INTRODUCTION
M. Rudolf HUNDSTORFER - Ministre du Travail, des Affaires sociales et de la Protection des consommateurs d'Autriche
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais tout d'abord vous remercier de me permettre de participer à ce colloque, qui s'inscrit dans la continuité d'une série de manifestations initiée quelques années auparavant par mes prédécesseurs.
Vous avez devant vous un ancien apprenti, qui tient à rappeler qu'il l'a été et par ailleurs, aimerait démontrer tout ce qu'il est possible de faire lorsqu'on a été apprenti. En réalité, quatre membres du Gouvernement autrichien ont commencé leur parcours en tant qu'apprenti. Je tiens à le souligner, car nous sommes obligés de constater que l'apprentissage s'est vu conférer une grande valeur dans la société autrichienne. Cette valeur, qui fait toute la différence entre nos deux pays, constitue d'ailleurs le secret du succès de l'apprentissage autrichien. 40 % des jeunes en Autriche commencent leurs études par l'apprentissage, avant de s'engager dans une carrière. En Autriche, l'apprentissage est considéré comme une possibilité extraordinaire. Quel que soit le parti politique, nous observons un large consensus sur ce point. Ce consensus se retrouve également parmi les partenaires sociaux, car l'apprentissage est considéré comme indispensable dans les relations de partenariat social. Nous avons besoin, aujourd'hui et demain, de personnel hautement qualifié, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, pour poursuivre le développement de notre économie.
Je voudrais remercier également Madame l'Ambassadeur. Les intervenants évoqueront d'excellentes pratiques. Je tiens à vous faire comprendre pour quelle raison l'apprentissage est si important pour les entreprises. Celles-ci souhaitent garantir la qualité de leurs produits, en recrutant un personnel hautement qualifié qu'elles ont elles-mêmes formé. Chaque pays a sa propre histoire, ses propres traditions et sa manière de fonctionner. Cependant, en Autriche, les partenaires sociaux (aussi bien les syndicats que les représentants du patronat) travaillent main dans la main et réfléchissent à la manière dont doivent évoluer les professions pratiquées dans le cadre de l'apprentissage. L'imprimerie disposait autrefois d'ouvriers hautement qualifiés, mais n'a plus besoin d'autant d'apprentis aujourd'hui, car les techniques se sont considérablement modifiées. Il importe que les métiers de l'apprentissage s'adaptent à cette réalité économique. En Autriche, le Ministre assume la responsabilité des décisions prises par les partenaires sociaux. Nous sommes simplement intégrés à la discussion.
Je crois que la réussite de l'apprentissage en Autriche tient à la facilité des contacts entre le patronat et les syndicats. Il n'existe aucune crainte ou aversion envers l'autre partie. Au contraire, les deux parties travaillent ensemble, pour permettre aux jeunes de demain de suivre les formations professionnelles nécessaires pour bien commencer leur carrière. Une chose est claire : ce qui est appris aujourd'hui devra sans doute être réappris autrement dans cinq ans dans le cadre de la formation continue - mais c'est un autre aspect de notre sujet.
L'État autrichien soutient cette démarche. Nous sommes extrêmement impliqués dans la formation professionnelle. 80 % du temps de formation se déroule au sein d'une entreprise et 20 % dans une école professionnelle. L'État permet aux écoles professionnelles d'exister. Le coût de la formation est essentiellement porté par les entreprises, même si l'État leur délivre des subventions et des aides. J'espère que la présente manifestation nous permettra d'apporter notre contribution, pour lever un certain nombre de barrières existant entre nos deux pays et ainsi créer des passerelles entre nos systèmes, entre le patronat et les syndicats. J'étais auparavant le secrétaire général de la Fédération des syndicats autrichiens et je suis donc issu du monde syndical. Je crois qu'il est vraiment possible de construire des passerelles entre le monde politique, le monde syndical et le patronat, dans l'intérêt des jeunes d'aujourd'hui et de demain.
D'ici 2020, les jeunes aujourd'hui âgés d'une dizaine d'années seront conduits à prendre des décisions au regard de leur orientation professionnelle future. Il importe que l'apprentissage ait à leurs yeux la même valeur qu'une formation scolaire classique. Nous devons donc parvenir à le faire comprendre aux citoyens. Tout le monde doit bénéficier d'une formation de qualité équivalente. Je suis issu d'un pays dans lequel nous discutons toujours des valeurs respectives des professions. Nous considérons que l'apprentissage doit demeurer profondément valorisé au sein de notre société. Le colloque de ce jour permettra d'exposer nos modes de fonctionnement, pour parvenir à ces bons résultats. Nos intervenants sont extrêmement compétents. Ce colloque sera également important au regard de la politique sociale. Il faut donner des chances aux jeunes, et non pas les abandonner sans le moindre espoir pour leur avenir.
