EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'histoire de chaque pays est faite de parts de lumière dont il convient de tirer une légitime fierté et de parts d'ombre dont on gagne à reconnaître la véracité.
La grandeur d'un pays consiste donc à regarder son passé en prenant de la hauteur et du recul, pour le faire avec lucidité et objectivité.
La France ne fait pas exception à cette règle, comme l'illustrent les différentes lois mémorielles votées depuis 1945.
De la Loi Michelet de 1954 « instaurant la Journée nationale du souvenir de la déportation » à la Loi Alliot-Marie de 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », en passant par la Loi Gayssot de 1990 « tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe », la Loi Taubira de 2001 « visant à reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité », ou la Loi Parly de 2021 « portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie », la France a su faire ce travail et reconnaître sa responsabilité pour des politiques publiques mises en oeuvre à l'encontre de plusieurs groupes de personnes.
Pour autant, certains groupes de victimes n'ont, pour l'heure, pas encore bénéficié d'une reconnaissance officielle des discriminations et condamnations subies en raison de leur orientation sexuelle, vraie ou supposée, ou de leur identité de genre.
C'est notamment le cas des personnes homosexuelles, dont plusieurs dizaines de milliers furent victimes d'un droit français discriminatoire, entre 1942 et 1982.
Notre législation était pourtant initialement l'une des plus progressistes au monde, puisque les relations entre personnes de même sexe avaient été décriminalisées pendant la Révolution Française, dès 1791.
Un revirement législatif est hélas intervenu au cours de la Seconde Guerre mondiale, sous le Régime de Vichy. Par la Loi du 6 août 1942, modifiant l'alinéa 1 de l'article 334 du Code pénal, l'État français a instauré une distinction discriminatoire dans l'âge de consentement entre rapports homosexuels et hétérosexuels : 21 ans pour les rapports homosexuels, et 13 ans pour les rapports hétérosexuels (puis 15 ans à partir de 1945).
Ces évolutions législatives d'apparence anodine ont bouleversé la vie des personnes homosexuelles en France puisqu'elles ont servi de base juridique pour la répression policière et judiciaire, dont elles furent les victimes.
Constitution de fichiers de police, condamnations judiciaires, dénonciation aux forces ennemies de l'occupation, opprobre social, licenciement abusif : tel fut le sort de ces personnes. L'adoption de la législation scélérate du 6 août 1942 est venue amplifier ces pratiques.
À la Libération, alors que la plupart des lois pétainistes sont abrogées, cette disposition est hélas maintenue dans la législation française. En effet, François de Menthon, Ministre de la Justice dans le Gouvernement provisoire de la République française, signe l'ordonnance du 8 février 1945, qui transfère l'alinéa 1 de l'article 334 vers l'alinéa 3 de l'article 331 du Code pénal, punissant « ... d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 60 francs à 15 000 francs quiconque aura commis un acte impudique ou contre-nature avec un individu de son sexe mineur de vingt et un ans. ».
En 1974, l'âge de la majorité sexuelle pour les rapports homosexuels est abaissé à 18 ans, et la peine prévue à l'alinéa 3 de l'article 331 du Code pénal est transférée à l'alinéa 2 de celui-ci en 1980.
Outre l'alinéa 2 de l'article 331 du Code pénal, l'homosexualité est également réprimée dans le droit français, suite à l'édiction de l'ordonnance du 25 novembre 1960, qui crée l'alinéa 2 de l'article 330 du Code pénal. Cette disposition vient doubler la peine minimum pour outrage public à la pudeur, lorsqu'il s'agissait de rapports homosexuels, créant de fait un « caractère aggravant d'homosexualité ».
