EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Conformément à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, aux termes duquel « la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration », le législateur a, en 2007 1 ( * ) , créé une délégation parlementaire au renseignement, chargée, en application de l'article 6 nonies de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de contrôler l'action du Gouvernement en matière de renseignement et d'évaluer la politique publique dans ce domaine.
Malgré les craintes qui avaient entouré sa création, force est de constater qu'après dix ans d'existence, le rôle et l'utilité de la délégation sont largement reconnus, en premier lieu au sein des services de renseignement. La délégation conduit en effet ses travaux dans le cadre d'une coopération étroite avec l'ensemble des administrations, qu'il s'agisse des services, mais également de la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme ou encore de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Si on peut s'en féliciter, ce contexte de travail favorable ne doit toutefois pas se faire au détriment de l'exercice d'un contrôle objectif, plein et entier de l'activité des services, d'autant plus nécessaire que ces derniers ont été, au gré des récentes évolutions législatives et dans le cadre d'un contexte de menace terroriste élevée et durable, considérablement renforcés au cours des dernières années.
L'exercice d'un tel contrôle, qui répond tant à un souci démocratique qu'au besoin d'assurer l'efficacité de notre appareil de renseignement, nécessite que la délégation dispose de moyens et de prérogatives suffisants, de nature à garantir son indépendance et sa capacité à accéder aux informations nécessaires à l'exercice du rôle que la loi lui confie.
Or, malgré un premier élargissement conséquent de ses prérogatives en 2013, des marges de progression existent. Le contrôle parlementaire du renseignement en France demeure en effet bien en deçà des dispositifs mis en place par d'autres démocraties, que ce soit l'Allemagne, le Royaume-Uni ou encore l'Italie.
L'objet de cette proposition de loi est donc de renforcer le dispositif français de contrôle parlementaire du renseignement. Le texte s'inscrit dans la droite ligne des évolutions appelées de ses voeux par le Président de la République qui assurait, lors de son discours devant le Parlement réuni en Congrès le 3 juillet 2017, vouloir rendre « le Parlement plus apte à exercer sa mission de contrôle, sans laquelle la responsabilité de l'exécutif ne vit pas, est affaiblie ».
L'article unique de la proposition de loi poursuit, à cet égard, trois objectifs.
Il ouvre en premier lieu le périmètre de contrôle de la délégation et, par conséquent, son droit d'information, à l'ensemble de l'activité des services de renseignement, tout en prévoyant, pour respecter les exigences constitutionnelles 2 ( * ) et ne pas entraver l'efficacité des services, un droit d'opposition du Gouvernement pour les cas où la communication d'une information, d'un document ou d'un élément d'appréciation est susceptible de porter atteinte à une opération en cours, de mettre en péril l'anonymat ou la sécurité d'un agent ou concerne les échanges avec des services de renseignement étrangers.
La délégation serait donc désormais en droit de connaître notamment des procédures et méthodes opérationnelles, qui sont actuellement exclues de son contrôle. Elle serait par ailleurs en mesure de demander la transmission, en complément des documents qui lui sont communiqués de droit en vertu de la loi, de toute autre information qu'elle estimerait nécessaire à l'accomplissement de sa mission.
En deuxième lieu, l'article étend les prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement .
Afin d'améliorer son droit d'information, la délégation serait tout d'abord rendue destinataire, chaque année, de la liste des rapports publiés par l'inspection des services de renseignement ainsi que par les services d'inspection d'autres ministères portant sur les services de renseignement. Si elle peut, en l'état du droit, solliciter du Premier ministre la transmission de tout ou partie de ces rapports, cette prérogative se révèle, dans la pratique, difficile à exercer dans la mesure où la délégation n'a pas connaissance des travaux réalisés par ces inspections.
Par ailleurs, la liste des personnes pouvant être entendues par la délégation serait étendue à l'ensemble des personnels des services de renseignement, qui ne peuvent actuellement être auditionnés que lorsqu'ils accompagnent les directeurs des services de renseignement ou lorsqu'ils occupent un emploi pourvu en conseil des ministres. De manière à ne pas mettre en péril leur anonymat, ces agents ne pourraient être entendus que lorsque la délégation se déplace sur le site d'un service.
En troisième et dernier lieu, l'article unique prévoit la possibilité pour la délégation de nommer en son sein un rapporteur , auquel elle pourrait confier des missions d'évaluation et de contrôle sur des thématiques définies.
La création de cette fonction, qui avait été envisagée en 2007 lors de la création de la délégation, poursuit un double objectif : d'une part, alléger la charge du président de la délégation, fonction assurée, de droit, par un président de commission permanente ; d'autre part, renforcer la continuité des travaux de la délégation en lui permettant de conduire des missions de contrôle en dépit des changements annuels de présidence.
La proposition de loi ne fixe pas la durée du mandat du rapporteur, qu'il reviendra au Parlement de définir dans le règlement intérieur de la délégation, dans le respect des équilibres politiques entre les deux assemblées.
Les évolutions législatives objet de la présente proposition de loi, nécessaires si ce n'est à l'alignement, du moins au rapprochement du dispositif français des pratiques d'autres démocraties, ne peuvent toutefois se concevoir sans un renforcement des moyens alloués à la délégation parlementaire au renseignement. Aussi lui reviendra-t-il, en parallèle, d'engager au sein de chacune des deux assemblées un dialogue afin de lui permettre d'être dotée des moyens humains et financiers adaptés à l'accomplissement de sa mission.
* 1 Loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007 portant création d'une délégation parlementaire au renseignement.
* 2 Dans sa décision n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001 sur la loi de finances pour 2012, le Conseil constitutionnel a en effet estimé, s'agissant des prérogatives de la commission de vérification des fonds spéciaux, que « s'il appartient au Parlement d'autoriser la déclaration de guerre, de voter les crédits nécessaires à la défense nationale et de contrôler l'usage qui en a été fait, il ne saurait en revanche, en la matière, intervenir dans la réalisation d'opérations en cours ».