N° 187
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 16 janvier 2001
PROPOSITION DE LOI
tendant à autoriser l'exploitation des machines à sous et des appareils automatiques de jeux de hasard dans des débits de boissons agréés , et selon certaines conditions réglementaires strictes ,
PRÉSENTÉE
par M. Nicolas ABOUT,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Jeux et paris |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La loi du 21 mai 1836 a instauré une interdiction générale des loteries sur tout le territoire national. Les jeux de hasard à gains d'argent sont donc interdits en France, à quelques exceptions près toutefois, en particulier dans les casinos, les fêtes foraines ou dans le cadre du monopole d'Etat de la Française des Jeux (loterie nationale, jeux de grattage) ou du Pari Mutuel Urbain.
Or, depuis quelques années, cette interdiction générale est battue en brèche par le développement de nouvelles pratiques qui semblent échapper au contrôle de l'Etat : loteries en ligne sur le réseau Internet, dans sa version légale et machines à sous trafiquées dans les bars et les cafés, dans sa version illégale. Dans ces deux cas, on constate l'impuissance des pouvoirs publics à contenir un phénomène qui apparaît de plus en plus aujourd'hui comme irréversible.
En particulier, la progression des machines à sous trafiquées, dans les bars et les cafés, est inquiétante. Les saisies récentes, effectuées par la police, montrent une extension du trafic dans tout le Sud de la France et, désormais, au coeur même de la Région Parisienne. Selon une enquête récente, le nombre de ces machines illégales s'élèverait à 400 en Ile-de-France et à plus de 6000 dans le reste de la France.
Le principe de ce trafic est simple. Il consiste à transformer de simples jeux de comptoir (de type flippers ou jeux vidéos), déjà installés dans les débits de boissons, en de véritables machines à sous, grâce à la mise en place d'un dispositif électronique sophistiqué à l'intérieur de la machine. L'installation d'une carte électronique, parfaitement invisible de l'extérieur, permet au joueur averti de remporter non plus de simples parties gagnantes, mais de véritables gains en argent. Une fois la partie terminée, la transaction s'opère entre le joueur et le patron de café, sous la forme d'un échange de points ou de jetons, en sommes d'argent liquide, discrètement effectué sous le comptoir.
Une bonne machine peut rapporter, en moyenne, entre 30 et 50.000 francs par mois à son propriétaire (soit 50 fois plus qu'un flipper classique). Du côté des trafiquants, l'exploitation clandestine d'un réseau de machines permet de dégager des revenus pouvant aller jusqu'à des dizaines de millions de francs par an. Au total, si l'on retient l'hypothèse émise par Xavier Raufer et Stéphane Quéré, dans une étude universitaire récente (1 ( * )) , il y aurait en France plus de 6000 machines à sous trafiquées, soit un chiffre d'affaires annuel de 2 milliards de francs.
L'essor d'un tel trafic n'est pas sans conséquence pour notre pays. Il entraîne en effet :
1°) des pertes fiscales non négligeables pour l'Etat.
2°) une criminalisation inquiétante de la société.
La France est, en effet, le seul pays de l'Union européenne, avec le Portugal, à interdire encore ces machines sur son territoire. Autorisées partout ailleurs en Europe, selon un cadre réglementaire strict, elles génèrent des recettes fiscales importantes :
|
Nb de machines autorisées |
Recettes fiscales générées |
Allemagne |
227 000 machines |
1,68 milliard de francs |
Belgique |
68 000 machines |
293 millions de francs |
Grande-Bretagne |
215 000 machines |
1,69 milliard de francs |
Autriche |
5 000 machines |
27 millions de francs |
Espagne |
252 000 machines |
5,62 milliards de francs |
Faute d'exercer un contrôle fiscal sur ces machines, qui demeurent donc clandestines, la France se prive donc de rentrées d'argent importantes, au moment même où elle s'interroge sur le devenir de ses retraites.
Par ailleurs, en maintenant le régime de la prohibition, la France laisse se développer sur son territoire un trafic à grande échelle, qui s'accompagne d'actes de criminalité particulièrement violents. Le racket et les règlements de comptes se multiplient : 50 meurtres en moins de 2 ans. De plus, en raison des facilités qu'offre ce trafic pour les délinquants (simplicité d'installation des machines, faible investissement de départ très rapidement amorti, risques limités de prise en flagrant délit), il permet aux malfrats de se constituer un capital de départ, pour le financement d'activités criminelles beaucoup plus graves (trafic de voitures volées, achat de stupéfiants en gros, vols à mains armées, etc.). Les machines à sous trafiquées sont, en quelque sorte, un tremplin vers le grand banditisme. Il convient donc rapidement de mettre un terme à ce trafic qui s'avère, selon les experts, particulièrement criminogène.
