EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Popularisées dans l'imaginaire collectif par de nombreuses fictions et par de récentes utilisations dans certains pays, les technologies de reconnaissance biométriques font l'objet d'un débat particulièrement polarisé entre les tenants d'un moratoire et ceux qui mettent en exergue leurs bénéfices opérationnels pour favoriser la sécurité ou faciliter nombre d'actes de la vie quotidienne.

Afin d'assurer un débat apaisé sur la question, la commission des lois du Sénat a créé en mars 2022 une mission d'information transpartisane. Au terme des auditions et déplacements conduits par ses rapporteurs, Marc-Philippe DAUBRESSE, Arnaud de BELENET et Jérôme DURAIN, elle a adopté à l'unanimité leur rapport le 10 mai 2022, intitulé La reconnaissance biométrique dans l'espace public : 30 propositions pour écarter le risque d'une société de surveillance.

Ce rapport a mis en lumière le fait que le déploiement des usages de la reconnaissance biométrique dans l'espace public s'effectue aujourd'hui en France sans encadrement juridique spécifique, ni réflexion éthique collective. De manière paradoxale, ces usages, pourtant marginaux, soulèvent de nombreuses oppositions tandis que la reconnaissance biométrique se banalise dans la vie de tous les jours avec une multiplication des usages individuels.

Convaincue que toute zone grise appelle une régulation pour éviter la démultiplication d'usages parfois contestables, la commission des lois estime qu'il est désormais impératif de construire une réponse collective à l'usage des technologies de reconnaissance biométrique dans l'espace public afin de ne pas être, dans les années à venir, dépassés par les développements industriels et commerciaux.

Fruit de cette réflexion, la présente proposition de loi tend à transcrire au niveau législatif les conclusions des travaux de la commission et poursuit à ce titre deux objectifs principaux : d'une part, répondre au besoin de régulation, qui s'accentue chaque jour, d'un système qui risque de nous échapper ; d'autre part, accorder aux pouvoirs publics l'autorisation exceptionnelle d'utiliser des technologies certes intrusives, mais qui ne peuvent, dans le contexte de l'organisation prochaine des jeux Olympiques et Paralympiques par notre pays, être laissées au bon vouloir des acteurs commerciaux. Cela implique, en tout état de cause, un contrôle strict, exigeant et pluridisciplinaire.

Pour ce faire, le rapport recommandait de poursuivre une méthode précise afin que le Parlement s'empare du sujet et rejette clairement le modèle d'une société de surveillance. Il considérait qu'il était en premier lieu nécessaire d'établir clairement des lignes rouges, en fixant notamment le principe d'une interdiction de l'utilisation de la reconnaissance biométrique en temps réel dans l'espace public et de toute catégorisation et notation des personnes physiques sur la base de leurs données biométriques. Une fois celles-ci posées, le Parlement était en second lieu invité à conduire une réflexion sur les cas d'usage de la reconnaissance biométrique dans l'espace public, qui sont multiples et potentiellement illimités.

Dans ce contexte, un raisonnement cas d'usage par cas d'usage s'impose, prenant en considération les finalités poursuivies par chacun d'entre eux. Plusieurs distinctions doivent être opérées, les risques pour les libertés étant dans une large mesure conditionnées par celles-ci.

Une première distinction doit ainsi être réalisée entre authentification et identification. L'authentification consiste à vérifier qu'une personne est bien celle qu'elle prétend être, le système comparant un gabarit biométrique préenregistré avec celui extrait de la personne concernée au moment du besoin d'identification, afin de vérifier que les deux gabarits correspondent. Il s'agit donc d'une comparaison « 1 contre 1 ». L'identification vise quant à elle à retrouver une donnée biométrique parmi celles extraites de plusieurs personnes au sein d'une base de données. La comparaison effectuée est une comparaison « 1 contre N », un gabarit avec une base de données de gabarits.

Au sein des techniques d'identification, deux autres distinctions doivent être réalisées. La première d'entre elles a trait à la différence entre exploitation en temps réel, c'est-à-dire dans le cadre d'un processus permettant un usage immédiat des résultats pour procéder à un contrôle de la personne concernée, et utilisation a posteriori, par exemple dans le cadre d'une enquête. Dans ce dernier cas, les recherches se font généralement sur des enregistrements. Une seconde distinction, dans l'utilisation de l'identification par les acteurs publics, concerne le cadre dans lequel cette utilisation est réalisée : police administrative ou police judiciaire.

