N° 109
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005
Annexe au procès-verbal de la séance du 9 décembre 2004
PROPOSITION DE LOI
tendant à autoriser le vote électronique à distance
au cas de référendum , pour les Français inscrits
dans les centres de vote à l' étranger ,
PRÉSENTÉE
Par M. Robert DEL PICCHIA,
Sénateur.
( Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Elections et référendums. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Près de 50 ans après la signature du Traité de Rome instituant la CEE, l'Europe se prépare à se doter d'une Constitution. 450 millions de citoyens dans 25 États vont se prononcer sur un texte fondateur, définissant les valeurs et les principes de l'Union européenne.
Le Président de la République, Jacques CHIRAC, a annoncé le 14 juillet 2004 que les Français seraient consultés par référendum, en 2005, sur la ratification du traité établissant cette première Constitution pour l'Europe.
Une implication forte des citoyens français sur ce texte est primordiale, tout autant que celle des citoyens français résidant en Europe et dans le reste du monde.
On estime à environ 2 millions le nombre de Français résidant à l'étranger. Ils sont près d'un million à avoir relevé le défi européen, et à résider dans un des pays membres de l'Union européenne. Ces Français d'Europe sont directement impliqués dans la construction européenne.
À travers le symbole qu'ils représentent pour l'intégration européenne, leur participation à ce référendum est essentielle.
Mais c'est bien la participation de l'ensemble des Français établis hors de France qui doit être encouragée, sous peine de marginalisation de la vie politique française.
Pour les référendums, les Français résidant à l'étranger ont le choix de voter, en personne ou par procuration, soit en France s'ils sont inscrits dans une commune, soit dans leur pays de résidence.
En effet, la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 sur le vote des Français établis hors de France pour l'élection du Président de la République, les autorise à voter à l'étranger dans les centres de vote créés dans des ambassades et des consulats en cas de référendum (article 20).
Cette disposition destinée à encourager la participation de nos compatriotes établis hors de France n'a cependant pas réussi à endiguer l'abstention qui a fortement marqué les derniers scrutins référendaires : le taux d'abstention est nett ement plus marqué qu'en France.
Sur la question du statut de la Nouvelle-Calédonie posée en 1988, la participation se montait à 19,8% des inscrits dans les centres de vote à l'étranger. C'est l'adhésion au Traité de Maastricht en 1992 qui a généré le plus de mobilisation puisque 42,2% des Français de l'étranger se sont prononcés. La chute de la participation s'est toutefois accélérée, avec seulement 13,7% des Français de l'étranger lors du référendum du 24 septembre 2000 relatif au quinquennat qui se sont déplacés.
Cette désaffection progressive des centres de vote à l'étranger souligne l'insuffisance des aménagements prévus pour permettre la participation électorale.
En outre, nos compatriotes de l'étranger se sont éloignés des enjeux européens depuis la réforme de l'élection des représentants au Parlement européen. La création de huit régions avait supprimé la possibilité de vote dans les centres de vote à l'étranger. Ceci a véritablement dissuadé la participation électorale des Français établis hors de France.
Les conséquences du traité instituant une Constitution auront une portée considérable pour l'ensemble des Français. C'est bien pour cette raison que le chef de l'État a pris la décision de soumettre ce texte fondateur au suffrage populaire.
À l'heure où l'on prône une plus grande transparence de la vie publique et une simplification des procédures administratives, il est nécessaire d'instaurer un mode de votation moderne qui facilite la participation électorale.
Un mode de votation plus direct, plus rapide, plus simple, contribuerait au renforcement de ce lien dont les Français de l'étranger ont besoin pour ne pas être marginalisés.
Si l'électeur ne va pas à l'urne, l'urne ira à l'électeur...
Le vote électronique à distance serait une réponse à l'impérieuse nécessité de mettre tout en oeuvre pour lutter contre une abstention grandissante de nos compatriotes établis hors de nos frontières.
* *
*
La présente proposition de loi a pour objet d'autoriser le vote électronique à distance au cas de référendum pour les Français établis hors de France inscrits dans les centres de vote à l'étranger.
Ce mode de votation devrait favoriser sensiblement la participation des Français établis hors de France aux scrutins référendaires, temps forts de la vie nationale française et ainsi faire progresser la démocratie.
Car il faut bien comprendre que, voter en personne, pour nos compatriotes de l'étranger, est une démarche difficile.
En effet, il faut savoir qu'un grand nombre de Français réside très loin de leur centre de vote et doit parfois parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour aller voter.
Le vote par procuration ne peut pas être la seule réponse à ce problème. C'est un aménagement au vote en personne offert aux citoyens absents temporairement de leur commune le jour du scrutin.
