EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi vise à saisir la représentation nationale de la question de la prévention de la violence routière, dont les enjeux appellent une intervention d'urgence du législateur (que pourrait utilement compléter le pouvoir règlementaire).

Selon les estimations de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) 3 219 personnes ont perdu la vie sur les routes de France métropolitaine ou en outre-mer en 2021, alors même que l'année a été marquée par le confinement du printemps, les couvre-feux, une sensible diminution des déplacements par un recours accru au télétravail ainsi que par la fermeture des discothèques au premier semestre ayant pour conséquence la baisse du nombre de déplacements de nuit. Uniquement en métropole, le nombre de blessés s'est élevé à 67 067. Face un tel bilan humain, le coût financier des 53 540 accidents corporels, pourtant estimé à 36,4 Mds d'euros, paraît presque négligeable...

Le fait est que, même si des progrès notables ont été enregistrés au cours des années, notre politique de prévention ne parvient toujours pas à véritablement enrayer le fléau des comportements à risque sur la route. Dans ce contexte, il est plus que temps de la redynamiser.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi qui, à cette fin, met sur la table du Sénat un ensemble de mesures alliant pédagogie, répression et responsabilisation au service d'un même objectif : une meilleure prévention des violences routières. Le but de cette initiative est également de susciter, sur un sujet de société majeur, une délibération parlementaire de laquelle pourraient émerger des pistes complémentaires de celles proposées à ce stade.

*

Disposition phare de son dispositif, l' article 1 er de la présente proposition de loi vise à renforcer l'efficacité du dispositif pénal de lutte contre les violences routières.

Il ne s'agit pas de procéder à une énième aggravation des peines, mais d'en améliorer l'effectivité afin que le délinquant routier, ou celui tenté de l'être, prenne bien conscience de la gravité de son comportement, même s'il n'en résulte pas toujours, fort heureusement, un accident corporel.

Comme les sanctions en général, celles prévues en la matière ont en effet, au-delà de leur aspect évidemment répressif, une portée expressive et préventive. C'est cette portée que l'article 1 er s'attache à améliorer en partant d'un constat simple : la prise de conscience déjà mentionnée des comportements à risque implique que les délinquants routiers soient confrontés à une responsabilité pénale effective... et donc à des peines effectives, notamment -mais pas seulement- d'emprisonnement ferme. Cela suppose de limiter le recours aux alternatives à l'incarcération quand il ressort du procès, et que le juge en décide donc ainsi, que le comportement mérite la prison. Quand l'irresponsabilité ou l'inconscience détruit des vies et décime une famille, la simple apposition d'un bracelet électronique, le placement à l'extérieur et même la semi-liberté relèvent moins d'une logique de répression que d'une indulgence incompréhensible pour la quasi-totalité de nos concitoyens.

L'article 1 er de la présente proposition de loi vise donc à faire obstacle à cette indulgence en interdisant que de telles mesures alternatives soient immédiatement mises en oeuvre, pendant au minimum six mois, au profit de l'auteur d'un homicide routier condamné à de la prison ferme. Concrètement, pour une peine n'excédant six mois, aucun de ces aménagements ne serait possible ; pour une peine de neuf mois, un aménagement serait possible seulement pour les trois derniers mois.

D'autres mesures que la surveillance électronique, la semi-liberté ou le placement à l'extérieur resteraient possibles, y compris au cours des six premiers mois de peine. En effet, l'article 1 er ne va pas jusqu'à interdire de convertir la peine de prison en travail d'intérêt général, en jour-amende ou en sursis probatoire renforcé.

D'aucuns trouveront peut-être que, ce faisant, la proposition de loi qui vous est soumise s'arrête au milieu du gué : en n'excluant l'application immédiate que de certaines mesures alternatives à l'emprisonnement, elle ne garantit pas qu'une peine de prison ferme sera systématiquement exécutée. Toutefois, un dispositif trop rigide, qui priverait les juges de toute possibilité d'aménagement d'une peine de prison ferme, risquerait de se révéler contraire à l'objectif recherché d'une sanction effective suffisante en dissuadant la juridiction de prononcer une telle peine de prison. Dans ce contexte, le maintien de possibles mesures alternatives, dès lors qu'il n'est pas discutable qu'elles seront ressenties comme une véritable sanction par le condamné (et on ne saurait contester que tel est bien le cas du travail d'intérêt général, du sursis probatoire renforcé ou du jour-amende) semble une solution équilibrée, de nature à prévenir cet effet « contre-productif », sans parler d'une éventuelle inconstitutionnalité. L'auteur de la présente proposition de loi n'est cependant pas opposé par principe à ce que la liste des mesures alternatives qui ne pourraient être immédiatement appliquées soit complétée si les travaux parlementaires en faisaient ressortir l'utilité.