Sur ces bases légales et juridiques, la répression des minorités sexuelles de l'époque, appelées aujourd'hui LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, et Transidentitaires) se fait particulièrement forte. Entre 1945 et 1982, selon les travaux des sociologues Jérémie Gauthier et Régis Schlagdenhauffen, publiés en 2018, près de 10 000 citoyens sont condamnés pour des faits d'homosexualité au titre de la Loi du 6 août 1942. À cela il conviendrait d'ajouter les personnes condamnées pour outrage public à la pudeur « homosexuel » dont, selon les estimations provisoires produites par Régis Schlagdenhauffen, le nombre d'hommes et de femmes condamnés pour ce motif pourrait s'élever à 50 000.
Jusqu'en 1978, 93 % des procès liés aux infractions susmentionnées se soldent par des condamnations à des peines de prison.
C'est la mobilisation d'intellectuels et d'artistes (Michel Foucault, Gilles Deleuze, Guy Hocquenghem ou encore Marguerite Duras) à l'occasion du médiatique procès dit du « Manhattan » en 1977, qui va permettre de faire évoluer notre législation.
En premier lieu, l'alinéa 2 de l'article 330 du Code pénal est abrogé par la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980, portée par Monique Pelletier, Secrétaire d'État et Ministre Déléguée au sein du Gouvernement de Raymond Barre, reprenant la proposition de loi n° 261 du 8 février 1978 du Sénateur radical Henri Caillavet.
Par la Loi n° 81-736 du 4 août 1981, François Mitterrand, nouvellement élu Président de la République, amnistie toutes les personnes ayant été condamnées pour homosexualité, sur la base des alinéas 2 des articles 330 et 331 du Code pénal.
Enfin, l'alinéa 2 de l'article 331 est abrogé le 27 juillet 1982, par la Loi Forni, rapportée par Gisèle Halimi, et soutenue par le Garde des Sceaux, Robert Badinter.
Edictée le 4 août 1982, cette loi vient mettre un terme définitif aux répressions endurées par les personnes LGBT, en raison du droit pénal français.
Quarante ans après, et bien que la réalité de la répression des personnes homosexuelles, lesbiennes, bisexuelles et transidentitaires soit documentée par de multiples travaux de juristes, historiens et sociologues reconnus, la France n'a pas encore admis sa responsabilité en la matière et n'est pas même en mesure d'établir le nombre exact de victimes de ces lois discriminatoires.
Dans ce domaine, les législations étrangères nous ouvrent la voie. Les États canadien (2017) et norvégien (2022) ont par exemple reconnu leur rôle dans la persécution des personnes LGBT au cours des derniers siècles. La Grande-Bretagne, en 2017, a proposé la réhabilitation des personnes condamnées pour homosexualité. Enfin, l'Espagne (2007) et l'Allemagne (2017) sont allées plus loin encore, proposant une réparation pécuniaire aux victimes.
Le temps est venu pour la France d'emprunter à son tour le chemin tracé par plusieurs de ses partenaires occidentaux.
En le faisant, nous rendrons justice aux dernières victimes encore en vie de cette législation ; ces personnes ont vécu une large part de leur vie avec le poids de cette condamnation dégradante et infâmante.
En leur accordant justice et réparation, c'est leur identité que nous respecterons et leur dignité que nous restaurerons.
Tel est le sens de cette proposition de loi.
Dans son article 1 , celle-ci entend reconnaître la responsabilité de la France dans les persécutions subies par les personnes LGBT entre 1942 et 1982, découlant de l'application des dispositions - depuis abrogées - des articles 330 et 331 du Code pénal.
L' article 2 souhaite introduire dans le droit français un délit pénal venant réprimer les propos visant à nier la déportation subie par les personnes LGBT au cours de la Seconde Guerre mondiale, opérée depuis la France.
L' article 3 prévoit la réparation des personnes - lorsque celles-ci en font explicitement la demande - ayant fait l'objet d'une condamnation au titre des peines mentionnées à l'article 1 de la présente proposition de loi.
L' article 4 permet la constitution d'une commission indépendante visant à évaluer les demandes en réparation au titre de l'article 3.
L' article 5 , enfin, entend donner des gages financiers, nécessaires au financement des dispositions prévues au sein de la présente proposition de loi.