Impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches.
Discussion générale
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - Je salue l'excellent rapport d'Emmanuel Capus et les travaux de la commission des finances, qui a rejeté le texte.
Les Français ont besoin de stabilité fiscale. Les impôts exceptionnels votés en 2025 - surtaxes d'impôt sur les sociétés et contribution différentielle sur les hauts revenus - resteront exceptionnels et nous n'avons aucun projet de nouvel impôt. Cette stabilité permet aux entrepreneurs et aux investisseurs de créer de la richesse. Je le dis à l'heure où se tient VivaTech, premier salon européen sur l'innovation.
M. Guy Benarroche. - Quel rapport avec le texte ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Cette stabilité fiscale permet à nos start-up de se financer, à nos PME innovantes de grandir et à nos industries stratégiques de rester en France.
Cette proposition de loi est à rebours des objectifs du Gouvernement.
Une voix sur les travées du GEST. - Ça c'est sûr !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Une telle contribution serait confiscatoire et inefficace. (Protestations sur les travées du GEST)
M. Guillaume Gontard. - Confiscatoire ?
Mme Christine Lavarde. - Si, elle a raison !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Confiscatoire, parce que ce nouvel impôt Zucman promet un rendement cinq fois supérieur à celui de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), concentré sur 2 000 contribuables - alors que l'ISF en frappait 350 000.
Alors que jamais les biens professionnels n'ont fait partie de l'assiette de l'ISF, les taxer aurait des effets catastrophiques : expatriation des contribuables et distribution par les entreprises d'importants dividendes, afin de permettre à leurs actionnaires de payer l'impôt, au détriment des investissements.
Cet impôt maximalement confiscatoire ferait fuir les foyers fiscaux les plus aisés. Les études sur la mobilité des contribuables de l'ISF ne peuvent être extrapolées - 1 800 personnes, contre 350 000...
Ce n'est pas moi qui dis qu'il s'agit d'un impôt confiscatoire, mais le Conseil constitutionnel. Il indiquait en 2012 qu'un ISF à 2 % devait être plafonné pour éviter une rupture de l'égalité devant les charges publiques. Le risque est que personne, finalement, ne paie cet impôt.
Ce texte, porté par le groupe écologiste et social...
Plusieurs voix sur les travées du GEST. - Solidarité !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Pardon, j'ai utilisé le nom d'un groupe d'une autre assemblée.
Ce texte prévoit d'imposer aussi les exilés fiscaux. Le rendement de l'impôt serait assuré pendant cinq ans, soit par l'impôt soit par l'exit tax. Mais la sixième année, nous n'aurions ni l'impôt, ni l'exit tax, ni les entreprises ! On provoquerait donc des expatriations certaines, pour un rendement incertain : je ne peux le tolérer. (Mmes Christine Lavarde et Agnès Evren applaudissent.)
Nous évoluons dans une économie ouverte où le capital est mobile. Seule une initiative dans le cadre concerté de l'OCDE serait pertinente. La France a porté ce combat, avec le Brésil, dans le cadre du G20 de l'an dernier. Je l'ai porté à mon tour dans le cadre de l'OCDE - où nous avons réussi à trouver un accord sur la fiscalité des multinationales. Cette proposition serait intéressante à déployer dans le périmètre du G20 ou de l'OCDE.
MM. Thomas Dossus et Guy Benarroche. - Et là, ce ne serait plus confiscatoire ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Dans un tel cadre harmonisé, nous pourrions négocier une assiette internationale n'aboutissant pas à une fuite du capital.
Éric Lombard et moi défendons l'efficacité fiscale. Il ne faut pas surtaxer les Français qui produisent de la richesse, ni ceux qui paient déjà un impôt proportionné à leurs capacités. La réforme de l'ISF et la création de la flat tax ont permis à la France de devenir championne d'Europe des investissements directs étrangers (IDE).
Cela n'empêche toutefois pas de s'interroger sur des situations marginales de suroptimisation fiscale - c'est un point de convergence entre nous. La stabilité fiscale, ce n'est pas le statu quo.
Les contribuables qui contournent l'impôt légalement ne doivent plus pouvoir le faire et l'épargne massive des Français doit aller prioritairement vers des investissements productifs en Europe, alors que plus de 300 milliards d'euros d'épargne européenne partent chaque année vers les États-Unis.
M. André Reichardt. - Très bien !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Il n'est pas logique qu'un ménage dont le patrimoine se chiffre en dizaines de millions d'euros finance son train de vie avec les revenus d'une holding patrimoniale et finalement ne paie aucun impôt sur le revenu. En résumé, nous devons taxer la rente, et non le rentier. (M. Guy Benarroche applaudit ; Mme Nathalie Goulet s'en amuse.)
Mais nous devons manier cette fiscalité avec une main tremblante, en prenant le temps de la concertation, en associant les économistes, en étudiant les mécanismes étrangers - Luxembourg, Espagne.
L'investissement, l'innovation et la croissance des entreprises sont la boussole du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
M. Emmanuel Capus, rapporteur de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Nous examinons la proposition de loi d'Eva Sas et Clémentine Autain instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des plus riches, sous l'amicale pression de ses auteurs. Mais je sais le Sénat assez résistant à ce type de pression extérieure. (On ironise sur les travées du GEST ; M. Pascal Savoldelli s'exclame.)
Pourquoi maintenant ? D'abord, l'ISF est un totem pour une partie de cet hémicycle, depuis longtemps. Ensuite, en juin 2023, l'Institut des politiques publiques (IPP) a relevé une forme de régressivité de l'impôt sur les très, très hauts revenus. Le taux effectif d'imposition - 46 % pour les plus riches - diminue pour les 0,1 % les plus aisés.
Pour aboutir à cette conclusion, l'IPP a utilisé une nouvelle définition du revenu, qui intègre le revenu non distribué mais contrôlé par les ménages. Les plus aisés peuvent en effet structurer leur patrimoine pour que leurs revenus soient moins imposables, grâce à des holdings, notamment.
Gabriel Zucman, après avoir soutenu la Nupes en 2022,...
Une voix à gauche. - Un gauchiste !
M. Emmanuel Capus. - ... a publié un rapport en juin 2024 en faveur d'une imposition à 2 % du patrimoine des milliardaires ou centimillionaires.
Cette proposition s'appuie sur le taux de croissance moyen annuel des entreprises dans le monde - pas en France - , qui serait de 7,5 % selon le magazine Forbes - qui ne cite pas ses sources... Autre bémol : c'est une moyenne, certaines années sont moins bonnes, d'autres sont meilleures. (M. Daniel Salmon s'en amuse.)
Ce texte traduit cette proposition. Il s'agit de s'assurer que ceux qui possèdent plus de 100 millions d'euros paient au moins 2 % d'impôt sur leur patrimoine. En cas de difficulté à s'acquitter de cet impôt, un échelonnement est prévu. Selon Gabriel Zucman, le rendement de l'impôt pourrait s'établir autour de 20 milliards d'euros.
La commission des finances demande le rejet de ce texte, sur deux fondements principaux.
D'abord, pour des questions de méthode. Assimiler la personne physique à la société qu'elle contrôle est inédit, et contraire à nos principes fiscaux. La notion de régressivité est, elle aussi, discutable. Car quand ces contribuables voudront consommer leurs revenus non distribués, ils paieront l'impôt. Selon Jean-Baptiste Michau, il est problématique d'évaluer l'imposition des revenus du capital selon une approche statique, en omettant la flat tax qui sera acquittée au moment du versement effectif des dividendes.
Ensuite, ce texte présente beaucoup trop de faiblesses - constitutionnelles, opérationnelles et économiques - pour être adopté.
Faiblesses constitutionnelles, d'abord. Le Conseil constitutionnel veille en effet à ce que la loi fiscale ne soit pas confiscatoire, en fixant un taux marginal maximal d'imposition. Il a ainsi considéré qu'un impôt sur la fortune au taux de 1,5 % était constitutionnel, mais qu'en revanche un taux de 1,8 % devait être assorti d'un plafond.
Faiblesses opérationnelles, ensuite. La valorisation des entreprises cotées est délicate, mais celle des entreprises non cotées l'est plus encore. De plus, le rendement du capital de certains contribuables peut être faible, voire négatif - c'est le cas des start-up -, d'où un problème de liquidité : certains devront revendre leurs actions pour payer leur impôt... Certes, le texte a prévu un échelonnement, mais cela ne résout pas le problème.
