NOTE DE SYNTHESE
En
France, la responsabilité pénale du président de la
République fait l'objet
de l'article 68 de la
Constitution
, qui énonce : «
Le président
de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice
de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en
accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au
scrutin public et à la majorité absolue des membres les
composant ; il est jugé par la Haute cour de
justice.
»
Il apparaît donc clairement que, pour les actes accomplis dans l'exercice
de ses fonctions, la responsabilité pénale du chef de
l'État ne peut pas être engagée, sauf cas de haute
trahison.
Pour les autres actes, qu'ils aient été commis avant le
début du mandat ou en cours de mandat, l'ambiguïté de la
formulation constitutionnelle a provoqué un débat doctrinal.
Toutefois, le
Conseil constitutionnel
a estimé le 22 janvier
1999, dans sa
décision 98-408, relative à la Cour
pénale internationale
,
que, pendant la durée de son
mandat, la responsabilité pénale du président de la
République ne pouvait être mise en cause que devant la Haute cour
de justice, selon la procédure prévue par l'article 68 de la
Constitution, aussi bien pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions
et qualifiables de haute trahison que pour tous les autres actes.
D'après l'interprétation du Conseil constitutionnel, le
président de la République serait donc soumis à un
régime dérogatoire au droit commun pendant toute la durée
de son mandat pour l'ensemble des infractions qu'il aurait pu commettre.
L'interprétation que le Conseil constitutionnel a donnée à
l'article 68 de la Constitution a entraîné le
dépôt à l'Assemblée nationale d'une proposition de
loi constitutionnelle tendant à modifier l'article 68 de la
Constitution. Adoptée à l'Assemblée nationale le
19 juin 2001, elle sera prochainement discutée au Sénat.
Cette proposition ne modifie pas le régime de la responsabilité
pénale du président de la République pour les actes commis
dans l'exercice des fonctions présidentielles. En revanche, pour les
autres infractions, commises avant ou pendant le mandat, elle prévoit
d'appliquer le droit commun, en introduisant seulement un dispositif judiciaire
spécifique de filtrage visant à éliminer les demandes
infondées.
Dans les pays voisins, la question est résolue de manière
différente selon qu'il s'agit d'une monarchie ou d'une
république. Dans les monarchies constitutionnelles, les souverains
jouissent en effet d'une immunité absolue. Pour cette raison, la
présente étude analyse également le régime de la
responsabilité pénale des chefs de gouvernement. Elle prend en
compte dix pays européens, parmi lesquels cinq sont des
républiques et cinq des monarchies :
l'Allemagne, l'Autriche, la
Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Grèce, l'Italie, les Pays-Bas, le
Portugal et le Royaume-Uni.
L'analyse des règles en vigueur dans ces dix pays permet de mettre en
évidence que :
- à la différence des monarques, les présidents de
la République ne jouissent pas d'une immunité absolue, mais ils
bénéficient d'un régime dérogatoire au droit commun
tant pour les infractions commises dans l'exercice des fonctions
présidentielles que pour les autres infractions ;
- dans les monarchies parlementaires, la responsabilité
pénale du Premier ministre relève parfois d'une procédure
dérogatoire au droit commun pour les infractions commises dans
l'exercice de ses fonctions, tandis que, pour les autres infractions, elle est
partout, sauf en Belgique, engagée selon la procédure de droit
commun.
1) À la différence des monarques, les présidents de la
République ne jouissent pas d'une immunité absolue, mais ils
bénéficient d'un régime dérogatoire au droit commun
tant pour les infractions commises dans l'exercice des fonctions
présidentielles que pour les autres infractions
a) Les infractions commises dans l'exercice des fonctions
présidentielles
Dans chacune des cinq républiques étudiées, la
responsabilité pénale du président de la République
pour des infractions commises dans l'exercice de ses fonctions peut être
mise en cause seulement après que le Parlement a adopté une
décision de mise en accusation. De plus, lorsque le Parlement est
bicaméral, l'accord des deux assemblées est nécessaire,
sauf en Allemagne.
Si le Parlement se prononce sur la mise en accusation dans tous les pays,
l'étendue de la responsabilité et la juridiction de jugement
diffèrent d'un pays à l'autre.
En Grèce et en Italie, le président de la République n'est
responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de
haute trahison ou de violation de la Constitution. Il est alors jugé par
une juridiction
ad hoc
, composée en Grèce de hauts
magistrats de l'ordre judiciaire et en Italie des membres de la Cour
constitutionnelle et de citoyens.
En revanche, d'après les autres Constitutions, les possibilités
de mettre en cause la responsabilité pénale du président
de la République pour des actes commis dans l'exercice de ses fonctions
sont plus nombreuses :
- la Loi fondamentale allemande évoque les violations
délibérées, non seulement de Loi fondamentale, mais aussi
des autres lois fédérales ;
- la Constitution fédérale autrichienne distingue deux
procédures, l'une applicable aux
«
violations
» de son texte et l'autre aux
«
actes passibles de
poursuites pénales
(...)
en rapport avec l'exercice de ses
fonctions
» ;
- la Constitution portugaise mentionne seulement les délits commis
dans l'exercice de ses fonctions sans autre précision.
