EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le chanvre est une plante extraordinaire aux usages multiples.

Une plante cultivée et utilisée depuis l'Antiquité sur tous les continents.

Une plante qui permet de nourrir l'homme et le bétail.

Une plante qui permet de s'habiller.

Une plante qui permet de se loger grâce à un béton aux propriétés isolantes remarquables.

Une plante qui permet de faire du papier sans abattre d'arbres.

Une plante qui permet de produire des bioplastiques solides et compostables.

Une plante qui permet de faire des cosmétiques limitant les intrants chimiques.

Une plante aux vertus thérapeutiques qui soulagent des douleurs que rien d'autre ne soulage.

Une plante qui apaise, qui aide certains à trouver la quiétude ou le sommeil.

Une plante qui pousse vite, presque seule, sans intrant chimique, sans arrosage et souvent sans désherbage.

Une plante qui restructure les sols et favorise la rotation des cultures sur un même terrain.

Une plante qui stocke le carbone plus que tout autre culture, plus même que la forêt.

Cette plante extraordinaire devrait être un outil majeur de la transition écologique et bien plus et pourtant on n'en cultive que quelques centaines de milliers d'hectares dans le monde. 20 000 en France, actuellement leader européen.

Depuis l'Antiquité, le chanvre a pourtant continuellement habillé, nourri, soigné les hommes et recueilli leurs écrits. Il a également permis de confectionner les voiles et les cordes des bateaux qui ont relié tous les continents du XVIe au XVIIIe siècle.

Mais depuis le XIXe siècle cette plante extraordinaire est vouée aux gémonies car certaines de ses variétés produisent une fleur bien connue aux effets psychotropes : le cannabis. La guerre menée contre le cannabis a entrainé l'interdiction presque totale du chanvre.

Il faut attendre le développement de variétés de chanvre avec un taux extrêmement faible de 0,2 % de tétrahydrocannabinol (THC, le principe actif psychotrope du cannabis) pour voir la culture de chanvre se redévelopper timidement à partir des années 1990. Sa culture, ses débouchés, sa filière professionnelle sont aujourd'hui largement anonymes.

Plus récemment, est découvert un autre principe actif non psychotrope de la plante : le cannabidiol ou CBD, molécule aux propriétés apaisantes.

N'étant pas un produit stupéfiant, le CBD issu des fleurs du chanvre industriel ne tombe pas sous le coup de la législation. Il est dès lors utilisé sous sa forme brute ou dans des préparations d'huiles essentielles, d'aliments, de liquide d'e-cigarette, de cosmétiques. Un marché se développe partout en Europe. En France les premiers détaillants ouvrent en 2018 et certains sont fermés par la police dans une certaine confusion. Ces épisodes illustrent les manques de la législation française - un arrêté de 1990 -, difficilement compréhensible et pour le moins inadaptée. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictive tente de la préciser avec une note de juin 2018 dont il ressort que le CBD est une molécule interdite sauf si elle obtenue par synthèse chimique (CBD dit « synthétique »).

Cette législation ne respecte pas le droit communautaire comme l'a confirmé la Cour de Justice de l'Union européenne en novembre 2020 notamment pour les motifs de non-respect du principe d'égalité de traitement et d'égalité devant la loi (CBD synthétique autorisé et « naturel » interdit) mais également de non-respect du principe de libre échange au sein de l'Union européenne et contraire aux articles 34, 35 et 36 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne relatifs aux mesures d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'exportation et à l'importation. Le Gouvernement prend alors un nouvel arrêté publié le 31 décembre 2021 qui autorise les extraits de chanvre et le CBD en tant que molécule mais interdit la commercialisation de la fleur de chanvre à l'état brut ainsi que son utilisation en mélanges de plantes (infusions). Cet arrêté est partiellement suspendu par le Conseil d'État le 28 janvier 2022. Le jugement au fond du Conseil d'État est attendu. Ces revirements incessants insécurisent les acteurs de la filière (agriculteurs, industriels, laboratoires, détaillants) et font prendre à la France un retard considérable sur ses voisins européens et sur les pays d'Amérique du Nord.

C'est d'autant plus dommageable que les prévisions de retombées en termes d'économie et d'emplois associés au développement d'une filière de valorisation des produits à haute valeur ajoutée du chanvre sont considérables. En France, la filière représente déjà près de 30 000 emplois dans des secteurs variés (production, transports, extraction, distribution) et on estime un essor rapide du marché à 1,5 à 2,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel, pouvant représenter 18 à 20 000 emplois directs et indirects supplémentaires d'ici 5 ans. Les recettes sociales et fiscales supplémentaires sont quant à elles estimées entre 0,7 et 1,1 milliard d'euros par an.