Gabriel Zucman considère que les études démontrent que le risque d'exil fiscal est assez faible. Mais il ne s'agit pas ici de l'ISF ! (M. Yannick Jadot s'exclame.) Selon Challenges, 70 % de la fortune française est concentrée dans le top 10. Donc si ne serait-ce que trois d'entre eux s'expatrient, quid du rendement de l'impôt ?
M. Guy Benarroche. - Vous naviguez en rase campagne !
M. Emmanuel Capus. - Faiblesses économiques, enfin. Cet impôt dissuaderait la création de nouvelles entreprises, déstabiliserait l'actionnariat des entreprises françaises et porterait atteinte à l'investissement dans tous nos territoires. Il n'est pas justifié d'imposer les revenus non distribués des entrepreneurs, qui ont fait le choix du développement de leur entreprise. Je pense à l'exemple de SEB.
Nous ne sommes pas contre un mécanisme qui éviterait la régressivité de l'impôt en haut du spectre, mais celui-ci n'est pas le bon.
Plutôt que d'augmenter les impôts des très, très riches, baissons les impôts de tout le monde pour que chacun se retrouve dans la même situation que les plus riches. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; vives protestations sur les travées du GEST)
M. Xavier Iacovelli . - Ce texte, sous des apparences de justice sociale, est en réalité le fruit d'une démagogie, aussi séduisante en surface qu'inquiétante dans ses conséquences.
Faire contribuer davantage les plus fortunés peut sembler juste, mais le mécanisme proposé est fragile, risqué et juridiquement contestable.
Le patrimoine privé et professionnel serait assujetti à cette taxe, car l'outil de travail est considéré comme un simple coffre-fort. Or une entreprise n'est pas un capital dormant, c'est un levier de croissance.
Alors que la France a regagné en attractivité - depuis 2018, 320 contribuables sont revenus s'installer en France -, n'envoyons pas un signal de défiance.
La fameuse taxe de 75 % mise en place par le président Hollande a été un échec : elle n'a rapporté que 420 millions d'euros en deux ans ; elle a provoqué l'exil fiscal massif de 3 500 à 4 000 contribuables ; elle a pénalisé l'attractivité économique de la France.
Cette proposition de loi risque d'avoir les mêmes effets.
Souhaitons-nous faire revenir les talents ou les faire fuir ?
M. Guy Benarroche. - Quels talents ?
M. Xavier Iacovelli. - Souhaitons-nous une France d'opportunités ou une France de pénitence fiscale ? Souhaitons-nous trouver une solution au problème budgétaire de la France ou préférons-nous faire partir nos plus gros contributeurs ?
Il ne s'agit pas de défendre les ultrariches, (« Ah ! » sur les travées du GEST), mais de défendre une France qui attire les investissements et les talents.
M. Emmanuel Capus. - Bien dit !
M. Xavier Iacovelli. - Dans un monde globalisé, les capitaux et les cerveaux se déplacent. Nos concurrents sont prêts à accueillir tous ceux que nous découragerons. (Protestations sur les travées du GEST)
Nous aspirons tous à un monde plus égalitaire. Cette proposition de loi séduit par sa simplicité. Mais dès qu'on gratte un peu le vernis, le sujet est plus complexe : être les seuls au monde à appliquer cette mesure aggraverait les inégalités. Confondre simplicité et simplisme, c'est prendre le risque de donner une fausse solution à un vrai problème.
Comme le veut le Président de la République, privilégions les travaux internationaux pour une imposition minimale mondiale des plus fortunés. Au niveau national, luttons contre l'optimisation fiscale, car on ne peut pas demander 40 milliards d'efforts aux Français sans faire contribuer les plus riches. (Mme Nathalie Goulet s'exclame.)
Trouver des alternatives responsables, oui. Tomber dans une fiscalité punitive et démagogique, non. (Exclamations sur les travées du GEST)
Défendons une ligne claire : une France qui attire et ne fait pas fuir, une France qui croit en ses entrepreneurs et ne les stigmatise pas. Le vrai courage est dans l'investissement, la réforme et l'économie.
Le RDPI votera contre ou s'abstiendra majoritairement. (M. Emmanuel Capus applaudit.)
M. Raphaël Daubet . - Il est des textes qui ne résolvent pas tout, mais ouvrent une brèche dans le mur des injustices. C'est le cas de cette proposition de loi, qui a le mérite de s'attaquer à un angle mort de notre fiscalité : les superpatrimoines et les fortunes insolentes qui prospèrent bien plus vite que l'impôt - je le dis sans démagogie ni stigmatisation des personnes concernées.
Il faut avoir l'honnêteté de le reconnaître : certains de nos concitoyens, les plus riches, ne contribuent pas comme ils le devraient. Oui, les plus grandes fortunes acquittent, en proportion, moins que les cadres moyens ou les artisans. L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce pourtant que la contribution publique doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés.
Ce texte n'est pas une provocation. Il s'adresse aux républicains de tout poil. Il apporte un début de réponse à la profonde crise budgétaire actuelle, qui se mue déjà en crise sociale : les inégalités se creusent, les services publics meurent à petit feu, le consentement à l'impôt s'effrite et le pacte républicain s'érode. Alors que la grande majorité contribue à l'effort commun, une infime minorité échappe largement - et légalement - à la solidarité nationale.
Je n'enlève rien au mérite de ces personnes ni à leur fonction dans l'économie et la société, mais cette situation n'est pas tenable. Rétablir la justice fiscale est une exigence qui n'a rien de révolutionnaire. Mon groupe, le plus ancien du Sénat, celui de Joseph Caillaux, votera ce texte. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Confiscatoire : c'est le mot que, déjà, on opposait aux radicaux qui défendaient l'impôt sur le revenu. Nous laisserons-nous intimider ? La République peut-elle légiférer sous la menace ?
Mme Nathalie Goulet. - Non !
M. Raphaël Daubet. - Ce texte n'est pas parfait, mais il est nécessaire. Adoptons-le et faisons-le évoluer, non pour l'édulcorer, mais pour l'installer dans la durée et en faire l'une des clés d'un pacte fiscal réconcilié avec la République. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST et sur de nombreuses travées du groupe SER ; M. Jean-Pierre Corbisez et Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)
M. Michel Canévet . - Le groupe UC est particulièrement attaché à la justice fiscale. Nous avons formulé de nombreuses propositions en ce sens lors des précédentes discussions budgétaires, en particulier l'instauration d'un impôt sur la fortune improductive en remplacement de l'IFI. Hélas, cette mesure, votée par le Sénat, n'a pas prospéré.
Il est normal que les plus riches contribuent de façon significative au redressement des finances publiques. À cet égard, nous attendons beaucoup des conclusions de la commission d'enquête sur la délinquance financière, dont Nathalie Goulet est rapporteure. Nous devons en particulier mettre en place des dispositifs de lutte contre l'évitement fiscal. La mesure proposée par Mme Goulet en matière d'arbitrage de dividendes doit aussi être mise en oeuvre.
Toutefois, alors que la situation des finances publiques est préoccupante, l'effort premier doit porter sur la réduction des dépenses, dont la France détient le record parmi les pays développés. Le Gouvernement devra faire des propositions en ce sens dès le projet de loi de finances.
Nous devons aborder les taxations supplémentaires avec prudence. Nous avons fixé un cap pour l'attractivité : la stabilité fiscale. Or celle-ci a déjà été mise à mal par la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises.
Le groupe UC a beaucoup apprécié la contribution différentielle sur les hauts revenus. Madame la ministre, nous vous invitons à réfléchir à des dispositifs de cette nature pour faire contribuer les plus aisés de manière minimale.
Le dispositif dont nous débattons est différent, puisqu'il prend en compte l'ensemble du patrimoine. Nous sommes particulièrement gênés par l'intégration de l'outil professionnel dans l'assiette.
M. Cédric Chevalier. - Bravo !
M. Michel Canévet. - Ce n'est pas en taxant l'outil de travail que nous soutiendrons le développement économique. Le salon VivaTech, qui se tient ces jours-ci, nous rappelle que nous devons investir massivement dans les entreprises innovantes, dont la valorisation peut augmenter significativement lorsqu'elles réussissent. Quel signal enverrions-nous aux acteurs du capital-risque si nous adoptions ce texte ?
