XVIème Assemblée régionale Europe
Delémont (Jura), 6 et 7 novembre 2003
Rapport présenté par M. Georges Fenech, au nom de la section française de l'APF : « la coopération entre l'Union européenne et les pays ACP »
Le 9 mai 1950, Robert Schuman déclarait : « l'Europe pourra, avec des moyens accrus, poursuivre la réalisation d'une de ses tâches essentielles : le développement du continent africain. ». Dans cet esprit, le Traité de Rome signé le 25 mars 1957 prévoyait l'Association des PTOM (pays et territoires d'outre-mer) à l'Europe naissante.
Après les indépendances, les deux Conventions de Yaoundé, suivies des quatre Conventions de Lomé, ont régi le partenariat entre l'Europe et les États dits « ACP » (Afrique, Caraïbes, Pacifique).
Loin d'être négligeable, le bilan de cette coopération apparaît toutefois contrasté. Tirant les enseignements de ses points forts et de ses insuffisances, la nouvelle Convention de Cotonou, qui est entrée en vigueur en avril 2003 et qui concerne la moitié des États de la planète, tente de poursuivre cette coopération unique au monde sur des bases rénovées, intégrant les questions politiques et dans le cadre d'un véritable partenariat.
I - Historique et bilan de la relation entre l'Europe et les pays ACP
1/ De l'Association PTOM aux Conventions de Lomé
a) L'Association PTOM et les Conventions de Yaoundé I et II
Dans le cadre d'une vision euro-africaine antérieure aux indépendances, l'Association PTOM voit le jour avec le Traité de Rome en 1957. Le FED (Fonds européen de Développement) est créé à cette occasion.
L'accession à l'indépendance des PTOM aboutit à la signature des Conventions de Yaoundé I (en 1963) et Yaoundé II (en 1969) avec 18 Etats.
Ces deux Conventions marquent le début du partenariat Europe-ACP, avec la mise en place d'institutions paritaires, sur une base contractuelle. Leur champ d'action concernait essentiellement le commerce et la coopération financière et technique. Sur le plan sectoriel, les financements étaient principalement accordés à des projets d'infrastructures économiques et sociales.
b) Les Conventions de Lomé
L'adhésion du Royaume-Uni à la CEE en 1973 pose la question d'une vingtaine de pays en développement du Commonwealth en Afrique. Après une longue période de tractations, la première Convention de Lomé est signée avec 46 pays qui constituent le groupe ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), institutionnalisé et doté d'une structure permanente (le Secrétariat général) par l'accord de Georgetown en 1975. A l'époque, et dans le contexte international de la guerre froide, la Convention de Lomé apparaît comme un modèle de solidarité Nord-Sud fondée sur le partenariat. Elle met en place un système de préférences commerciales non réciproques pour les exportations des ACP vers la CEE, ainsi que le STABEX, dispositif de compensation du déficit des recettes d'exportation des pays ACP lié aux fluctuations des cours mondiaux et des taux de change.
La Convention de Lomé II, signée en 1979 avec 58 pays ACP, voit la création du SYSMIN, mécanisme du même type que le STABEX, mais appliqué aux ressources des produits miniers.
Les Conventions de Lomé III et IV, signées respectivement en 1984 et 1989 sont globalement la continuation des précédentes. Lomé III, conclue lors des grandes famines en Afrique, met l'accent sur la sécurité alimentaire, tandis que Lomé IV introduit une dimension politique avec une clause sur le respect des Droits de l'homme, et marque la conversion de l'Europe aux processus d'ajustement structurel initiés par le FMI.
La révision à mi-parcours de la Convention de Lomé IV, dont la durée avait été prévue initialement pour 10 ans, découle d'une volonté de conférer davantage d'efficacité au partenariat, et d'en corriger certaines dérives. Elle débouche sur l'accord de Maurice, en 1995, qui apporte plusieurs correctifs. Toutefois la nécessité se fait jour d'établir un bilan global de la relation UE/ACP, afin de l'adapter aux évolutions du monde, tant dans le domaine économique que politique.
