Limitation du recours aux dispositions fiscales rétroactives
N°
223
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 8 février 2001
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
limitant le
recours
aux
dispositions fiscales
de
portée rétroactive
,
PRÉSENTÉE
par M. Jean-Claude CARLE,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Finances, du Contrôle budgétaire et des Comptes économiques de la Nation sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Impôts et taxes |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La liberté est une condition essentielle au bon fonctionnement et au
développement de l'économie d'un pays. Cette liberté
repose sur la confiance dans les lois et le respect de la parole de
l'État. Qu'ils souhaitent acquérir un patrimoine, embaucher,
investir ou épargner, les ménages et les entreprises doivent
pouvoir connaître leurs droits et obligations et fonder leurs
décisions sur des règles stables, claires et précises.
En droit français, cette sécurité juridique n'est pas
garantie. L'article 2 du code civil prévoit certes que " La loi ne
dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet
rétroactif ". Mais cette disposition n'a qu'une valeur
législative qui s'impose au juge mais non au législateur.
La jurisprudence de la Cour de cassation et celle du Conseil d'État se
montrent particulièrement vigilante dans l'interprétation du
droit. Le Conseil constitutionnel lui-même s'est efforcé de fixer
des limites à la rétroactivité en matière
fiscale : la rétroactivité du droit ne se présume pas
et les lois rétroactives sont d'interprétation stricte. Pour
autant, aucune norme constitutionnelle ne fait référence au
principe de non-rétroactivité.
Ainsi, ces dernières années, le recours fréquent à
des dispositions fiscales rétroactives a fait naître un sentiment
d'insécurité juridique chez nos concitoyens. La
rétroactivité de la loi s'est parfois
révélée favorable. Dans nombre de cas, cependant, elle a
donné lieu à des abus. L'exemple le plus connu date de 1984
lorsque le gouvernement Mauroy réduisit de 25 à 15 ans la
durée d'exonération de taxe foncière pour les immeubles
construits avant le
1er janvier 1973.
Plus récemment, on se rappelle que le gouvernement Jospin n'a pas
hésité à revenir sur la déduction du SMIC hors
charges pour toute famille créant des emplois familiaux à
domicile, bien qu'il s'agisse de contrats à durée
indéterminée. Cela aurait pu être également le cas
avec la tentative de modification des clauses fiscales des contrats
d'assurance-vie dans le projet de loi de finances pour 1999, si le gouvernement
n'y avait pas renoncé en raison du caractère rétroactif de
cette mesure.
Cette évolution n'est pas acceptable. Elle décourage l'initiative
personnelle et porte atteinte à la liberté d'entreprendre. Elle
met en question l'Etat de droit. Pour cette raison, il convient de faire
évoluer le droit pour favoriser des relations plus transparentes et plus
confiantes entre le contribuable, l'épargnant, l'entreprise et l'Etat,
à l'exemple de la pratique et des règles observées chez
certains de nos voisins européens. A cet effet, nous avons
déposé conjointement une proposition de loi constitutionnelle
tendant à reconnaître une valeur constitutionnelle au principe de
sécurité juridique dont les corollaires sont la confiance
légitime et la non-rétroactivité.
La présente proposition de loi organique vise à limiter en droit
le recours à la loi rétroactive. Son champ d'application concerne
les dispositions fiscales contenues dans les lois, dans les lois de finances,
ainsi que dans les lois de financement de la sécurité sociale.
L'
article
premier
pose le principe de la
non-rétroactivité des dispositions relatives aux
prélèvements obligatoires. Ce principe ne s'applique pas aux
dispositions de la loi de finances relatives à l'impôt sur le
revenu et à l'impôt sur les sociétés qui
s'appliquent aux revenus et bénéfices calculés à la
fin de chaque année.
Conformément aux décisions du Conseil constitutionnel
n°
95-369 DC du 28 décembre 1995 et n° 98-404 DC du 18 décembre
1998, la rétroactivité de la loi fiscale est admise quand elle se
justifie par un intérêt général suffisant et par
l'absence de toute autre solution pour le législateur.