M. Grégory Blanc. - Ils ont déjà une fiscalité avantageuse.
M. Michel Canévet. - Certains sénateurs du groupe UC voteront ce texte (marques de satisfaction à gauche), mais la majorité d'entre nous s'y opposera. Nous proposons plutôt de taxer davantage les plus-values latentes et de revoir la niche fiscale sur les donations du plan d'épargne retraite. (MM. Emmanuel Capus et Cédric Chevalier applaudissent.)
M. Emmanuel Capus. - Excellent !
M. Pascal Savoldelli . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, sur des travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST) Nous vivons dans une France de l'héritage, pas du mérite. La richesse se transmet davantage qu'elle ne se conquiert. Le capital paie plus que le travail.
Cette proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, instaure un impôt plancher de 2 %. C'est non pas une radicalité, mais une normalité démocratique. C'est le minimum du minimum ! Et quand ce minimum est jugé excessif, c'est le régime politique et économique qu'il faut interroger.
De longue date, nous formulons de nombreuses propositions pour rééquilibrer notre système fiscal, hélas souvent refusées par des gouvernements aux orientations politiques différentes.
Le taux d'imposition effectif est régressif, passant de 46 % pour les 0,1 % les plus riches à 26 % pour les 0,0002 % les plus aisés. Pensez-vous que les Français souhaitent cette stabilité, madame la ministre ? Non !
Ayons une lecture économique des situations patrimoniales. À ce niveau de richesse, ce n'est plus le revenu déclaré qui traduit la capacité contributive, mais la masse critique du capital accumulé, souvent immobilisé, parfois dissimulé, presque toujours optimisé. La droite refuse des outils nouveaux, adaptés à une économie transnationale et spéculative, tout en prétendant défendre l'efficacité de l'action publique. Elle soutient une pseudo-modernité quand il s'agit de réduire les droits sociaux et invoque la tradition quand il s'agit de ménager les fortunes.
Ce débat touche à l'éthique républicaine, à la cohésion de la nation. L'État est-il encore le garant de l'intérêt général ou est-il devenu le protecteur des intérêts particuliers lorsqu'ils dépassent les huit zéros ? Est-ce à l'État d'anticiper les exils fiscaux ou aux plus fortunés d'assumer de vivre dans un pays où la solidarité est une condition d'appartenance ?
Depuis 2010, les États-Unis contraignent les banques étrangères à fournir des renseignements sur les comptes de leurs ressortissants pour les dépôts supérieurs à 50 000 dollars.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Nous aussi.
M. Pascal Savoldelli. - Les faits sont têtus. Les 500 premières fortunes françaises détiennent 1 228 milliards d'euros d'actifs nets, soit une hausse de 890 % en vingt ans. Les dix premières possèdent à elles seules 400 milliards d'euros, mais ne contribuent qu'à 0,2 % de leur fortune. Et le filet fiscal que nous proposons serait confiscatoire...
À force de protéger l'exception, vous êtes en train de normaliser l'injustice. La République, ce n'est pas le confort des puissants, mais l'égalité comme condition du commun. Il n'y a pas de République sans justice, pas de nation sans contribution. Avec l'impôt plancher, l'extrême richesse ne sera plus une extrême dérobade. Nous voterons ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE)
M. Thomas Dossus . - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur de nombreuses travées du groupe SER) La question posée est assez simple : existe-t-il en France un niveau de richesse à partir duquel on est autorisé à payer moins d'impôts que le reste de la population ?
Les plus fortunés paient proportionnellement moins d'impôts, grâce à l'optimisation légale. L'ensemble des Français paient environ 50 % de leurs revenus au total en impôts et cotisations. Mais, à partir de 100 millions d'euros de patrimoine, cette proportion tombe à 27 %. Vous n'avez jamais remis en cause ce constat, madame la ministre.
Les 500 plus grandes fortunes françaises ont vu leur patrimoine décupler en vingt ans, pour atteindre 1 228 milliards d'euros.
Le dispositif proposé n'est pas confiscatoire ou vexatoire. Il vise à corriger une inéquité flagrante : c'est un mécanisme anti-abus.
On a fait simple, mais pas simpliste : les contribuables dont le patrimoine dépasse 100 millions d'euros devront acquitter au moins 2 % de celui-ci en impôt.
Bien sûr, les fatalistes soutiennent que nous ferons fuir les grandes fortunes. D'abord, les études montrent que ce phénomène est marginal. Ensuite, nous prévoyons que ceux qui s'exileraient resteraient redevables des sommes dues pendant cinq ans. Face à l'illiquidité, nous proposons d'étaler les paiements, comme c'est le cas pour l'impôt sur les successions et comme il semble que vous le prévoyiez, madame la ministre, dans votre dispositif anti-abus.
Reste la question du caractère confiscatoire de ce mécanisme. Il est clair qu'un impôt plancher de 2 % au-dessus de 100 millions d'euros, et alors que le rendement du patrimoine est de 5 à 6 %, ne mettra aucun contribuable en difficulté. Les personnes concernées continueront de s'enrichir, certes un peu moins vite.
À la veille de débats budgétaires difficiles, les efforts que vous demanderez aux Français seront absolument inaudibles si vous n'acceptez pas notre proposition. Tocqueville a écrit : « Du moment que l'impôt avait pour objet, non d'atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s'en défendre, on devait être amené à cette conséquence monstrueuse de l'épargner au riche et d'en charger le pauvre. »
Dans les cahiers de doléances de 1789, la réforme de l'impôt figure parmi les revendications principales. La nuit du 4 août, on abolit, avec les privilèges, les exemptions fiscales de la noblesse et du clergé. Plus de deux siècles plus tard, la soif de la justice fiscale irrigue toujours les cahiers de doléances mis en place pendant le mouvement des gilets jaunes.
Existe-t-il en France un niveau de richesse à partir duquel on est autorisé à payer moins d'impôts que le reste de la population ? Évidemment non ! Respectons nos textes fondateurs et votons ce texte pour faire en sorte que la contribution commune soit répartie également entre tous les citoyens. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Thierry Cozic . - L'égalité devant l'impôt, principe fondamental, est au coeur de cette proposition de loi, qui ne touche que les 0,01 % des foyers les plus riches, soit 1 800 foyers.
L'impôt sur le revenu, pilier de la progressivité fiscale, échoue à imposer efficacement les plus grandes fortunes, qui minimisent leur revenu taxable. Pour les plus riches, l'impôt personnel devient ainsi fortement régressif, ne représentant plus que 2 % du revenu économique des 378 foyers les plus aisés. Ce texte ne vise donc pas à taxer les riches, ni même les super riches. Il s'agit d'effacer la régressivité actuelle.
Ce n'est pas le grand soir fiscal, simplement du bon sens : les milliardaires ne doivent pas payer moins d'impôts que leur secrétaire ou leur chauffeur !
Le ministre Lombard s'est opposé à ce texte en commission avec des arguments surprenants sur lesquels je souhaite revenir, parce qu'ils illustrent la méprise volontaire sur ce dispositif.
Il a notamment repris à son compte l'argument éculé selon lequel les milliardaires se verraient contraints de vendre leur entreprise. En moyenne, leur patrimoine rapporte 7 % par an. S'ils prétendent ne pas avoir de liquidités, c'est parce qu'ils organisent leur illiquidité, via des holdings notamment.
M. Lombard n'est pas seul. Dans sa dernière interview télévisée, au milieu de trois heures de commentaires d'une vie politique qui s'écrit désormais sans lui, le Président de la République a tenu à marquer son dernier pré carré : la défense des plus riches. Il a affirmé qu'il y aurait un risque de départ massif des plus fortunés, mais la littérature économique invalide totalement cette idée. L'exil fiscal est un phénomène négligeable. Ainsi, en Suède et en Norvège, seulement 2 % des contribuables concernés sont partis après la mise en place d'un impôt plancher de 1 %.
J'entends le risque d'inconstitutionnalité. Mais le président Raynal l'a dit : dès lors qu'un nouveau dispositif fiscal est proposé, on fait face à la possible censure du Conseil constitutionnel. Laissons le législateur légiférer et le Conseil constitutionnel statuer. Au demeurant, monsieur le rapporteur, vous pourriez voter l'amendement de repli du groupe SER prévoyant un taux de 1 % : vous réduiriez ainsi ce risque à néant...