La proposition de loi, traduisant en cela le rapport, considère qu'une fois les lignes rouges définies et garanties, certains cas d'usage peuvent légitimement être expérimentés tandis que d'autres doivent être écartés. Ces expérimentations ne pourront toutefois avoir lieu que dans le cadre d'un régime de contrôle et de redevabilité adapté et renforcé.

L'article 1er vise à poser dans la loi des lignes rouges claires afin d'écarter le risque d'une société de surveillance. Il interdit ainsi toute catégorisation et notation des personnes physiques sur la base de leurs données biométriques, et la reconnaissance des personnes physiques sur la base de leurs données biométriques en temps réel dans l'espace public et dans les espaces accessibles au public.

Une fois ces lignes rouges définies, la proposition de loi détermine les cas d'usage qui pourraient, par exception, être expérimentés.

L'article 2 concerne l'authentification biométrique. Il propose ainsi, tout en conservant le principe d'une interdiction de l'usage de la biométrie pour l'accès à certains lieux sans alternative non biométrique, de permettre à titre expérimental aux acteurs étatiques, dans l'organisation de grands évènements, d'organiser par exception un contrôle exclusivement biométrique de l'accès aux zones nécessitant une sécurisation exceptionnelle.

Les articles 3 à 6 autoriseraient l'expérimentation de quatre cas d'usage très limités de l'identification biométrique.

L'article 3 vise à permettre, à titre expérimental, de manière subsidiaire et uniquement pour la recherche d'auteurs ou de victimes potentielles des infractions les plus graves, l'exploitation a posteriori d'images se rapportant à un périmètre spatio-temporel limité par le biais de logiciels de reconnaissance biométrique, sous le contrôle du magistrat en charge de l'enquête ou de l'instruction.

L'article 4 instituerait, à titre expérimental, une nouvelle technique de renseignement permettant aux services du premier cercle de traiter a posteriori les images issues de la voie publique à l'aide de systèmes de reconnaissance biométrique, uniquement pour la promotion de l'indépendance nationale, l'intégrité du territoire et la défense nationale, la prévention du terrorisme et la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous et des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique.

L'article 5 vise à créer un cadre juridique expérimental permettant, par exception et de manière strictement subsidiaire, le recours ciblé et limité dans le temps à des systèmes de reconnaissance biométrique sur la voie publique en temps réel sur la base d'une menace préalablement identifiée, à des fins de sécurisation des grands évènements face à un risque terroriste ou des risques d'atteinte grave à la sécurité des personnes. De nombreuses garanties entourent ce dispositif, qu'il s'agisse de la formation spécifique des agents pouvant utiliser ces traitements, des modalités de leur développement, de celles de leur déploiement, ou encore du fait que ces dispositifs ne seraient déployés que sur un nombre limité de caméras dédiées et distinctes de celles des systèmes de vidéoprotection, ce qui permet de circonscrire fortement le périmètre géographique et temporel du déploiement.

L'article 6 prévoit quant à lui la création d'un cadre permettant aux autorités judiciaires de recourir à des systèmes de reconnaissance biométrique sur la voie publique en temps réel dans le cadre d'enquêtes judiciaires relatives aux infractions les plus graves menaçant ou portant atteinte à l'intégrité physique des personnes.

S'agissant enfin de la gouvernance de ces expérimentations, l'article 7 envisage la mise en place d'un régime de contrôle renforcé, en prévoyant la remise d'un rapport annuel au Parlement ainsi que l'information en temps réel de l'Assemblée nationale et du Sénat des mesures prises ou mises en oeuvre par les autorités administratives en application de cette proposition de loi. Le Parlement pourrait également requérir toute information complémentaire du Gouvernement dans le cadre de l'évaluation de ces mesures.

L'article 8 définit l'encadrement des expérimentations prévues aux articles 2 à 6. Ces mesures seraient applicables pour une durée limitée, de trois ans à compter de la promulgation de la loi. Un comité scientifique et éthique serait chargé d'évaluer régulièrement l'application de ces mesures et ses rapports, rendus publics, seraient transmis au Parlement. Enfin, un rapport final d'évaluation serait réalisé par le Gouvernement, appréciant l'application de ces mesures et l'opportunité de les pérenniser ou de les modifier, notamment au vu de l'évolution du droit de l'Union européenne en la matière.

L'article 9, enfin, assurerait l'application de la proposition de loi dans les territoires ultramarins.