N° 372 rectifié
SENAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 7 avril 1998
PROPOSITION DE LOI
tendant à alléger les charges sur les bas salaires,
PRESENTEE
Par MM. Christian PONCELET, Jean-Pierre FOURCADE, Josselin de ROHAN, Maurice BLIN et Henri de RAINCOURT,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des A flaires sociales sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Salaires. - Charges sociales
• Entreprises -
Travailleurs manuels.
EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs.
L'abaissement du coût du travail, plus particulièrement du travail faiblement qualifié, est presque unanimement considéré comme une mesure favorable à l'emploi.
Des sondages réalisés auprès de la population française jusqu'au plan d'action des institutions communautaires, le consensus est de plus en plus fort.
Le 25 mars dernier, la Commission Européenne, dans son rapport sur l'état de la convergence, estimait en effet: « Les marges budgétaires retrouvées doivent être consacrées à la réduction des charges sociales pesant sur les salaires, et en particulier sur les bas salaires. En diminuant le coût du travail, les entreprises seront incitées à embaucher ».
Même le dossier préparatoire à la conférence nationale sur l'emploi, les salaires et le temps de travail du 10 octobre 1997 l'a souligné : "la réduction du coût du travail peu qualifié est très probablement favorable à l'emploi".
En effet, la politique d'allégement des charges sur les bas salaires
initiée par la loi quinquennale sur l'emploi du 20 décembre 1993, et progressivement amplifiée jusqu'à l'institution de la ristourne "fusionnée" de charges sociales par la loi de finances pour 1996, a incontestablement permis de protéger l'emploi peu qualifié.
L'évaluation quantitative de ses effets sur l'emploi est certes délicate, car il s'agit d'une politique généralisée aux salaires inférieurs à un seuil : ainsi, entre le 1er octobre 1996 et le 31 décembre 1997, la ristourne était supérieure à 1.200 francs au niveau du SMIC, et dégressive jusqu'à 1,33 SMIC.
Mais les faits sont là : l'allégement des charges sociales sur les bas salaires a permis de maintenir l'emploi peu qualifié dans un contexte de dure concurrence internationale. Là encore, le dossier préparatoire à la conférence nationale sur l'emploi du 10 octobre 1997 en convient: "outre le développement du temps partiel, la relative bonne résistance de l'emploi dans une conjoncture peu favorable résulte pour partie des premiers effets de la baisse du coût du travail au voisinage du salaire minimum (- 12,6 % depuis 1993").
D'après les travaux menés notamment par le Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts (CSERC), l'allégement des charges sociales sur les bas salaires est susceptible de générer la création d'environ de 60.000 emplois par tranche de 10 milliards de francs, avant prise en compte des effets économiques liés à son financement (1).
L'étude réalisée pour le compte de l'Institut Saint-Simon par M. Thomas Piketty conclut par ailleurs à la nécessité d'« abaisser massivement les prélèvements pesant sur le travail peu qualifié ». L'étude Rexecode conduite par M. François Faure parvient aux mêmes conclusions pour les emplois dans le commerce et l'hôtellerie. Des millions d'emplois, toutes choses restant égales par ailleurs, pourraient ainsi être théoriquement créés dans les secteurs employant une forte proportion de travailleurs peu qualifiés.
Conduite à la demande de la commission des finances de notre Haute Assemblée, une enquête auprès de grands groupes français opérant en France, en Allemagne et au Royaume-Uni illustre clairement le coût relatif des bas salaires pour l'employeur. Le "coût" pour l'entreprise pour un salaire net après cotisations sociales et impôts de 100 F, à un niveau de salaire brut de 6.664 francs, est le suivant :
France |
i Allemagne |
I Royaume-Uni |
|
Salarié célibataire |
176 F |
215 F |
127 F |
Salarié marié avec deux enfants | |
151 F |
148 F |
107 F |
Les comparaisons globales qui font apparaître un coût du travail en France assez comparable à celui de nos partenaires, ne sauraient faire oublier cette spécificité française du coût global élevé du salarié peu qualifié. Abaisser ce coût doit être considéré comme une politique nécessaire.
Un exemple du succès de cette politique réside dans le bilan du plan d'allégement de charges sociales spécifique aux secteurs du textile et de l'habillement, du cuir et de la chaussure, pour lesquels une ristourne dégressive spécifique s'est appliquée jusqu'à 1,5 SMIC, du printemps 1996 à la fin de l'année 1997.
(1) Ce résultat a été confirmé par les évaluations effectuées selon différents modèles et citées par l'instance d'évaluation dans son rapport sur la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle.
Comme le relève le rapport d'information du 30 octobre 1997 de M.Maurice Ligot sur "Le droit communautaire et le dispositif d'allégement des charges sociales dans l'industrie du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure", réalisé au nom de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, "le plan d'aide a permis de freiner les suppressions d'emplois, de les stabiliser, voire d'augmenter légèrement les effectifs".
Ainsi, alors que le secteur du textile allait subir une hémorragie de ses effectifs de l'ordre de 12 % par an en 1996, le plan a permis de stabiliser les emplois au cours du deuxième semestre, et de les accroître légèrement au cours du premier semestre 1997, pour la première fois depuis 15 ans. Parallèlement, les conventions conclues avec les branches concernées ont permis l'embauche de près de 10.000 jeunes en dix-huit mois.
Au-delà de ses effets immédiats incontestablement favorables, la force de la politique d'allégement des charges sur les bas salaires réside avant tout dans la durée et la lisibilité : il s'agit en effet d'une réforme structurelle du coût du travail peu qualifié, que les entreprises doivent pouvoir intégrer dans leurs choix de moyen et long terme. Seule cette permanence permettra d'inverser des arbitrages trop souvent faits, dans notre pays, au profit de la robotisation et au détriment de l'homme.
Or, c'est cette permanence qui est actuellement mise en cause.
En effet, le gouvernement issu des élections du mois de juin 1997 a opéré un freinage sérieux de la ristourne dégressive qui ne s'applique plus, depuis le 1 er janvier 1998, qu'aux salaires inférieurs à 1,3 SMIC et dont le montant est plafonné en valeur absolue à 1.213 francs. Même si le dispositif a été pérennisé, sa remise en cause permanente affaiblit sa crédibilité, donc son efficacité. Le Sénat s'y était d'ailleurs opposé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1998.
Par ailleurs, le plan d'allégement de charges spécifique aux secteurs du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure ayant été déclaré non conforme aux règles de concurrence communautaires par la commission de Bruxelles, son application n'est reconduite en 1998 que pour les entreprises qui percevraient moins de 650.000 francs en deux ans et demi au titre du plan, selon l'application de la règle du "de minimis".
Ainsi, c'est l'ensemble d'une politique de l'emploi qui a fait ses preuves qui se trouve aujourd'hui remise en cause, la priorité gouvernementale étant donnée, désormais, par principe, à la réduction du temps de travail à 35 heures hebdomadaires.
Or. le freinage de l'allégement des charges sur les bas salaires est de nature à compromettre des dizaines de milliers d'emplois : selon l'Union des industries textiles, la France pourrait perdre encore 100.000 emplois en 3 ans dans les secteurs du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure, si rien n'était fait pour soutenir l'emploi non qualifié.
Il importe donc d'agir vite, et fort, tout en respectant les règles imposées par Bruxelles qui condamnerait tout nouveau plan à caractère sectoriel.
C'est dans ce souci que nous avons l'honneur de proposer une nouvelle étape dans la politique d'allégement des charges sociales sur les bas salaires, le coût du travail peu qualifié restant un handicap majeur pour l'emploi en France.
La présente proposition de loi prévoit un allégement des charges généralisé en trois ans en fonction de la proportion de bas salaires et de travailleurs manuels dans l'entreprise, ce qui supprime tout critère sectoriel.
Cet allégement sera progressivement autofinancé par les recettes liées aux emplois créés. Le solde en sera gagé par des économies sur certaines aides à l'emploi. Toutefois, pour des raisons formelles de recevabilité, la présente proposition de loi est gagée par une recette de nature fiscale.