Il n'a pas été pensé pour des citoyens résidant en permanence à plusieurs centaines de kilomètres du centre de vote. Le Français inscrit sur la liste d'un centre de vote à l'étranger doit de toute façon se déplacer au consulat pour établir la procuration. Il se trouve donc face à la même difficulté liée au déplacement que pour le vote en personne.
Ces obstacles font de la possibilité de vote par procuration une alternative peu efficace au vote en personne. Or, le législateur a le devoir constitutionnel d'assurer l'égalité du suffrage de tous les citoyens.
En aménageant un mode de votation propre aux Français établis hors de France, le vote par Internet participe à l'égalité de tous les citoyens français devant le vote. L'égalité devant les suffrages exige que soit donnée à tous les citoyens la même faculté de s'exprimer lors des suffrages nationaux. À situations et difficultés différentes, moyens différents, afin de garantir un même résultat : la possibilité concrète et matérielle de voter. Ce principe impose une égalité de fin, et non de moyens.
De la même manière, l'égalité devant l'impôt a été reconnue comme un principe fondateur des lois de la République par le Conseil constitutionnel. Ce principe, qui a donc une valeur constitutionnelle, n'exige nullement un impôt unique pour tous, mais bien qu'à une situation donnée soit appliqué un traitement unique pour tous les contribuables se trouvant dans la même situation. Une multitude de régimes dérogatoires permet donc de prendre en compte ces différentes situations et ainsi de garantir cette égalité de traitement devant l'impôt.
Une position que le gouvernement français met largement en oeuvre, à travers notamment la déclaration en ligne de l'impôt sur le revenu : 1,2 million de contribuables l'ont utilisé en 2003, soit dix fois plus qu'en mars 2002.
Au-delà du délai supplémentaire qui leur était accordé, Bercy avait annoncé une mesure incitative supplémentaire pour encourager les citoyens sur cette voie. Selon la loi de finances rectificative de 2003, un contribuable pouvait bénéficier d'une réduction d'impôt annuelle de 10 euros, s'il procédait à une déclaration de ses revenus par internet. Est-ce une entorse au principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt ?
La même démarche doit être adoptée en matière électorale. Si des conditions spécifiques pénalisent une partie définie de l'électorat, alors un régime dérogatoire doit pouvoir être instauré afin de réaliser ce principe d'égalité prévu par la Constitution.
En tant que « Français établis hors de France », nos compatriotes devraient bénéficier d'aménagements de l'exercice de leur droit de vote.
Le vote électronique à distance serait une réponse.
Différentes expérimentations ont déjà été menées en matière électorale. Elles ont démontré un impact véritable de ce mode de votation sur la participation.
Suite à la loi adoptée à l'unanimité du Parlement, une première application du vote par Internet a eu lieu pour des élections au suffrage universel direct. Elle s'est tenue le 1 er juin 2003 lors du renouvellement partiel des Délégués au Conseil supérieur des Français de l'étranger et a concerné les Français résidant aux Etats-Unis. Elle s'est avérée concluante à différents égards.
Premièrement, un grand nombre de votants a choisi Internet : plus de 60%. En comparaison, le vote physique n'a attiré que 5,6% des citoyens dans les consulats.
Deuxièmement, la chute de la participation a été enrayée. On peut affirmer que si le vote Internet n'avait pas été autorisé, la participation aurait continué à baisser pour ne plus concerner qu'environ 10% des électeurs inscrits. En effet, la participation des Français établis au Canada, où seuls les modes de votation traditionnels étaient autorisés, a poursuivi sa chute de près de 7%, passant de 21,1% à 14,27% des inscrits.
En matière de sécurité, le fait que le poste informatique puisse ne pas être isolé n'est pas un obstacle à la confidentialité du vote.
Car même s'il n'existe pas de garantie absolue que le votant ne subisse aucune pression extérieure, on peut légitimement penser que l'électeur trouvera un moment pour s'isoler face à son ordinateur durant la période ouverte pour le vote en ligne, qui peut être de plusieurs semaines.
Si 1,2 million de contribuables ont choisi de payer leurs impôts sur Internet en 2003, si l'on consulte ses comptes bancaires en ligne, c'est bien que nos concitoyens sont assurés de la confidentialité et de la discrétion de cette démarche. La confidentialité du vote électronique à distance dépend avant tout de la vigilance des internautes. De la même manière que l'on ne donne pas son code de carte bancaire à n'importe qui, on ne communiquera pas son identifiant ni son code d'accès au site qui permettra de voter en ligne.