2/ Un bilan contrasté
a) Un modèle de coopération Nord/Sud
Les accords UE/ACP constituent un modèle unique de coopération internationale.
Il n'existe en effet aucun autre équivalent d'un partenariat Nord-Sud entre des ensembles géographiques aussi vastes : d'un côté les quinze membres de l'Union européenne, qui constituent la première puissance commerciale mondiale, et de l'autre 77 pays du Sud (48 d'Afrique sub-saharienne, 15 des Caraïbes et 14 du Pacifique), l'ensemble représentant la moitié des États de la planète.
Par ailleurs, l'originalité majeure des accords UE/ACP réside dans l'idée de partenariat, qui confère une égalité entre les parties signataires, le respect de leur souveraineté et de leurs intérêts mutuels étant incarné par des institutions paritaires : un Conseil annuel des ministres UE/ACP arrête les grandes orientations, dont le Comité des Ambassadeurs assure la préparation et le suivi. Ce dernier est assisté dans sa tâche de sous-comités spécialisés. Des parlementaires des pays ACP et du Parlement européen se réunissent deux fois par an au sein d'une Assemblée paritaire, qui joue un rôle consultatif. C'est également sur la base du partenariat qu'est élaboré le « programme indicatif national », conjointement négocié entre la commission européenne et chaque État ACP.
Enfin son aspect multidimensionnel constitue une autre caractéristique de ce partenariat. L'Union européenne ne s'est pas contentée d'être un bailleur de fonds pour les pays ACP, mais elle a également tenté de promouvoir leur développement en mettant en place un système d'échanges commerciaux spécifique.
b) Des résultats décevants
Les Conventions de Lomé visaient à une progression parallèle des pays ACP vers le développement. Force est toutefois de constater que cet espoir ne s'est pas concrétisé. Ces pays, malgré des situations parfois très différentes, demeurent dans l'ensemble les laissés pour compte du processus de mondialisation.
Le revenu par habitant de l'Afrique subsaharienne n'a progressé que de 0,4 % par an entre 1960 et 1992, contre 2,3 % pour l'ensemble des pays en développement, sous le double effet combiné d'une croissance économique plus faible (3,3 % par an) et d'un taux d'accroissement démographique plus élevé (2,9 % par an).
Par ailleurs, l'Afrique subsaharienne ne représente que 2 % du commerce international, et elle demeure très à l'écart des flux d'investissement directs privés dont le monde en développement a largement bénéficié.
L'évolution défavorable de l'Afrique subsaharienne s'explique certes par de multiples facteurs (instabilité politique, conflits, aléas climatiques, etc.). Mais par ailleurs, les mécanismes mis en place par les Conventions de Yaoundé puis de Lomé n'ont pas eu les résultats escomptés.
D'une part, les bénéfices du régime commercial préférentiel sont demeurés très limités. Ainsi, la part des pays ACP dans le marché communautaire a même fortement diminué, passant de 6,7 % en 1975, à 2,7 % en 1995.
Les avantages de ce régime se sont en effet érodés au fil des négociations commerciales internationales, qui ont abouti à une baisse généralisée des droits de douane. La moyenne des droits pour les produits industriels a été ramenée de 10,4 % à 6,4 % par les accords de Tokyo, puis à 3,6 % par ceux de Marrakech, suite aux négociations menées dans le cadre du GATT (et désormais de l'OMC).
Parallèlement, l'Union européenne a accordé à d'autres groupes de pays des avantages commerciaux aussi généreux que ceux prévus pour les ACP, à savoir les pays du bassin méditerranéen pour les produits industriels, ainsi que l'ensemble des PMA (Pays les moins avancés).
