Bureau de la commission de l'éducation, de la communication et des Affaires culturelles
Paris, 14 et 15 novembre 2003
Contribution de la commission à l'avis de l'APF
Parties relatives aux technologies de l'information et de la communication au service du développement durable (rapporteur M. Joël Bourdin)
L'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les NTIC, dans le domaine de l'éducation, présente un aspect positif claire et évident, même si dans les faits l'usage de ces technologies - on pense naturellement à Internet, à la télévision et à la radio -, se heurte, dans les pays du Sud, à la question de la fracture numérique.
Mais l'informatique, les réseaux, les NTIC n'offrent pas seulement un potentiel extraordinaire de développement (durable) aux Pays les moins avancés en facilitant le partage et la transmission du savoir.
Ce sont aussi des instruments de création, de découverte, et surtout de traitement de l'information qui conduisent à une accélération de l'acquisition de connaissances nouvelles. Les exemples les plus évidents en sont le séquençage des gènes et d'une façon générale la recherche génétique.
La maîtrise des NTIC, dans cette perspective, permet de commander des secteurs entiers de l'économie : par exemple l'agriculture. On devine, au simple énoncé de cet exemple, l'incidence considérable que cette maîtrise peut avoir au regard du développement économique et social des Pays les moins avancés. Mais sera-ce toujours dans une perspective de durabilité ?
1 - Mettre les NTIC au service du développement durable des Pays les moins avancés (Pour une mondialisation solidaire, facteur de développement durable)
L'information existe : elle est potentiellement accessible pour la formation et pour la mise en oeuvre des savoirs
Si l'on interroge le Web sur le développement durable à l'aide d'un moteur de recherche, même en se limitant aux sites francophones, ce sont des centaines de sites que l'on découvre.
Par exemple, le site du Programme des Nations unies pour le développement, qui présente le « Rapport mondial sur le développement humain 2001 », dont le titre est : « Mettre les nouvelles technologies au service du développement humain ». Tous les chapitres abordent peu ou prou les questions qui nous intéressent : vers la société en réseau, gérer les risques liés aux progrès technologiques, des initiatives mondiales en faveur des technologies propices au développement humain... On y trouve également des sites gouvernementaux, des sites universitaires ou des sites d'associations spécialisées. L'offre est considérable : ainsi « l'anneau francophone du développement durable », qui a pour objectif d'encourager l'usage des technologies de l'information et de la communication dans les pays du Sud et de les mettre au service du développement durable, en offrant des services gratuits aux internautes des pays les plus démunis, en mettant en relation les acteurs de développement des pays du Nord et du Sud, en assurant une veille technologique à la recherche des logiciels libres et gratuits et en mettant à la disposition du public une documentation et des liens sur « Internet et le développement durable », ou encore le site de l'AEDEV (Association e-développement), sur « Internet au service du développement durable » où l'on trouve de nombreuses pages sur « Internet en Afrique, ressources générales », ou encore le site sur le Sommet de Johannesburg, qui s'est tenu en septembre 2002, où l'on trouve le rapport préparatoire au « Sommet mondial pour le développement durable ».
Dès lors, la préoccupation principale est la réduction de la fracture numérique : les informations, les programmes de formation, les conseils de toute nature, tout ce qui est nécessaire pour savoir, réfléchir, et entreprendre, tout cela est sur le net à la disposition de tous. Encore faut-il pouvoir y accéder.
La réduction de la fracture numérique
En Afrique, on compte 25 téléphones pour 1000 habitants, contre 673 aux États-Unis. Quand l'Afrique compte 9,7 % de la population mondiale, les internautes africains ne représentent que 1,1 % des internautes de la planète, soit 26 fois moins qu'aux États-Unis. 97 % des sites Internet se créent dans les pays développés, alors que l'Afrique ne génère que 0,4 % du contenu de la Toile et seulement 0,02 % si l'on ne prend pas en compte l'Afrique du Sud. Par ailleurs les 4/5 èmes des sites sont en anglais, alors qu'une personne sur dix dans le monde seulement parle cette langue. Enfin, seuls ceux qui savent lire peuvent y accéder.
A tout cela s'ajoute le manque d'infrastructures au niveau local. S'il est facile de relier les réseaux locaux au réseau mondial, notamment par satellite, il est beaucoup plus difficile de créer ces réseaux locaux, puis de les entretenir et de les faire fonctionner dans la durée.