Ce dispositif s'inspire directement des résultats de négociations menées par le précédent gouvernement avec la commission de Bruxelles et qui s'apprêtaient à aboutir favorablement avant la dissolution de l'Assemblée nationale.
Le gouvernement actuel a d'ailleurs partiellement retenu cette double préoccupation : prise en compte spécifique des entreprises de main-d'oeuvre et autofinancement progressif des allégements de charges sociales, mais hélas en limitant son application à la réduction du temps de travail à 35 heures, à travers le projet de loi adopté le 10 février 1998 par l'Assemblée nationale, et uniquement pour financer le surcoût lié au dispositif lui-même, qui a pour effet d'augmenter le coût du travail peu qualifié.
La présente proposition de loi est à la fois plus libérale et plus ambitieuse, car elle donne aux entreprises les moyens de privilégier l'emploi sans leur imposer des contraintes incompatibles avec la concurrence internationale.
PROPOSITION DE LOI
ARTICLE PREMIER
L'Etat peut, à compter du 1 er janvier 1999, conclure avec toutes les branche professionnelles des conventions-cadres relatives au maintien et au développement de l'emploi.
A compter du premier jour du mois suivant la conclusion des conventions susmentionnées, les dispositions de l'article 113 de la loi de finances pour 1996 (n° 95-1346 du 30 décembre 1995) sont applicables dans les conditions suivantes dans les branches concernées :
a) La réduction mentionnée au III de cet article est applicable pour les gains et rémunérations versés, au cours d'un mois civil, inférieurs ou égaux à 169 fois le salaire minimum de croissance majoré de 40 % dans les entreprises dont le produit des deux proportions suivantes est supérieur à 0.36 :
- la proportion de salariés disposant d'un revenu mensuel inférieur à 1.33 x 169 fois le SMIC par rapport au nombre total de salariés,
- la proportion de travailleurs manuels ou d'ouvriers par rapport au nombre total de salariés.
Le montant de la réduction, qui ne peut excéder 1.730 francs par mois, est déterminé par un coefficient fixé par décret ;
b) La réduction mentionnée au III de cet article est applicable pour les gains et rémunérations versés, au cours d'un mois civil, inférieurs ou égaux à 169 fois le salaire minimum de croissance majoré de 36 % dans les entreprises dont le produit des deux proportions suivantes est compris entre 0.36 et 0.20 :
- la proportion de salariés disposant d'un revenu mensuel inférieur à 1.33 x 169 fois le SMIC par rapport au nombre total de salariés,
- la proportion de travailleurs manuels ou d'ouvriers par rapport au nombre total de salariés.
Le montant de la réduction, qui ne peut excéder 1.470 francs par mois, est déterminé par un coefficient fixé par décret ;
c) La réduction mentionnée au III de cet article est applicable pour les gains et rémunérations versés, au cours d'un mois civil, inférieurs ou égaux à 169 fois le salaire minimum de croissance majoré de 33 % dans les entreprises non mentionnées au a) et au b).
Le montant de la réduction, qui ne peut excéder 1.213 francs par mois, est déterminé par un coefficient fixé par décret.
ARTICLE 2
A compter du 1 er janvier 2000, les dispositions de l'article 113 de la loi de finances pour 1996 sont applicables dans les conditions suivantes :
a) La réduction mentionnée au III de cet article
est applicable dans
les branches mentionnées au
b)
de
l'article 1
er
dans les conditions définies au
a)
de l'article 1
er
;
b) La réduction mentionnée au III de cet article
est applicable dans
les branches non mentionnées au
a)
et au
b) de l'article 1
er
dans les conditions
définies au
b)
de l'article 1
er
.
ARTICLE 3
A compter du 1 er janvier 2001, la réduction mentionnée au III de l'article 113 de la loi de finances pour 1996 est applicable dans les branches non mentionnées à l'article 1 er a) et b) dans les conditions définies au a) de l'article 1 er .
ARTICLE 4
Par dérogation aux dispositions de l'article L 131-7 du code de la sécurité sociale, les pertes de recettes résultant pour le régime général de la sécurité sociale de l'application de la présente loi sont compensées à due concurrence, par une taxe additionnelle aux taxes prévues aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.