Il n'en reste pas moins que, faute d'investissements privés suffisants et d'insertion dans l'économie mondiale, et à l'exception de l'Ile Maurice dont les exportations grâce au textile comprennent 2/3 de produits manufacturés, les pays ACP n'ont pas tiré parti de leurs avantages commerciaux pour favoriser le développement d'industries de transformation. En l'absence de diversification de leur économie, leur spécialisation dans les produits tropicaux et les matières premières soumet toujours leurs exportations aux fortes fluctuations des cours mondiaux.
Par ailleurs, l'aide financière a manqué d'efficacité.
Sur un plan quantitatif tout d'abord, seulement 40 % des ressources disponibles au titre du FED ont été dépensées, le montant cumulé du reliquat s'élevant à près de 10 milliards d'euros. La lenteur des décaissements s'explique essentiellement par l'extrême complexité des procédures et la lourdeur des circuits de décision.
Quant aux fonds effectivement versés, ils n'ont pas toujours répondu aux objectifs fixés, selon les conclusions de plusieurs évaluations de projets réalisées sur le terrain.
Les conditions de mise en oeuvre des projets - décidés depuis Bruxelles - n'ont pas facilité leur appropriation par les pays bénéficiaires, compromettant ainsi leur pérennité faute de moyens suffisants de fonctionnement et de maintenance.
D'une manière générale, l'Union européenne n'est pas parvenue à fixer de réelles priorités qui auraient permis, en concertation avec les pays ACP, de mieux concentrer l'aide et de lui conférer un impact plus significatif.
Enfin le contexte politique et économique des pays bénéficiaires, ainsi que la qualité de leur gestion, n'ont pas été suffisamment pris en compte.
c) L'élaboration du « Livre vert »
Fin 1995, la commission européenne lance une réflexion devant aboutir à l'adoption d'un « Livre vert sur les relations entre l'Union européenne et les pays ACP à l'aube du 21 ème siècle - Défis et options pour un nouveau partenariat ». Publié en novembre 1996, il a donné lieu à de multiples consultations en Europe et dans les pays ACP, avec tous les acteurs du développement, société civile comprise.
Le Livre vert et les débats qu'il a suscités ont abouti à plusieurs constats :
- l'aide financière n'a pas eu les effets escomptés sur la réduction de la pauvreté dans les pays ACP ;
- il convient de tenir compte du nouveau contexte géopolitique lié à la fin de la guerre froide et au mouvement de mondialisation ;
- le système de préférences commerciales doit être mis en conformité avec les règles de l'OMC ;
- enfin, de nouveaux acteurs du développement sont apparus aux côtés de l'État (ONG notamment), qu'il convient d'associer au partenariat.
Le Livre vert conclut en la nécessité de maintenir la coopération UE/ACP, mais dans un cadre à la fois rénové et élargi.
II - L'Accord de Cotonou
1/ Les innovations apportées par le nouvel accord
La publication du Livre vert a ouvert le processus de renégociation des Conventions de Lomé. Ses conclusions ont inspiré les propositions de la commission pour le projet de mandat de négociation soumis aux quinze en janvier 1998. De son côté, et pour la première fois de son histoire, le groupe ACP élaborait également son propre mandat.
Les négociations se sont engagées à Bruxelles le 30 septembre 1998, et se sont d'emblée révélées difficiles. Quatre conférences ministérielles et une multitude de réunions informelles ont en effet été nécessaires pour aboutir à un accord d'ensemble et le nouveau texte a pu être signé à Cotonou, le 23 juin 2000.
L'Accord de Cotonou a été conclu pour vingt ans entre les 15 pays de l'Union européenne et 77 ACP. Il prévoit une clause de révision tous les cinq ans et un protocole financier pour chacune de ces périodes de cinq ans. Dans ses principes, il introduit des évolutions significatives par rapport aux Conventions de Lomé.
a) Le renforcement de la dimension politique
Le nouvel accord pose le principe qu'un dialogue politique régulier doit favoriser la cohérence et la pertinence des stratégies de coopération UE/ACP. Il doit permettre d'aborder toutes les questions d'intérêt mutuel, dont certaines ont été explicitement introduites dans le texte : consolidation de la paix et prévention des conflits, migrations internationales notamment. L'Assemblée parlementaire paritaire est appelée à jouer un rôle particulièrement important dans ces domaines.