En dix ans, la fortune des plus riches est passée de 400 milliards à 1 500 milliards d'euros. Depuis que M. Macron est au pouvoir, la rémunération des actionnaires a bondi de 114 % ! Près de 80 % des Français pensent qu'une taxation des plus fortunés est nécessaire.
Tendre vers plus de justice fiscale va dans le sens de l'histoire. En 1909, la Chambre des députés votait l'impôt sur le revenu : le Sénat, avec une majorité analogue à celle d'aujourd'hui, bloqua la réforme cinq ans durant. Après huit ans de macronisme, nos finances publiques sont dans un état qui ne nous permet plus d'attendre. Pouvons-nous nous payer le luxe de nous priver de 20 milliards d'euros de recettes fiscales ?
Votons ce texte, c'est une question d'équité fiscale et de cohésion sociale ! (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains) Je remercie le GEST d'avoir inscrit ce texte à notre ordre du jour.
Taxer, taxer toujours plus, partout et en tout temps : cette obsession est la marque de courants de pensée en manque d'idées. Pourtant, selon la formule de Churchill, essayer d'atteindre la prospérité par l'impôt revient à se tenir debout dans un saut et à tenter de se soulever soi-même par la poignée...
M. Emmanuel Capus. - Excellent !
M. Marc Laménie. - Le dispositif imaginé par Gabriel Zucman, soutien de la Nupes aux dernières élections législatives, est simple en apparence ; en réalité, inapplicable et dangereux s'il était appliqué.
D'abord, on taxerait non seulement les biens détenus en France, mais aussi les biens à l'étranger. Comment le fisc organisera-t-il les contrôles dans le monde entier ?
Ensuite, les non-résidents fiscaux seraient aussi taxés. La France, première destination des investissements étrangers en Europe depuis six ans, enverrait un message clair : cessez d'investir chez nous ! (M. Emmanuel Capus renchérit.)
De nombreuses start-up ont des valorisations très élevées sans être pour autant profitables : il n'y a alors pas de liquidités pour s'acquitter de l'impôt.
Quant aux grandes entreprises, qui font vivre nos territoires, ceux qui les dirigent n'auraient d'autre choix que de se verser des dividendes, soumis à la flat tax, ou de vendre des actions. Suivant l'anarchiste Proudhon, qui considère la propriété comme un vol, nous encouragerions les plus grandes fortunes à revendre leur entreprise. Les personnes visées par cette taxe sont pourtant les seules à pouvoir investir sous forme de capital-risque dans notre économie. Preuve de la méconnaissance de notre économie par les auteurs du texte.
Cette proposition de loi ferait parler dans les journaux pendant quelques semaines, jusqu'à la censure du Conseil constitutionnel. Mais nous enverrions le message que la France n'est pas le pays où il faut créer de la valeur, qu'il vaut mieux investir en Italie, en Espagne ou en Allemagne.
Ce texte met le doigt sur une problématique certaine, mais ne propose pas une bonne solution. Le groupe INDEP votera contre. Pour ma part, je m'abstiendrai. (Quelques applaudissements et marques d'ironie à gauche ; M. Michel Canévet applaudit.)
M. Dominique de Legge . - L'imposition des hauts revenus nourrit depuis longtemps les réflexions des économistes et des moralistes.
Cette proposition de loi propose l'application de la taxe Zucman, conçue par l'économiste français Gabriel Zucman et qui prendrait la forme d'un impôt plancher en fonction de la fortune.
Les 0,02 % des contribuables les plus riches s'acquittent d'un taux d'imposition moyen de 27 %, contre 46 % pour les 0,1 % les plus fortunés, du fait de l'optimisation fiscale et de l'utilisation de niches et structures juridiques permettant de réduire l'impôt. Ce déséquilibre manifeste soulève une question de fond au regard du principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt.
Les auteurs du texte proposent que les foyers fiscaux versent chaque année en impôt 2 % au moins de la valeur nette de leur patrimoine, dès lors qu'il dépasse 100 millions d'euros. Ce mécanisme ne crée pas un impôt supplémentaire, mais repose sur une logique de contribution différentielle. Il concernerait 1 800 contribuables et pourrait rapporter entre 15 et 25 milliards d'euros. Il s'agit de garantir qu'aucun contribuable, quelle que soit l'ingéniosité de ses stratégies d'optimisation, ne puisse échapper à une contribution minimale.
Le mécanisme se concentre sur ceux qui, bien qu'extrêmement fortunés, contribuent faiblement à l'impôt. Difficile d'imaginer un dispositif plus ciblé. Il ne s'agit donc nullement d'un rétablissement de l'ISF, qui concernait 358 000 foyers en 2017, avant que sa réforme ne maintienne assujetties les classes moyennes propriétaires de biens immobiliers non délocalisables et n'exempte les plus riches détenteurs d'un patrimoine financier délocalisable.
Malgré l'intention louable de rétablir une plus grande justice fiscale, le dispositif proposé soulève plusieurs difficultés. (On ironise à gauche.)
La première est l'absence d'étude d'impact. (Exclamations ironiques à gauche)
Ensuite, sur la méthode, la position du groupe Les Républicains est constante : nous devons intégrer ces réflexions fiscales à la réflexion plus générale sur le budget. Nous invitons le Gouvernement à proposer, dans le cadre du projet de loi de finances, des mesures pour faire évoluer la situation, par exemple en réformant l'IFI dans le sens que notre groupe défend depuis des années à l'initiative d'Albéric de Montgolfier.
Pour ces raisons, nous ne voterons pas la proposition de loi. (M. Emmanuel Capus et Mme Agnès Evren applaudissent.)
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je tiens à rappeler certaines réalités pour ancrer ce débat, au demeurant légitime.
Y a-t-il encore de la justice fiscale ? En 2023, Jean-Marc Germain a mené au nom de l'Insee une étude sur le caractère redistributif de notre système fiscalo-social : il en ressort que celui-ci réduit l'écart de revenus entre le premier et le dixième décile de 1 à 18 à de 1 à 3. Nous sommes un des pays les plus redistributifs d'Europe.
M. Guy Benarroche. - Nous le savons ! Ce n'est pas le sujet !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Le taux marginal d'imposition, après application de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, est de 49 %, ce qui est particulièrement élevé en Europe.
La contribution est-elle bien proportionnelle au revenu ? Un quart des contribuables acquittent les trois quarts de l'impôt sur le revenu, et 0,1 % des contribuables, représentant 0,9 % des revenus, en payent 4 %.
Quant à l'IFI, son rendement a progressé de 11 % entre 2023 et 2024, à 2,2 milliards d'euros. Le PFU rapporte, lui, 6,3 milliards d'euros ; ce rendement a doublé entre 2018 et 2023.
La question que vous posez, c'est la suroptimisation du revenu fiscal de référence. De fait, à l'occasion de contrôles fiscaux, nous constatons que des contributeurs aux patrimoines très élevés ont des revenus fiscaux de référence qui les rendent éligibles au RSA ou au logement social...
M. Guy Benarroche. - Attention ! Si on leur retire le RSA, ils vont partir.
M. Pascal Savoldelli. - Il faudrait qu'ils travaillent 15 heures !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Ils ont la décence de ne pas demander le RSA. (On se gausse à gauche.)
Ces mécanismes sont indécents, mais légaux, en sorte que les autorités fiscales n'ont pas les outils de redressement. C'est sur ce point que nous travaillons.
M. Guy Benarroche. - Nous y avons travaillé !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - La justice fiscale ne peut s'accommoder de telles situations, dans lesquelles, du fait des revenus détachés, le revenu fiscal de référence est insincère.
L'orateur du groupe UC a évoqué la contribution différentielle sur les hauts revenus. Je précise qu'elle ne règle en rien ce problème, puisqu'elle s'appuie sur le revenu fiscal de référence.
Je suis totalement consciente du problème et nous y travaillons. La lutte contre ces pratiques abusives fait consensus, notamment dans le monde entrepreneurial. Ce que nous cherchons à encourager, ce sont les entrepreneurs, les familles qui conservent des entreprises en France, l'innovation.