Il est proposé d'autoriser la rétroactivité des mesures
d'allégements en matière d'impôts indirects, telle que la
TVA, afin d'éviter les phénomènes d'anticipation ou de
reports d'opérations nuisibles à l'économie.
Dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de justice des
communautés européenne,
l'article 2
vise à
empêcher les lois de validation qui conduisent le législateur
à interpréter et à corriger une disposition fiscale
à l'occasion d'une procédure litigieuse. Cette facilité
que l'Etat se donne pose un problème d'égalité pour nos
concitoyens. Il convient d'y remédier en ménageant toutefois la
possibilité pour le contribuable de bénéficier d'une
disposition rétroactive lorsqu'elle est plus douce, à l'instar de
la loi pénale.
L'article 3
insère dans le droit interne français la
règle du " grand father rule " pour tous les contrats dont
l'exécution varie entre un et quinze ans. Afin de ne pas bloquer
l'application de la loi fiscale pendant tout le temps d'un contrat, cette
règle s'applique uniquement aux contrats dont l'équilibre
financier serait compromis par une mesure rétroactive introduite
postérieurement à leur entrée en vigueur.
L'article 4
a pour objet d'encadrer la rétroactivité
liée à l'abrogation par anticipation d'un avantage fiscal et de
favoriser un véritable contrat fiscal entre l'État et le citoyen.
Lorsque l'État incite le contribuable à s'engager sur le long
terme, nous proposons qu'aucune mesure rétroactive ne puisse remettre en
cause l'avantage fiscal dont il bénéficie avant le terme de son
application, sauf lorsqu'elle est plus favorable.
Dans
l'article 5
, nous proposons de renforcer l'information et le
contrôle du Parlement avant l'adoption de toute disposition dont le
caractère rétroactif et l'impact doivent être
motivés.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi organique que nous
vous demandons de bien vouloir adopter.
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
Article 1er
Les
dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de
recouvrement des impositions de toute nature ne disposent que pour l'avenir.
Les dispositions qui s'appliquent en matière d'impôts directs
à des périodes d'imposition déjà closes et, en
matière de droits d'enregistrement, à des opérations
déjà réalisées, ont une portée
rétroactive.
A titre exceptionnel, des dispositions modifiant l'assiette, le taux ou les
modalités de recouvrement des impositions de toute nature peuvent
s'appliquer de manière rétroactive en considération d'un
motif d'intérêt général suffisant, et sous
réserve d'avoir épuisé toutes les dispositions
prévues au premier alinéa.
Les dispositions visant à diminuer l'assiette ou le taux d'impôts
indirects peuvent s'appliquer rétroactivement.
Article 2
Aucune disposition fiscale rétroactive ne peut s'appliquer aux litiges en cours, sauf lorsqu'elle est moins sévère que les dispositions anciennes.
Article 3
Les contrats dont l'exécution s'étend sur plus d'une année et moins de quinze ans se poursuivent jusqu'à leur terme sous le régime fiscal en vigueur à la date de leur engagement, sans considération des dispositions modifiant l'assiette, le taux ou les modalités de recouvrement des impositions de toute nature après cette date, lorsque ces dispositions empêchent leur équilibre financier.
Article 4
Les dispositions créant un avantage fiscal pour une durée déterminée, ou jusqu'à une date déterminée, ne peuvent être modifiées avant le terme prévu, sauf à les rendre moins sévères que les dispositions anciennes.
Article 5
L'adoption de dispositions fiscales rétroactives dans les conditions prévues à l'article 1er doit être motivée par un exposé justifiant leur caractère rétroactif et par une évaluation des conséquences financières pour les contribuables. Ces dispositions doivent être assorties de mesures transitoires, d'accompagnement ou de compensation, lorsqu'elles ont pour effet d'empêcher l'exercice d'une activité professionnelle ou d'une liberté publique.