En Allemagne et en Autriche, le président de la République est
alors jugé par la Cour constitutionnelle, tandis qu'au Portugal il est
jugé par la juridiction suprême de l'ordre judiciaire.
b) Les infractions commises hors de l'exercice des fonctions
présidentielles
Le président de la République est partout soumis à un
régime dérogatoire : dans certains pays, aucune
procédure ne peut commencer en cours de mandat sans l'accord du
législateur et, dans les autres, les infractions
commises hors de
l'exercice des fonctions présidentielles ne peuvent être
jugées qu'après la fin du mandat.
En Allemagne, où le régime de l'immunité parlementaire
s'applique au président de la République «
par
analogie
», aucune poursuite n'est possible sans l'accord du
Bundestag. De même, en Autriche, le consentement de l'Assemblée
fédérale, c'est-à-dire des deux chambres réunies,
est nécessaire à l'engagement des poursuites.
En revanche, les constitutions grecque et portugaise prévoient la
suspension de la procédure pénale pendant la durée du
mandat. En Italie, où la question n'est pas définitivement
tranchée, la doctrine semble admettre la même solution.
2) Dans les monarchies parlementaires, la responsabilité
pénale du Premier ministre relève parfois d'une procédure
dérogatoire au droit commun pour les infractions commises dans
l'exercice de ses fonctions, tandis que, pour les autres infractions, elle est
partout, sauf en Belgique, engagée selon la procédure de droit
commun
a) Les infractions commises dans l'exercice des fonctions
ministérielles
Les infractions commises dans l'exercice des fonctions ministérielles
sont jugées selon le droit commun au Royaume-Uni et au Danemark.
Au Royaume-Uni, les infractions commises par le Premier ministre
relèvent, quelle que soit leur nature, de la procédure
pénale ordinaire, les ministres ne jouissant d'aucune immunité et
d'aucun privilège de juridiction.
Au Danemark, il existe une loi relative à la responsabilité des
ministres, qui s'applique notamment au chef du gouvernement. Elle
considère comme une infraction commise dans l'exercice des fonctions
ministérielles le fait de manquer à ses obligations,
intentionnellement ou par négligence grave, et limite la peine maximale
à un emprisonnement de deux ans, mais sans prévoir de
procédure spécifique.
En revanche, dans les autres monarchies parlementaires, les infractions
commises dans l'exercice des fonctions ministérielles sont jugées
selon une procédure dérogatoire au droit commun.
En Belgique
et aux Pays-Bas, ce régime spécifique s'applique à toutes
les infractions
liées à la fonction, alors que, en
Espagne, il ne concerne que les plus graves.
En Belgique, les dispositions constitutionnelles relatives à la
responsabilité pénale des ministres ont été
modifiées par la loi constitutionnelle du 12 juin 1998. Avant la
réforme, les ministres étaient mis en accusation par la Chambre
des représentants et jugés par la Cour de cassation. Le nouveau
régime se rapproche du droit commun, les ministres étant
jugés par la cour d'appel après que le parquet a intenté
l'action pénale. Cependant, la Chambre des représentants
vérifie que la requête du ministère public tendant à
demander la saisine de la chambre des mises en accusation est fondée.
Elle doit également autoriser toute arrestation.
Aux Pays-Bas, les infractions commises par les ministres dans l'exercice de
leurs fonctions sont jugées selon une procédure
spécifique, après autorisation du Parlement.
En Espagne, le statut pénal dérogatoire des ministres ne
s'applique qu'aux atteintes à la sûreté de l'État,
qui sont alors jugées par le tribunal suprême de l'ordre
judiciaire après que le Congrès des députés a pris
l'initiative de la mise en accusation et l'a approuvée.
b) Les infractions commises hors de l'exercice des fonctions
ministérielles
La Belgique est le seul pays qui prévoie une procédure
dérogatoire au droit commun pour les infractions commises par les
ministres en dehors de leurs fonctions.
En effet, le régime mis en place par la loi constitutionnelle du
12 juin 1998 s'applique à toutes les infractions commises par les
ministres en exercice, qu'elles soient ou non liées à leurs
fonctions. Ce régime particulier subordonne notamment la saisine de la
chambre des mises en accusation à une décision de la Chambre des
représentants. Toutefois, les infractions commises avant le début
de leurs fonctions ministérielles par des ministres en exercice sont
jugées selon le droit commun.
Dans les autres monarchies parlementaires, les infractions commises hors de
l'exercice des fonctions ministérielles relèvent de la
procédure pénale ordinaire et sont jugées sans que le
Parlement intervienne à aucun moment de la procédure. Elles sont
jugées par les juridictions de droit commun, sauf en Espagne, où
les affaires impliquant des membres du gouvernement ne peuvent être
instruites et jugées que par la chambre pénale du Tribunal
suprême.
* *
*
Les présidents de la République allemand, autrichien, grec, italien et portugais se trouvent donc dans une situation comparable à celle du président français. En revanche, dans les monarchies, où les souverains jouissent d'une immunité absolue, les chefs de gouvernement sont soumis au même régime que les autres ministres et bénéficient d'une protection limitée, notamment pour les infractions commises en dehors de leurs fonctions.