PARTIE IX - L'IMPACT DU SÉISME SUR LE SECTEUR TOURISTIQUE AU NÉPAL
Mme Isabelle SACAREAU,
professeure,
Université Bordeaux Montaigne, UMR 5195
ADESS
Mme Marie FAULON, doctorante,
ANR-13-SENV-0005
PRESHINE,
Université Bordeaux Montaigne,UMR 5195 ADESS.
Le séisme d'avril 2015 au Népal, suivi d'un second séisme le 12 mai 2015, a suscité une forte émotion internationale, relayée par les médias d'information en continu et par les réseaux sociaux. Cette dernière était d'autant plus forte qu'il était à déplorer de nombreuses victimes étrangères dans ce haut lieu du tourisme de montagne, frappé en pleine saison touristique et dans quelques-uns de ses lieux touristiques les plus emblématiques. La catastrophe a mis en lumière l'importance de ce secteur économique pour le développement de ce pays déjà fragilisé par une forte instabilité politique, après dix années de guerre civile, et en particulier pour les populations montagnardes, dont il constitue une source de revenus essentielle. La reconstruction du Népal après cette catastrophe passe ainsi par un retour rapide des touristes dans le pays, ce qui implique, au-delà du constat des destructions, d'évaluer la capacité de résilience du système touristique au Népal et les conditions du rétablissement d'une activité qui fait vivre des dizaines de milliers de familles, en particulier dans les zones rurales pauvres de montagne.
Fig. 1. Carte générale du Népal :
voies de communications et aires protégées
(Jacquemet,
2015)
I. LE TOURISME, UN SECTEUR ÉCONOMIQUE VITAL POUR LE NÉPAL
Le Népal est devenu, depuis les années 1950, un haut lieu du tourisme, grâce à la présence de la chaine himalayenne, et de ses 14 plus hauts sommets de la terre, dont l'Everest, ainsi qu'à l'importance culturelle de la vallée de Katmandou, dont les temples, palais et édifices religieux les plus remarquables ont été classés au patrimoine mondial de l'UNESCO.
Fig. 2. Flux des touristes au Népal entre 2000 et
2013
Source : Nepal Tourism Statistics 2013
Les flux du tourisme international s'élevaient à 767 600 visiteurs en 2013 (source : Nepal Tourism Statistics 2013 ), dont 51 % venus visiter les grands sites naturels et culturels du pays et découvrir de loin les paysages de l'Himalaya, 13 % venus faire du trekking (grande randonnée de plusieurs jours en montagne accompagnée ou non de guides et de porteurs) ou participer à des expéditions de haute montagne, et 9 % pratiquer un pèlerinage. Si les touristes internationaux étaient jusqu'à ces dernières années issus des pays occidentaux (Amérique du Nord, Europe dont 25 000 de France, Australie, Nouvelle-Zélande), depuis quelques décennies, les clientèles indiennes et chinoises sont venues s'ajouter aux Japonais et Coréens pour représenter aujourd'hui respectivement 1/5 e et 1/10 e des touristes au Népal.
Du point de vue économique, le tourisme contribue à 2 % du PIB, mais aussi à près de 21 % de la valeur des exportations des biens et des services (source : Nepal Rastra Bank ). Les recettes du tourisme international ont plus que doublé depuis la fin de la guerre civile, passant de 219 millions de dollars en 2000 à 457 millions de dollars en 2013 (soit près de 417,5 millions d'euros), selon la Banque mondiale. Il s'agit donc une source de devises essentielle pour le pays, pauvre en ressources naturelles (en dehors de l'hydroélectricité) et en industries, et qui vit essentiellement de l'agriculture, des remises de ses travailleurs migrants et de l'aide internationale.
Fig. 3. Les motifs de la visite des touristes au
Népal en 2013.
Source : Nepal Tourism Statistics 2013.
Outre les dépenses des touristes sur place, environ 43 dollars par jour et par personne (moins de 40 euros), les revenus du tourisme proviennent des visas, des royalties payés par les expéditions, des permis de trekking et des droits d'entrée dans les parcs et les aires protégées. Les royalties, par exemple, s'élevent à 3 millions d'euros, dont 80 % fournis par les seules ascensions à l'Everest. Les droits d'entrée dans les aires protégées représentent un revenu de plus de 4 millions d'euros dont 790 000 euros pour le parc national de Sagarmatha, où se situe l'Everest et 430 000 euros pour le parc national du Langtang (Source : Department of National Park and Wildlife Conservation) .
