Conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, tendant à l'application en droit français de la directive européenne relative à l'amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques, présentée par M. Pascal Savoldelli et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe CRCE-Kanaky.
Discussion générale
M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de résolution . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Barbara, auxiliaire de vie, ne travaille plus depuis son accident en 2023. Envoyée par France Travail sur la plateforme Click and care, elle pensait être en intérim, jusqu'au jour où elle se blesse grièvement. C'est en demandant la reconnaissance de son accident du travail qu'elle découvre qu'elle était autoentrepreneuse. Pourtant, tout indiquait une relation de subordination. Sans droits ni protection, elle est abandonnée.
Ce n'est pas un exemple isolé. D'abord cantonnée aux taxis, la plateformisation s'est infiltrée dans tous les secteurs, du dépannage jusqu'aux services à la personne, en passant par le droit.
Ce modèle gangrène notre économie, détricote le droit du travail, sape notre protection sociale. Ce qui relie ces milliers de travailleurs, ce n'est pas l'indépendance, mais la précarité. Ils ne négocient pas leurs contrats, ils les subissent. Un clic, et ils sont déconnectés. On vante l'autonomie, mais c'est l'intelligence artificielle qui décide de tout !
Ils sont 28 millions en Europe, plus de 600 000 en France. Mais derrière ces chiffres, il y a des visages.
La révolution numérique a bouleversé le monde du travail. Ces plateformes redéfinissent la relation entre travailleur, client et entreprise. Certaines - les plateformes d'intermédiation - se limitent à une mise en relation. D'autres - les plateformes de travail - vont bien plus loin.
Sur le papier, c'est alléchant. Mais dans la réalité, c'est une mise sous tutelle algorithmique. Nous assistons à une mutation profonde du salariat : la relation de subordination ne disparaît pas, mais change de visage et prive les travailleurs de leurs droits fondamentaux.
Nous sommes face à un choix : laisser faire ou protéger ?
Le 24 avril 2024, une directive - à transposer dans les deux ans - a été adoptée pour mieux protéger ces travailleurs, grâce à une présomption de salariat. Le renversement de la charge de la preuve est un progrès majeur. Le contrôle du management algorithmique est accru.
Pourquoi demandons-nous l'application immédiate et ambitieuse de cette directive ? Parce que la France, seule contre tous, avait voté contre ce texte, cherchant à imposer à tout prix une dérogation à la française.
Le gouvernement Attal s'est réfugié derrière l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe), mais cette instance n'est qu'un cache-misère : elle accorde quelques concessions, tout en maintenant les travailleurs dans la précarité. Comment l'Arpe a-t-elle récemment répondu à la détresse des livreurs Uber ? Par une augmentation de 10 centimes du prix minimum de la course ! Voilà la grande avancée sociale que le Gouvernement ose mettre en avant pour justifier son refus de la directive.
Différents gouvernements ont choisi de défendre les intérêts des plateformes, au détriment de ceux que nous applaudissions pendant la crise covid. Ces travailleurs méritent bien plus que des remerciements, ils méritent des droits. Le choix politique d'Emmanuel Macron est lourd de conséquences, alors que tous les partis de la gauche au centre droit s'accordent sur l'urgence d'accorder ces droits.
Il est temps d'être cohérents, comme l'ont été les députés européens.
Cette proposition de résolution ne fait que refléter les conclusions unanimes de la mission d'information sur l'ubérisation de la société de 2021, présidée par Martine Berthet. (L'orateur brandit un document.) Nous avions ainsi proposé l'extension aux travailleurs des plateformes des garanties dont bénéficient les salariés en matière de sécurité au travail, le droit à un document détaillé sur les logiques de fonctionnement des algorithmes et l'extension des compétences de l'inspection du travail aux plateformes. C'est ce que propose la directive, ni plus ni moins.
Elle protégera les travailleurs des plateformes, mais rétablira aussi une concurrence libre et non faussée, car les entreprises traditionnelles sont lourdement pénalisées. Pensez aux artisans et aux PME qui font face à ces géants qui tordent le droit du travail ! Ces plateformes ont imposé un modèle destructeur, précipitant la disparition de nombreux emplois. Voilà le véritable danger de la plateformisation !