M. Pascal Savoldelli. - C'est de la langue de bois !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - S'assurer que le revenu fiscal de référence n'est pas insincère, ce n'est pas imposer 2 % par an sur du stock. Systématiquement, le Conseil constitutionnel a considéré que la fixation d'un taux sans plafonnement n'était pas acceptable.
M. Guy Benarroche. - Ce n'est vrai !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Depuis quarante ans, le seul taux accepté sans plafonnement est 0,5 % : je livre cette information à votre sagacité...
Discussion de l'article unique
Mme Ghislaine Senée . - (Applaudissements sur quelques travées du GEST) Les Français nous regardent et attendent que nous traitions ce sujet important - et les élus locaux aussi, au regard des difficultés financières des collectivités.
Notre seul objectif est de sortir la France du marasme dans lequel sept ans de macronisme l'ont plongée. La tension est forte dans la société, et la justice sociale est un enjeu primordial.
Le déficit public explose - 170 milliards d'euros en 2024 -, la dette dépasse 3 000 milliards d'euros et pourtant la France est un paradis fiscal pour ultrariches : les 500 plus grandes fortunes détiennent à elles seules 1 228 milliards d'euros, sept fois notre déficit.
Cette taxe est défendue par Jean Pisani-Ferry, Olivier Blanchard. Bruno Le Maire lui-même l'a soutenue en Europe. Au vu de la gravité de la situation, il faut absolument répartir les efforts demandés. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. Yannick Jadot . - Dans quel régime politique vivons-nous pour que vous défendiez avec tant de ferveur 1 800 foyers fiscaux ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je défends des millions d'emplois.
M. Yannick Jadot. - La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui fait partie de notre Constitution, consacre la justice fiscale. Mais vous préférez perdre 20 milliards d'euros pour protéger des privilégiés plutôt que d'investir dans la santé, l'école, la transition écologique ou la réindustrialisation. Sommes-nous donc en ploutocratie ?
Le Sénat devrait se battre bec et ongles contre les coupes budgétaires qui affectent nos collectivités. Est-il redevenu la Chambre des pairs, surtout soucieuse de défendre les privilégiés ? Sommes-nous revenus à l'Ancien Régime, lorsqu'une caste était exonérée d'impôt ?
Relisez Tocqueville : des « manières de distinguer les hommes et de marquer les classes, l'inégalité d'impôt est la plus pernicieuse et la plus propre à ajouter l'isolement à l'inégalité, et à rendre en quelque sorte l'un et l'autre incurables ». Il ajoutait que lorsque deux classes ne sont pas également imposées, elles n'ont presque plus de raison de délibérer et d'agir ensemble.
Ce n'est ni une confiscation ni une obsession : c'est l'égalité fiscale. Et si elle rapporte 20 milliards d'euros, c'est bon à prendre ! (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
M. Grégory Blanc . - L'équité fiscale supposerait de refonder l'impôt sur le revenu et d'améliorer la fiscalité sur le capital. Rappelons que les dividendes ne sont imposés qu'à 12,8 % et que les plus-values latentes ne sont pas fiscalisées. La question des héritages aussi doit être remise en débat.
Il s'agit d'une loi anti-abus, visant la suroptimisation de certains hauts patrimoines. Ce n'est pas en essayant de corriger des dispositifs, ce qui laissera nécessairement des trous dans la raquette, qu'on réglera le problème. Il faut innover, ce que fait ce texte. Oui, le mécanisme proposé agrège ce qui relève de la fiscalité sur la personne physique et ce qui relève de la fiscalité sur l'entreprise. Mais la suroptimisation résulte précisément de tours de passe-passe entre personnes physiques et morales. Nous devons repenser notre fiscalité à cette aune.
Au moment du covid, certains patrimoines ont considérablement augmenté du fait de l'injection massive de liquidités de la BCE. Il serait juste qu'il y ait un retour d'ascenseur.
M. Alexandre Ouizille . - On a parlé de mesure totémique, symbolique. C'est, au contraire, un enjeu fondamental.
En 1985, les 1 % les plus riches détenaient 16 % de la richesse nationale ; aujourd'hui, 25 %. La confiscation est dans l'autre sens ! Les 99 % se sont vu confisquer 9 % de plus de la richesse nationale créée. Et que proposez-vous ? Rien.
Pour l'an prochain, vous voulez trouver 40 milliards d'euros. Nous vous en proposons cet après-midi la moitié.
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est méconnue lorsque les contribuables ne paient pas en raison de leurs facultés. En l'occurrence, l'imposition est dégressive à partir des 0,1 % les plus riches. Et qu'on ne dise pas que l'épargne risquerait de manquer : nous en avons en excès !
Nous sommes revenus à une société d'héritiers, avec 65 % du patrimoine hérité. Il faut une après-midi du 12 juin pour changer la donne ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER et du GEST)
M. Yan Chantrel . - Nous vivons un moment de vérité.
Vous faites reposer les efforts toujours sur les mêmes, en épargnant toujours les mêmes autres - les multimillionnaires.
Quand on commet autant d'erreurs de politique économique pendant huit ans - baisses d'impôts qui ont creusé le déficit sans nous faire gagner le moindre point de croissance - on révise ses choix. Vous, au contraire, vous apprêtez à faire des coupes qui affecteront les soins ou l'école.
Cette mesure vous rapporterait 20 milliards d'euros. Le gouvernement auquel vous appartenez compte une moitié de millionnaires, mais même vous ne serez pas concernés, puisque le dispositif s'applique à ceux qui gagnent plus de 100 millions d'euros.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Il ne s'agit pas d'un gain ! Il s'agit de patrimoine.
M. Yan Chantrel. - Le redressement des comptes publics ne sera jamais accepté sans justice fiscale ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Anne Souyris . - M. de Legge et Mme de Montchalin reconnaissent une inégalité fiscale, mais disent : faisons autrement. Pour l'un, il faut attendre le PLF ; pour l'autre, modifier le calcul du revenu fiscal de référence. Mais, en attendant, pourquoi ce dispositif simple, qui ne fait que compenser une quasi-absence d'impôt, ne pourrait-il pas être mis en place ? C'est une mesure de solidarité au moment où vous demandez aux Français des efforts considérables ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Pascal Savoldelli . - Le rapport que vous citez, madame la ministre, indique qu'avant transfert, les ménages aisés disposent en moyenne d'un revenu dix-huit fois supérieur à celui des ménages les plus pauvres. Là, on vous suit.
Vous oubliez de dire (Mme Amélie de Montchalin proteste) que ce n'est qu'après transfert, donc après accès aux services publics, que l'on constate une réduction importante des inégalités, avec un rapport de un à trois.
Mais qui paie les services publics ? Qui réduit cet écart ? La dépense publique, à laquelle les ultrariches doivent aussi participer. (Mme Amélie de Montchalin sourit à l'orateur.) Vous souriez amicalement, mais il vous faudrait lire plus attentivement les rapports...
M. Emmanuel Capus, rapporteur de la commission des finances . - Il est important de débattre sereinement. J'entends les critiques de Ghislaine Senée, Grégory Blanc, Yan Chantrel et Pascal Savoldelli. Monsieur Jadot, vous avez quelque peu dérapé en affirmant que les sénateurs de droite ou le Sénat en général défendraient les milliardaires. (Exclamations ironiques sur les travées du GEST)
Nous ne vivons pas en ploutocratie, mais en démocratie. Le Sénat résiste à toutes les pressions, y compris celles des lobbys et aux courriels que tous les sénateurs reçoivent depuis une semaine ! (Vives protestations sur les travées du GEST)
Le professeur Zucman vous l'a dit, un impôt à 2 % sans plafonnement est contraire à la Constitution.
M. Guy Benarroche. - Déposez un recours !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - C'est un peu fort de café de reprocher aux sénateurs de droite de ne pas respecter la démocratie. En démocratie, on n'attaque pas comme vous le faites.
