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N° 262
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 janvier 2015 |
PROPOSITION DE LOI
visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires ,
PRÉSENTÉE
Par Mmes Laurence COHEN, Annie DAVID, MM. Dominique WATRIN, Patrick ABATE, Mmes Éliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Éric BOCQUET, Jean-Pierre BOSINO, Mmes Cécile CUKIERMAN, Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Christian FAVIER, Thierry FOUCAUD, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, MM. Pierre LAURENT, Michel LE SCOUARNEC, Mme Christine PRUNAUD et M. Paul VERGÈS,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi a pour objet de supprimer les franchises médicales instituées par l'article 52 de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008, ainsi que les participations forfaitaires mises en place par la loi n°2004-810 du 13 août 2004.
Ces franchises, directement inspirées des mécanismes assurantiels, comme ceux applicables aux véhicules terrestres à moteur est incompatible avec notre système de sécurité sociale tel qu'issu du Conseil national de la résistance qui, au sortir de la seconde guerre mondiale, a élaboré les bases de notre protection sociale telle que nous la connaissons aujourd'hui.
En considérant qu'il faut impérativement taxer les patients pour leur recours au système de santé et leur consommation en médicaments délivrés sur prescription, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a rompu avec le principe fondamental selon lequel chacun cotise selon ses moyens et perçoit selon ses besoins. Il convient d'ailleurs de rappeler que le Conseil constitutionnel a rappelé par deux fois, le 12 août 2004 - alors qu'il était saisi du contrôle de la loi relative à la réforme de l'assurance maladie - et le 13 août 2007 - alors qu'il était saisi du contrôle de constitutionnalité de la loi de financement de la sécurité sociale instaurant ces franchises médicales - « que le montant de cette majoration de la participation de l'assuré devait être fixé à un niveau tel que ne soient pas remises en cause les exigences du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 » qui dispose que la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ».
L'application automatique et indistincte des différentes franchises médicales, qui ne tiennent compte ni de l'état de santé des personnes qui les frappent, ni des causes nécessitant ces soins, ni de leurs capacités financières, rend les franchises médicales encore plus insupportables, singulièrement, en période de crise économique.
Il suffit, pour se convaincre de l'importance de l'abrogation des franchises médicales, d'observer combien elles pèsent sur des publics déjà fortement fragilisés.
Comment ignorer que les franchises médicales s'appliquent aux patients atteints d'une affection longue durée (ALD), c'est-à-dire à des patients pour qui les soins sont reconnus comme étant nécessaires et indispensables ? L'argument avancé par le Gouvernement instaurant les franchises médicales, selon lequel il faudrait « responsabiliser » les patients face à leur consommation de soins, ne peut évidemment pas tenir pour des personnes atteintes de diabète ou porteurs du sida, pour qui la continuité dans leurs parcours de soins n'est ni un luxe, ni un choix, mais une exigence absolue. Or, la moitié des personnes en ALD atteignent le plafond annuel et contribuent à elles seules à hauteur de 40 % des recettes totales issues des différentes franchises.
Ce sont donc les plus malades, celles et ceux pour qui les soins sont indispensables qui contribuent majoritairement au financement de cette mesure. C'est dire si elles sont injustes.
Elles le sont également dans la mesure où elles s'imposent également à celles et ceux de nos concitoyens, victimes d'accidents médicaux ou de maladies professionnelles. Les salarié(e)s ainsi atteints dans leur chair d'une maladie résultante de leur activité professionnelle, peuvent donc se trouver dans la situation profondément injuste, où ils se trouvent taxés pour des soins rendus indispensables par le non-respect, par leurs employeurs, des obligations spécifiques en matière de protection de la santé. Alors que la responsabilité de la maladie pèse sur les employeurs, ce sont aux salariés qu'incombe le poids financier des franchises sur les soins !
Les différentes franchises médicales sont d'autant plus injustes qu'en réalité, si elles n'ont pas permis de « responsabiliser » les patients face à leur rapport au soins et aux médicaments - ils l'étaient déjà par ailleurs - elles ont malheureusement contribué à accroître les inégalités sociales en santé. C'est en tout cas ce que tendait à démontrer le rapport remis en 2010 par l'institut de recherche et documentation en économie de la santé , intitulé « Les franchises ont-elles modifié les comportements d'achats de médicaments ? » , selon lequel « si 88 % des personnes interrogées dans cette étude ont déclaré ne pas avoir modifié leurs consommations de médicaments, les changements sont plus fréquents chez les individus disposant de faibles ressources et ceux en mauvaise santé ». L'étude conclut clairement que « pour ces deux populations d'individus disposant de faibles ressources et ceux en mauvaise santé, les franchises représentent une charge financière significative ayant pour effet une perte d'accès aux médicaments » . Ainsi, comme le rappelait Marisol TOURAINE elle-même le 10 novembre 2014 : « L'accès aux soins est notre priorité et, je le dis avec force, je ne crois pas à l'idée erronée d'une « responsabilisation » des patients, qui revient à considérer que les malades se soignent par plaisir. Dans le contexte financier contraint que nous connaissons, nous refusons tout transfert de charges vers les patients : ni déremboursement, ni forfait, ni franchise » . La suppression des franchises médicales serait un premier signal important envoyé aux populations qui souffrent.