C'est un piège pour les travailleurs, un poison pour les PME, une menace pour notre modèle social et notre pacte fiscal. Le travail dissimulé coûte au moins 6 milliards d'euros par an à la sécurité sociale. Pourtant, le Président de la République a préféré accuser les travailleurs précaires. Or ce sont non pas eux, mais les plateformes qui saignent notre modèle. Pire, l'ubérisation des services à la personne conduit l'État à subventionner indirectement la précarité. Pendant que les multinationales accumulent les profits, notre protection sociale s'effondre.
Dès 2020, un arrêt de la Cour de cassation a reconnu un lien de subordination entre un chauffeur Uber et la plateforme. Depuis, les décisions de justice tombent : Deliveroo, Stuart, Uber. Tous sont condamnés pour travail dissimulé.
Faire respecter le droit, réduire l'insécurité juridique, garantir aux entreprises un cadre stable et équitable : voilà l'objectif.
Je pose la question à tous mes collègues : face à l'urgence, pourquoi attendre ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)
M. Michel Masset . - Merci au groupe communiste d'avoir inscrit cette proposition de résolution à l'ordre du jour.
Notre pays compterait 600 000 de ces travailleurs, soit 2 % de l'emploi en France - c'est trois fois plus qu'il y a sept ans. Le phénomène touche des métiers variés, dans l'agriculture, la santé, le droit...
La directive adoptée le 17 octobre dernier est une étape importante pour la reconnaissance des droits de ces travailleurs, grâce à une présomption légale d'emploi. Cela répond à une faille juridique et permet de rétablir l'égalité des droits fondamentaux pour l'ensemble des travailleurs.
En l'état actuel, ces autoentrepreneurs ne bénéficient pas du chômage ni d'une retraite digne et ne sont pas couverts en cas d'accident du travail. C'est un vrai danger pour eux, mais aussi un cheval de Troie pour notre sécurité sociale, car il s'agit d'un salariat sans cotisations.
Transposer la directive en droit français dans les meilleurs délais nous semble donc justifié. Celle-ci permet le retour de l'humain dans la relation de travail. Nos plus hautes juridictions ont confirmé que la requalification était légitime.
Le compromis européen permet de protéger les travailleurs, sans enrayer le dynamisme de l'économie numérique. Espérons que nous mettrons moins de temps à encadrer l'intelligence artificielle ! La destruction créatrice, chère aux schumpétériens, doit être anticipée.
La balle est désormais dans les mains du Gouvernement, auquel je demande la transposition de cette directive sociale attendue par les salariés et les entreprises.
Alors que nous critiquons souvent les surtranspositions, sachons ne pas nous mettre en situation de sous-transposition. Le RDSE votera à l'unanimité ce texte de bon sens ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST et sur quelques travées des groupes SER et CRCE-K)
Mme Brigitte Devésa . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Frédérique Puissat applaudit également.) La proposition de résolution appelle à une transposition rapide de la directive européenne de 2024, directive de bon sens qui apporte de réelles avancées. Elle introduit une présomption de relation de travail dès lors qu'il y a un contrôle et une direction. Cette avancée est conforme au droit national. La directive établit aussi une présomption légale réfutable d'emploi entre la plateforme et le salarié, la charge de la preuve incombant aux plateformes.
Les licenciements décidés par algorithmes ne seront plus possibles. La directive impose une surveillance humaine sur ceux qui travaillent via les plateformes.
Par ailleurs, elles ne pourront plus traiter les données personnelles telles que celles relatives à l'état émotionnel ou aux croyances personnelles.
En 2021, on comptait 500 plateformes de travail numériques, rassemblant 28 millions de salariés - qui pourraient être 43 millions cette année. Les travailleurs sont majoritairement des autoentrepreneurs ; or environ 5,5 millions de personnes ne seraient pas de vrais indépendants.
La directive ne pose pas de difficultés à notre groupe. Nous avons néanmoins des divergences avec l'auteur du texte, dont je salue le travail. Je pense aussi à notre ancienne collègue Catherine Fournier qui avait beaucoup travaillé sur ce sujet.
La France doit transposer d'ici à 2026 ; ce délai semble nécessaire pour adapter notre réglementation à ces nouveaux droits. Un travail de requalification sera nécessaire pour beaucoup de travailleurs. Les délais de transposition sont prévus pour cela.
Ensuite, votre proposition de résolution appelle à un recrutement massif d'inspecteurs du travail. Nous avons achevé l'examen du PLF et du PLFSS, les efforts budgétaires demandés ne vont pas dans le sens de recrutements massifs.