Fig. 4. Revenus issus des permis délivrés aux
expéditions en 2013
Source : Nepal Tourism Statistics
2013
Le tourisme est aussi une des toutes premières sources d'emplois en dehors de l'agriculture, ou de l'émigration temporaire dans les pays du Golfe et tout particulièrement pour les populations pauvres des montagnes. Il emploie 138 000 salariés homologués, se répartissant dans les secteurs de l'hôtellerie et des transports, des agences de voyage et de trekking . Mais surtout, le tourisme fait vivre 50 000 salariés des agences de trekking , dont 40 000 saisonniers, sans compter un grand nombre de guides et de porteurs occasionnels ou travaillant en free-lance , recrutés principalement dans les montagnes du centre et centre-ouest du pays.
Le tourisme constitue ainsi un système d'acteurs interdépendants, depuis les agences de voyage, et surtout les agences de trekking qui emploient guides et porteurs, en passant par les propriétaires et gérants d'hébergements touristiques le long des chemins de trekking, jusqu'aux compagnies aériennes privées et aux grands hôtels localisés dans la capitale. Katmandou est au coeur du système touristique, car c'est la porte d'entrée aérienne du Népal et un pôle de redistribution des flux touristiques dans tout le pays.
Fig. 5. Rue de Thamel, quartier touristique de Katmandou,
2009
(c) Isabelle Sacareau
Sa vallée est aussi le premier lieu visité au Népal, du fait de sa richesse culturelle : les quartiers historiques de Katmandou, Patan ou Bhaktapur avec leur architecture remarquable comptent de très nombreux temples et édifices religieux, classés au Patrimoine mondial de l'Unesco, dont la visite est payante.
C'est à Katmandou que se concentre l'essentiel de l'offre d'hébergement, surtout dans le quartier de Thamel situé au nord de la vieille ville, ainsi que la majeure partie des services touristiques du pays, avec en particulier la présence de la plupart des agences népalaises de trekking qui organisent, depuis la capitale, le tourisme de montagne.
Fig. 6. Bâtiments endommagés par le séisme sur un circuit touristique, Swayambhu - (c) Navin Shakya
Les régions de trekking les plus visitées correspondent aux massifs qui comportent les plus hauts sommets et/ou qui sont inscrits dans des aires protégées : la première région de trekking est l'Aire de conservation de l'Annapurna, au nord de la ville de Pokhara et de son lac, avec 116 065 randonneurs. Elle est suivie du Parc national du Sagarmatha (région de l'Everest) situé au Nord-Est, visité par 36 750 randonneurs, et du Parc National du Langtang, au Nord-ouest de Katmandou, qui en reçoit 13 370.
Fig. 7. Randonneurs en route vers le camp de base de l'Everest (c)Bernard Davasse, avril 2014
Les autres massifs n'accueillent quant à eux que quelques milliers de touristes, comme l'Aire de Conservation du Manaslu située sur l'épicentre du séisme, qui n'en compte que 4 439.
Toutes ces régions de trekking ont été profondément transformées localement par le tourisme, avec le développement de lodges , de tea-shops , d'activités de portage et d'une agriculture de plus en plus tournée vers les besoins des touristes. Mais d'autres régions de montagne, peu ou pas touristiques, participent également au tourisme comme pourvoyeuses de main d'oeuvre pour le trekking et les expéditions, à travers les emplois de guides, de porteurs ou d'emplois dans la construction ou la gestion des lodges .
Enfin, on peut mentionner la plaine du Téraï, épargnée par le séisme, qui est visitée depuis Katmandou principalement pour ses safaris photos dans le Parc National de Chitwan et pour la ville de Lumbini, lieu de naissance du Bouddha.
Le tourisme a indéniablement été un facteur de développement dans les régions fréquentées par les trekkeurs. Il a suscité un entreprenariat local et national qui permet aux populations de capter une grande partie des retombées du tourisme sur leur territoire.
Le développement touristique de ces espaces a favorisé le développement d'infrastructures (ponts, réseaux d'eau) et l'accès à l'électricité, permettant la diffusion du téléphone mobile et d'internet, malgré leur situation enclavée. S'y ajoutent aussi des écoles et des dispensaires, souvent créés à l'initiative d'anciens touristes. Les générations de montagnards népalais qui se sont lancées il y a 20 ans dans le tourisme sont désormais en mesure d'envoyer leurs enfants faire des études non seulement à Katmandou mais aussi à l'étranger. Le tourisme a donc été un indéniable facteur d'ascension sociale.
Tous ces éléments donnent la mesure de ce que le séisme a touché.