Souveraineté alimentaire et agricole (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture.
Explications de vote
M. Vincent Louault . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Ce projet de loi d'orientation agricole, dont hélas les agriculteurs n'attendent plus grand-chose, traite d'enjeux cruciaux : souveraineté agricole et alimentaire, intérêt général majeur, intérêt fondamental de la nation, compétitivité, adaptation climatique et environnementale, transmission et pérennité des exploitations, allègement des contraintes.
Hélas, nombre de ces mesures n'ont pas été défendues, par manque de courage et d'ambition. On nous promettait une grande loi d'orientation, et nous voilà devant un périmètre réduit à peau de chagrin. Madame la ministre, vous n'êtes pas responsable de la situation : vous avez fait le job.
Il faut cesser d'opposer agriculture et environnement. Le droit de l'environnement ne doit plus être utilisé seulement pour bloquer les projets. La Charte de l'environnement primera toujours : nulle crainte donc que les vilains sénateurs ne fassent de la régression environnementale !
Je me suis battu pour que prévale l'intérêt général majeur et que l'on définisse la souveraineté agricole, la sécurité alimentaire, la sécurité sanitaire alimentaire : j'ai échoué. Avec mon groupe, nous n'avons pas voté les mesures de complexification, comme sur la haie. La commission mixte paritaire (CMP) a du pain sur la planche. Transformer des milliers de kilomètres de bords de rivières en haies n'est pas acceptable. On a légiféré sur des sujets accessoires - les haies, les chiens, la laine.
Ce projet de loi n'est qu'une étape. Le coup est parti, alors soyons positifs : j'aime à rêver que c'est un nouveau départ pour l'agriculture, face à la volonté décroissante, fondée sur de pseudo-attentes, inventées de toutes pièces par ceux qui attaquent la France. Mais si nous échouons à modifier nos trajectoires agricoles, rien ne bougera ailleurs.
Cette loi du plus fort que l'on cherche à nous imposer en France et en Europe, doit pourtant tous nous réveiller.
Je veux dire à mes collègues députés que l'ambition n'est pas la régression environnementale, mais la souveraineté et le courage. La régression, ce sont les marchands de peur, la décroissance et l'incrédulité face à la science. Votons, et que ce soir la CMP soit conclusive. Prouvons que les seuls à aimer la France sont ceux qui ont du courage. (Murmures à gauche)
Madame la ministre, merci de votre écoute et de votre ténacité. Continuons d'accélérer les réformes et retrouvons notre souveraineté ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Laurent Duplomb . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.) Jules Romain, originaire de Saint-Julien-Chapteuil en Haute-Loire, écrivait en 2019... (Rires) ... en 1919 : « Je suis né de petites gens/ gagnant peu pour beaucoup de peine./ Mes aïeux ont tiré de terre/ plus de blé qu'ils n'ont eu de pain... »
Nos sociétés modernes ont oublié le lien entre produire sa nourriture et vivre dignement. De famines en disettes, de jacqueries en révolutions, la France a connu plus de périodes de manque que de périodes de stabilité alimentaire. Après la défaite de Sedan, les Parisiens ont mangé les éléphants du zoo ; les tickets de rationnement n'ont que 80 ans ; Rome, à la fin de l'Empire, stockait sept années de besoins. On l'oublie ! On finit par ne plus avoir peur et se dire que l'on pourrait se passer de produire. Comme dans la fable de La Fontaine, certains chantent comme la cigale, en se moquant de la fourmi. On en vient à stigmatiser l'acte de production agricole en faisant des paysans les assassins de la nature.
Après des siècles d'asservissement aux seigneurs, après avoir été la chair à canon de multiples guerres, après avoir, selon les mots de Gambetta, chaussé les sabots de la République, après avoir modelé les paysages de France à la sueur de leur front, les agriculteurs auraient pu avoir enfin gagné la confiance, la liberté, la légitimité. Eh bien non ! Le naturel revient au galop. Contraindre, empêcher, entraver sont les nouveaux maux de nos paysans. On marche sur la tête !
