EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La continuité du foncier agricole constitue un enjeu majeur pour la souveraineté alimentaire de la France. En effet, comme la Cour des Comptes l'a récemment rappelé1(*), trois dynamiques se conjuguent qui obligent à faciliter la transmission des exploitations agricoles en France : la baisse chronique du nombre d'exploitants, l'augmentation de la surface des exploitations et le vieillissement des agriculteurs en activité.
La baisse du nombre d'agriculteurs est une tendance au long cours qui oeuvre depuis le milieu du XXe siècle. Ainsi, depuis 1955, l'effectif global a été divisé par cinq, passant de plus de 2,5 millions d'exploitants agricoles à moins de 500 000 en 2020, alors que la population active ne cessait de croître dans le même temps. Cette diminution traduit une évolution sociétale profonde qui a relégué l'agriculture au second plan de l'économie en matière d'emploi.
Alors que la surface agricole utile (SAU) a cessé de diminuer au début des années 2000, la surface moyenne des exploitations a quant à elle augmenté, passant de 42 ha en 2000 à 69 ha en 2020, soit une augmentation de plus de 60%. Cette hausse s'explique à la fois par une concentration relative des exploitations, avec la réduction du nombre de micro-exploitations et l'augmentation du nombre de grandes exploitations. L'agrandissement des exploitations n'a donc pas correspondu à une moindre intensité d'investissements en équipements de production, bien au contraire.
Enfin et surtout, la transmission des exploitations agricoles devient critique compte tenu du vieillissement des exploitants actuellement en activité : 43 % d'entre eux partiront à la retraite au cours des dix prochaines années. Cette dynamique pose la question du renouvellement des générations et de l'attractivité de ces métiers pour les jeunes. Il devient donc urgent de faciliter l'installation de nouveaux exploitants pour garantir la pérennité de notre agriculture.
Cette dimension démographique a largement contribué à orienter les politiques publiques d'aide à l'installation vers les plus jeunes, notamment les moins de 40 ans. Ainsi, les aides à l'installation, financées sur deniers publics, visent entre autres objectifs à faciliter leur installation en réduisant le coût d'entrée pour l'acquisition d'une exploitation, c'est-à-dire le foncier et l'appareil de production.
Cependant, les politiques visant à faciliter le renouvellement générationnel doivent aussi appréhender le développement de nouvelles formes d'exploitations. Si le modèle familial reste la norme, où ceux qui travaillent détiennent les moyens de production - entendus comme à la fois le foncier et le capital -, l'hybridation des formes d'exploitation progresse, avec la combinaison du travail familial, de l'emploi de salariés et du recours à des prestataires extérieurs.
Des outils existent déjà qui permettent de soulager l'investissement initial pour les nouveaux exploitants et qui épousent mieux ces modèles de production hybrides. Ainsi, les groupements fonciers agricoles (GFA), créés en 1970, visent à renforcer la continuité du foncier agricole et à encourager l'investissement des exploitants agricoles dans le capital d'exploitation. En particulier, les GFA dits « d'investisseurs » mobilisent des capitaux privés vers l'agriculture afin de réduire le coût à l'entrée pour les nouveaux exploitants, en les exonérant du poids de l'investissement foncier.
Cependant, le nouveau cadre juridique de la gestion dactifs, tel qu'il a été redéfini par (i) le droit européen sur les gestionnaires de fonds dinvestissement alternatifs2(*), (ii) la doctrine de lAutorité des marchés financiers (AMF) concernant ce type de fonds et (iii) les dispositions de larticle 45 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative aÌ la transparence, aÌ la lutte contre la corruption et aÌ la modernisation de la vie économique, s'il a permis d'encadrer les GFA lorsqu'ils accueillent des investisseurs, ne les autorise pas pour autant à offrir leurs parts sociales au public. En effet, aux termes de larticle L. 411-1 du code monétaire et financier, il est expressément interdit aux personnes ou entités n'y ayant pas été autorisées par la loi de procéder à une offre au public de titres financiers ou d'émettre des titres, à peine de nullité des contrats conclus ou des titres ou parts sociales émis. Or, les GFA ne bénéficient pas de cette autorisation.
Cette proposition de loi vise donc à créer un nouveau véhicule de portage financier, le groupement foncier agricole d'épargnants (GFAE), permettant de drainer l'épargne des Français vers l'acquisition de foncier agricole. Sur le modèle du groupement forestier d'investissement (GFI), le GFAE offrirait aux particuliers la possibilité de contribuer financièrement à la transmission du foncier agricole à ce moment clé de renouvellement générationnel, d'une part, et aux futurs exploitants de réduire le coût de leur installation, sans préjudice des aides disponibles, d'autre part.
Concrètement, les épargnants acquerraient des terres agricoles qui seraient ensuite données à bail à long terme à un agriculteur dans le cadre du statut du fermage. Cette configuration garantirait la stabilité de l'exploitation pour l'installation de nouveaux agriculteurs, en distinguant acquisition du foncier et acquisition de l'appareil productif. Le capital des GFAE ne serait pas ouvert aux personnes morales, sauf celles déjà autorisées par le Code rural et de la pêche maritime, ce qui limiterait le risque de déstabilisation de l'outil par des sociétés étrangères, et contribuerait donc à renforcer la souveraineté alimentaire de la France.
L'article 1er définit le régime juridique du GFAE dans le code rural et de la pêche maritime. Il convient de préciser que ce véhicule ne remet pas en cause le GFA, qui demeure pertinent.
L'article 2 prévoit deux adaptations du Code rural et de la pêche maritime aux spécificités des GFAE : d'une part, il permet aux SAFER d'exercer leur droit de préemption sur un GFAE en cas de cession de l'ensemble des parts et, d'autre part, il porte à trois ans le délai imparti pour l'investissement des actifs en numéraire dans le foncier agricole afin de favoriser une stratégie à long terme, étant entendu que les GFAE devront tout d'abord collecter l'argent auprès des particuliers.
L'article 3 prévoit l'adaptation de diverses dispositions du Code monétaire et financier aux spécificités des GFAE, afin de les rendre éligibles aux dispositions aujourd'hui applicables aux GFA et aux GFI.
L'article 4 prévoit l'adaptation de diverses dispositions du Code général des impôts aux spécificités des GFAE, afin d'élargir à ce nouveau véhicule les incitations financières qui existent aujourd'hui pour les GFA.
L'article 5 gage ces mesures fiscales au plan financier.
* 1 « La politique d'installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles », avril 2023. Il s'agit d'une communication faite à la Commission des finances du Sénat à la suite d'une saisine par le président de cette Commission des finances le 18 janvier 2022, sur le fondement de l'article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Les chiffres présentés dans l'exposé des motifs proviennent de cette publication.
* 2 Voir notamment l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la gestion d'actifs et la directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs et modifiant les directives 2003/41/CE et 2009/65/CE ainsi que les règlements (CE) n° 1060/2009 et (UE) n° 1095/2010.