Nous ne voterons pas cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Frédérique Puissat applaudit également)
M. Alexandre Basquin . - « Nous sommes les nouveaux esclaves d'aujourd'hui, c'est un algorithme qui décide pour nous », tel est le témoignage de chauffeurs Uber d'Armentières, dans le Nord.
Quelque 600 000 travailleurs indépendants ont utilisé une plateforme de travail, selon la Dares. Le chiffre a triplé en six ans.
Le management algorithmique impose toujours plus de flexibilité, une fragmentation des tâches et une pression toujours plus forte pour une rentabilité à tout prix, à tous les prix.
La souffrance au travail de ces travailleurs ne doit pas être sous-estimée, car oui, souffrance il y a. Ce capitalisme de plateforme est pervers, insidieux, sans scrupule, sans honte et contient bien trop de zones grises. La subordination et la dépendance sont extrêmes, et la délégation aux algorithmes est parfois quasi totale.
Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, a ouvert les portes en grand à ces organisations après un lobbying effréné du géant américain, comme l'a révélé l'affaire des Uber Files. Il a facilité l'installation d'Uber, avec son lot de dérégulations. La capitalisation de ce groupe prédateur a franchi les 150 milliards de dollars.
Cette situation inique doit évoluer, alors que les travailleurs travaillent aussi la nuit et le week-end. Les promesses d'autonomie et d'enrichissement n'ont pas été tenues. Nous soutenons leurs demandes d'un cadre clair et d'une protection identique à celle des autres salariés.
En 2024, un accord européen a été trouvé sur une directive plus favorable aux droits de ces travailleurs. C'est un enjeu politique et profondément social. Le Gouvernement français se grandirait en la transposant.
Cette proposition de résolution en appelle à notre responsabilité collective, aussi votons-la. Derrière ce texte, ce sont des hommes et des femmes, de l'humain. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)
Mme Mathilde Ollivier . - (Applaudissements sur les travées du GEST) La proposition de résolution arrive à un moment important : le 24 avril 2024, le Parlement européen a adopté cette directive historique. Comment allons-nous transposer ce texte ?
Mark MacGann, l'ancien dirigeant d'Uber devenu lanceur d'alerte s'interrogeait sur l'attitude de la France. Comment le pays de la sécurité sociale et du Smic pouvait-il être en première ligne pour vider le texte de son sens ?
Les tribunaux ne s'y sont pas trompés ; de la Cour de cassation en 2020 jusqu'aux prud'hommes en 2023, ils confirment la relation de subordination ; mais la durée des procédures est longue, en moyenne de dix-sept mois.
La directive européenne apporte une réponse équilibrée, harmonise les règles et offre des garanties minimales, tout en tenant compte de la diversité des plateformes.
C'est une opportunité budgétaire : la mise en oeuvre de la directive permettrait de percevoir entre 328 et 780 millions d'euros de recettes supplémentaires. Comment ne pas soutenir cette proposition de bon sens ?
Nous appelons aussi à un renforcement de l'inspection du travail et la mise en place de procédures de recours effectives.
Quelque 28,3 millions de travailleurs européens sont concernés ; ils seront près de 43 millions en 2025.
Comment accepter que ces plateformes s'affranchissent du financement de notre protection sociale ? Nous ne pouvons les laisser attenter à nos économies. Elles menacent le financement de nos services publics, mais aussi la pérennité de notre modèle social et de notre protection sociale.
Il ne s'agit pas simplement d'encadrer un nouveau modèle économique, mais de faire respecter nos principes fondamentaux de protection sociale et de justice fiscale. Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE-K)
Mme Monique Lubin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le groupe SER salue l'initiative de Pascal Savoldelli et du groupe CRCE-K. M. Jacquin, en 2024, avait déposé une proposition de résolution sur les travailleurs des plateformes.
Cette directive est moins-disante que ce qu'elle aurait dû être. Nous ne pouvons que déplorer l'activisme du président de la République à Bruxelles, qui a édulcoré la proposition européenne. Mais la directive a le mérite d'exister, transposons-la.
En France, les travailleurs de plateformes représentent 2 % des personnes en emploi, selon la Dares.