On leur interdit des moyens de production que l'on autorise aux importations. On les traite de productivistes et d'industriels, alors qu'ils vivent sur des exploitations familiales, avec 60 vaches en moyenne, bien loin des 30 000 bovins des feedlots canadiens !
La loi d'orientation agricole fixe un nouveau cap pour l'agriculture française. Loin d'être des enfants gâtés qui oublieraient le passé et se persuaderaient de leurs propres forfaitures, nous allons enfin ériger la souveraineté alimentaire en intérêt fondamental de la nation et veiller à ce qu'elle ne régresse plus. C'est le seul moyen de nourrir toutes les bouches, y compris les plus pauvres.
Il est grand temps de réagir et de reprendre notre destin en main. Il faut stopper ce délire décroissant et cette folie normative, qui nous mettent sur le chemin du déclin. (Protestations à gauche)
Il ne restera bientôt plus rien de notre excédent commercial. Ce que nous exportons, c'est plus qu'une denrée alimentaire, c'est une histoire de paysans, des savoir-faire, un terroir, un labeur.
Ces mauvais résultats nous obligent. Nous ne pouvons plus regarder passivement décliner la France agricole, car avec elle c'est notre histoire que nous injurions, c'est notre patrimoine que nous dilapidons. (Mme Nicole Bonnefoy s'exclame.)
Cet après-midi, j'ai une pensée pour les producteurs de noisettes, de kiwis, de cerises, de pommes, de bananes, d'endives, de betteraves, de pommes de terre (applaudissements qui s'amplifient sur les travées du groupe Les Républicains ; protestations qui s'amplifient à gauche) mais aussi pour les éleveurs de porcs et de volailles ; la liste n'est pas exhaustive, tant le problème est grave.
Oui, changeons de modèle, mais de modèle de pensée ! (Brouhaha qui s'intensifie à gauche, l'orateur ayant épuisé son temps de parole.)
Jean-Jacques Rousseau disait en 1792 : « L'agriculture est le premier métier de l'homme ; c'est le plus honnête, le plus utile et par conséquent le plus noble qu'il puisse exercer. » (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Bernard Buis . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce projet de loi aura traversé toutes les saisons. Présenté au printemps dernier en conseil des ministres, il a subi la sécheresse législative de l'été, avant d'être laissé en jachère à l'automne. Son parcours se termine à la fin d'un hiver fertile en sujets agricoles. Sans hésitation, le RDPI le votera, pour trois raisons : parce qu'il apporte des solutions adaptées au défi du renouvellement des générations ; parce qu'il érige la souveraineté alimentaire au rang d'intérêt fondamental de la nation ; parce qu'il introduit des mesures utiles, notamment en matière de haies.
S'agissant du renouvellement des générations, je salue la création des contrats territoriaux, du bachelor agro, du nouveau guichet départemental unique et de l'aide au passage de relais.
Le Mercosur et la pandémie de covid en ont montré toute l'importance de la notion de souveraineté, notamment alimentaire. Mais face aux enjeux environnementaux, le monde agricole a parfois le sentiment d'être relégué au second plan. Il ne s'agit pas de placer l'agriculture au-dessus de l'environnement, mais de trouver un juste équilibre.
Des mesures essentielles ont été introduites dans ce texte - je pense à l'évolution du cadre juridique applicable à la haie. Je me félicite de l'adoption de mon amendement qui sécurise la réouverture des chemins ruraux et espère que celui qui intègre la proposition de loi de M. Salmon sera maintenu par la CMP.
Ce texte ne réglera pas l'ensemble des problèmes, mais posera des fondements solides pour un sursaut patriote agricole. J'espère qu'il sera complété par d'autres textes, sur le revenu et le foncier. Faisons en sorte que la CMP soit conclusive avant l'ouverture du salon de l'agriculture.