Par ailleurs, l'accord de Cotonou conditionne le maintien de la coopération au respect des droits de l'homme, des principes démocratiques et de l'État de droit. Il introduit la notion de « bonne gestion des affaires publiques », dont le non respect peut également entraîner des mesures de suspension.
b) Le nouveau cadre commercial
Dans le cadre des Conventions de Lomé, la coopération commerciale avait essentiellement pris la forme de tarifs douaniers préférentiels. Ce dispositif ne pouvait perdurer, n'étant pas compatible avec les règles de l'OMC. En effet, ces préférences revêtent un caractère discriminatoire vis-à-vis des autres pays en développement et cette discrimination n'étant pas justifiée par la réciprocité, elle n'entre pas dans le champ de l'article 24 du GATT relatif aux unions douanières et aux zones de libre échange. L'Union européenne avait certes obtenu de l'OMC en 1994 une dérogation en faveur de l'accord de Lomé, pour une durée de cinq ans, mais outre le fait que désormais une telle dérogation aurait dû être demandée tous les ans, rien n'interdit l'ouverture d'une procédure par un pays ou un groupe de pays tiers qui s'estimerait lésé.
Dans le cadre de l'Accord de Cotonou, le volet commercial change de nature. L'objectif affiché est de promouvoir l'intégration progressive des pays ACP dans l'économie mondiale, en leur permettant de renforcer leurs capacités de production et d'attirer les investissements privés, en assurant la conformité du dispositif avec les règles de l'OMC, tout en tenant compte de la disparité des niveaux de développement.
S'agissant des modalités et des procédures, le texte prévoit dans un premier temps la conclusion d'accords entre l'Union européenne et des sous-ensembles de pays ACP constitués en zones douanières. Cette période doit également être mise à profit pour renforcer les capacités des secteurs de production publics et privés. A cet effet, une coopération spécifique est mise en oeuvre dans le domaine commercial, qui concerne en priorité les services, la concurrence, la propriété intellectuelle, la normalisation et la certification, les normes sanitaires, l'environnement, les normes de travail, la politique des consommateurs et la santé publique. En 2004, les parties procéderont à une évaluation de la situation des pays ACP qui ne seraient pas en mesure de négocier des accords de partenariat économique, en vue d'examiner les alternatives possibles.
Les nouveaux accords commerciaux entreront en vigueur le 1 er janvier 2008 au plus tard et la libéralisation des échanges sera réalisée au cours d'une période de transition d'au moins douze ans.
Par ailleurs, l'adaptation du dispositif à l'égard des ACP s'accompagne d'une amélioration du régime commercial en faveur de l'ensemble des pays les moins avancés (PMA), dont 39 font partie du groupe ACP. Lors du Conseil « Affaires générales » du 26 février 2001, l'Union est même allée au-delà des engagements pris à Cotonou, puisqu'elle a décidé d'accorder une franchise de droits et de quotas à toutes les importations de produits en provenance de ces pays.
Quant aux protocoles relatifs à certains produits, ils ont été intégralement repris en ce qui concerne la viande bovine et le sucre. En revanche, celui relatif à la banane, dénoncé par l'OMC, a été supprimé.
c) La réforme de la coopération financière
La rationalisation de la coopération financière constitue l'une des avancées majeures de l'Accord de Cotonou. Afin de remédier à l'éparpillement des ressources du FED entre une multitude d'instruments avec des programmations et des procédures différentes (dons, prêts spéciaux, ajustement structurel, etc.), qui caractérisait les Conventions de Lomé, la totalité des fonds disponibles est désormais dispensée via deux structures seulement.
Doté d'un montant de 10 milliards d'euros, le Fonds de soutien au développement à long terme permettra aux pays bénéficiaires de financer un large éventail d'opérations : projets sectoriels, allègement de la dette, aide humanitaire, etc.
