EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 22 mars 2023, le maire de Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), Yannick Morez, a été victime d'un incendie volontaire et criminel de son véhicule et de son domicile et plusieurs de ses biens, alors qu'il y dormait en compagnie de ses proches.

Cet événement a mis en pleine lumière les violences auxquelles les élus locaux, et en particulier les maires, sont confrontés dans l'exercice quotidien de leur mandat. Elles se traduisent par des incivilités, des injures, des menaces et même des agressions physiques contre eux-mêmes ou leurs proches.

La démission d'un maire constitue, assurément, un échec de notre République ; plus encore quand elle intervient à la suite de violences. La République ne peut donc rester sans réaction face à ces actes qui mettent en danger la sécurité des élus locaux, de leurs proches, et celle de notre pacte républicain : l'agression d'un maire, c'est une attaque contre la République.

Soucieuse depuis plusieurs années de répondre efficacement à l'augmentation croissante des violences commises sur les élus locaux, la commission des lois du Sénat a initié - à la suite du tragique décès du maire de Signes, Jean-Mathieu Michel, en août 2019 - plusieurs travaux afin de quantifier ces phénomènes et d'y apporter des réponses concrètes et opérationnelles. Ainsi, son plan pour une plus grande sécurité des maires, présenté par Philippe Bas et adossé à une consultation nationale des élus locaux, a mis en lumière l'ampleur des incivilités et violences à l'égard des élus et les légitimes besoins exprimés par eux d'une meilleure protection dans l'exercice de leurs fonctions1(*). Des premières avancées ont été, notamment grâce au travail de Françoise Gatel et Mathieu Darnaud, rapporteurs pour la commission des lois, traduites dans la loi dite « Engagement et Proximité » du 27 décembre 20192(*). D'autres initiatives sénatoriales ont suivi, notamment celle de Nathalie Delattre visant à renforcer les possibilités de constitution de partie civile en cas d'agression d'élus3(*).

Toutefois, force est de constater que, si les élus locaux, et singulièrement les maires, doivent bénéficier, à tout moment, de la protection effective de notre République, celle-ci est aujourd'hui largement perfectible.

À la lumière du nombre croissant d'actes de violences intolérables à l'égard des élus locaux et des enjeux que pose, pour la démocratie locale, la recrudescence de ces violences, de nouvelles évolutions de l'arsenal répressif en la matière apparaissent nécessaires. Elles doivent impérativement s'accompagner d'un changement profond de culture des acteurs judiciaires et étatiques qui ne peuvent plus rester passifs face à ces phénomènes.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi, composée de trois titres, qui poursuit un double objectif : d'une part, mieux protéger les élus locaux dans l'exercice de leurs mandats et d'autre part, améliorer l'accompagnement par les acteurs judiciaires et étatiques chargés des élus victimes.

Le titre Ier vise à renforcer l'arsenal répressif en cas de violences commises à l'encontre les élus.

Selon les derniers chiffres publiés par le ministère de l'intérieur, près de 2 265 plaintes ou signalements pour des faits de violence verbale ou physique à l'encontre des élus ont été recensés en 2022 ; soit une hausse de 32 % par rapport à l'année précédente4(*). Les sanctions aujourd'hui encourues par les auteurs de ces faits, n'offrent pas, au regard de leur faiblesse, des peines suffisamment dissuasives afin de prévenir ces faits ou d'empêcher leur récidive.

Pour ce faire, son article 1er prévoit des peines spécifiques afin de sanctionner plus lourdement les auteurs de violences commises contre les élus. Il aggrave les peines encourues pour des faits de violences commises à l'encontre des élus, afin de les aligner sur les peines prévues pour les dépositaires de l'autorité publique ; à savoir cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende si les violences ont entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours et sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende si l'incapacité de travail qui en résulte dépasse huit jours. Il reprend une disposition déjà votée, à l'initiative de Marc-Philippe Daubresse et du groupe Les Républicains, au Sénat puis à l'Assemblée nationale avant d'être censurée, au seul motif qu'elle constituait un « cavalier législatif », par le Conseil constitutionnel, en janvier 2023.

Afin de répondre au développement des menaces en ligne et des injures proférées sur les réseaux sociaux, phénomène en forte progression, l'article 2 prévoit une peine de travail d'intérêt général en cas d'injure publique lorsqu'elle est commise à l'encontre des personnes dépositaires de l'autorité publique, dont les élus locaux, ainsi qu'une nouvelle circonstance aggravante pour les cas de harcèlement, notamment en ligne, contre les élus locaux.

Le titre II a pour objet d'améliorer la prise en charge des élus victimes de violences, agressions ou injures dans le cadre de leur mandat ou d'une campagne électorale.

Afin de simplifier la mise en oeuvre effective de la protection fonctionnelle, l'article 3 octroie, à titre principal, un caractère automatique à la protection fonctionnelle des maires et adjoints qui en font la demande pour des faits commis dans l'exercice de leur mandat, y compris en cas de violence, menace ou outrage. Il resterait néanmoins loisible au conseil municipal, par une délibération spécialement motivée par un motif d'intérêt général, prise dans un délai de trois mois, de retirer le bénéfice d'une telle protection fonctionnelle au maire ou à un adjoint.

L'article 4 élargit à l'ensemble des communes de moins de 10 000 habitants la compensation financière par l'État des coûts de couverture assurantielle pesant sur ces dernières pour l'octroi de la protection fonctionnelle.