L'adaptation des contenus
Se pose également la question du contenu. Indépendamment de la langue utilisée, l'accessibilité des informations est souvent difficile, car leur présentation ne correspond pas forcément aux habitudes culturelles des destinataires. Pour surmonter cet écueil, il est important que les pays concernés passent du statut de simples récepteurs à celui de producteurs d'informations. C'est sur place qu'il faut créer ou du moins adapter les sites utiles. Cela suppose l'émergence de médiateurs, de personnes à l'aise dans les deux cultures et maîtrisant parfaitement les nouvelles technologies.
La mise en place de cadres juridiques
Au delà de la question des matériels, de l'énergie pour les faire fonctionner, des réseaux de télécommunications, de leur disponibilité, se pose celle de la volonté des pays eux-mêmes de mettre en place les infrastructures nécessaires, d'autoriser les télécentres et les cybercafés, de mettre en place une réglementation respectueuse et protectrice des droits de tous ceux qui participent à la chaîne de l'information, tout en définissant leurs devoirs, autrement dit la question d'un cadre institutionnel approprié.
Enfin, il faut avoir constamment à l'esprit le contexte géopolitique et notamment l'instabilité africaine, qui est loin de faciliter les choses.
La question se pose tout naturellement de l'aide que peuvent apporter les pays du Nord.
La stratégie francophone est fondée sur trois orientations :
- infléchir les conditions de la mise en oeuvre de la société de l'information : il s'agit de promouvoir une conception ouverte de la société de l'information qui doit reposer sur des fondements démocratiques, affirmer et promouvoir la diversité culturelle ainsi que le pluralisme linguistique, enfin l'inscrire dans un environnement juridique actualisé et stable ;
- réduire la fracture numérique, par un renforcement de la solidarité et l'accompagnement des initiatives locales, notamment par le partage d'expériences, en s'appuyant sur certains groupes sociaux susceptibles de jouer un rôle de relais et d'entraînement, comme les femmes et les jeunes ;
- valoriser et partager l'information francophone.
Concrètement, en déclinant certains aspects de la contribution de l'APF, les recommandations pourraient être les suivantes :
- développer des infrastructures physiques et sociales, en privilégiant la formation de techniciens et de concepteurs de systèmes, afin de passer du statut de récepteur à celui de concepteurs de l'information ; multiplier les télécentres, traduire les sites utiles, multiplier les logiciels francophones libres...
- veiller à ne pas négliger les autres médias tels que la télévision et surtout la radio, cette dernière permettant de surmonter en partie la question de l'analphabétisme ;
- veiller à ne pas accentuer les disparités locales, notamment entre villes et campagnes ;
- éviter les risques de dépendance économique, notamment par rapport au secteur privé dès lors qu'il n'existe pas d'équipements collectifs.
Ces orientations recoupent pleinement les grandes orientations de la Contribution francophone au SMSI, à l'élaboration de laquelle l'APF a contribué, adoptée par la Conférence ministérielle francophone de Rabat où le rapporteur de la CECAC était présent. La contribution recense 4 thèmes :
- la préservation de la diversité culturelle et linguistique. A ce titre les négociations de l'UNESCO sont essentielles.
- le renforcement de la démocratie, de la bonne gouvernance et de la recherche de la paix.
- le renforcement des capacités à mieux utiliser les TIC dans les systèmes éducatifs et dans la société civile en développant « l'alphabétisation numérique » et le rôle des médiateurs.
- l'appui des médias en en garantissant la liberté et le pluralisme, tout en renforçant les règles de déontologie.
Mais ces objectifs ne doivent pas occulter la dimension économique de l'accès aux TIC, soulignée par le représentant de l'APF à la Conférence ministérielle de Rabat.
II - Mettre les NTIC au service de la productivité et du développement dans une perspective de durabilité (Transferts de technologies, respect de la biodiversité, développement de l'agriculture et sécurité alimentaire)
Ne pas se limiter aux thèmes de la formation et de l'information ouvre un champ de réflexion très différents et particulièrement vaste. Car le développement durable, c'est, selon la définition de 1987 aujourd'hui communément admise : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » . Ce développement doit respecter simultanément les trois critères de finalité sociale, de prudence écologique et d'efficacité économique.