Le 4 mars 2020, la Cour de cassation a requalifié le contrat de travail d'un chauffeur VTC d'Uber. Le 6 juillet 2022, la Cour d'appel de Paris a condamné Deliveroo France pour ses pratiques managériales.
La directive améliore les conditions de travail et la protection des données à caractère personnel. Elle définit des notions clés, établit la charge de la preuve pour la plateforme et favorise la transparence algorithmique.
Parmi les lacunes de ce texte, je déplore la marge importante laissée aux États pour la transposition, notamment pour la définition du salariat et de la subordination.
Nous voterons la proposition de résolution, mais invitons aussi à la surtranscrire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et sur quelques travées du groupe CRCE-K)
Mme Marie-Claude Lermytte . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Notre économie s'est transformée ces dix dernières années.
Les travailleurs des plateformes numériques occupent leur emploi à temps partiel, souvent comme emploi complémentaire. Une part d'entre eux est attachée à ce statut de non-salarié pour arrondir leurs fins de mois, par exemple. Ils y voient une forme de liberté et d'indépendance.
M. Pascal Savoldelli. - Ah oui ? J'aimerais bien les rencontrer...
Mme Marie-Claude Lermytte. - D'autres subissent cependant une forme de salariat déguisé. La justice a requalifié certains contrats, mais le droit devait changer. La directive instaure ainsi de nouvelles règles.
Elle impose aux plateformes de ne plus traiter des données personnelles et interdit les licenciements par un seul algorithme.
M. Pascal Savoldelli. - On ne peut pas licencier quand il n'y a pas de contrat de travail !
Mme Marie-Claude Lermytte. - Les plateformes se sont adaptées très vite aux évolutions du droit.
L'Espagne a été la première à légiférer avec sa loi Riders. Mais elle n'a pas envisagé toutes les conséquences. Certains sont devenus salariés, mais d'autres ont simplement perdu leur emploi ; ainsi Deliveroo a décidé de se retirer du marché espagnol. Par ailleurs, de nombreux riders espagnols ont tenté de redevenir indépendants, souhaitant plus de liberté et moins d'impôts.
En France, nous agissons en Européens pour harmoniser nos pratiques avec nos voisins. Cependant, il faudra laisser derrière nous notre mauvaise habitude de surtransposer.
Attention : transposer sans déstabiliser ce secteur de l'économie sera périlleux. Or sa fragilisation e toucherait les travailleurs eux-mêmes et ensuite leurs clients, en raison de la hausse des prix.
Le groupe Les Indépendants ne votera pas cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
M. Pascal Savoldelli. - On l'avait compris.
Mme Frédérique Puissat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue Pascal Savoldelli, qui n'a pas l'air très content... La proposition de résolution aborde un sujet qui nous a souvent mobilisés, celui des travailleurs de plateformes numériques. Je remercie Brigitte Devésa d'avoir rappelé la mémoire de Catherine Fournier, que nous n'oublions pas.
Cette directive est un compromis équilibré pour notre groupe.
Les travailleurs des plateformes ont des profils divers, et les plateformes elles-mêmes suivent des modèles multiples. Se pose aussi la question de l'échelon pertinent pour aborder ces sujets.
Vous dressez un portrait obscur des plateformes, pour conclure à la nécessité de transposer en urgence et de manière ambitieuse cette directive.
Nous considérons que les plateformes numériques peuvent être une chance. Elles ont permis à des travailleurs parfois éloignés du travail d'en retrouver un, ou à d'autres de compléter leur temps de travail et d'améliorer leur pouvoir d'achat.
Mais cette forme d'activité peut aussi être porteuse de précarité sociale. Pour certains, l'ouverture de multiples comptes peut s'apparenter à du travail dissimulé, avec la sous-location de comptes.
La possible précarité sociale résulte en fait des lacunes de la protection sociale de tous les travailleurs indépendants, notamment des autoentrepreneurs, qui ne sont pas couverts en cas d'accident du travail ou de chômage.
Le Sénat a déjà travaillé sur ces sujets. Vous exagérez avec vos 10 centimes... Pour nous, onze accords ont été créés depuis 2022. Nous ne partageons pas vos propos catastrophistes.
M. Pascal Savoldelli. - Il faudrait encore qu'ils soient salariés !
Mme Frédérique Puissat. - La directive, à transposer dans les deux ans, instaure une présomption de salariat. En la transposant au plus vite, la proposition de résolution fait l'impasse sur le dialogue social. Madame Ollivier, nous devons aussi prendre le temps de mieux évaluer les recettes attendues.
