EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En matière de nucléaire civil, la stratégie française na plus aucune lisibilité. Ce qui risque davoir de lourdes conséquences économiques et financières.

Jusquen 2015, les choses étaient claires, la France avait fait le choix énergétique du nucléaire. Mais l'élection de François Hollande à la présidence de la République a remis en cause ce choix. Une volte-face concrétisée par la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte dont larticle 1 er fixe lobjectif dune réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à lhorizon 2025 (contre 70 % aujourdhui).

Le Président Emmanuel MACRON a repris cet objectif à son compte. Mais il en a substantiellement revu le calendrier. Depuis novembre 2018 et la présentation de la Programmation pluriannuelle de l'énergie, censée donner une feuille de route énergétique à la France jusquen 2028, il nest plus question de 2025, mais de 2035. Le message est encore brouillé par le plan de relance qui consacre 470 millions deuros à la filière pour investir dans les compétences et la formation, soutenir les sous-traitants de la filière et préparer lavenir en finançant la recherche pour la conception de petits réacteurs modulaires. 470 millions, cest le parent pauvre du plan de relance. La somme est très insuffisante pour assurer son développement. Elle envoie cependant un signal : le nucléaire français a un avenir. Message confirmé par la suite par le Président qui affirmait, le 9 novembre 2020 que « lavenir énergétique et écologique de la France passe par le nucléaire ».

Lindécision manifeste dans laquelle se trouve aujourdhui lexécutif sur le sujet trouve son fondement dans le fait que réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique semble en totale contradiction avec, dune part, sa décarbonation et, dautre part, le maintien de la croissance économique. Autrement dit, on ne peut pas à la fois dénucléariser, décarboner et croître.

Première matérialisation de ce triangle dincompatibilité : il naura pas fallu quatre mois après la fermeture de Fessenheim pour que resurgisse le spectre de la pénurie énergétique, pour que la ministre de la transition écologique en soit réduite à croiser les doigts pour que lhiver ne soit pas trop rigoureux... Sachant que la fermeture de Fessenheim était la toute première concrétisation de la stratégie de réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique, la représentation nationale est aujourdhui en droit de sinterroger sur les conséquences de plus long terme de ce choix.

De fait, à partir des documents officiels actuellement en vigueur, compte tenu de lobjectif de dénucléarisation, on ne comprend pas comment la France pourrait atteindre la neutralité carbone en 2050 sans entrer en décroissance. Ou bien on ne comprend pas comment il sera possible de réduire la part du nucléaire. En effet, pour décarboner notre énergie, nous ne pouvons agir que sur deux leviers : consommer moins d'énergie globalement et consommer moins d'énergies fossiles.

Pour consommer moins d'énergie globalement, deux leviers peuvent encore être actionnés : décroître (entrer en récession durable) ou améliorer notre efficacité énergétique. N'étant pas (encore) adepte de la décroissance, la France ne mise que sur le second de ces leviers : lefficacité énergétique. La loi relative à la transition énergétique (article L. 100-4 du code de l'énergie) prévoit en conséquence une réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050, avec un palier à -20 % en 2030. Pour que cela se réalise, il faudrait que la croissance soit faible sur la période, de lordre de 1 %, et les gains defficacité énergétique très forts, de lordre de 3 %, soit plus de deux fois la moyenne enregistrée depuis 2015. Ce qui est peu réaliste. Dans ces conditions, on ne peut pas attendre de lefficacité énergétique dimportants progrès en termes de décarbonation.

Lautre axe de décarbonation est la réduction de la part des énergies fossiles dans le mix énergétique. Pour cela, il faut que la part de l'électricité augmente dans ce mix. L'électricité ne représente aujourdhui que 25% de l'énergie finale consommée en France. Le nucléaire produit 70 % de ces 25 %, soit 17,5 % de l'énergie finale consommée dans le pays. À part constante de l'électricité dans le mix énergétique, réduire celle du nucléaire suppose de réduire de 5,5 % de l'énergie finale consommée dorigine nucléaire. Mais, pour faire reculer substantiellement la part des fossiles, il faudrait au moins doubler la part de l'électricité dans le mix français. Ce qui apparaît totalement inconciliable avec les objectifs fixés pour le nucléaire. En effet, si la part de l'électricité double dans le mix énergétique, même maintenir le nucléaire à 50 % de la production d'électricité suppose non pas de fermer des réacteurs, mais au contraire daugmenter nos capacités nucléaires par rapport à aujourdhui pour leur permettre de produire demain 25 % de l'énergie finale dont nous aurons besoin...

Replacer ainsi le nucléaire dans l'équation globale de la transition énergétique jette un doute sur la rationalité des choix faits en la matière et impose de requestionner toutes les certitudes au sujet de latome civil, spécifiquement dans une optique économique, financière et budgétaire.

Tel serait lobjet de la présente commission denquête dont la mission consisterait à répondre aux questions suivantes :

- Dans quelles conditions, notamment économiques, peut-on parvenir à la neutralité carbone sans augmenter nos capacités nucléaires ?

- Où se situe le coût du kWh produit par l'atome, par comparaison avec le coût du kWh éolien ou solaire, une fois pris en compte tous les coûts associés à chaque mode de production ? Pour le nucléaire, cela va de l'approvisionnement en uranium jusqu'au démantèlement des centrales, sans oublier le coût d'éventuels accidents nucléaires, et pour l'éolien cela inclura l'ensemble des couts système permettant de fournir une électricité de mêmes caractéristiques que l'électricité nucléaire (bas carbone, pilotable).

- Quelle est la réalité du problème des déchets nucléaires et du démantèlement des centrales ? Quelle est la réalité du risque nucléaire, tant en termes d'accidents que d'attaques terroristes ? Quel est en particulier la réalité du risque informatique nouveau pesant sur les centrales ? Remettent-ils en cause l'équation budgétaire en la matière ?

- Peut-on développer des réacteurs plus efficaces, plus sobres en déchets et plus sûrs ? Et à quel coût pour la collectivité ?

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