Retissons ensemble le lien de confiance avec celles et ceux qui font de notre agriculture une fierté française. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Henri Cabanel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La grande loi agricole promise par Emmanuel Macron en avril 2022 est sur le point de voir le jour. Néanmoins, le contexte et son contenu ont radicalement changé. Le constat est pourtant toujours le même : le déclin de la puissance agricole française.
Si l'objectif d'amélioration de la compétitivité demeure, l'atténuation de l'ambition écologique invite à la vigilance. L'agriculture est pourtant l'un des secteurs les plus dépendants du climat et de l'écosystème. L'objectif d'une agriculture économiquement et écologiquement viable doit être préservé pour sortir de l'opposition entre agriculture et environnement. Or j'ai constaté certaines crispations quand il était question de transition agroécologique.
Le diagnostic des projets agricoles est désormais beaucoup plus économique qu'environnemental et son caractère non obligatoire me pose question, au regard notamment de la performance agronomique des sols. Car en soixante ans, nos sols ont perdu 80 % de leur matière organique et entre 70 et 90 % de leur population bactérienne et fongique. Installer des jeunes sur des sols qui ne fonctionnent pas est une erreur ; le faire en connaissance de cause est irresponsable.
Je regrette le rejet d'une septième mission pour l'enseignement agricole, avec des modules de formation aux tâches administratives, qui représentent jusqu'à 25 % du temps de travail des agriculteurs.
Faire de notre agriculture une grande cause nationale n'est pas une incantation. Recréer un lien entre l'urbain et le rural, entre le travailleur de la terre et le jardinier du dimanche, est nécessaire.
Ce texte apporte des réponses au défi du renouvellement des générations : augmentation du nombre d'élèves dans l'enseignement agricole, meilleure visibilité des filières de formation, mise en place d'un guichet unique. Un grand absent : le foncier agricole. Madame la ministre, vous vous êtes engagée à déposer un projet de loi, mais ne faudrait-il pas une mission en amont ?
La dépénalisation de certaines atteintes environnementales me pose question, même si cela va dans le sens de la simplification. J'attends de la CMP un dispositif plus proportionné, qui respecte le principe de non-régression environnementale. L'équilibre entre souveraineté, simplification, compétitivité, climat et biodiversité ne me semble pas respecté dans le texte, malgré vos efforts, madame la ministre.
Attention à ne pas prendre trop de retard dans la transition vers l'agroécologie, alors que la mission « Agriculture » du projet de loi de finances a été amputée de 200 millions d'euros supplémentaires en CMP : cela prouve que la planification écologique est la variable d'ajustement. J'attends de la CMP qu'elle nous fasse avancer vers un modèle d'agriculture protecteur de l'environnement et plus résilient, en attendant d'être plus rémunérateur.
La majorité du RDSE s'abstiendra en attendant les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)
M. Patrick Chauvet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous votons un projet de loi important, aboutissement de plusieurs mois de discussions. Il s'inscrit dans un contexte où les attentes des agriculteurs sont pressantes. N'oublions pas ces travailleurs de la terre, ces femmes et ces hommes, qui consacrent leur vie à nous nourrir.
« On marche sur la tête ! » Ce cri de désespoir dénonce les injonctions contradictoires. Les agriculteurs demandent de la reconnaissance. On demande aux agriculteurs de respecter des normes, alors que l'on est tolérant vis-à-vis des produits importés. Nous donnons les moyens à d'autres de produire et non à nos propres agriculteurs...
Chaque semaine, les agriculteurs consacrent neuf heures aux tâches administratives. Ils aspirent à une concurrence à armes égales. Aussi, ils demandent une harmonisation des normes entre États européens et une exception agricole européenne vis-à-vis des pays tiers. La législation française aggrave les inégalités de concurrence : pas moins de 37 % des agriculteurs évoquent un système à bout.