De plus, les atteintes, qui seront probablement rares, à la confidentialité du vote, ne justifient pas un abandon du mode de votation, mais bien une déclaration d'un incident de vote. C'est le cas pour les autres modes de votation.
Par exemple, le vote par procuration est une atteinte reconnue et admise au caractère secret du vote, qui a pourtant une valeur constitutionnelle (article 3 de la Constitution de 1958). Mais, ne pas pouvoir voter est considéré comme étant un préjudice plus grand que de devoir renoncer au secret de son vote. On admet donc un vote qui ne serait pas secret. Tout abus est signalé auprès du Ministère de l'Intérieur, garant des élections.
Un raisonnement par analogie doit être admis pour le vote par Internet.
En outre, dans le cas d'une personne handicapée ou incapable temporairement de se déplacer, l'accès à un réseau informatique représente un facteur d'intégration. Voter par Internet pourrait permettre une participation effective et directe à la vie citoyenne.
S'agissant de la sécurisation du scrutin, les techniques ont montré une résistance très efficace aux éventuelles attaques « pirates » et plusieurs systèmes rodés offrent déjà les garanties indispensables pour assurer un vote tout à fait sécurisé.
Ainsi, aucun incident n'a été constaté lors de l'expérimentation du vote par Internet pour les élections des Délégués au Conseil supérieur des Français de l'étranger (actuelle Assemblée des Français de l'étranger). Aucune tentative de fraude ni de piratage n'a pu aboutir. Les mesures de protection se sont avérées opérantes et fiables. Des dispositions d'envergure avaient été prises comme par exemple les identifiants à 8 chiffres ou lettres, doublés de codes aussi importants portant la probabilité de trouver une faille à 1,35 milliard multiplié par 1,35 milliard...
Rappelons que l'ensemble du système bancaire mondial fonctionne sur un réseau électronique, ou encore que le moyen de paiement privilégié dans notre économie est la carte bancaire.
De plus, un grand nombre de votes d'actionnaires se déroulent par voie électronique à distance, ce qui représente des quantités d'informations à traiter beaucoup plus importantes que les élections politiques.
Enfin, il faut savoir que le vote électronique à distance est aujourd'hui autorisé pour les élections professionnelles, lesquelles souffrent des mêmes maux que les élections politiques : abstention grandissante, manque de lisibilité des enjeux...
Or, là encore l'impact du vote électronique à distance a pu être mesuré. À titre d'exemple : en 2002, se sont déroulées les élections des délégués du personnel dans une grande banque française. La totalité des électeurs ont choisi le vote électronique à distance, alors qu'ils avaient la possibilité de voter avec un bulletin papier. C'est le signe d'une adoption immédiate du processus. Le taux de participation moyen a augmenté de 29% par rapport aux élections précédentes, pour atteindre 72,4%.
Des technologies fiables existent pour envisager l'application du vote électronique à distance pour les référendums. Les différents succès techniques sont une confirmation du système pour l'avenir.
Le vote par correspondance électronique à distance n'est pas une fin en soi, mais bien un moyen : celui de faciliter l'exercice du droit de vote, dans la perspective de réduire l'abstention électorale.
Faciliter cette démarche ou simplement la rendre possible et effective, est notre responsabilité d'élus.
La France ne doit pas rester en arrière. Des expérimentations sont menées partout en Europe et s'avèrent toujours concluantes. Elles s'inspirent d'ailleurs souvent de l'expérience, unique à ce jour, des Français établis hors de France, qui tiennent lieu de précurseurs en la matière.
L'article unique de cette proposition de loi ouvre donc une possibilité supplémentaire de voter, par voie électronique à distance au cas de référendum, pour les Français inscrits dans les centres de vote à l'étranger.
Aux termes de l'article 1 er de la décision du Conseil Constitutionnel n° 75-62 DC du 28 janvier 1976 : « La loi soumise à l'examen du Conseil Constitutionnel est déclarée conforme à la Constitution en ce qui concerne tant ses articles 1 er à 19 ayant le caractère de dispositions de loi organique que son article 20 ayant le caractère de loi. » C'est pourquoi la proposition de loi que nous vous soumettons a valeur de loi ordinaire et non pas organique.
Nous vous demandons donc de bien vouloir adopter la proposition de loi suivante.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
L'article 20 de la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 sur le vote des Français établis hors de France pour l'élection du Président de la République, est complété par un alinéa ainsi rédigé:
« La présente loi est applicable au cas de référendum dans des conditions définies par décret. Les électeurs votent soit dans les bureaux ouverts à cet effet, soit par procuration, soit par voie électronique à distance. Un décret pris en Conseil d'État définit les conditions et les modalités de mise en oeuvre du présent article. »