Intervention de M. Charles KONAN BANY, Gouverneur de la B.C.E.A.O.
M. Charles KONAN BANY. - Je ne savais pas que vous alliez faire cette longue litanie de titres administratifs. Permettez-moi de vous remercier d'abord de m'avoir invité. Je suis honoré d'être ici ce matin. Permettez-moi aussi de dire la joie que j'ai de retrouver des visages connus. C'est un cercle de conférenciers internationaux, on se retrouve dans des colloques et autres séminaires. J'espère que nous en tirerons quelque chose.
Permettez-moi de saluer les Présidents d'Assemblées ici présents. Cela dit, je voudrais, après avoir entendu les éminents orateurs, profiter de cette tribune pour répondre très précisément et par un mot à la question que vous me posez dans ce chapitre.
Vous m'avez demandé de dire mon opinion sur la question suivante : l'Afrique est-elle sur la voie d'un retour à des équilibres propices au développement ? Je ne vais pas résister à répondre précisément. Ma réponse est oui et je vais essayer de l'asseoir sur un certain nombre d'éléments.
Ce qui est important car jusqu'à présent, si on se risquait à poser cette question à n'importe quelle assemblée, la réponse était inverse. Ce qui a développé longtemps ce que l'on appelle l'afro-pessimisme.
Comme je ne suis pas un adepte de l'afro-pessimisme, je saisis toutes les occasions pour dire qu'effectivement et grâce aux politiques menées ces temps-ci, l'Afrique est bien sur la voie du retour aux équilibres propices au développement.
Quels sont les éléments de ma réponse ? D'abord les systèmes politiques en place en Afrique sont caractérisés et le système dominant est la démocratie. Je n'ai pas à la définir, mais je voudrais pour ma part, en tant que citoyen africain, dire que les éléments importants que je vois dans la démocratie, c'est le droit à la différence et la promotion des libertés, y compris les libertés d'expression.
J'observe sur ce plan que dans tous les pays d'Afrique francophone, le système démocratique est en marche. Si donc il y a relation - et c'est ce qui semble être le cas - entre démocratie et développement, nous reconnaissons là qu'effectivement le oui est fondé puisque partout en Afrique les systèmes démocratiques sont en marche. Ils sont peut-être imparfaits, mais il n'y a pas de démocratie parfaite.
L'essentiel c'est que l'on y retrouve le droit à la différence et les libertés. C'est le cas en Afrique. Le système politique est donc en mouvement vers plus de démocratie.
Deuxième élément de réponse : les politiques économiques, ce que les technocrates comme nous autres appelons le cadre macro-économique des politiques. Je crois que tout ce que nous avons entendu, en particulier de Serge Mikhaïlof, de Francis Mayer et autres, montre bien qu'effectivement depuis un certain temps, pas seulement depuis janvier 1994, un cadre macro-économique cohérent est en place en Afrique.
Bien entendu, ce cadre n'est pas parfait, il a besoin d'être complété, d'inclure tous les éléments de politique économique et c'est à cet égard que le changement de parité intervenu en janvier 1994 vient compléter harmonieusement et de manière cohérente ce cadre macro-économique pour créer les conditions propices au développement.
Je pourrais développer ce cadre macro-économique. Commençons par le retour aux équilibres et aux finances publiques. En d'autres termes, nos pays ont compris qu'on ne peut pas vivre éternellement au-dessus de ses moyens. Par conséquent, il faut ramener les dépenses publiques au niveau des recettes permanentes et non aléatoires.
Donc la maîtrise des dépenses publiques est bien une culture qui est rentrée dans l'esprit des gestionnaires africains depuis un certain temps, même si cet équilibre ne peut pas être obtenu du jour au lendemain.
Les dépenses publiques sont maîtrisées et les recouvrements de recettes sont en cours, même s'il faut reconnaître qu'ils n'ont pas produit encore tous leurs effets et que du travail reste à faire. C'est ce qu'a dit Francis Mayer quand il indique que la part des recettes publiques sur le P.I.B. est encore faible en Afrique. Mais l'essentiel est que des politiques soient en place pour augmenter cette part de recettes et faire en sorte que l'adage, « on ne peut pas vivre au-dessus de ses moyens » soit une réalité.
Voici maintenant les autres éléments de ma réponse. S'agissant des réformes de structures, je vais commencer par les filières car effectivement l'Afrique francophone a toujours été tournée vers l'extérieur et ce que l'on appelait des cultures de rentes a permis d'asseoir un développement économique dans nos pays. On ne peut pas aujourd'hui le renier. Ces filières ont été un élément important de la politique des États, un élément des recettes, donc ont été dans une certaine mesure contrôlées par les États.
Il s'est produit une crise importante au niveau des prix des matières premières. Les cours ayant baissé de manière extraordinaire et sans précédent sur une longue période, ces filières ont connu des déséquilibres importants qui ont affecté toute la vie de l'État et les finances publiques.
Ces filières ont fait l'objet de réformes depuis une série d'années, bien avant 1994, et nous sommes arrivés à les équilibrer et à appliquer l'adage « l'on ne peut pas donner plus que ce que l'on a ». Les prix au producteur, qui déterminent l'élément essentiel de la politique de filière, ont été ajustés au niveau des évolutions de cours de matières premières à l'extérieur, de telle sorte que des déficits ne soient pas créés.
Ceci est valable pour le coton, pour le café, pour le cacao, pour l'arachide, pour toutes les filières d'exportation. Des politiques ont été menées pour équilibrer ces filières, pour qu'elles ne soient pas source de déficits au niveau des finances publiques.