Ce texte s'inscrit dans un contexte difficile. Dès 2022, la commission des affaires économiques alertait sur le décrochage de la ferme France. La situation, déjà préoccupante, s'est encore aggravée. En témoigne la diminution de l'excédent commercial agroalimentaire, qui est passé de 12 milliards à 4,9 milliards d'euros entre 2011 et 2024.
Ce texte manque d'un véritable volet économique. Bien que l'aspect environnemental soit primordial, n'oublions pas que le développement durable de l'agriculture repose sur le triptyque équilibré : humain, économique et environnemental. Or ce texte accorde une place prépondérante au pilier environnemental. (Mme Raymonde Poncet Monge ironise.) Les agriculteurs doivent vivre dignement de leur métier, avec des perspectives économiques claires.
Néanmoins ce projet de loi comporte des avancées, comme le droit à l'essai et le droit à l'erreur. Faisons confiance à nos agriculteurs et laissons-les innover.
Il contient aussi des mesures de bon sens, qui allègent les charges administratives : la facilitation des interactions entre Vivea et le compte personnel de formation (CPF) ; le développement des collaborations entre centres d'apprentissage et centres de formation continue ; des mesures sur les groupements d'employeurs.
L'installation des femmes en agriculture est aussi encouragée, avec de réelles avancées. Les agricultrices ne sont que 100 000 ; elles étaient 1 million à la fin des années 1960.
Mais ce texte est aussi la voiture-balai de diverses propositions de loi : eau et assainissement, gestion des haies, santé des sols, etc. Ce n'est pas une pratique nouvelle, mais cela illustre combien le Gouvernement cherche à légiférer a minima. Cela alourdit les textes et les rend moins intelligibles.
Certains points nécessitent des ajustements : ce projet de loi est censé impulser les installations ; or on voit déjà poindre des débats sur le foncier et le revenu agricole. L'examen s'est parfois concentré sur des points sémantiques ou accessoires, qu'il s'agisse du guichet unique ou des haies. Cela interroge sur les irritants absurdes et sur l'inflation législative.
Malgré cela, ce projet de loi est un pas en avant, car il permet de lever des obstacles bien identifiés et de dégager de nouvelles marges de manoeuvre pour les agriculteurs, en complémentarité avec la proposition de loi Duplomb-Menonville. (Murmures à gauche ; M. Yannick Jadot appelle l'attention du président en levant les bras au ciel, l'orateur ayant dépassé son temps de parole.)
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Patrick Chauvet. - Le groupe UC votera ce texte et souhaite une CMP conclusive. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Gérard Lahellec . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER) Les hasards du calendrier ont voulu que nos débats coïncident avec les élections aux chambres d'agriculture. Dans le strict respect d'un scrutin qui appartient aux agriculteurs et aux salariés agricoles, on peut dire que la colère continue de s'exprimer dans le monde paysan, et c'est normal. Leur revenu n'est jamais garanti, car les prix agricoles ont été anormalement bas depuis deux ans dans toutes les filières de production. Les aides à l'hectare de la PAC perçues par certains exploitants céréaliers expliquent la colère de nombre de paysans qui vivent sur de petites exploitations.
La loi d'orientation agricole aurait pu infléchir un certain nombre d'orientations et aller dans le sens du développement durable de notre agriculture. Mais il n'en a rien été. Pour ce texte, la planche de salut de notre agriculture serait la compétitivité à tout prix, en s'affranchissant de contraintes réglementaires et de préconisations scientifiques. Cela alimente une fracture entre la société et ses agriculteurs. Certes la paperasserie exaspère les agriculteurs et il faut supprimer les lourdeurs, mais n'en profitons pas pour réduire les normes. Les labellisations, ce sont aussi des normes ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)
Mme Cécile Cukierman. - Exactement.
