EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Au cours d'un discours prononcé à Toulouse le 28 octobre 1900, Pierre Waldeck-Rousseau, président du Conseil, alertait au sujet du développement des congrégations et sur le péril de voir naitre deux jeunesses au sein de la République :

« (...) deux jeunesses moins séparées encore par leur condition sociale que par l'éducation qu'elles reçoivent, grandissent sans se connaître, jusqu'au jour où elles se rencontrent si dissemblables qu'elles risquent de ne plus se comprendre. Peu à peu se préparent ainsi deux sociétés différentes - l'une, de plus en plus démocratique, emportée par le large courant de la Révolution, et l'autre, de plus en plus imbue de doctrines qu'on pouvait croire ne pas avoir survécu au grand mouvement du XVIIIe siècle - et destinées à se heurter 1 ( * ) ».

Ces propos peuvent sembler d'une grande actualité pour celles et ceux qui ont pris la mesure de la ségrégation scolaire qui se déroule dans notre pays. Si ce phénomène n'est pas nouveau, celui-ci a toujours été rendu opaque par des personnes qui avaient intérêt à poursuivre l'écriture de la fable selon laquelle notre système éducatif demeure parfaitement égalitaire. Et comme les conséquences d'une illusion ne sont pas illusoires, certains se sont réfugiés dans le confort de récits individuels pour mieux se détourner du mouvement de fond qui se jouait au profit des établissements scolaires privés.

La réalité a fini par s'imposer tout récemment avec la publication des indices de position sociale ( PS ).

Condamné en juillet 2022 par le tribunal administratif de Paris, le ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse a été contraint de rendre publics les indices de position sociale (IPS) des écoles élémentaires et des collèges français.

L'IPS est aujourd'hui calculé selon une méthodologie établie par les services statistiques de l'éducation nationale, en fonction des catégories socioprofessionnelles des deux parents, de leurs diplômes, des conditions de vie, du capital, des pratiques culturelles et de l'implication des parents dans la scolarité de leur enfant.

Il est peu dire que l'analyse de ces résultats est sans appel : les collèges privés concentrent en leur sein une part importante des élèves les plus favorisés, confirmant ainsi qu'une ségrégation scolaire est à l'oeuvre dans notre pays.

Ainsi, parmi les 10 % de collèges à l'IPS le plus faible, on ne compte que 23 établissements privés sous contrat, soit 3,3 % de ces 696 collèges. À l'inverse, parmi les 10 % de collèges à l'IPS le plus important, on dénombre 424 établissements privés sur ces 696 collèges, soit 60,9 % d'entre eux. Ce ratio s'élève à 81 % pour les 100 collèges aux plus hauts IPS et à 90 % pour les 10 premiers.

Hélas, le constat est le même pour les lycées, dont les IPS viennent d'être publiés par le ministère de l'Éducation nationale.

Alors que l ' IPS moyen au niveau national s'établit à 103,91 pour la rentrée 2021/2022, il existe un écart très marqué entre l'IPS moyen des lycées publics (99,56) et celui des lycées privés (112,58). Dans le détail, nous relevons que parmi les 100 lycées à l'IPS le plus élevé, 82 d'entre eux sont des établissements privés sous contrats.

La fracture est encore plus nette s'agissant de l'écart entre les lycées d'enseignement général et technologique et les lycées professionnels. En effet, les lycées d'enseignement général et technologique ont un IPS moyen de 118, quand celui des lycées professionnels se monte à hauteur de 86,8.

Ces chiffres confirment les écrits de plusieurs universitaires travaillant sur le sujet de la ségrégation scolaire depuis de nombreuses années. Elle valide aussi l'expertise et l'infatigable action de plusieurs organisations, tel que le Comité National d'Action Laïque, qui regroupe la Ligue de l'Enseignement, la FCPE, la fédération des DDEN, l'Unsa-Education et du SE-Unsa.

Les données dont nous disposons sont d'autant plus préoccupantes que notre système éducatif est l'un de ceux, parmi les pays de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), où la réussite scolaire d'un enfant dépend le plus de son origine sociale.

Ce fait est inacceptable pour tous les défenseurs de la République laïque et sociale, attachés au respect de l'égalité des droits et à l'émancipation de tous les enfants du pays, quelle que soit leur origine.

Il se justifie d'autant moins que le budget des établissements privés sous contrat est financé à hauteur de 73 % par l'État et les collectivités territoriales. Par principe, l'argent public ne peut être distribué sans contrepartie.

La République française voit ainsi son école être concurrencée par des établissements privés qu'elle finance, sans pour autant disposer de leviers d'action pour contraindre l'enseignement privé à être partie prenante dans une politique ambitieuse de mixité sociale et scolaire.

Cette situation ne peut plus demeurer ainsi. C'est pourquoi, dans le strict respect de la liberté de l'enseignement garantie par la Constitution, nous voulons que la puissance publique agisse pour lutter contre ce malheur que représente le séparatisme social en milieu scolaire.

C'est tout l'objet de cette proposition de loi qui assigne des objectifs de mixité sociale et scolaire aux établissements privés sous contrat, lesquels, faute de s'y résoudre, pourraient voir leurs subventions réduites.

L'article 1 astreint les dépenses de fonctionnement des classes des établissements privés sous contrat aux mêmes conditions que celles des classes correspondantes dans l'enseignement public si leur composition sociale est comparable.

L'article 2 prévoit que le montant des crédits affectés à la rémunération des personnels enseignants des classes des établissements privés sous contrat tienne compte de la composition sociale à laquelle sont soumis les établissements publics.


* 1 René Waldeck-Rousseau, La Défense républicaine , Paris, Eugène Fasquelle Éditeur, 1902, pp. 155-159

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