L'apprentissage apporte sa petite contribution à la construction du monde de demain. Nous sommes capables de démontrer que ce dispositif fonctionne. Avec l'Allemagne, l'Autriche est le deuxième pays européen dans lequel le taux de chômage des jeunes est le plus faible. Notre projet nécessite évidemment un grand engagement de la part de tous les participants, État et partenaires sociaux. Cependant, cette démarche s'avère véritablement rentable. J'espère que ce colloque permettra d'avancer dans la bonne direction. Néanmoins, je sais qu'il est impossible de modifier les traditions du jour au lendemain. L'on ne peut changer les rapports sociaux d'un coup de baguette magique ; il faut vraiment vivre ces évolutions au quotidien.
Je tiens à remercier Madame l'Ambassadeur de son engagement, car il est peu fréquent qu'un diplomate s'engage autant sur un sujet de ce type et je souhaite tout le succès possible à cette conférence.
Je regrette de devoir quitter ce colloque dès à présent. Ceci n'est pas une marque de désintérêt, mais je dois me rendre à une réunion à Bruxelles avec Monsieur François Rebsamen, Ministre français du Travail.
Je vous remercie.
M. André Trillard Mme Ursula Plassnik
M. Rudolf Hundstorfer
M. Xavier Bertrand
M. Xavier BERTRAND - Ancien Ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité de la République française, Député de l'Aisne
Monsieur le Ministre,
Madame l'Ambassadeur,
Monsieur le Sénateur, mon cher André,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je vais vous exposer les raisons pour lesquelles j'ai accepté de participer à ce colloque. Premièrement, l'apprentissage est un sujet qui me tient particulièrement à coeur. Cela était vrai dans le cadre de mes fonctions ministérielles. Cela l'est toujours aujourd'hui dans le cadre de mes fonctions de maire de Saint-Quentin. J'ai décidé, depuis ma prise de fonctions, de m'engager clairement sur l'apprentissage pour la transmission du savoir. L'apprentissage est pour moi un défi. Deuxièmement, il me paraît toujours intelligent d'observer les pratiques de nos partenaires européens. L'intitulé de ce colloque est particulièrement pertinent : réussite chez vous, l'apprentissage représente encore un défi pour nous. La troisième raison de ma participation tient à l'amitié que je porte à Monsieur le Président André Trillard. Celui-ci dispose de plusieurs cordes à son arc : l'enracinement local, un intérêt pour les questions de défense et aussi pour cette question qui concerne notre avenir économique et est le marqueur de la réussite des acteurs politiques : l'avenir des jeunes, qui passe bien évidemment par l'emploi des jeunes.
Si chez nous l'apprentissage est considéré comme un défi pour la France, c'est bien la preuve que nous n'avons pas atteint le même niveau de réussite que chez vous. Ce n'est ni un échec de la gauche ni un échec de la droite ; c'est un défi dont nous ne parvenons pas à prendre la mesure collectivement. D'ailleurs, l'apprentissage n'est pas un enjeu partisan. Si nous partageons le même dessein, pourquoi ne parvenons-nous pas au même niveau de réussite que vous ? Je pense que vous alliez une vision stratégique (« pourquoi l'apprentissage ») à un véritable pragmatisme (« comment l'apprentissage »). D'une certaine manière, en France, nous fixons l'objectif - du moins, souhaitons-nous l'atteindre - alors que nous n'avons pas encore suffisamment décelé tous les points pratiques, qui peuvent sembler parfois mineurs, mais qui nous empêchent d'atteindre cet objectif. Ayant regardé la réussite autrichienne, ayant écouté Madame l'Ambassadeur et Monsieur le Ministre, je voudrais me permettre de tracer quelques rapides perspectives, avant de préciser pourquoi je crois à l'apprentissage et de montrer comment il est possible d'améliorer notre efficacité dans ce domaine.
L'apprentissage est à mes yeux, en France, le meilleur outil pour la qualification des jeunes et leur insertion. Il n'existe pas de meilleur outil que celui qui permet aux jeunes d'apprendre leur métier à l'école et dans l'entreprise. Ce dispositif permet à l'entreprise de mieux connaître et préparer le jeune, tout en offrant la possibilité à ce dernier de vérifier son adaptation à cette entreprise. D'ailleurs, les chiffres démontrent que l'insertion après l'apprentissage est la meilleure qui soit. En outre, je m'élève avec vigueur contre les tentations d'instaurer un « SMIC jeune ». Pour les jeunes, il est déjà suffisamment difficile de trouver sa place dans la société. L'on ne peut leur proposer une précarisation en termes de pouvoir d'achat et de niveau de vie. Plutôt que d'engager des débats stériles sur la question d'un « SMIC jeune », dynamisons le débat sur l'apprentissage. Nous savons pertinemment que la question du coût du travail ne se pose pas de la même façon avec l'apprentissage. Nous devons donc nous approprier la question de l'apprentissage, qui, avec l'alternance, constitue un moyen socialement acceptable de modérer le coût du travail pour des jeunes peu ou pas expérimentés, tout en leur permettant d'élever leur niveau de qualification et partant, leurs perspectives d'embauche.