M. Gérard Lahellec. - Pour répondre à l'intensification de la productivité, on met à mal l'agroécologie et l'agriculture bio. Cela crée un clivage opposant agriculture et écologie. (M. Bruno Sido s'exclame.) Certes, l'agriculture de production est indispensable à la survie de l'humanité. Mais nous devons nous remettre en question : il n'est pas question de promouvoir un modèle industriel, avec des unités de 75 000 bêtes qui prennent un kilo par jour, comme au Texas !
Enfin, la mondialisation des prix est une aberration ; or la loi n'en dit rien. À défaut de remettre en cause l'intégration de l'agriculture dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il eût été pertinent de travailler sur de nouveaux mécanismes de régulation. Nous touchons aux limites des lois Égalim, mais l'origine des problèmes reste la loi de modernisation de l'économie (LME) de 2008.
Enfin, en matière d'installation et de renouvellement des générations, la question de l'accès au foncier et de sa gestion est essentielle ; pourtant, elle n'est même pas abordée.
Je regrette que la pêche soit très peu évoquée. Nombre de parlementaires bretons l'ont regretté...
M. Max Brisson. - Pas que bretons !
M. Gérard Lahellec. - Je regrette aussi la trop faible place laissée à l'élevage. Un proverbe breton dit : la terre est faite pour être entre les pattes des animaux. Si la société a perdu confiance dans l'industrie agroalimentaire, nos concitoyens croient à la sincérité des éleveurs, qui travaillent au contact de la nature et qui façonnent nos paysages.
Voilà pourquoi nous nous opposons à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, du GEST et sur quelques travées du groupe SER ; M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
M. Daniel Salmon . - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) Je déplore le calendrier, soudainement accéléré, qui empêche l'examen de ce texte dans de bonnes conditions. (Mme Dominique Estrosi Sassone s'exclame.) Tout cela pour quelques effets d'annonces du Président de la République au Salon de l'agriculture !
Population agricole et biodiversité s'effondrent en même temps, à cause d'un modèle insoutenable - c'est votre bilan !
Ce texte aurait dû refonder ce modèle en direction de l'agroécologie, face au défi immense du changement climatique et à l'effondrement de la biodiversité. Mais il s'emploie à détourner la colère des agriculteurs des véritables responsables, sans répondre à la question centrale des prix rémunérateurs : comment peut-on travailler 70 heures par semaine pour gagner moins d'un Smic ? Il ne relève le défi ni de l'accès au foncier, ni de l'accaparement des terres, ni de la fragilisation de l'élevage, renvoyant ces sujets à de futurs textes.
Aucune réponse à l'aggravation des inégalités dans le monde agricole - qui y a-t-il de commun entre les grands céréaliers qui captent l'essentiel de la PAC et les petites exploitations de polyculture-élevage ou les maraîchers ?
En refusant de donner un cap vers la transition, vers le pluralisme, vous renforcez l'évolution vers l'agro-industrie ; vous nous emmenez dans l'impasse.
En effectuant une lecture fallacieuse des données, en niant les faits scientifiques, vous prenez une lourde responsabilité.
Pendant ces six jours de débat, aucun apport structurant de la gauche n'a été accepté ; c'est rare.
Presque tous nos amendements ont été rejetés, qu'il s'agisse de celui visant à mieux réguler le foncier, mis à la trappe par l'arbitraire article 45, ou de ceux tendant à mieux former les agriculteurs de demain, à assurer un soutien à l'agriculture biologique, à instituer une gouvernance pluraliste et démocratique, à améliorer le revenu ou à relocaliser l'alimentation.
Une seule éclaircie : l'intégration de la proposition de loi en faveur de la gestion durable et de la reconquête de la haie, adoptée à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
Vous ne voyez la souveraineté alimentaire qu'au prisme de la compétitivité, donc sans respect pour celle des autres pays et en trompe-l'oeil, car sous la dépendance des engrais importés, du soja importé et demain des technologies.