Notre groupe ne votera pas cette proposition de résolution ; transposons simplement la directive avant le 2 décembre 2026. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Xavier Iacovelli . - Le 14 octobre dernier, le Conseil de l'Union européenne a approuvé cette directive ; c'est une avancée réelle pour les droits de ces travailleurs.
Alors que leur nombre ne cesse de croître pour atteindre 43 millions de personnes, les 27 États membres de l'Union européenne se devaient d'harmoniser les règles. La directive garantit davantage de transparence et de protection des données personnelles. Elle prévoit une présomption de salariat. Cela représente moins d'abus pour chaque travailleur, sans limiter les opportunités de ces plateformes.
La position de la France a été constante en la matière. Le dialogue avec les plateformes a permis quelques avancées : revenu minimal par course, modalités de rupture, choix des courses...
Notre groupe se félicite de l'adoption de la directive, mais s'oppose à cette proposition de résolution, qui invite à une surtransposition hâtive. (M. Pascal Savoldelli proteste.)
Un travail précipité ne nous laisserait pas le temps de mener les négociations avec les parties prenantes. Le délai de transposition est de deux ans, non sans raison.
La loi Riders n'a pas atteint ses objectifs, à cause de trop nombreux effets de bord. Un travail de concert avec les États membres permettra d'aboutir à un meilleur résultat.
Il est déjà possible pour les travailleurs d'agir en justice pour requalifier leur contrat en contrat de travail. La justice a ainsi procédé à de nombreuses requalifications, constatant un lien de subordination. Les travailleurs indépendants peuvent aussi recourir à l'aide juridictionnelle de droit commun. Pourquoi y déroger ?
Merci d'avoir mis ce sujet au débat, mais le RDPI ne votera pas cette proposition de résolution.
M. Olivier Jacquin . - Le combat contre le travail qui rend pauvre est au coeur de la matrice des socialistes et plus généralement de la gauche. Depuis 150 ans, le mouvement social n'a eu de cesse de s'organiser pour donner des droits et des protections à ceux qui n'en ont pas, face au capitalisme vorace. Voilà que le libéralisme profite d'une nouvelle révolution pour mettre à mal notre modèle social. La plateformisation du travail est un cheval de Troie qui recèle en son coeur une boîte noire algorithmique.
Oui, la bataille pour la requalification des livreurs à vélo et des chauffeurs de VTC est un combat sociétal et non sectoriel : c'est l'arbre qui cache la forêt de l'exploitation des plus fragiles.
Cette proposition de résolution s'inscrit dans la longue liste d'initiatives pour la reconnaissance et la conquête de droits sociaux des travailleurs qui en ont le plus besoin.
Madame la ministre, votre politique de protection des plateformes doit cesser. Alors que depuis la crise sanitaire, les plateformes de livraison de repas sont surutilisées, la requalification des travailleurs de deuxième ligne s'impose.
Il faut transposer la directive de Nicolas Schmit dans sa version la mieux-disante. Nous voterons bien sûr cette proposition de résolution et posons des jalons pour la suite.
Madame la ministre, pourquoi continuer à maintenir l'Arpe ? Ce pseudo-dialogue social n'a aucun sens.
Il est temps de lutter contre l'exploitation des plus précaires. Nous ne sommes plus au temps des étudiants livrant à vélo. De faux comptes en faux contrats, des milliers de travailleurs pauvres sont les nouveaux esclaves des plateformes. Donnez plus de moyens à l'Urssaf.
Alors que la France reste un phare pour les droits des travailleurs et des plus fragiles, elle ne peut continuer à être l'eldorado du capitalisme de plateforme, qui met à mal cent-cinquante ans de progrès social. Il faut reprendre le flambeau de la protection des plus précaires. (Applaudissements à gauche)
M. Cyril Pellevat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Brigitte Devésa applaudit également.) L'adoption de la directive européenne était nécessaire pour limiter certains abus de l'ubérisation. Il convenait de protéger les travailleurs indépendants face à des contrats de travail déguisés tout en évitant de réduire la compétitivité des entreprises. Plusieurs décisions de justice ont constaté un lien de subordination entre travailleur et plateforme, entraînant la requalification en contrat de travail ou étant considéré comme du travail dissimulé.