L'apprentissage, en France, doit cibler davantage les moins qualifiés. Pour autant, nous devons veiller à ne pas créer un nivellement par le bas de l'apprentissage. Veillons à ne pas éloigner les financements des CFA (Centre de Formation d'Apprentis). Chaque année, notre système éducatif met 140 000 jeunes sur le marché du travail sans qualification ni diplôme. Si l'apprentissage trouvait davantage sa place, ces jeunes ne connaîtraient pas une destinée aussi difficile. Il ne s'agit pas d'ôter tout financement aux étudiants diplomés, mais de penser véritablement à ces jeunes, peu ou pas qualifiés, qui sont ceux qui rencontrent les plus grandes difficultés à trouver un emploi.
Par ailleurs, la gouvernance et les financements doivent être moins éclatés. En Autriche, vous faites totalement confiance aux partenaires sociaux. Il nous importe de recentrer le financement de l'apprentissage, qui donne lieu à trois contributions différentes actuellement (l'État, la région et les entreprises). Tous ceux qui aspirent à la simplification y trouvent non pas un sujet d'expérimentation, mais un sujet de simplification indispensable.
En France, nous nous étonnons qu'un ministre puisse avoir suivi un cursus d'apprentissage. Je crois que nous pouvons applaudir Monsieur le Ministre Hundstorfer qui est un ancien apprenti. Les difficultés que connaît actuellement la France illustrent un double phénomène. En premier lieu, ces difficultés revêtent un caractère conjoncturel, étant liées à la crise et à la réduction des budgets (avec, par exemple, la suppression de la prime à l'embauche). Nous délivrons un grand nombre d'aides aux entreprises, afin d'éviter que l'apprentissage leur coûte. Or, quelles que soient les aides, il faut bien comprendre qu'un apprenti n'a pas la même capacité de travail, surtout au début de son cursus. Lorsqu'un apprenti étudie à l'école, il ne travaille pas. Parallèlement, le maître de stage, qui consacre une partie de son temps à l'apprenti, ne consacre pas toute sa force de travail à son poste. Les aides versées aux entreprises ne doivent donc pas être considérées comme un cadeau, mais comme une compensation du choix fait par l'entreprise de se lancer dans l'apprentissage. C'est pourquoi je pense que nous devons attribuer le plus grand nombre d'aides possible aux entreprises.
D'autre part, les difficultés que nous connaissons sont pour partie liées aux normes sur les machines dangereuses. Mon concessionnaire m'a signalé que son apprenti ne pouvait fixer la plaque d'immatriculation de ma moto, car la machine est considérée comme dangereuse. Mes collaborateurs m'ont conseillé d'inviter mon concessionnaire à solliciter une dérogation auprès de l'Inspection du Travail - dérogation qu'il aurait pu obtenir après visite. Si c'était aussi simple que cela, mon concessionnaire aurait sollicité cette dérogation. Or, tel n'est pas le cas. C'est pourquoi il importe d'engager une démarche de simplification. Les responsables politiques et les partenaires sociaux doivent comprendre que l'ensemble de ces décrets constitue un frein à l'apprentissage. Comment un apprenti peut-il apprendre le métier de boulanger, si la réglementation l'empêche d'être présent dès 5 heures du matin ? Le jeune effectue un apprentissage pour apprendre le métier seulement, et non pour nettoyer le fournil quelques heures après.
L'apprentissage n'est un sujet ni de droite ni de gauche. C'est un sujet de bon sens, sur lequel nous devons absolument progresser.
Mes propositions consistent à simplifier les normes, réduire le nombre de voies de collecte, impliquer davantage les partenaires sociaux et les branches et enfin, établir des dispositifs de pré-apprentissage. Il est préférable qu'un jeune trouve sa voie professionnelle dès 14 ans, plutôt que de s'engager dans une voie plus traditionnelle qui ne lui correspond pas. Nous devons donc encourager l'échange d'informations, la transparence sur les places vacantes.
J'ai été très sensible à la précision apportée par Monsieur le Ministre au sujet de l'évolution des emplois. En matière d'apprentissage, nous devons d'ores et déjà réfléchir aux voies d'excellence.
L'apprentissage est un défi qui, s'il devient une réalité, nous permettra de redonner vraiment de l'espoir aux jeunes. Outre une logique nationale, nous devons favoriser l'implication locale (notamment par l'intermédiaire des missions locales). Cette grande cause est toute aussi légitime que les autres. Je crois vraiment que l'apprentissage devrait être envisagé comme une grande cause nationale et un levier de mobilisation de tous et toutes. Il suffit de s'inspirer des exemples qui fonctionnent. Ce n'est pas une démarche idéologique, mais pragmatique. Si l'apprentissage connaissait la réussite qu'il mérite en France, davantage de jeunes penseraient véritablement pouvoir forger leur avenir dans notre pays.
Je vous remercie de votre attention.