Toute référence à l'agriculture biologique a été supprimée.
Cette loi ignore les grands défis du XXIe siècle. L'agriculture émet 19 % des gaz à effet de serre, mais rien dans ce texte pour qu'elle prenne sa part dans la réduction des émissions. Plutôt que d'agir, vous propagez la défiance à l'égard des agences de l'État comme l'Anses, dont l'expertise scientifique et l'indépendance sont fondamentales en ces temps troublés.
Le principe « pas d'interdiction sans solution » est une attaque délibérée contre la biodiversité et la santé humaine, et ce dispositif ne devrait pas tenir devant le Conseil constitutionnel.
Vous n'êtes pas au rendez-vous des enjeux de l'enseignement agricole. Le bachelor agro, qui formate les agriculteurs à la concurrence, est un entonnoir vers l'endettement et l'agrandissement.
Aucune mesure concrète pour soutenir les installations actuelles en agroécologie pour répondre aux attentes d'une majorité de futurs agriculteurs. Il aurait fallu un vrai pluralisme dans France installations-transmissions. Idem sur le diagnostic modulaire, dont vous avez écarté les aspects sociaux et environnementaux.
Nous sommes toujours sidérés par l'article 13 - une des pires régressions du droit de l'environnement - qui dépénalise la destruction des espèces protégées. Vous allez contre la directive européenne de protection et serez censurés - comptez sur notre vigilance.
L'article 15 ampute la concertation et le débat pour mieux industrialiser l'agriculture.
Nous voterons résolument contre ce texte à contresens de l'histoire. Non, les décisions politiques ne peuvent être dictées par les voix les plus bruyantes ou les intérêts d'une minorité, au mépris du pluralisme et de la démocratie. Nous continuerons à lutter pour la rémunération des paysans et leur capacité demain de produire sur des sols vivants. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Raymonde Poncet Monge. - Bravo !
M. Jean-Claude Tissot . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Nous voilà au bout, ou presque, du parcours législatif tumultueux de ce projet de loi d'orientation agricole - six jours de séance et 35 heures de débat.
Nous avions reçu de l'Assemblée nationale un projet bavard et imparfait. (Mme Annie Genevard le déplore.)
Dans une connivence permanente avec le Gouvernement, le Sénat en a fait une loi-fleuve et floue avec une connotation encore plus économique, dans une vision dépassée de l'agriculture.
Ne faudrait-il pas appeler ce texte « projet de loi d'orientation vers une agriculture productiviste » ou « passéiste » ? (Mme Annie Genevard et MM. Laurent Duplomb et Franck Menonville le contestent.)
À coups de dogmes pro-industrie agroalimentaire et anti-environnement, on est loin du grand soir de l'agriculture - sur ce point, monsieur le rapporteur Duplomb, vous avez raison. (On s'en amuse sur les travées du groupe SER et du GEST.)
Vous perpétuez la trajectoire agro-industrielle de l'agriculture, tournée vers le gigantisme, l'accaparement des terres, le productivisme à tout va. Nous soutenons deux modèles qui s'opposent frontalement et je ne vois pas où nos positions pourraient se rapprocher.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Ça, c'est vrai !
M. Jean-Claude Tissot. - Ni la crise sanitaire, ni la crise environnementale, ni le renouvellement des générations ne se voient proposer des solutions à la hauteur. Au bout du bout, ce sont les paysans qui paieront la note.
Je suis très inquiet pour l'avenir de notre agriculture. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie réclame que l'on écoute l'orateur en silence.) Qui peut croire que le modèle hyperproductiviste est attractif pour les jeunes ? Il consacre l'entre-soi d'exploitations gigantesques et incessibles. C'est votre modèle qui nous a conduits ici. (Marques d'approbation sur les travées du groupe SER) Or vous le prolongez.