En effet, la demande explose. Même si nous devons être vigilants sur l'effet de mode et la durabilité de ce marché, on dénombre aujourd'hui près de 7 millions de consommateurs et près de 2000 détaillants, qui vendent des produits qui ne sont pas français. Ce commerce est aussi une opportunité pour les buralistes de France, dont le nombre a diminué de 27 % en 20 ans. Ainsi, la vente de CBD permet la préservation d'un type de point de vente représentant, dans certaines zones rurales, les derniers commerces de proximité.

Dans le détail, le développement de la culture du chanvre représente une opportunité de débouchés porteurs bienvenus pour un secteur agricole français en proie à des difficultés structurelles depuis des décennies.

La France va devoir faire face à une problématique de renouvellement des agriculteurs, la culture du chanvre (notamment pour le CBD) pourrait être un puissant créateur de vocations. En effet, selon une étude réalisée en juin 2020 par le Conseil Économique, Social et Environnemental, 45 % des agriculteurs (1,2 million en 2020) vont cesser leur activité d'ici à 2026, ce qui représenterait une perte de près de 540 000 professionnels.

La culture du chanvre à principes actifs est une activité à forte valeur ajoutée. Le blé dur se négocie actuellement autour de 420 euros la tonne, le kilo de fleurs CBD peut se vendre autour de 600 euros en 2022. La manne financière, représentée par la culture du chanvre CBD, serait donc une véritable bouffée d'oxygène pour les agriculteurs français, qui pourraient diversifier leurs activités. Elle également pourrait donc inciter davantage des arrivants sur le marché du travail à s'engager dans les professions agricoles.

Le chanvre s'inscrit opportunément dans une perspective de rotation des cultures. Le chanvre laisse le sol en excellente condition pour les cultures suivantes. Non seulement la culture du chanvre n'endommage pas les sols, mais elle permet, de plus, de les entretenir et de les restructurer, le chanvre arrivant à maturité rapidement, en moyenne 100 jours, cela laisse la possibilité de réutiliser le champ à brève échéance et facilement. De même, ses racines et sa capacité d'absorption de l'eau drainent la terre pour la régénérer et empêchent les mauvaises herbes de se répandre. Sa culture permet ainsi une dépollution des sols, particulièrement utile sur les zones de captage d'eau.

Sa culture présente également l'avantage d'être très économe en eau. Par exemple, elle utilise deux fois moins d'eau de pluie que le coton pour une surface cultivée identique, tout en étant jusqu'à 8 fois plus résistante aux éventuelles sécheresses, amenées à se multiplier à l'avenir.

La vivacité de la culture du chanvre en France s'explique par des conditions climatiques favorables sur la majeure partie du territoire. En effet, se trouvant au carrefour des climats continentaux d'Europe centrale et méditerranéens d'Europe du sud, la France connaît des conditions climatiques optimales sur une importante partie de son territoire pour le développement du chanvre.

Ainsi, contrairement à des pays comme l'Allemagne, à l'ensoleillement insuffisant, ou le sud de l'Italie, où un ensoleillement trop important fait facilement monter les taux de THC au-delà des limites accordées, la France est un terrain propice au développement d'une importante culture du chanvre. Sa place de leader européen peut, et doit, être largement confortée par une règlementation adaptée et un accompagnement des pouvoirs publics.

La culture du chanvre peut représenter l'un des piliers d'une réindustrialisation du pays écologiquement responsable. Qu'il s'agisse de filière de construction locale s'appuyant sur les cultures durables du chanvre et du bois et permettant la construction d'habitations très économes en énergie de chauffage et de refroidissement et pratiquement biodégradables à la fin de leur vie. Qu'il s'agisse d'une industrie textile locale, beaucoup plus économe en eau et en intrants que l'industrie du coton. Qu'il s'agisse du développement des bioplastiques, plus légers et compostables. Qu'il s'agisse d'une filière papier réinventée. Qu'il s'agisse du développement des protéines végétales pour diversifier notre alimentation et limiter un peu notre consommation de viande. Qu'il s'agisse des industries cosmétiques, pharmaceutiques et de produits bien être.

Le chanvre doit être au coeur de la relance de notre économie pour accroitre notre souveraineté, renforcer nos territoires et réduire les impacts environnementaux de nos activités. Qu'attendons-nous ?

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