L'article 5 clarifie l'autorité en charge d'assurer la protection de l'élu contre les violences, menaces et outrages selon qu'il accomplit des faits en tant qu'agent de l'État ou pour le compte de la collectivité. Il explicite ainsi la séparation des responsabilités et de l'autorité en charge d'accorder la protection fonctionnelle de l'élu faisant l'objet de violences, menaces ou outrages pour des faits accomplis en tant qu'agent de l'État, sur le modèle de la séparation existante pour la protection de l'élu faisant l'objet de poursuites pénales et civiles lorsqu'il est poursuivi pour des faits qu'il a accomplis en tant qu'agent de l'État.

Aussi, l'article 6 sécurise le cadre légal applicable aux élus municipaux membres des communautés de communes, en corrigeant un vide juridique afin de leur rendre pleinement applicables les dispositions instituant une protection fonctionnelle et amoindrissant la responsabilité pénale des élus pour les actions menées dans le cadre de leur mandat. Pour ce faire, il insère une référence aux articles L. 2123-34 et L. 2123-35 à l'article L. 5214-8 du code général des collectivités territoriales.

De la même manière, l'article 7 procède aux coordinations nécessaires au sein de l'article L. 2123-34 précité qui renvoie à la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires aujourd'hui recodifiée, afin d'en assurer la pleine effectivité.

L'article 8 prévoit la prise en charge par la commune, au titre de la protection fonctionnelle, de l'ensemble des restes à charge ou dépassements d'honoraire résultant de la prise en charge médicale et psychologique des élus victimes.

Face aux difficultés des élus qui essuient régulièrement des refus d'assurance pour la couverture des locaux et des biens utilisés pour l'exercice de leurs mandats, l'article 9 permet aux titulaires de mandat électif n'ayant pu obtenir un contrat assurantiel auprès d'au moins deux entreprises de saisir le bureau central de tarification pour faciliter leurs démarches et permettre la souscription de telles garanties.

Afin de garantir, dans un contexte de crise des vocations électorales, l'engagement des citoyens dans les campagnes électorales et de permettre à chacun d'être candidat aux élections sans craindre pour sa sécurité, l'article 10 élargit le bénéfice de la protection fonctionnelle aux candidats ayant déposé leur candidature, pendant toute la durée de la campagne électorale. Celle protection serait prise en charge par l'État, acteur impartial et garant de l'expression pluraliste des courants d'idées comme de la tenue régulière des opérations électorales. Ce même article ouvre également le droit à une prise en charge par l'État, quel que soit le résultat électoral et la taille de la collectivité, des dépenses engagées par tout candidat pour sa sécurité. Celles-ci seraient prises en charge à une double condition : d'une part, que la prestation de sécurité ne soit pas exercée par les forces de l'ordre et, d'autre part, qu'il existe une menace avérée envers un candidat.

Le titre III ambitionne d'opérer un changement de culture au sein du monde judiciaire et des acteurs étatiques dans la prise en compte des réalités des mandats électifs locaux.

Le double caractère d'agent de l'État et de justiciable des maires les place successivement voire simultanément comme partenaires privilégiés du ministère public mais aussi justiciables, qu'ils soient mis en cause ou victimes le cadre de l'exercice de leur mandat. Au surplus, les maires signalent régulièrement des faits ou comportements au procureur de la République et se retrouvent, sans être accompagnés, responsables d'assurer la communication auprès de leurs administrés des décisions judiciaires, en particulier celles portant classement sans suite. En effet, nombre de maires, s'ils ne contestent pas recevoir les informations liées à un classement sans suite, déplorent ne pas toujours comprendre les raisons ayant présidé à cette décision, ce qui est susceptible de les mettre en difficulté vis-à-vis de leurs administrés.

En conséquence, l'article 11 introduit un mécanisme de dépaysement d'office, dans la juridiction la plus proche, des affaires dans lesquelles un maire ou un adjoint au maire serait mis en cause comme auteur, les affaires dans lesquelles il serait victime restant traitées selon les règles de compétences territoriales locales.

En outre, afin d'assurer, pour l'avenir, une meilleure compréhension des décisions judiciaires, singulièrement de classement sans suite, l'article 12 améliore l'effectivité du droit de droit de communication existant pour les affaires liées à des troubles à l'ordre public sur le territoire de la commune et résultant d'une plainte ou d'un signalement émis par ce dernier en le rendant systématique. Il impose également un délai d'un mois au procureur de la République pour communiquer les motivations des décisions de classement sans suite pour des affaires résultant d'une plainte ou d'un signalement du maire.

De la même manière, l'article 13 formalise la possibilité pour le procureur de la République de bénéficier d'un espace de communication dans les documents et bulletins municipaux.

Enfin, l'article 14 renforce la présence du procureur de la République au sein des conseils locaux ou intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD/CISPD) en obligeant sa présence au sein des réunions de celui-ci et facilitant sa représentation par un de ses délégués, spécialisé sur ces sujets.

* 1 « Plan pour une plus grande sécurité des maires », rapport d'information n° 11 de Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois, déposé le 2 octobre 2019. Il est consultable dans son intégralité à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r19-011/r19-011.html.

* 2 Voir le commentaire de l'article 30 du rapport de Mathieu Darnaud et Françoise Gatel, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, déposé le 2 octobre 2019, pp. 234-241. Il est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l19-012-1/l19-012-1.html.

* 3 Conduisant à l'adoption de la loi n° 2023-23 du 24 janvier 2023 visant à permettre aux assemblées d'élus et aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d'un mandat électif public victime d'agression.

* 4 Communiqué de presse de Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales, du 17 mai 2023, consultable à l'adresse suivante : https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques-de-presse/dominique-faure-presente-de-nouvelles-mesures-pour-proteger-elus.