Votre projet France installations-transmissions n'est pas une mauvaise idée, mais c'est un pansement sur une jambe de bois, madame la ministre - utile uniquement si nous nous orientons vers des exploitations à taille humaine.
Je suis inquiet pour les agriculteurs et leur santé. Le texte revient sur l'interdiction des produits phyto en la conditionnant à des solutions « économiquement viables et techniquement efficaces » - notion floue juridiquement. Mais comme vous refusez toutes les alternatives, vous autorisez !
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Alternative pendant dix ans.
M. Jean-Claude Tissot. - Une tribune signée par 1 500 professionnels nous appelait à ne pas faire la même erreur qu'avec l'amiante.
Le sens de l'histoire, c'est de se débarrasser définitivement des pesticides. Que direz-vous à vos petits-enfants qui développeront des cancers ou qui seront infertiles ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Et s'ils crèvent de faim ?
M. Jean-Claude Tissot. - Les offensives contre l'agroécologie relèvent d'une bataille idéologique des rapporteurs : il ne reste plus que trois occurrences du terme, d'ailleurs.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Même pas, on a tout enlevé...
M. Jean-Claude Tissot. - Aucune mention dans l'article premier, pourtant bavard. La suppression des objectifs de surface agricole en agriculture biologique est un énième signal terriblement décevant.
Vos grands concepts incantatoires seront, au mieux, simplement déclaratifs, mais au pire constitueront des appuis légistiques afin de déroger au respect des engagements environnementaux.
L'article 13 qui allège le régime de répression des atteintes à la biodiversité et l'article 15 qui accélère les contentieux contre les mégabassines et les fermes gigantesques sont deux reculs environnementaux inacceptables.
Je m'interroge sur le passage en force de dispositions controversées. Le Conseil d'État a relevé que les notions d'intérêt fondamental de la nation, d'intérêt général majeur et de non-régression de la souveraineté alimentaire étaient juridiquement floues et donc potentiellement dangereuses. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie réclame de nouveau le silence.) Il a indiqué que l'article 15 présentait des risques d'inconstitutionnalité. La Défenseure des droits a considéré qu'il restreignait, « de manière disproportionnée le droit au recours des opposants. »
Vous avez fait fi de ces avis, comme de ceux de l'Anses et de l'Inrae.
Vous avez profité du contexte pour inclure un panel de mesures érigeant l'agriculture productiviste comme seul modèle. Or le seul modèle viable est celui d'une agriculture raisonnée, à taille humaine, garantissant un revenu agricole digne. Cela passe par une refonte de la PAC, dont la distribution est injuste.
Sans de réelles avancées, nous ne donnerons pas l'envie et l'espoir aux générations futures de s'investir dans ce beau métier de paysan.
M. le président. - Il faut conclure. (Protestations à gauche ; on s'impatiente à droite, l'orateur ayant épuisé son temps de parole.)
M. Jean-Claude Tissot. - Nous ne pouvons pas faire autrement que de voter contre ce texte. (« Bravo » et vifs applaudissements à gauche ; Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Harribey félicitent l'orateur qui regagne sa place.)
M. Joshua Hochart . - Après des années d'inaction, nous nous réjouissons que les choses bougent. La version sénatoriale du texte comporte des avancées. Certaines de nos propositions sont reprises (on ironise à gauche) : priorité aux agriculteurs français, lutte contre la concurrence déloyale et l'inflation normative... C'est une prise de conscience. Le Rassemblement national l'a toujours dit : la souveraineté alimentaire doit être une priorité.
Mme Cécile Cukierman. - Ça va !
M. Joshua Hochart. - Les agriculteurs n'en peuvent plus : fiscalité accablante, normes absurdes, distorsion de concurrence. Pendant que nos paysans se battent pour survivre, l'État les laisse seuls.
Ce texte apporte des réponses, mais ce n'est qu'un début : allègement partiel des charges, meilleure prise en compte des contraintes des agriculteurs, renforcement de la souveraineté alimentaire et du soutien aux filières.