Face à ce défi, la présente proposition de loi se fixe pour objectif de légaliser l'exploitation des machines à sous et des appareils automatiques de jeux de hasard, dans les débits de boissons, à la condition expresse que ces derniers acceptent de se soumettre à un contrôle administratif et fiscal strict.
Cette légalisation serait en effet soumise aux conditions suivantes :
1°) la délivrance d'un agrément préalable de l'administration,
2°) le respect de normes strictes, définies par le Conseil d'Etat, pour la fabrication, l'installation et l'exploitation de ces machines à sous autorisées,
3°) l'interdiction de mettre ces machines à la disposition d'un public âgé de moins de 18 ans,
4°) le respect d'un périmètre d'interdiction autour des écoles et des établissements de soins,
5°) l'acquittement régulier de taxes fiscales (sur le modèle de celles qui existent déjà pour les casinos).
Des sanctions pénales très lourdes sont également prévues, afin de dissuader les personnes qui seraient tentées d'enfreindre ces règles, à leur profit.
L'objectif de cette proposition de loi n'est pas de « légaliser le vice ». Elle part du simple constat que la pratique des jeux d'argent existe déjà, au sein de la population française. En instaurant le monopole de la Française des Jeux, en organisant les courses hippiques, l'Etat n'a-t-il pas déjà mis « le vice au service de la vertu » ? Le Loto national attire, chaque année, plus de 35 millions d'adeptes. Le Pari Mutuel Urbain génère un chiffre d'affaires annuel de 36 milliards de francs. Il s'agit plutôt de reconnaître, dans la loi, l'existence d'une pratique ludique bien anodine, qui se développe depuis plusieurs années dans les bars et les cafés, et qui gagnerait beaucoup à sortir du cadre de la clandestinité.
Par ailleurs, ce texte ne saurait remettre en cause la place qu'occupent actuellement les casinos, dans l'économie de notre pays. Implantés dans les stations balnéaires et thermales, ils ne s'adressent bien évidemment pas au même public que ceux des bars et des cafés. Là encore, il s'agit de légaliser une pratique qui existe déjà dans les bistrots, avec les jeux de comptoir. Ces appareils automatiques seraient destinés aux habitués des bars, et non aux personnes qui fréquentent généralement les casinos, avec des motivations bien différentes.
Ce dispositif permettrait enfin aux cafetiers de conserver une partie de leur clientèle de quartier, à l'heure où cette profession rencontre de sérieuses difficultés, face à la concurrence des établissements de restauration rapide.
C'est pour cet ensemble de raisons, que je vous propose d'adopter, Mesdames, Messieurs, la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
La loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries est abrogée.
Article 2
Les cafés et les débits de boissons sont autorisés à acheter, installer et mettre à disposition du public les appareils automatiques de jeux de hasard, entrant dans les catégories dites « machines à sous » et « jeux vidéo ».
Article 3
Toute personne, propriétaire ou gérante d'un café ou d'un débit de boissons, qui souhaite acheter, installer, ou exploiter une machine à sous, doit obtenir l'autorisation préalable de l'administration. Un décret pris en Conseil d'Etat précisera les modalités de délivrance d'un agrément pour l'exercice de cette activité, ainsi que les modalités des contrôles qui seront régulièrement effectués par l'administration sur l'exploitation de ces machines.
L'infraction au présent article est punie de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 F d'amende.
Article 4
Seuls sont autorisés les appareils automatiques qui fonctionnent selon des règles précises définies par l'administration. Un décret pris en Conseil d'Etat fixera en particulier :
1°) la mise unitaire maximale autorisée,
2°) la valeur proportionnelle des gains par rapport à la mise unitaire initiale,
3°) les conditions de fabrication, de mise en service, de maintenance et de fonctionnement de ces appareils.
L'infraction au présent article est punie de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 F d'amende.
Article 5
La mise à disposition d'appareils automatiques de jeux, visés à l'article 1 er , aux mineurs de 18 ans est interdite. L'infraction au présent article est punie de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 F d'amende.
Article 6
L'installation et l'exploitation de machines à sous sont interdites, à moins de cent mètres d'un établissement d'enseignement maternel, primaire ou secondaire, d'un établissement de formation ou de loisirs de la jeunesse, d'un hôpital, d'un hospice, d'une maison de retraite ou de tout établissement de prévention, de cure ou de soins. L'infraction au présent article est punie de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 F d'amende.