Quant à la facilité d'investissement, gérée par la Banque européenne d'investissement et dotée de 2,2 milliards d'euros, elle marque l'engagement de l'Union européenne en faveur du secteur privé, ce qui constitue un tournant dans sa stratégie de coopération. Jusqu'alors en effet, les concours européens en faveur de l'investissement privé représentaient moins de 1 % des subventions du FED.
L'Accord de Cotonou prévoit également d'associer davantage les pays bénéficiaires à l'élaboration de la programmation aux fins d' « appropriation » des objectifs de développement par l'État intéressé.
Autre innovation importante, le nouvel accord introduit une marge de flexibilité dans la gestion de l'aide financière. Dans le dispositif actuel, l'aide programmable est allouée à chacun des États ACP en deux tranches dont la première, qui représente 70 % de l'enveloppe totale, est acquise une fois pour toutes. Ce système a pour effet de ne pas inciter les pays bénéficiaires à améliorer leurs performances ; il peut aussi conduire à immobiliser des montants importants en cas de crise politique ou de difficultés d'absorption de l'aide. Désormais une procédure de programmation glissante assortie de réexamens réguliers permettra une adaptation continue de la stratégie d'appui en fonction des performances et des résultats obtenus, ainsi que de la situation économique et politique dans chacun des pays bénéficiaires.
Enfin, le protocole financier de Cotonou marque la disparition des systèmes de stabilisation des recettes d'exportations agricoles (STABEX) et minières (SYSMIN), jugés inefficaces. Ils sont toutefois remplacés par une compensation financière additionnelle au coup par coup, qui permettra aux pays exportateurs de faire face aux fluctuations conjoncturelles des marchés internationaux de produits de base.
d) Les autres innovations contenues dans l'accord
Au delà des trois principaux volets (politique, commercial et financier), l'Accord de Cotonou comporte des dispositions novatrices en matière de « développement participatif » et de lutte contre la pauvreté.
Il cherche en effet à ouvrir davantage le partenariat aux acteurs de la société civile (ONG, acteurs économiques, fondations publiques et privées). Dans cette optique, il ne s'agit pas seulement de les consulter mais aussi, et surtout, de les impliquer dans les différents stades du processus de décision.
Par ailleurs, le partenariat est centré sur l'objectif de réduction et, à terme, d'éradication de la pauvreté. L'approche retenue intègre le caractère multidimensionnel de la pauvreté. Un ensemble d'indicateurs qualitatifs et quantitatifs doit permettre d'évaluer de manière systématique les résultats dans ce domaine.
e) La refonte de la gestion de l'aide extérieure de l'Union européenne
Afin de tenter de remédier à l'extrême complexité de ses procédures en matière d'aide extérieure, source d'inefficacité et de manque de cohérence dans ses actions, l'Union met en oeuvre une vaste réforme visant à la fois à alléger le processus de décision, à accélérer les mécanismes de décaissement des crédits et à améliorer la gestion des projets.
L'accord prévoit que l'organe décisionnel, le Comité du FED -où sont représentés les quinze États membres ainsi que la commission - se prononcera à l'avenir à la majorité qualifiée, tant sur la stratégie de coopération que sur les programmes individuels de chaque pays. Quant aux projets, le seuil requis pour leur examen par le Comité est substantiellement relevé (il est fixé à 15 millions d'euros).
Par ailleurs, la création en 2001 d'un organe unique, Europeaid, qui devrait à terme assurer toutes les phases du cycle d'opérations (identification et instruction des projets, préparation des décisions de financement, mise en oeuvre, évaluation), constitue la pièce maîtresse de la réforme interne de la commission dans le domaine de l'aide au développement. Ce volet s'accompagne d'un mouvement de déconcentration de la gestion des projets sur le terrain vers les 128 délégations de la commission réparties dans le monde.