Notons par ailleurs que l'article 1 er n'interdit pas la libération conditionnelle et ne remet pas en cause la réduction de peine qu'un condamné peut espérer pour sa bonne conduite. Ces mesures ne sont cependant applicables que si le condamné à de la prison ferme est effectivement incarcéré (par exemple, la libération conditionnelle suppose qu'il ait accompli la moitié de sa peine), si bien qu'il n'est pas nécessaire de les interdire pour que le prononcé d'une peine privative de liberté donne effectivement lieu à privation de liberté.

Enfin, toujours dans un souci de dispositif équilibré, l'article 1 er réserve deux cas dans lesquels il peut être préférable de laisser à la disposition de la justice toute la panoplie des mesures alternatives à l'emprisonnement : lorsque la victime est mineure, d'une part, et en cas de faute inexcusable de la victime, d'autre part. Sur ce dernier point, l'auteur de la présente proposition de loi a bien conscience de transposer en droit pénal une notion jusqu'à présent utilisée en droit civil, mais il ne voit pas en cette seule circonstance une raison suffisante pour se priver d'une mention de nature à faciliter un dispositif juste et équilibré (comme il ne voit pas d'objection de principe à ce que, le cas échéant, les travaux parlementaires substituent à cette notion un concept moins connoté « civiliste » dès lors que l'esprit en demeure conservé).

En ce qui concerne son champ d'application, le dispositif de l'article 1er s'appliquera à tous les chauffards, dès lors que la juridiction les aura condamnés à de la prison ferme : une condamnation aussi lourde fait nécessairement écho à un comportement d'une particulière gravité et il y est donc nécessaire que celui qui en est l'auteur en prenne bien conscience, que ce comportement ait consisté à conduire en état d'ébriété ou sous l'emprise d'une drogue ou en d'autres fautes graves comme un très grand excès de vitesse ou la conduite sans permis.

L' article 2 incrimine la conduite sous l'empire d'effets psychoactifs obtenus à partir d'un usage détourné d'un produit de consommation courante. On pense en premier lieu au protoxyde d'azote dont les ravages, notamment au volant, doivent d'urgence être enrayés. Un pas supplémentaire serait ainsi franchi, après la très opportune loi votée à l'initiative de notre collègue Valérie Létard, dans la lutte contre ce fléau.

L' article 3 vise à un prononcé plus fréquent de la peine complémentaire d'obligation d'accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière . Dans un domaine où la pédagogie est primordiale, cette peine, bien entendue lorsqu'elle est prévue, serait par principe systématique, sauf (pour respecter le principe constitutionnel d'individualisation des peines) si le juge en décide expressément autrement et de manière spécialement motivée. Cette mesure est étendue aux contraventions de la 5 ème classe lorsque leur récidive constitue un délit (par exemple, l'excès de vitesse de plus de 50 km/h).

L' article 4 impose aux débits de boissons à consommer sur place l'obligation minimale de proposer à la vente des tests de dépistage de l'imprégnation alcoolique. Actuellement, cette obligation ne concerne que les débits de boissons à emporter. Les débits de boissons à consommer sur place sont tenus à l'obligation de mettre des tests à la disposition du public (ce qui va plus loin que la proposition à la vente), mais uniquement lorsqu'ils ferment entre 2 heures et 7 heures. Il y a donc un angle mort pour ceux qui ferment plus tôt (même à 1h30 du matin) ou plus tard (par exemple à 7h30, quand bien même ils seraient ouverts toute la nuit). L'article 4 de la proposition de loi tend à le combler.

L' article 5 vise à favoriser les campagnes radiodiffusées de sensibilisation à la sécurité routière.

Aux termes de l'article 54 de la « loi Léotard », « le Gouvernement peut à tout moment faire programmer par les sociétés nationales de programmes (...) toutes les déclarations ou communications qu'il juge nécessaires ». Un tel dispositif ouvre certes la porte à des communications sur la sécurité routière. Les voies en sont cependant bien étroites : d'une part, les décrets prévoyant des messages diffusés par Radio France ou France Télévision à la demande de la délégation à la sécurité routière subordonnent leurs modalités à un accord commun (entre la société concernée et délégation à la sécurité routière) ; d'autre part, cet article ne s'applique qu'aux chaînes publiques. L'article 5 de la proposition de loi vise donc à franchir un pas supplémentaire en la matière en habilitant l'ARCOM à prendre une délibération pour que les sociétés nationales, mais aussi les chaînes de diffusion nationale, diffusent (bien entendu à un rythme raisonnable) des programmes de sensibilisation à la sécurité routière (de la même manière que ces chaînes peuvent, par exemple, avoir à diffuser des programmes de prévention contre les violences aux femmes ou les préjugés sexistes). Cette délibération serait prise en concertation avec les sociétés concernées.

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