de cette mission n'est toujours pas lancée. Sans préjuger du résultat, nul doute que La Poste présente toutes les compétences pour la mener à bien.
Il faut un débat de fond au Parlement sur les missions de service public confiées à La Poste, notamment la mission d'aménagement du territoire. La baisse du volume du courrier et de la fréquentation des points de contact postaux devrait creuser encore son déficit, qui est de plus de 2 milliards d'euros pour les quatre missions cumulées.
Selon la Cour des comptes, augmenter les compensations ne suffit pas ; il faut redéfinir ses missions.
Compte tenu des enjeux économiques, sociaux et territoriaux liés à ces missions de service public, il faut y réfléchir dès à présent. Que compte faire le Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification . - Le Gouvernement est attaché aux missions de service public de La Poste et au maintien du service universel postal.
M. André Reichardt. - C'est du boulot !
M. Laurent Marcangeli, ministre. - La procédure doit être lancée dans les règles, une nouvelle période s'ouvrant à compter du 1er janvier 2026. Une consultation publique est nécessaire, conformément au droit européen.
Il n'empêche, nous avons dès aujourd'hui une réflexion pointue sur les missions du groupe La Poste, dont l'activité subit de profondes transformations. S'il ne faisait que livrer le courrier, il serait bien en difficulté...
Maire d'Ajaccio, j'avais évoqué avec Philippe Wahl la mission que pourrait mener La Poste en matière de logistique. Le groupe a tout à gagner à se saisir de ces missions d'aménagement du territoire. Ainsi des maisons France Services, qui sont accueillies dans plus de 400 bureaux postaux. Nous continuons l'extension de l'offre, qui correspond à mes yeux à l'une des missions nouvelles que peut assumer La Poste.
Les Français, notamment dans la ruralité, sont attachés aux services publics postaux. (Applaudissements sur certaines travées du RDPI)
M. Patrick Chaize. - Les idées ne manquent pas, mais quand en débattrons-nous ? Le temps presse. Il est urgent de réinventer La Poste, pour un vrai service public. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Fermeture de la sucrerie de Souppes-sur-Loing
M. Aymeric Durox . - Mercredi 15 janvier, l'avant-dernière sucrerie de Seine-et-Marne, à Souppes-sur-Loing, a fermé. Elle existait depuis 1873. C'est une catastrophe humaine, qui met 109 salariés au chômage, dans un sud Seine-et-Marne désindustrialisé où il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver un emploi. Il ne reste plus qu'une sucrerie en Île-de-France, à Nangis, et dix-neuf en France, après six fermetures en six ans.
Les raisons sont connues. D'abord, la fin des quotas en 2017, et l'effondrement des prix. Ensuite, la crise de la jaunisse, qui a détruit 70 % de la récolte betteravière en 2020. Il existe bien une solution : l'acétamipride, autorisé dans l'Union européenne mais interdit en France. Heureusement, le Sénat a autorisé sa réintroduction « à titre dérogatoire exceptionnel » - malgré l'opposition du Gouvernement. Enfin, les importations massives de sucre ukrainien, utilisant des phytosanitaires interdits en Europe, bouleversent le marché et tirent les prix vers les bas.
Quant au funeste traité avec le Mercosur, signé dans notre dos, il permettrait l'importation de 180 000 tonnes de sucre issu de cultures OGM, utilisant une quarantaine de phytosanitaires interdits en France.
Nous pouvons encore nous y opposer, en luttant contre la scission de l'accord : sinon, la partie commerciale sera votée à la majorité qualifiée, qui sera difficile à contrer. Si l'accord n'est pas scindé, l'unanimité prévaudra. Monsieur le ministre, allez-vous sauver la filière betteravière et l'agriculture française en vous opposant à la scission de cet accord ? (M. Joshua Hochart applaudit.)
M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique . - Un drame se joue dans votre région avec la fermeture de cette sucrerie-distillerie, implantée depuis 150 ans. La trésorerie insuffisante n'a pas permis la nécessaire modernisation industrielle, dans un marché très concurrentiel.
Un accord a été conclu avec la coopérative Cristal Union pour ne pas laisser les betteraviers sans solution pour la prochaine campagne : le sucre sera distillé. Un plan de sauvegarde de l'emploi sera engagé. Je salue l'engagement de Frédéric Valletoux, député du département, et du maire de Souppes-sur-Loing, Pierre Babut, pour trouver des solutions.
Enfin, je confirme que la France s'oppose à la mise en place de l'accord avec le Mercosur, qui met nos agriculteurs en risque. Nous sommes fermement opposés à toute scission de l'accord. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)
La séance est suspendue à 16 h 25.
Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président
La séance reprend à 16 h 35.