2/ Les interrogations soulevées par l'Accord de Cotonou
L'instauration d'un véritable dialogue politique constitue l'élément central de l'élargissement de la coopération au domaine politique. Il doit permettre aux deux parties de traiter toutes les questions litigieuses qui intéressent l'un ou l'autre partenaire. Mais si l'Accord de Cotonou trace à cet égard un certain nombre de principes généraux, il n'indique pas les modalités de leur mise en oeuvre. Il revient donc aux différents organes d'élaborer dans le détail des dispositions qui soient réellement opérationnelles. Et il importe qu'ils le fassent très rapidement, car c'est la pratique qui validera la qualité du dialogue à établir, et déterminera si la coopération politique acquière une certaine substance, ou demeure à l'état de coquille vide.
En ce qui concerne le volet commercial, l'ampleur des enjeux peut se résumer en ces termes : les pays ACP doivent, pendant la durée de l'accord, se préparer à affronter la compétition sur le marché international afin de sortir de leur marginalisation actuelle et éliminer la pauvreté qui accable leurs populations. Dans cette perspective, d'importants ajustements s'avéreront nécessaires, pour des économies qui demeurent par ailleurs vulnérables et trop peu diversifiées. Ainsi, bien que lointaine, l'échéance de 2020 fixée à Cotonou pour la libéralisation des échanges apparaît à certains observateurs comme irréaliste pour de nombreux pays. De surcroît, le processus d'intégration régionale, posé comme préalable à ce mouvement de libéralisation, peut sembler quelque peu illusoire, les économies des ACP étant plus concurrentes que complémentaires.
Dans le domaine de la coopération financière, les ACP se sont déclarés déçus par le niveau des ressources du 9 ème FED, fixé à 13,5 milliards d'euros, quasi-identique à celui du précédent. Certes, l'ambition affichée par l'Accord de Cotonou, d'éradiquer la pauvreté dans les pays bénéficiaires et d'assurer leur insertion dans l'économie mondiale, aurait pu a priori nécessiter des sommes plus conséquentes. Mais l'engagement pris par l'Union européenne d'oeuvrer pour que les pays ACP absorbent au moins 3,5 milliards d'euros par an, lié à l'existence d'énormes reliquats non consommés au titre des FED précédents, représente en réalité un énorme défi pour ces États qui, le plus souvent, ne disposent pas des capacités institutionnelles suffisantes pour gérer un tel apport financier.
Par ailleurs, force est de constater que la réforme interne que la commission a entreprise dans le domaine de l'aide extérieure, confrontée à des résistances et des difficultés d'application, prend du retard. L'organisme Europeaid, notamment, n'est pas encore parvenu à monter en puissance. Cette lenteur est certes inhérente à la mise en place d'un organisme aussi lourd, mais il y a véritablement urgence à effacer le discrédit que son manque de réactivité et d'efficacité a jeté sur l'aide européenne.
Un effort accru devrait également être consenti afin de parvenir à une meilleure coordination et une véritable complémentarité entre les opérations bilatérales des États membres et celles de la Communauté, ainsi qu'avec les programmes des autres bailleurs de fonds internationaux.
De même, l'objectif affiché d'associer la société civile à la politique d'aide au développement ne va pas de soi. Le pari à réussir consiste à mettre en place des mécanismes qui concilient les responsabilités des États et de la commission d'une part, et la reconnaissance du rôle croissant des acteurs non-étatiques dans le processus de développement d'autre part. Il s'agit d'une question rendue complexe par la disparité de situation de cette société civile dans les différents pays concernés. Elle nécessitera de faire preuve d'imagination, de flexibilité et de pragmatisme.
Le prochain élargissement de l'Union européenne soulève aussi certaines interrogations. Quel sera le degré d'adhésion des nouveaux pays membres, qui n'ont aucun lien historique avec le groupe des ACP, aux objectifs de l'Accord de Cotonou ? L'aide au développement n'étant pas considérée comme faisant partie de l'» acquis communautaire », elle a été écartée des négociations d'adhésion. Interrogé à ce sujet lors d'une séance du Parlement européen, Poul Nielsen, Commissaire européen au Développement, a indiqué que la contribution des nouveaux États membres au Fonds européen de Développement serait sollicitée pour la prochaine programmation, qui débutera en 2008. L'attribution des quote-part attribuées à chacun fera sans nul doute l'objet de difficiles tractations, s'agissant de surcroît de pays qui doivent consentir des efforts budgétaires considérables pour satisfaire aux critères d'adhésion à l'Union.