Article 7
Dans le quatrième alinéa de l'article 6 de la loi n° 83-628 du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard, après les mots : « dans les casinos autorisés » sont insérés les mots : « les débits de boissons agréés ».
Article 8
Un prélèvement de quinze pour cent (15 %) sera opéré sur le produit brut des appareils automatiques de jeux, installés dans les débits de boissons, au profit d'oeuvres sociales ou d'utilité publique.
Une commission spéciale, instituée au ministère de l'Intérieur, en réglera l'emploi.
Article 9
L'article 50 de la loi de finances pour 1991 (n° 90-1168) du 29 décembre 1990 est ainsi rédigé :
« Art.50 . - Il est institué au profit de l'Etat un prélèvement fixe de 0,5 % sur le produit brut des jeux dans les casinos régis par la loi du 15 juin 1907 réglementant le jeu dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques.
« Pour le produit brut des jeux d'argent dont l'exploitation est autorisée dans les casinos par l'article 1er de la loi n° 87-306 du 5 mai 1987 modifiant certaines dispositions relatives aux casinos autorisés, et pour le produit brut des appareils automatiques de jeux dont l'exploitation est autorisée dans les débits de boissons par l'article 2 de la loi n° du tendant à autoriser l'exploitation des machines à sous et des appareils automatiques de jeux de hasard dans des débits de boissons agréés, et selon certaines conditions réglementaires strictes, le taux prévu à l'alinéa précédent est fixé à 2 %.
« Le prélèvement est recouvré dans les mêmes conditions que le prélèvement progressif opéré sur le produit brut des jeux dans les casinos régis par la loi du 15 juin 1907 précitée, et que celui opéré sur le produit brut des appareils automatiques de jeux, en vertu de l'article 8 de la loi n° du précitée. »
Article 10
Le paragraphe III de l'article 16 de la loi n° 96-1160 du 27 décembre 1996 de financement de la sécurité sociale pour 1997 est ainsi rédigé :
« III. - Il est institué une contribution sur le produit brut de certains jeux réalisé dans les casinos régis par la loi du 15 juin 1907 réglementant le jeu dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques, et sur le produit brut des appareils automatiques de jeux autorisés dans les débits de boissons par l'article 2 de la loi n° du tendant à autoriser l'exploitation des machines à sous et des appareils automatiques de jeux de hasard dans des débits de boissons agréés, et selon certaines conditions réglementaires strictes.
« Cette contribution est de 3,40 % sur le produit brut des jeux automatiques des casinos et des débits de boissons. Elle est, en outre, de 10 % prélevés sur tous les gains d'un montant supérieur ou égal à 10 000 F, réglés aux joueurs par des bons de paiement manuels définis à l'article 69-20 de l'arrêté du 23 décembre 1959 portant réglementation des jeux dans les casinos.
« Cette contribution est recouvrée et contrôlée selon les mêmes règles et sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que le prélèvement prévu à l'article 50 de la loi de finances pour 1991 (n° 90-1168 du 29 décembre 1990). »
Article 11
Après la section 11 du chapitre III du titre III du Livre III du code général des collectivités territoriales, il est créé une section 12 intitulée comme suit : « Taxe sur le produit des appareils automatiques dans les débits de boissons »
Article 12
Dans la section 12 du chapitre III du titre III du Livre III du même code, il est créé un article L.2333-87, rédigé comme suit :
« Art. L. 2333-87 - Il est reversé à chaque commune, siège d'un débit de boisson exploitant un ou plusieurs appareils automatiques de jeux, visés à l'article 2 de la loi n° du tendant à autoriser l'exploitation des machines à sous et des appareils automatiques de jeux de hasard dans des débits de boissons agréés, et selon certaines conditions réglementaires strictes, 10 % du prélèvement de 15 % opéré par l'Etat sur le produit brut des jeux réalisé par l'établissement, en vertu de l'article 8 de la même loi. »
Article 13
Le paragraphe 1 er de l'article 261 E du code général des impôts est ainsi rédigé :
« 1° l'organisation de jeux de hasard ou d'argent soumis au prélèvement visé aux articles L 2333-56, L 2333-57 et L 2333-87 du code général des collectivités territoriales ou à l'impôt sur les spectacles, jeux et divertissements ; »
* 1 « Machines à sous et criminalisation en France », Xavier Raufer et Stéphane Quéré, Université Paris II-Panthéon-Assas, septembre 1999.