Les franchises médicales, qu'il s'agisse de la participation forfaitaire sur les médicaments (50 centimes d'euros par boîte), à l'exception de ceux délivrés pendant une hospitalisation, de la participation sur les actes réalisés par les auxiliaires médicaux (50 centimes d'euros par acte) ainsi que celle applicable aux transports sanitaires (2 euros par transport) participent en réalité à écarter des soins publics les plus fragilisés. Parce qu'elles pèsent indistinctement sur les soins primaires comme sur les soins de prévention, les franchises apparaissent comme une taxe sur la maladie et pèsent sur la santé publique de notre pays.
Tout doit être mis en oeuvre pour réduire les inégalités sociales en santé et réduire considérablement les renoncements aux soins pour raisons financières. Celles-ci sont trop importantes pour un pays comme le nôtre, pourvu d'un système de protection sociale à vocation universelle. Nul ne peut accepter que - comme le démontre une étude de l'IRDES intitulé « Le renoncement aux soins pour raisons financières : une approche économétrique » et rendue publique en novembre 2011 - qu'en 2008, 15,4 % de la population adulte ait déclaré « avoir renoncé à des soins médicaux pour des raisons financières au cours des douze derniers mois ». Tout porte à croire que les effets de la crise, l'augmentation de la précarité et du chômage ont encore renforcées ces inégalités.
En 2011, la commission des affaires sociales recommandait la suppression des franchises médicales sur les médicaments au motif que celles-ci n'avaient pas : « modifié les comportements en termes de consommation ». Cette préconisation ne pouvait constituer qu'une première mesure. La logique veut que le raisonnement soit poussé plus loin. Si les franchises médicales n'ont pas eu d'effet sur la consommation de médicaments délivrés par ordonnance c'est que de toute évidence, les participations forfaitaires n'ont pas eu d'effet sur les consultations médicales elles-mêmes, puisque sans consultation, il ne peut y avoir de prescription.
C'est la raison pour laquelle il convient de supprimer l'ensemble des franchises médicales que supportent financièrement les patients.
Tel est le sens de la présente proposition de loi.
Son article 1 er abroge les dispositions du code de la Sécurité sociale prévoyant les franchises médicales et participations forfaitaires et modifie par coordination plusieurs dispositions du même code.
Ses articles 2 et 3 compensent les conséquences financières de la suppression des franchises sur les organismes de sécurité sociale par un relèvement de la contribution additionnelle à la contribution sociale de solidarité sur les sociétés.
Son article 4 prévoit une entrée en vigueur au 1 er janvier 2016. PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
I. - Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Les II et III de l'article L. 322-2 sont supprimés ;
2° L'article L. 322-4 est abrogé ;
3° À la première phrase du I de l'article L. 325-1, les mots : « à l'exception de celles mentionnées aux II et III de cet article » sont supprimés ;
4° Le second alinéa de l'article L. 432-1 est supprimé ;
5° Le premier alinéa de l'article L. 711-7 est supprimé.
II. - Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Au 2° de l'article L. 242-1, les mots : « à condition, lorsque ces contributions financent des garanties portant sur le remboursement ou l'indemnisation de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident, que ces garanties ne couvrent pas la participation mentionnée au II de l'article L.322-2 ou la franchise annuelle prévue au III du même article » sont supprimés ;
2° L'article L. 863-6 est abrogé ;
3° Au premier alinéa de l'article L. 871-1, les mots : « à la condition que les opérations d'assurance concernées ne couvrent pas la participation forfaitaire et la franchise respectivement mentionnées au II et au III de l'article L. 322-2 du présent code et qu'elles respectent les » sont remplacés par les mots : « au respect des ».
Article 2
À la deuxième phrase de l'article L. 245-13 du code de la sécurité sociale, les mots : « est de 0,03 % » sont remplacés par les mots : « ne peut excéder 0,07 % ».
Article 3
Les conséquences financières de la présente loi pour les organismes de sécurité sociale sont compensées à due concurrence par un relèvement du taux de la contribution additionnelle, prévue à l'article L. 245-13 du code de la sécurité sociale, à la contribution de solidarité à la charge des sociétés prévue à l'article L. 651-1 du même code.
Article 4
La présente loi entre en vigueur le 1 er janvier 2016.