Enfin, sans prétendre entrer dans le détail des négociations en jeu, il apparaît clairement que la Conférence ministérielle de l'OMC qui s'est tenue à Cancun, au Mexique, en septembre dernier, ne peut rester sans conséquences sur le processus de Cotonou, même s'il est encore trop tôt pour en mesurer l'ampleur. Certes le refus des pays ACP de se rallier au G23, mené par le Brésil, et de former ainsi une vaste coalition des pays en développement contre la politique agricole de l'Europe et des États-Unis, constitue un motif de satisfaction pour l'Union européenne, qui atteste de la pertinence de la politique qu'elle mène en faveur de ces pays. Il n'en demeure pas moins, toutefois, que les ACP, qui attendaient une réduction des aides ayant des effets de distorsion sur les échanges, et une plus grande ouverture des marchés, sont pénalisés par l'absence d'accord final, qui repousse notamment une éventuelle réforme de la politique agricole américaine.
Un autre élément marquant de la Conférence de Cancun réside dans le fait que, pour la première fois dans l'histoire de l'OMC, quatre pays africains, membres du groupe des ACP (le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Tchad), se sont organisés pour lancer ensemble une « Initiative pour le coton », attestant ainsi de leur volonté de se faire entendre. Remportant leur première victoire politique, ils ont réussi à faire inscrire cette question, au premier jour de la Conférence, à l'agenda des négociations. Mais malgré les propositions constructives émises par l'Union européenne, le projet de déclaration finale s'est aligné sur la position américaine, puisqu'il ne comportait aucun engagement d'élimination des subventions pour ce produit à court terme. En fait, soulevé trop tard, le problème du coton n'a pu être réellement discuté. Cet échec souligne la nécessité de développer le programme d'assistance technique prévu par l'OMC au bénéfice des pays les plus pauvres, afin de renforcer leurs capacités d'expertise dans les négociations commerciales internationales.
Après 18 mois de longues et parfois difficiles négociations, la signature de l'Accord de Cotonou apparaît porteuse d'espoir pour l'avenir du partenariat entre l'Union européenne et les pays ACP.
Marquant une véritable rupture avec les Conventions antérieures dans plusieurs domaines, l'esprit de l'accord fait en effet apparaître plusieurs évolutions qui vont incontestablement dans le bon sens : introduction d'une plus grande souplesse et d'un souci d'efficacité dans la coopération financière, partage équitable des responsabilités dans la prise de décision et la gestion, association de la société civile et du secteur privé dans le partenariat, exigence de bonnes pratiques dans les domaines économique et politique, mise en place de dynamiques visant à inverser le processus de marginalisation économique des pays les plus pauvres.
Comme nous l'avons vu, la mise en application de ces principes se heurte à de nombreux défis, dont la résolution impliquera imagination, pragmatisme et une volonté de réforme et de remise en cause des pratiques révolues.
Il appartient aux parlementaires, y compris ceux de l'APF, car il convient de rappeler à cet égard que la quasi-totalité des pays francophones du Sud sont membres du groupe des ACP, de veiller à ce que ce partenariat unique au monde se donne les moyens de remplir les objectifs ambitieux qu'il s'est assignés.
Enfin, il nous apparaît utile de rappeler ici l'urgence d'un règlement équitable du lancinant problème de la dette des pays du Tiers Monde, sans lequel tout espoir de voir ces pays amorcer un réel décollage économique serait vain. L'Union européenne, qui joue un rôle précieux de médiateur, doit poursuivre ses efforts dans ce domaine.