Cela dit, le texte ne s'attaque pas à la racine des problèmes : charges trop lourdes et distorsions de concurrence persistent. Nous aurions voulu des mécanismes plus contraignants pour interdire l'importation de produits qui ne respectent pas nos normes, une refonte plus ambitieuse de la fiscalité agricole et un cadre plus protecteur pour garantir une juste rémunération.
Mme Cécile Cukierman. - Et vos amis de la Coordination rurale ?
M. Joshua Hochart. - Nous voterons ce texte, car il serait irresponsable de refuser ses avancées, mais avec lucidité.
Chers collègues de la majorité, vous avez retravaillé le texte qu'avait pour ainsi dire détruit une Assemblée nationale gangrenée par la gauche et l'extrême gauche (protestations et marques d'ironie à gauche), nous le soutiendrons.
Je m'adresse aux membres de la CMP : assumez votre responsabilité, faites en sorte qu'on aboutisse à une version acceptable, afin que les agriculteurs soient écoutés et que leur quotidien soit vraiment amélioré. (Mme Cécile Cukierman ironise.)
Puisse ce texte ne pas être qu'un effet d'annonce... La France ne peut être forte et souveraine sans ses paysans ! (MM. Christopher Szczurek, Stéphane Ravier, Alain Duffourg et Mme Vivette Lopez applaudissent.)
Scrutin public solennel
Le projet de loi Souveraineté alimentaire et agricole est mis aux voix par scrutin public solennel.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°196 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l'adoption | 218 |
Contre | 107 |
Le projet de loi Souveraineté alimentaire et agricole est adopté.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur quelques travées du groupe UC ; MM. Joshua Hochart, Christopher Szczurek et Stéphane Ravier applaudissent également.)
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Je vous remercie de l'adoption de ce projet de loi d'orientation agricole. Vous honorez l'engagement pris auprès des agriculteurs voilà un an. Je remercie Mme la présidente de la commission des affaires économiques, ainsi que les deux rapporteurs, Franck Menonville et Laurent Duplomb. Je remercie tous ceux qui, quels que soient les groupes, ont pris part au débat, dans des positions souvent différentes de celles du Gouvernement. J'ai aussi une pensée pour les députés et l'auteur de ce projet de loi, Marc Fesneau.
Loin des caricatures que j'ai entendues, ce texte nous engage vers un réarmement de notre puissance alimentaire. (Marques d'ironie à gauche) Notre agriculture a été élevée au rang d'intérêt national majeur et le potentiel de notre agriculture à celui d'intérêt fondamental pour la nation. Place des femmes, régénération agricole française, diagnostic modulaire, droit à l'essai, guichet unique, dépénalisation des atteintes involontaires (rires sur les travées du GEST) à l'environnement...
M. Thomas Dossus. - C'est une honte !
Mme Annie Genevard, ministre. - ... sont autant d'acquis. Monsieur Salmon, 20 millions d'euros seront débloqués pour la haie.
M. Daniel Salmon. - Bravo !
Mme Annie Genevard, ministre. - Nous ne sommes pas hostiles à l'environnement. Opposer agriculture et environnement est une impasse. (On ironise sur les travées du GEST ; applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur quelques travées du groupe UC)
La CMP aura lieu ce soir ; elle devrait aboutir avant minuit. Je ne voudrais pas commencer le salon de l'agriculture en disant aux agriculteurs : « Les parlementaires ne vous ont pas entendus. » (Marques d'ironie à gauche) J'aimerais qu'on leur dise au contraire : « Les parlementaires vous considèrent et reconnaissent votre rôle fondamental ». (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur quelques travées du groupe UC)
M. le président. - Je remercie les rapporteurs au fort tempérament et la présidente de la commission qui s'est engagée en écoutant tout le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes INDEP et UC)
La séance est suspendue quelques instants.
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente