N° 187
SENAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 février 1999.
PROPOSITION DE LOI
visant à améliorer la protection sociale des salariés et créant des fonds de retraite,
PRÉSENTÉE
Par M. Charles DESCOURS,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Retraite. - Plan de retraite - Code général des impôts.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Le système français de retraite par répartition mis en place à la Libération est le socle historique et consensuel de notre solidarité nationale. Mais chacun connaît la problématique posée par l'avenir de ce système en raison des bouleversements démographiques.
Si l'on considère, comme tout le monde le souhaite, le droit à la retraite pour tous comme un droit acquis et son maintien indispensable, des réformes draconiennes s'imposent. Elles doivent aller dans deux directions :
- il faut avoir le courage de repousser progressivement l'âge de la retraite comme l'ont déjà fait depuis plusieurs années la plupart des pays industrialisés ;
- il faut aussi continuer d'adapter l'évolution des pensions à des indices économiques raisonnables.
Mais, malgré ces réformes souvent difficiles visant à maintenir pour tous un régime de base et un régime complémentaire par répartition, il faudra, pour assurer un revenu décent pour les retraités des années 2010-2015 et au-delà, prévoir une autre source : c'est la création de fonds de retraite que tout le monde sait désormais indispensable sous une forme ou sous une autre.
Il s'agit d'ouvrir une nouvelle possibilité visant à améliorer les conditions de protection sociale des salariés français en matière de retraite. Les retraités d'aujourd'hui n'ont rien à y perdre et ceux de demain ont tout à y gagner.
Tous les salariés du secteur privé (environ 15 millions de personnes) pourront compléter leur pension grâce à un mécanisme facultatif mais attractif de retraite par capitalisation.
Cette innovation sociale leur permettra de ne pas être exclus des mécanismes offerts aujourd'hui aux autres catégories de la population : agriculteurs (COREVA 1957), fonctionnaires (PREFON 1969), artisans, commerçants et professions libérales (loi Madelin 1993).
Le caractère très aigu du problème des retraites et le fait que la capitalisation ne puisse s'envisager que sur le long terme expliquent l'extrême urgence qu'il y a à légiférer.
Il faut tenir compte de la disparité des situations personnelles des salariés (âge, sexe, statut marital, descendance, patrimoine, ancienneté dans l'entreprise, etc.) et ne pas les contraindre par une loi carcan, d'où la nécessaire souplesse du dispositif. Chacun doit pouvoir y avoir accès, quels que soient ses besoins et ses possibilités.
Ce principe doit être une prolongation du principe de l'assurance vieillesse pour tous. Mais il s'agit d'un effort supplémentaire et volontaire qui est demandé aux cotisants. Aussi doit-il être encouragé et soutenu.
Les fonds de retraite que nous proposons répondent à ces critères nouveaux et essentiels de liberté et d'universalité.
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Ces fonds seront facultatifs (art. 1 er ). Les rendre obligatoires reviendrait à augmenter les prélèvements, ce qui ne nous semble pas judicieux et ne correspond pas à la politique que nous souhaitons mener.
Ces fonds seront universels (art. 2-art. 3). Ils doivent être accessibles à tous afin que chaque salarié puisse avoir une retraite décente.
Ils donneront droit, à la cessation d'activité du salarié, au versement d'une rente (art. 4). Si le salarié le souhaite, une petite partie pourra être versée en capital pour lui permettre d'organiser sa nouvelle vie comme il l'entend.
Les salariés doivent être encouragés à s'engager dans ce mode de retraite par capitalisation. Ils le seront par l'abondement de leurs versements par l'employeur (art. 5) et par des incitations fiscales et sociales.
Tout comme les conditions d'adhésion et, partant, les versements (art. 2), les incitations fiscales seront modulables selon les catégories de salariés concernées (art. 7).
S'agissant des cotisations sociales, l'exonération sera totale pour les versements des salariés dont le salaire est inférieur à 1,5 fois le SMIC. Les autres versements de salariés et la contribution de l'employeur seront assujettis à l'assurance vieillesse afin qu'on ne puisse reprocher à la retraite par capitalisation « d'assécher » le régime par répartition (art. 9).
Il importe enfin de rassurer les salariés et l'opinion sur la sécurité de ces fonds en leur faisant oublier certaines expériences malheureuses que tout le monde a en mémoire.
Il faut donc que ces fonds soient totalement indépendants de l'entreprise, gérés par des professionnels de l'assurance, de la mutualité ou de la prévoyance et soumis à des règles prudentielles strictes (art. 10).
S'il est préférable que ces fonds soient gérés par des professionnels, il est tout aussi normal que les adhérents participent à leur suivi dans un comité de surveillance où ils seront représentés paritairement (art. 11).
Ces fonds seront, bien sûr, soumis au contrôle de l'Etat (art. 12).
Enfin, pour éviter des fonds « donnants », une partie sera obligatoirement investie en actions (art. 14).
Basé sur des critères de liberté et d'universalité, soutenu par de fortes incitations fiscales et sociales, ce dispositif devrait permettre de sauver les retraites des salariés français en maintenant le système par répartition fondé par le général de Gaulle et pérenniser une véritable solidarité vieillesse.
En outre, il ne faut pas oublier que l'absence de fonds en France fait peser de lourds inconvénients sur nos entreprises. Celles-ci sont souvent aux mains de fonds de pension étrangers pour partie de leur capital (15 à 40 %), si bien que l'on peut dire aujourd'hui en caricaturant, que les salariés français travaillent pour les retraités américains, n faut sortir de cette aberration qui, à terme, menace notre économie nationale.
C'est pourquoi nous vous demandons de bien vouloir adopter la présente proposition de loi qui vise à l'instituer.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
II est créé, dans les conditions définies par la présente loi, des plans de retraite auxquels les salariés peuvent librement adhérer pour améliorer leur protection sociale.
Ces plans sont gérés par des fonds de retraite.
TITRE PREMIER
LES PLANS DE RETRAITE
Article 2
Tout salarié lié par un contrat de travail de droit privé et relevant d'un régime de retraite complémentaire obligatoire mentionné au titre n du livre IX du code de la sécurité sociale peut adhérer à un plan de retraite dans les conditions définies par la présente loi.
Article 3
Les plans de retraite sont souscrits par l'employeur, ou un groupement d'employeurs, et proposés à l'adhésion de l'ensemble des salariés sur le fondement d'un accord collectif conclu au sein de l'entreprise, dans le cadre de groupements d'entreprises ou à un échelon professionnel ou interprofessionnel.
Les conditions d'adhésion sont définies de façon identique pour des catégories homogènes de salariés.
En cas d'impossibilité de conclure un accord collectif ou, à défaut de conclusion d'un tel accord dans un délai de six mois à compter du début de la négociation, la souscription est faite par l'employeur ou un groupement d'employeurs.
Les salariés employés par une entreprise dans laquelle des plans de retraite ne sont pas proposés au terme d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi peuvent demander leur adhésion à un plan existant dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat.
Article 4
Le plan de retraite ouvre droit, au profit de ses adhérents, au paiement d'une rente viagère à compter de la date de leur cessation définitive d'activité.
A cette date, les adhérents ont également la possibilité d'opter pour un versement unique qui ne peut excéder 20 % de la provision mathématique représentative de leurs droits.
Ils peuvent demander à ce que la rente viagère servie au titre du plan de retraite soit versée, après leur décès, à leur conjoint survivant ou à leurs enfants à charge.
Article 5
Les versements du salarié aux plans de retraite sont facultatifs. Ils peuvent être suspendus ou repris sans pénalité dans des conditions fixées par l'accord collectif visé à l'article 3.
Le versement du salarié est abondé, à due concurrence, par l'employeur, dans la limite de 4 % des rémunérations ou gains perçus par le salarié.
Les salariés peuvent, dans la limite de 25 000 F par an, procéder à des versements au titre des années durant lesquelles ils n'ont pas cotisé à un plan de retraite. Ces versements ne donnent pas lieu à abondement de la part de l'employeur.
Article 6
En cas de rupture du contrat de travail, l'adhérent à un plan de retraite a droit au maintien intégral des droits acquis au titre de ce plan.
En l'absence de rupture du contrat de travail, il peut demander, à l'expiration d'un délai de dix ans à compter de son adhésion, le transfert intégral, sans pénalité, des droits acquis en vertu du plan de retraite sur un autre plan.
Article 7
I. - Le 1° ter de l'article 83 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« 1° ter Les versements des salariés et les contributions complémentaires de l'employeur aux plans de retraite prévus par la loi n°... du ..., à l'exception des versements mentionnés au troisième alinéa de l'article 5 de cette loi et dans la limite, calculée sur trois ans, de 5 % du montant brut de la rémunération pour les salariés âgés de moins de quarante-cinq ans, de 10 % du même montant pour les salariés dont l'âge est compris entre quarante-cinq et cinquante-cinq ans et 15 % pour les salariés âgés de plus de cinquante-cinq ans. »
II - Les pertes de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du I sont compensées, à due concurrence, par une majoration des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Article 8
I. - Il est créé, après l'article 217 septies du code général des impôts, un article ainsi rédigé :
« Art. 217 septies A. - Les versements complémentaires de l'entreprise aux plans de retraite de ses salariés en application de la loi n° ... du ... sont déductibles de son bénéfice pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés. »
II. - Les pertes de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du I sont compensées, à due concurrence, par une majoration des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Article 9
I. - Les versements des salariés aux plans de retraite créés par la loi n° ... du ... sont exonérés de cotisations sociales à l'exclusion de la cotisation due au titre de l'assurance vieillesse. Les versements des salariés dont le salaire est inférieur à 1,5 fois le SMIC bénéficient d'une exonération totale.
II. - L'abondement de l'employeur est exclu de l'assiette des cotisations sociales sauf pour la cotisation due au titre de l'assurance vieillesse.
III. - Les pertes de recettes résultant des I et n pour les orgaismes de sécurité sociale sont compensées, à due concurrence, par une majoration des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
TITRE II - LES FONDS DE RETRAITE
Article 10
Les employeurs souscrivent les plans de retraite auprès de personnes morales dénommées fonds de retraite.
Les fonds de retraite ont pour objet exclusif la gestion des plans de retraite.
Ils sont constitués sous la forme d'une société anonyme d'assurance, d'une société d'assurance mutuelle, d'une institution de prévoyance régie par le titre III du livre IX du code de la sécurité sociale ou d'un organisme mutualiste du code de la mutualité.
Ils sont agréés par le ministre de l'Economie et des Finances.
Lorsque le fonds de retraite est constitué sous forme d'une institution de prévoyance régie par le titre III du livre IX du code de la sécurité sociale, le chapitre II du titre III du livre IX dudit code est applicable aux plans de retraite souscrits auprès de ce fonds.
Lorsque le fonds de retraite est constitué sous une autre forme juridique, les titres I er , III et IV du livre I er et le titre IV du livre IV du code des assurances sont applicables aux plans de retraite souscrits auprès de ce fonds. Toutefois, lorsque le fonds de retraite est constitué sous la forme d'un organisme mutualiste régi par le code de la mutualité, les articles L. 121-2, L. 122-2, L. 122-3 et L. 321-2 dudit code lui demeurent applicables.
Article 11
Un comité de surveillance, composé pour moitié de représentants élus des adhérents du plan de retraite, définit les orientations de gestion du plan.
Les dirigeants du fonds de retraite donnent systématiquement et immédiatement suite à ses demandes d'information sur la gestion du plan.
En cas d'anomalie constatée, le comité de surveillance peut demander à la justice une expertise, dans des conditions définies par décret.
Article 12
Le contrôle de l'Etat sur les fonds de retraite s'exerce dans l'intérêt des adhérents aux plans de retraite. A cette fin, la commission de contrôle des assurances et la commission de contrôle mentionnée à l'article L. 951-1 du code de la sécurité sociale se réunissent et siègent en formation commune.
Article 13
L'article 206 du code général des impôts est complété par un 12° ainsi rédigé :
« 12° Les fonds de retraite créés par la loi n° ... du ... sont assujettis à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun. »
Article 14
Les sommes recueillies par les fonds de retraite sont investies à hauteur minimale de 10 % dans des actions.