M. Guillaume Gontard. - Vous nous attaquez un peu aussi...
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Il est nauséabond et populiste de vouloir faire croire aux gens que la majorité sénatoriale s'opposera au texte pour protéger les plus riches (l'ironie redouble sur les travées du GEST), alors que c'est exactement le contraire : c'est pour protéger notre économie, les entreprises et l'investissement. Si vous croyez que vous serez bien accueilli dans vos circonscriptions après avoir ainsi tué l'investissement, vous vous mettez le doigt dans l'oeil, si je puis dire. (Protestations à gauche)
M. Michaël Weber. - C'est vous qui serez mal accueilli !
M. Michel Canévet . - À écouter certains orateurs, on pourrait croire que les ultrariches ne paieraient pas d'impôts. C'est faux ! Les 83 milliards d'euros d'impôt sur le revenu ont été payés par 19 millions des 41 millions de foyers fiscaux du pays. Parmi eux, 10 % ont payé 75 % du produit de l'impôt. Cela signifie que 4 % des foyers fiscaux ont payé les trois quarts de l'impôt sur le revenu de l'an passé ! (Protestations sur les travées du GEST) Il faut rectifier les choses. Oui, les plus aisés contribuent, parce que nous avons un système fiscal progressif. (Exclamations ironiques sur les travées du GEST)
M. Grégory Blanc. - Y a-t-il eu redistribution ?
M. Michel Canévet. - Enfin, dire qu'on peut récupérer 20 milliards d'euros est un mirage !
Mme Christine Lavarde . - Je n'ai pas assisté à l'ensemble des débats, mais on m'a rapporté certains propos. Depuis plusieurs années, notre groupe défend une révision de l'IFI pour taxer la fortune improductive. Mais la mesure n'a pas suffisamment suscité l'adhésion. (M. Thomas Dossus proteste.) Le rapporteur général s'est battu pour obtenir un dispositif anti-CumCum ; au printemps, en commission, nous avons interpellé le Gouvernement sur les mesures d'application réglementaires pour rendre ce dispositif effectif. Nous ne sommes pas aveugles sur la question de la contribution des plus riches.
Mais cette mesure nous semble inefficace, car il faut continuer à investir dans l'innovation, la transition climatique, la défense...
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Très bien !
Mme Christine Lavarde. - Il faut garantir notre souveraineté dans des filières stratégiques - mais vous êtes prêts à ce que les détenteurs de ces actifs les vendent pour payer cet impôt !
De l'autre côté de la Manche, 11 000 millionnaires ont quitté le pays lorsque le gouvernement travailliste a instauré une taxation des plus riches. Est-ce ce que vous voulez pour notre pays ? Pourquoi Gabriel Zucman n'a-t-il pas réussi à convaincre les pays gouvernés par la gauche ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Laure Darcos. - Bravo !
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - Nul ne peut dire que nous mettrions sous cloche 1 800 personnes. Les ETI - qui génèrent des dividendes non distribués et qui ont des valorisations importantes - représentent 4 millions d'emplois ; les entreprises du CAC 40, 1,2 million d'emplois. Je ne protège personne, sinon l'emploi, l'économie, l'investissement et la croissance... (M. Yannick Jadot proteste.)
M. Guillaume Gontard. - Et ça marche ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Si nous harmonisions nos règles au niveau de l'Union européenne ou de l'OCDE, nous pourrions avancer dans ce domaine. (Protestations sur les travées du GEST)
M. Yannick Jadot. - Il faut donner l'exemple !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - À la fin, on se retrouverait tous seuls !
M. Yannick Jadot. - C'est déjà le cas pour la TVA !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Sur les questions budgétaires, certains d'entre vous me disent : madame la ministre, avec notre solution, le déficit est résolu de moitié. (Mme Ghislaine Senée et M. Grégory Blanc le contestent.)
Si nous voulons arrêter de créer de la dette tous les ans, donc passer en dessous de 3 % de déficit d'ici la date encore trop lointaine de 2029 - car payer plus d'intérêts que de dépenses pour l'éducation nationale n'est pas satisfaisant -, il nous faut globalement réduire en 2029 notre dépense d'à peu près 100 milliards.
Vous me dites qu'avec un taux de 2 %, on trouverait 25 milliards ; l'an prochain, il faudrait trouver 25 milliards d'euros supplémentaires, donc passer à 4 %, jusqu'à atteindre 8 % pour couvrir le manque. (Exclamations sur les travées du GEST)
M. Pascal Savoldelli. - Franchement...
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Pascal Savoldelli a la solution !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Il est honnête de dire aux Français que nous ne pouvons pas stopper l'augmentation de la dette sans toucher au rythme des dépenses. (Protestations sur les travées du GEST)
L'autre manière de le dire est que, chaque année, la dépense de santé augmente naturellement de 15 milliards d'euros. Si je suis votre raisonnement, il faudrait créer un nouvel impôt chaque année de 15 milliards d'euros supplémentaires...
M. Pascal Savoldelli. - Vous êtes ministre des comptes publics !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Oui, et en tant que ministre des comptes publics, il me semble que le débat est confus. (On se gausse à gauche.) Notre équation budgétaire est de tenir l'effort dans le temps et non pas de proposer une solution ponctuelle et facile. (Vives protestations sur les travées du GEST)
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Très bien !
M. le président. - Mes chers collègues, nous devons avancer si nous voulons examiner l'autre texte inscrit à l'ordre du jour.
Amendement n°6 rectifié de M. Daubet et alii.
M. Raphaël Daubet. - Cet amendement pragmatique prévoit de relever l'abattement sur les résidences principales à 1,5 million d'euros.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - La commission proposant le rejet du texte, l'ensemble des amendements recevront un avis défavorable.
Cet amendement est cosmétique et ne change pas l'économie du texte. Ce sujet n'a pas été évoqué dans les auditions. La fortune des personnes concernées dépassant 100 millions d'euros, la valeur de leur résidence dépasse certainement 1,5 million d'euros... Le vrai problème concerne plutôt l'outil de travail - et je sais que ce point de vue est partagé, y compris sur d'autres bancs que ceux de la droite et du centre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Même avis. Si cette taxe venait à être votée, je souhaite que nous conservions le même abattement que pour l'IFI.
M. le président. - Un scrutin public a été demandé sur l'ensemble de l'article unique.
L'amendement n°6 rectifié est adopté.
M. le président. - Amendement n°7 rectifié de M. Grosvalet et alii.
M. Raphaël Daubet. - Cet amendement renforce la sécurité juridique de l'impôt proposé. La valorisation des valeurs mobilières fonctionnerait comme pour l'IFI : il serait possible d'opter soit pour le dernier cours connu soit pour la moyenne des trente derniers jours.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Cet amendement apporte de la confusion. Inutile de modifier l'article 973 du code général des impôts sur l'assiette de l'IFI - que vous semblez vouloir appliquer ici. Avis défavorable.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Retrait, car satisfait. Inutile de complexifier les choses.
L'amendement n°7 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°1 de M. Cozic et du groupe SER.
M. Thierry Cozic. - Monsieur le rapporteur, vous pointez le risque d'inconstitutionnalité avec un taux de 2 %, qui serait confiscatoire.
Pour nous, l'essentiel est que ce mécanisme soit mis en oeuvre. Nous proposons donc un taux de 1 %, comme à chaque projet de loi de finances.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Je salue l'auteur de cet amendement, qui tient compte de mon rapport...
M. Yannick Jadot. - C'est flatteur !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - ... et du fort risque d'inconstitutionnalité. Si notre collègue Jadot l'avait lu, il éviterait de parler de ploutocratie ! (On s'amuse sur les travées du GEST.)
Une voix à gauche. - Donc, avis favorable ?
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Il me semble cependant... (« Ah ! » sur les travées du GEST) qu'au-delà de 0,5 % sans plafond, nous sommes dans l'incertitude et qu'il est vraisemblable que cela soit toujours inconstitutionnel.
Cette taxe nécessitera que les contribuables aliènent une partie de leur patrimoine pour s'en acquitter. Cette difficulté demeure, comme les risques de fuite des entreprises.
Vous me répondrez que le texte prévoit des dispositifs anti-exil.
M. Grégory Blanc. - L'exit tax !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Mais pensez-vous que ceux qui détiennent un patrimoine de 90 millions d'euros resteront sagement en France ? Soyons sérieux ! (Mme Catherine Conconne s'exclame.)
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Avis défavorable pour les mêmes raisons : le taux de 0,5 % est le maximum accepté par le Conseil constitutionnel sans plafond. (M. Guy Benarroche le conteste.)
Ce sont les faits. On peut toujours croire qu'on peut tenter quelque chose, mais ils demeurent.