On mesure, au simple énoncé de cette définition, l'ampleur de la tâche et sa difficulté. Car le développement durable, et tous les Sommets de la Terre depuis celui de Rio de Janeiro en 1992 jusqu'à celui de Johannesburg en 2002 l'ont amplement montré, n'est pas compris de la même façon selon les pays. Pour mesurer les occasions de divergences, il suffit d'énumérer les principes qui orientent le développement durable : principes de précaution pour éviter les risques d'irréversibilité, de prévention, de responsabilité (qui dégrade doit réparer), de gestion sobre et économe, de participation et enfin de solidarité aujourd'hui et avec les générations futures. Les exemples de ces divergences d'interprétation sont nombreux.
Un exemple, pris parmi les cinq grands domaines prioritaires du développement durable, l'eau, l'énergie, la santé, l'agriculture et la biodiversité, permet d'illustrer le propos. Le développement durable suppose la recherche permanente de l'innovation. Or cette recherche ne peut se faire véritablement sans recourir aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. Qui en dispose, dispose d'un avantage considérable. Il suffit de penser, par exemple, au séquençage des gènes ou aux recherches sur les OGM.
Par ailleurs, on a assisté au cours de ces dix dernières années à la généralisation des droits de propriété sur le vivant, à l'abandon aux contrats de droit privé du soin de valoriser les savoirs locaux sur la biodiversité, et à l'assimilation des ressources génétiques à des marchandises.
Ce n'est peut-être pas le lieu de prendre position dans ce débat, d'ailleurs bien avancé, mais on voit que celui qui possède la maîtrise des nouvelles technologies de l'information et de la communication sort gagnant de cette compétition dont le caractère économique ne peut échapper.
En l'état actuel de la fracture numérique, les pays riches achèteront au pays du Sud leurs ressources génétiques, considérées comme des matières premières, paieront une redevance, et après avoir mené les recherches et les développements nécessaires au moyen des NTIC, exporteront de nouveaux produits qui seront la synthèse améliorée ou orientée du patrimoine naturel vivant ayant servi de matières premières, étouffant ainsi l'utilisation des produits locaux. Cette recherche permanente de nouveaux produits calqués sur les produits naturels en les améliorant et en les spécialisant est sans doute inéluctable et nécessaire. Mais n'y a-t-il pas là, pour la biodiversité, et la durabilité, le même risque que pour la diversité culturelle ?
Il conviendrait donc d'insister davantage, pour les anticiper et s'en prémunir, sur les risques de voir les nouvelles technologies de l'information et de la communication creuser l'écart entre les pays riches et les pays les moins avancés. Il serait en conséquence souhaitable d'insister davantage que cela n'est fait sur la formation des jeunes scientifiques, sur le développement du potentiel scientifique de ces pays, la collecte de leurs savoirs locaux et leur mise en valeur par les pays sources eux-mêmes, afin d'éviter que cela ne se retourne contre eux.
On voit combien il est important pour les pays du Sud de disposer de leur propre recherche scientifique. L'appropriation des technologies de l'information et de la communication par ces pays représente un défi tout à fait réalisable. Ils pourraient ainsi eux-mêmes recueillir les patrimoines et les savoirs naturalistes locaux et les valoriser.
Il faut naturellement commencer par surmonter la fameuse fracture numérique.
Les recommandations de l'APF, pour que les NTIC servent à la productivité et au développement économique et social dans une perspective de durabilité, pourraient être les suivantes :
- encourager l'utilisation des NTIC dans la recherche locale en favorisant la coopération entre structures universitaires ainsi que le développement des réseaux régionaux ;
- encourager la recherche de l'innovation au niveau local ;
-introduire les NTIC dans les matières enseignées de haut niveau ;
- favoriser la veille technologique ;
- répondre aux défis de la mondialisation en s'insérant dans l'économie numérisée et le commerce électronique, par exemple pour la diffusion et la connaissance de l'artisanat local.
Les NTIC constituent l'un des éléments du développement économique et social, sans doute plus facile à utiliser que d'autres car relativement souple et moins onéreux. Il importe de ne pas les négliger, mais aussi de s'en protéger, car si les NTIC peuvent grandement favoriser le développement durable, elles peuvent aussi produire l'effet exactement inverse.