Les rigidités structurelles qui empêchent le développement - parmi lesquelles je voudrais mettre en exergue le poids de l'administration économique, c'est-à-dire toutes les autorisations, le fait que tout dépend de l'État, toute initiative implique ou nécessite une autorisation de l'État, - ont été remises en cause. Ce système a été remis en cause et l'on a appelé cela la libéralisation des économies.
Une vaste politique de libéralisation des initiatives économiques est en place dans nos pays pour faire en sorte que l'initiative soit au pouvoir en réalité et que les autorisations administratives inutiles et tatillonnes reculent.
Le cadre économique et réglementaire a été libéralisé, assoupli, pour laisser un peu plus de place aux initiatives créatrices. Voilà à ce niveau ce qui est en place en Afrique.
Voilà donc ce qui me paraît être propice à un retour aux équilibres et par conséquent à une politique de développement.
Mais les facteurs sur lesquels pour ma part j'insiste le plus sont les facteurs humains. Je voudrais revenir à un autre élément de ma réponse : la qualité des facteurs humains en place en Afrique. Jean-Michel Sévérino disait que de nouveaux peuples étaient en train de se créer. Quand on affine cette analyse, il faut reconnaître qu'au niveau de la classe dirigeante, que ce soit en matière politique -et je suppose que le Président de l'Assemblée Nationale du Congo, il y a quelque temps encore administrateur à la Banque mondiale, n'a pas oublié tout ce qu'implique la nécessité d'avoir un cadre macro-économique sain - ou de prise de conscience des réalités économiques dans la conduite des politiques, cela passe par des hommes formés, par des professionnels et ce soir je vois également en face de moi le Président Dian qui naguère était un agent de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest avant que la Mauritanie ne se sépare.
Tout cela ce sont des facteurs sur lesquels on n'insiste pas assez. Pour conclure sur ce point, au niveau du Conseil des Ministres de l'Union monétaire ouest-africaine, nous avons au moins 4 Ministres des Finances qui sont sortis de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest et tout ceci a amélioré considérablement la prise de conscience de la réalité économique dans la conduite des politiques. C'est un facteur sur lequel on n'insiste pas assez.
On peut amplifier cela au niveau de la gestion d'autres secteurs, au niveau du secteur privé où nous assistons à la naissance d'une classe de jeunes entrepreneurs formés aux techniques, rompus à la concurrence mondiale, et qui sont tout à fait débarrassés peut-être, parce qu'ils sont d'une deuxième génération d'Africains moins soumis aux contraintes sociologiques auxquelles la première génération a été soumise, c'est-à-dire les funérailles et toutes sortes de choses qui consomment beaucoup de temps et d'argent.
Cette génération de jeunes Africains ne se sent plus tellement concernée par cela parce que ce côté de la vie sociale est pris en charge par la première génération. Leur tour n'est pas encore arrivé, par conséquent ils sont débarrassés de tout cela pour s'occuper de leurs affaires.
Donc le facteur humain est également un élément important dans la réponse affirmative que j'ai indiquée tout à l'heure.
Par conséquent, Monsieur le Président, au niveau des politiques, des acteurs, des hommes, je crois que nous avons effectivement réuni maintenant les conditions d'un retour aux équilibres, que ce soit des équilibres sociaux, économiques, financiers. Nous sommes en train de réunir ces conditions propices au développement.
Mais cela ne suffit pas. Il faudrait sur la base de cela persévérer dans le maintien de ces équilibres et éviter les politiques d'aller-retour, de stop and go, persévérer dans la voie que nous nous sommes choisie.
Deuxième condition : jouer résolument l'ouverture. Nous sommes dans un monde qui est un et la concurrence est le maître-mot. Le monde appartient à ceux qui gagnent. Les perdants disparaissent, en tout cas on ne s'occupera pas d'eux.
Il faut absolument que nous jouions l'ouverture, ce qui signifie que toute politique frileuse de repli sur soi ne peut pas avoir un avenir. L'ouverture est exigeante, elle exige la qualité, nous devons donc promouvoir la politique de qualité dans nos pays, dans tout ce que nous faisons.
L'ouverture suppose aussi une solidarité entre nous d'abord. D'où le schéma de l'intégration, d'où le communiqué que nous avons fait immédiatement après la dévaluation, à savoir l'une des conditions de succès pour l'avenir de cette opération passe par l'intégration économique, et peut-être par l'intégration politique.
En tout cas en Afrique de l'Ouest, nous sommes engagés résolument dans cette voie d'intégration. Et la solidarité ne s'arrête pas aux Africains entre eux, nous souhaitons également l'asseoir et la développer avec vos partenaires en France.
Mais à ce niveau, il y a comme un malentendu. Le Président Monory a parlé ce matin de préoccupations dont ont fait part un certain nombre d'Africains qu'il a visités. Je crois qu'il y a quand même une incompréhension et qu'il faut cette discussion entre Africains et Français pour une nouvelle politique de coopération essentiellement fondée sur un partenariat véritable, et non pas un partenariat sous tutelle.
Ou bien on choisit un partenariat, ou bien on choisit une cogestion. La cogestion implique aussi une co-responsabilité. Je pense pour ma part qu'il faut que nous mettions en place un véritable partenariat. Il est urgent de le faire parce que les générations changent et que les gens de mon âge seront les derniers défenseurs de la francophonie en Afrique. Il faut saisir l'occasion, alors qu'ils sont encore actifs, pour peut-être développer cette politique.
(Applaudissements).