Mme Ghislaine Senée. - Le GEST s'abstiendra sur cet amendement, car seul le taux de 2 % permet d'atteindre l'équité.
Je voudrais éviter un effet semblable à celui du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités (Dilico) : alors que les grandes communes riches étaient ciblées, beaucoup de petites communes se retrouvent à devoir payer 5 000 à 10 000 euros.
La taxe Zucman concerne 1 700 foyers, alors que vous en visez 60 000 : vous toucherez les entrepreneurs, les professions libérales. À force de diluer, vous toucherez davantage à l'innovation que nous.
Mme Florence Blatrix Contat. - Madame la ministre, 2 % c'est trop, 1 %, c'est trop... Nous avions proposé un taux de 0,5 % pour tester cette solution, mais vous avez refusé : c'est donc une position de principe de votre part ! (On renchérit à gauche.)
M. Yannick Jadot. - Nous avons appliqué cet impôt plancher sur la fortune de Bernard Arnault.
En 2024, son patrimoine est de 190 milliards d'euros. En appliquant cet impôt, il paierait 3,8 milliards d'euros supplémentaires pour atteindre les 2 % d'impôt. Si nous appliquons aux cinq prochaines années son rythme d'enrichissement des dix dernières - ce sera peut-être plus, puisqu'il est ami avec Donald Trump -, il passerait entre 2024 et 2028 de 186 milliards à 297 milliards. Il aura augmenté sa fortune de 100 milliards et il contribuera à hauteur de 6 milliards d'euros - soit le rendement du PFU. Ce que nous proposons n'est pas confiscatoire, puisque les plus riches vont continuer à s'enrichir.
Puisque vous citez le PFU, madame la ministre, le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires a montré que, comme la suppression de l'ISF, il n'avait créé zéro investissement, zéro emploi.
Quant aux exilés fiscaux, on a l'impression dans votre esprit que les super-riches sont des mercenaires et que leur intérêt réside dans les taux d'imposition. Mais quelle vision décliniste et pessimiste avez-vous de notre pays ! Moi je pense qu'ils sont patriotes et paieront leur juste part. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)
L'amendement n°1 est adopté.
M. le président. - Amendement n°3 de M. Savoldelli et du groupe CRCE-K.
M. Pascal Savoldelli. - Les plus anciens s'en souviennent - je prends Dominique de Legge à témoin : en 1981, face à Jean-Pierre Elkabbach, Georges Marchais disait : au-dessus de 40 000 francs, je prends tout ! (On apprécie la référence.) Nous, nous disons : au-dessus d'un milliard d'euros, nous prenons ce qu'il faut. (Sourires)
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - C'est-à-dire tout !
M. Pascal Savoldelli. - Ce qu'il faut, c'est-à-dire 40 milliards d'euros. C'est un amendement pour aider le Gouvernement à boucler son budget 2026 !
Vous parlez d'un effort national, mais, dans votre vision, il frappe toujours les mêmes : ce n'est pas nous qui évoquons une hausse de la TVA sur des produits du quotidien, des suppressions de postes dans la fonction publique, une année blanche pour les collectivités - soit, pour nos concitoyens, deux années noires du point de vue des services publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Moi non plus !
M. Pascal Savoldelli. - Pendant ce temps, qui est épargné ? Ceux dont la richesse atteint un tel niveau qu'elle en devient presque abstraite, dissimulée dans des holdings, camouflée dans des montages fiscaux, une richesse qu'on qualifie d'« illiquide » - j'ai découvert ça ! Elle est pourtant très concrète lorsqu'il s'agit d'influencer l'économie, les médias et la politique !
Nous proposons donc un taux inchangé de 2 % au-delà de 100 millions d'euros et un taux de 5,1 % pour la fraction de patrimoine qui dépasse le milliard d'euros. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) C'est un taux raisonné et raisonnable : pour les quarante dernières années, la rentabilité moyenne des grandes fortunes tourne autour de 7,5 % par an ! En captant 68 % de cette rentabilité, nous laisserions aux ultrariches un gain net de 2,4 % par an - soit l'équivalent... du taux du livret A. Il n'y a donc pas confiscation et je pense que la majorité des Français seraient d'accord. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Cet amendement me laisse songeur.
M. Pascal Savoldelli. - C'est bien !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Vous partez du constat que beaucoup d'entreprises rapportent beaucoup d'argent : plus 800 % en quelques années. Un libéral se demanderait : pourquoi ne pas confier la gestion de nos retraites à ce type d'investisseurs. Avec une capitalisation de cet ordre, les Français auraient une meilleure retraite ! (On ironise à gauche.)
Mais comme vous êtes un adepte de Marx - un pur et dur ! - (on ironise à gauche), vous pensez qu'il n'y a qu'une seule façon de tuer le capitalisme : toujours plus d'impôts !
Avec un taux de 5,1 % vous proposez un taux totalement confiscatoire !
Rappelez-vous la fable de la poule aux oeufs d'or (Mme Mathilde Ollivier et M. Yannick Jadot s'exclament) : quand on l'a tuée, elle ne vaut plus rien ! Avis défavorable.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - On compte 49 milliardaires de nationalité française - tous ne sont pas résidents fiscaux. Avec une telle mesure, nombre d'entre eux quitteraient le territoire. Cela peut être l'objectif, mais il faut l'écrire clairement.
Derrière ces personnes, il y a de l'investissement, de l'emploi !
Mme Ghislaine Senée. - Et les savoir-faire ?
M. Yannick Jadot. - Et les services publics ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°2 rectifié de M. Savoldelli et alii.
M. Pascal Savoldelli. - J'espère que nous n'aurons pas La Fontaine pour seule réponse et que le rapporteur sera plus aiguisé dans son analyse de Karl Marx...
À chaque tentative de mise à contribution des grandes fortunes, une phrase revient comme un réflexe de classe : ce patrimoine n'est pas liquide. Mais cette situation ne tombe pas du ciel !
Je vous donne un exemple caricatural, mais proche de la réalité. Imaginez un boulanger dans un village qui vend ses pains tous les jours - sauf le 1er mai ! (Rires) Il paie ses cotisations et ses impôts. Imaginez maintenant un milliardaire : au lieu d'empocher les profits, il crée une première holding, puis une deuxième, et ainsi de suite. Résultat : les profits restent coincés dans les étages et sur sa feuille d'impôt : rien ! C'est de l'illiquidation volontaire. Un peu comme si le boulanger disait : je ne paierai pas mes impôts, car j'ai enfermé tout mon argent dans mon four à pain. (On apprécie à gauche.)
Nous disons : l'État ne peut pas se laisser balader par des gens qui organisent eux-mêmes leur insolvabilité fiscale. Comme dans la version initiale, nous prévoyons un échelonnement du paiement, à une condition : le ou la redevable devra apporter un nantissement réel, un gage sur ses biens. Bref, l'État est créancier, mais pas pigeon. L'absence de liquidité ne vaut pas immunité !
M. le président. - Amendement n°5 rectifié de M. Daubet et alii.
M. Raphaël Daubet. - Encore un amendement compassionnel, avec l'espoir d'émouvoir le rapporteur, à défaut de le faire sourire...
Nous proposons d'échelonner le paiement de l'impôt de cinq à six ans.
M. le président. - Amendement n°8 rectifié de M. Grosvalet et alii.
M. Raphaël Daubet. - Cet amendement vise à se prémunir contre la vente d'entreprises stratégiques.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - L'amendement n°2 rectifié de Pascal Savoldelli, surprenant, crée un nouveau type de nantissement - objet juridique novateur... (Mme Amélie de Montchalin s'amuse.) Avis défavorable.
L'amendement n°5 rectifié cherche à pallier l'illiquidité - c'est ce qui est fou dans ce texte : dès le départ, les auteurs savent qu'une bonne partie, peut-être une majorité, des contribuables ne pourront pas payer. Pourquoi ? Parce que leurs biens ne sont pas liquides. Et je ne vous parle même pas des start-up ! Avis défavorable, même si six ans, c'est toujours mieux que cinq.
Le professeur Zucman a lui-même proposé la saisie d'actions si les contribuables ne peuvent pas payer. L'État deviendrait ainsi gestionnaire de portefeuille si les pactes familiaux d'actionnaires le permettent... Cela devient ubuesque !