La directive réglemente mieux les systèmes de surveillance algorithmique. Les travailleurs devront en être informés. En outre, les plateformes devront assurer une surveillance humaine sur les décisions importantes.
La directive renforce également la protection des données personnelles des travailleurs, notamment les données biométriques ou psychologiques.
Enfin, et c'est le point sur lequel il a été le plus difficile de trouver un accord entre États membres, elle crée une présomption de relation de travail, par opposition au travail indépendant. Cette présomption serait déclenchée dès qu'il y a contrôle ou direction.
Les États membres devront établir cette présomption légale d'emploi au niveau national afin de corriger le déséquilibre de pouvoir entre plateforme et travailleur. Elle sera réfutable, mais la charge de la preuve incombera à la plateforme.
L'Espagne et la Belgique voulaient un texte ambitieux, tandis que l'Europe du Nord, et la France, préféraient miser sur la négociation collective.
La transposition devra intervenir d'ici à décembre 2026. Ce délai est court. Je ne doute pas que les services du ministère du travail sont déjà à l'oeuvre. La proposition de résolution demande une transposition rapide : c'est inopportun. Laissons du temps au temps. Une transposition précipitée ne pourrait avoir que des effets délétères.
Le Parlement aura son mot à dire s'il le juge opportun. Dans l'attente, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de résolution. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - Je remercie le groupe CRCE-K d'avoir inscrit cette proposition de résolution à l'ordre du jour. Les travailleurs des plateformes méritent d'être protégés tant par la loi que par des dispositions conventionnelles. Ce sujet m'est cher. En 2023, députée de Paris, j'avais rencontré un avocat défendant les travailleurs des plateformes.
M. Pascal Savoldelli. - Vous avez aussi été conseillée par Uber au cabinet du ministre Macron !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - La directive constitue une avancée importante. En quelques mois, l'Union européenne aura adopté deux directives de progrès : celle-ci et une autre sur la transparence des salaires entre hommes et femmes.
Face au développement de nouvelles formes économiques, le Gouvernement est attentif à tenir un double équilibre entre le développement de plateformes qui répondent à des besoins nouveaux et la nécessité de bâtir une régulation sociale protectrice, alors que les relations peuvent être déséquilibrées entre plateformes et travailleurs en matière de droits - santé, prévoyance - d'autant que ces travailleurs sont souvent isolés.
Notre législation s'est adaptée pour renforcer les obligations des plateformes et faire émerger des droits pour les travailleurs, au sein de l'Arpe.
Le dialogue est parfois difficile, mais des résultats concrets ont déjà été produits. C'est loin d'être un cache-misère ; neuf accords ont été conclus par les partenaires sociaux : cinq dans le secteur des VTC, quatre dans le secteur de la livraison.
Le droit actuel permet déjà au juge de requalifier une relation commerciale en contrat de travail. Depuis mars 2020, la Cour de cassation a rendu des décisions importantes en ce sens. Le juge pénal a prononcé des condamnations à plusieurs reprises pour travail dissimulé.
Cette directive a été publiée il y a trois mois, le 11 novembre 2024. Très ambitieuse, elle mérite que nous prenions collectivement le temps d'en analyser la portée avec les partenaires sociaux. Des travaux techniques sont toujours en cours à Bruxelles pour clarifier certains points. Je pense notamment aux dispositions relatives à la gestion algorithmique : ce sont des règles spéciales par rapport au RGPD ou à la loi Informatique et libertés. La transposition nécessitera donc un travail approfondi. Aucun pays de l'Union européenne n'a pour le moment réalisé cette transposition. Nous avons besoin de quelques mois.
Le Gouvernement a mis en place un groupe de travail interministériel sur l'ensemble des questions techniques, complexes. Nous souhaitons engager des concertations sur cette base avec les partenaires sociaux.
La réalité économique des plateformes dépasse le seul secteur des transports de personnes et de la livraison. Nous devons identifier les interlocuteurs dans l'ensemble des secteurs concernés. Le Parlement sera saisi bien en amont de l'échéance du 2 décembre 2026.
Ministre du travail, je souhaite transposer la directive dans le temps imparti en menant toutes les concertations nécessaires. Je ne peux vous suivre dans les objectifs de votre proposition de résolution et vous invite à la rejeter.
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°205 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 115 |
Contre | 227 |
La proposition de résolution n'est pas adoptée.