M. Pascal Savoldelli. - Ça pourrait être un amendement !
Mme Antoinette Guhl. - Ce n'est pas dans le texte !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - C'en est la suite logique et c'est ce que propose Gabriel Zucman. (M. Yannick Jadot s'exclame.)
Avis défavorable également à l'amendement n°8 rectifié. Si les contribuables sont obligés de vendre les actions des entreprises stratégiques, cela posera évidemment problème, mais cette obligation de demander l'autorisation existe déjà.
Quid des entreprises d'autres secteurs que la défense, mais très implantées, comme Seb ou Pernod-Ricard, par exemple ? Elles seraient à la main des prédateurs étrangers. M. Jadot demandait : « dans quel pays vit-on ? » Nous vivons dans un pays inclus dans le reste du monde ! Le professeur Zucman prônait une taxe mondiale, mais dans les autres pays, sa taxe n'a pas été acceptée.
M. Thomas Dossus. - Pas encore !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Il y a d'ailleurs peut-être une raison à cela.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Prenons un cas pratique : Mistral, entreprise valorisée à 6 milliards d'euros, dont la moitié du capital est aux mains de trois actionnaires individuels. Il faudrait qu'ils s'acquittent chaque année de 2 % de 3 milliards d'euros, soit 60 millions d'euros ? Est-ce une nationalisation rampante ? Ce n'est pas mon projet. Si l'État ne les acquiert pas, ils vendront leurs actions à qui voudra.
M. Thomas Dossus. - C'est une exception.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Ce sont nos licornes. Nous avons mis tant d'années pour que ces entreprises se développent en France et non à l'étranger... (M. Jacques Fernique s'impatiente.) Vous pointez vous-même la difficulté. Dès lors, avis défavorable.
L'amendement n°2 rectifié n'est pas adopté, non plus que les amendements nos5 rectifié et 8 rectifié.
M. le président. - Amendement n°4 rectifié bis de Mme Goulet et alii.
M. Bernard Delcros. - Mme Goulet souhaiterait que le Gouvernement, avant l'examen de la loi de finances, indique le nombre de personnes concernées par cette taxe et l'évolution de leur fortune sur les cinq dernières années.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Je regrette le départ de Mme Goulet.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Elle reviendra.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Je comprends l'intention : il n'y a pas d'étude d'impact et nous avons besoin d'informations supplémentaires pour savoir qui paiera cet impôt. Ce n'est pas déraisonnable, mais nous aurions gagné à le savoir avant.
La commission des finances est, vous le savez, très dubitative sur les demandes de rapport.
Enfin, une remarque de fond : ce texte s'appuie sur les classements établis par le magazine Forbes. Mieux vaudrait avoir des chiffres précis à notre disposition.
Enfin, cet amendement est inopérant : Bercy ne dispose pas de ces chiffres et ne pourrait vous les transmettre dans les trois mois. Depuis la suppression de l'ISF, Bercy ne connaît plus les patrimoines. Les dernières données à la disposition du ministère datent de 2016. (On s'impatiente sur les travées du GEST.)
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Cette demande est satisfaite : je vous invite à lire l'étude de l'Insee Revenus et patrimoines. Je préfère mobiliser les fonctionnaires de la DGFiP sur le contrôle fiscal plutôt que sur des rapports déjà écrits.
M. Pascal Savoldelli. - Chantage !
L'amendement n°4 rectifié bis est retiré.
Vote sur l'ensemble
Mme Ghislaine Senée . - La situation actuelle est scandaleuse : alors que chaque Français déclare scrupuleusement ses revenus, nous ne pouvons accepter que les plus riches ne fournissent aucune information.
Je remercie Éva Sas et Clémentine Autain d'avoir déposé cette proposition de loi à l'Assemblée nationale.
Sur l'exil fiscal, on prétend, lors du rétablissement de l'ISF, que 350 000 personnes seraient parties - mais nul ne sait qui elles sont. Or les 1 700 foyers concernés par cette taxe sont connus : Bernard Arnault, familles Hermès, Wertheimer, Bettencourt, Saadé, Dassault, Mulliez, Pinault, Niel, Besnier... Ils ont effectivement contribué à l'essor de la France ; si vous les défendez autant, c'est parce que vous les considérez comme des serviteurs de l'État.
Une référence philatélique pour finir : « Économiser, c'est servir, gaspiller, c'est trahir » disait une flamme de La Poste en 1945. Pour moi, je ne pense pas que les plus grandes richesses françaises trahiront leur patrie ; au contraire, ils sont fiers de ce qu'ils ont réussi à construire. Cessez de dire qu'ils partiront, car ils sont patriotes.
Disons donc : payer ses impôts, c'est servir, refuser de les payer à hauteur de ses facultés, c'est trahir. (Bravos et applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du SER)
M. Pierre Barros . - Notre groupe votera évidemment cette proposition qui rompt enfin avec un récit politique devenu délirant, selon lequel les plus riches seraient trop fragiles pour contribuer et les pauvres trop solides pour être épargnés.
Cette loi vise ceux pour qui la richesse n'est plus un revenu, mais une rente, qui prospère sans jamais ruisseler vers l'intérêt général ; une richesse qui ne produit ni emploi, ni innovation, ni bien commun, mais seulement un pouvoir d'influence sans borne. Pendant ce temps, les services publics trinquent, forcés de faire plus avec moins.
Que nous rétorque-t-on ? Qu'il ne faudrait pas envoyer un mauvais signal aux grandes fortunes. Mais depuis quand la justice fiscale est-elle devenue un risque ? Depuis quand la République doit-elle s'excuser d'exister face aux intérêts privés ?
Vous continuez de parler le langage de la rationalité économique tout en défendant une absolue irrationalité. Quelle majorité peut prétendre défendre l'ordre républicain tout en acceptant que 0,01 % de la population vive en dehors du champ de l'impôt ?
Ce texte est une mesure de justice et de santé démocratique, qui peut redonner du sens au beau mot d'égalité, inscrit au fronton de nos mairies. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST)
M. Thierry Cozic . - Le groupe socialiste votera bien sûr ce texte. Chaque Français doit contribuer à la hauteur de ses moyens.
Mais je ne me fais pas d'illusions : la majorité sénatoriale, en cohérence avec le Gouvernement, poursuit la politique de l'offre telle que construite depuis huit ans, malgré des résultats loin d'être brillants : dette de 3 300 milliards, croissance atone, défaillance d'entreprises, destruction d'emplois.
Madame la ministre, je vous le dis solennellement : votre présence au banc ne tient que parce que les socialistes ont agi en responsabilité. Mais nous n'avons pas signé de chèque en blanc ; nous avions noué un accord avec le Premier ministre : y figurait une contribution des hauts patrimoines.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Il ne fallait pas censurer !
M. Thierry Cozic. - Le refus de cette taxe ne présage rien de bon pour les échéances budgétaires automnales. Si vous nous payez en monnaie de singe, le prochain budget pourrait bien être le dernier du Gouvernement. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Emmanuel Capus, rapporteur de la commission des finances . - Évitons de monter les Français les uns contre les autres. (Protestations sur les travées du GEST) Soutenir que l'on réglera les problèmes des plus pauvres en taxant les plus riches est dangereux.
M. Yannick Jadot. - Cela s'appelle la République !
Mme Antoinette Guhl. - C'est la justice !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Les plus riches - pas les ultrariches - paient beaucoup d'impôts. Jusqu'à 99,9 %, l'impôt est progressif. Le chiffre de 50 % que vous avez beaucoup cité est une erreur : l'IPP parle de 46 % au maximum, qui s'oppose aux 26 % payés par les 0,01 %.
Nous avons un problème à traiter : rétablir une égalité entre ces deux catégories. (Mme Ghislaine Senée et M. Yannick Jadot lèvent les bras.) Une solution serait de baisser le taux marginal de l'impôt sur le revenu ? Un effort a été fait pour l'impôt sur les sociétés, mais pas encore pour l'impôt sur le revenu.
Laisser accroire que les plus riches ne paient pas d'impôt est faux. Il y a d'autres solutions que de créer un nouvel impôt.
À la demande des groupes INDEP et Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°322 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 317 |
Pour l'adoption | 129 |
Contre | 188 |
La proposition de loi n'est pas adoptée.