Consommation énergétique des bâtiments
N° 74
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 14 novembre 2001
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne (1), en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la performance énergétique des bâtiments (E 1751),
PRÉSENTÉE
Par M. Serge VINÇON,
Sénateur.
(
Renvoyée à la commission des Affaires
économiques et du Plan sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions
prévues par le Règlement).
(1) Cette délégation est composée de
: M. Hubert
Haenel,
président
; M. Denis Badré, Mme Danielle
Bidard-Reydet, MM. Jean-Léonce Dupont, Claude Estier, Jean
François-Poncet, Lucien Lanier,
vice-présidents
; M.
Hubert Durand-Chastel,
secrétaires
; MM. Bernard Angels,
Robert Badinter, Jacques Bellanger, Jean Bizet, Maurice Blin, Gilbert Chabroux,
Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Mme Michelle Demessine, MM. Marcel Deneux,
Jean-Paul Émin, Pierre Fauchon, André Ferrand, Philippe
François, Emmanuel Hamel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Aymeri de
Montesquiou, Jacques Oudin, Simon Sutour, Jean-Marie Vanlerenberghe, Paul
Vergès, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.
Union européenne.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs
Le texte
E 1751 s'inscrit dans le prolongement du Livre Vert intitulé
«
Vers une stratégie européenne de
sécurité d'approvisionnement
énergétique
», présenté par la
Commission le 29 novembre 2000, dans lequel elle soulignait les
perspectives de dépendance énergétique croissante de
l'Union vis-à-vis des productions extérieures. Observant par
ailleurs l'impérieuse nécessité de limiter les
émissions de gaz à effet de serre dans le cadre des engagements
de réduction pris à Kyoto, elle concluait à
l'utilité de promouvoir les économies d'énergie dans les
secteurs du bâtiment et des transports.
Le présent texte propose donc un programme de
limitation de la
consommation énergétique dans les bâtiments
,
considérant que près de 41 % de la demande totale
d'énergie sont consacrés aux secteurs résidentiel et
tertiaire, et que le chauffage des locaux, la production d'eau chaude,
l'éclairage et la climatisation absorbent la majeure partie de cette
consommation.
Le dispositif présenté organise quatre séries
d'obligations pour les États membres :
1/ Établir une
méthodologie de calcul
de la
performance énergétique des bâtiments, conforme au cadre
général qu'il détermine, cette performance devant
être « clairement et simplement
exprimée » ;
2/ Appliquer des
normes minimales de performance
énergétique
aux bâtiments neufs et à ceux de
plus de 1000 m2 faisant l'objet d'opérations de rénovation, ces
normes devant être mises à jour tous les cinq ans au moins pour
tenir compte des progrès techniques ;
3/ Mettre en place un
système de certification
pour
l'ensemble des bâtiments, destiné à établir un
document descriptif de leur performance énergétique. Celui-ci
devra être présenté au locataire ou à l'acheteur du
bien privé, d'une part, ou être affiché dans les
bâtiments publics, d'autre part ;
4/ Imposer une
obligation de contrôle
et d'évaluation
spécifiques des chaudières et des installations de climatisation.
La Commission considère qu'il serait possible d'économiser
environ 22 % de la consommation actuelle d'ici 2010 par la mise en oeuvre
des mesures qu'elle préconise.
*
On ne
peut qu'être très perplexe devant cette proposition, dont les
intentions sont certes louables, mais qui semble d'un niveau d'exigence
excessif.
D'abord, le bien-fondé d'une intervention communautaire en la
matière n'est pas avéré. Les caractéristiques de
chauffage des bâtiments dépendent en effet étroitement des
conditions climatiques locales observées dans chaque État membre
et le problème ne se pose à l'évidence pas dans les
mêmes termes suivant que l'on se trouve aujourd'hui à
Athènes ou à Stockholm et demain, à Nicosie ou à
Tallin.
Conformément au principe de subsidiarité affirmé par
l'article 5 du Traité instituant la Communauté européenne,
l'action de l'Union ne se justifie que lorsque l'intervention des États
membres ne serait pas suffisante pour atteindre le but poursuivi. Ce n'est,
ici, pas le cas, d'autant que si l'on en croit l'exposé des motifs, dix
États membres (dont la France) ont d'ores et déjà mis en
oeuvre des dispositifs nationaux d'inspiration proche.
Par ailleurs, sur le fond, il n'est pas patent qu'il soit facile et
techniquement réalisable de mettre en oeuvre les différentes
obligations, notamment celle de certification et de contrôle
précédemment évoquées.
Le texte prévoit en effet «
que des certificats de
performance énergétique datant de moins de cinq ans doivent
être mis à la disposition des acheteurs et des locataires de
bâtiments neufs ou existants sur le lieu de construction, de vente ou de
location. Pour les bâtiments publics et autres bâtiments
fréquentés par le public, cette certification doit être
renouvelée au moins tous les cinq ans et les certificats de performance
énergétique doivent être affichés de manière
visible pour le public. En outre, pour ces bâtiments publics, les
températures intérieures recommandées et, le cas
échéant, d'autres données relatives au confort d'ambiance,
ainsi que les relevés des températures intérieures et des
données relatives au confort d'ambiance effectives doivent faire l'objet
d'un affichage visible
».
Prenons l'exemple du vendeur d'un bien immobilier français. Celui-ci
doit déjà remettre au candidat acheteur le métrage exact
de son bien, un certificat attestant l'absence d'amiante, un contrôle de
la teneur en plomb des lieux et de la présence éventuelle de
termites. Il s'agirait donc, ici, d'ajouter une contrainte
supplémentaire, en l'occurrence un document technique d'une lecture
probablement complexe. Dans le même sens, on voit mal
l'intérêt que présente, pour l'usager d'un bureau de poste
ou d'un cinéma, l'affichage des performances énergétiques
du local qu'il fréquente quelques instants.
Par ailleurs, pour ce qui concerne les exigences spécifiques
liées au contrôle régulier des chaudières et
systèmes de climatisation, il n'apparaît pas évident
d'admettre que ce niveau de détail d'application des mesures requiert
l'intervention d'une directive européenne. Rappelons que, selon le
Traité de Rome, le principe originel de la directive est de lier
«
tout État membre destinataire quant au résultat
à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la
compétence quant à la forme et quant aux moyens
».
Enfin, toutes ces mesures ont un coût, sûrement non
négligeable bien que non chiffré, d'autant que le texte oblige
les États membres à «
mettre en place un
système garantissant que la certification et le contrôle sont
effectués par du personnel qualifié et
indépendant
». Il conviendrait sans doute de le rapprocher
du niveau des économies escomptées par ce dispositif pour
apprécier l'utilité de celui-ci.
Pour tous ces motifs, la délégation s'est déclarée
hostile à l'adoption pure et simple de ce texte en l'état, non
pas qu'il pose des difficultés pour notre pays, mais pour des questions
de principe, et a conclu au dépôt de la proposition de
résolution suivante :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le
Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur
la performance énergétique des bâtiments (E 1751),
Vu l'article 5 du traité instituant la Communauté
européenne, posant le principe de subsidiarité de l'action
communautaire ;
Considère qu'il n'est pas démontré que le contrôle
de la performance énergétique des bâtiments, tant publics
que privés, nécessite l'intervention de la
Communauté ; que, bien au contraire, les États membres sont
mieux à même d'apprécier, compte tenu des conditions
climatiques locales, le bien-fondé des mesures à prendre pour
limiter leur consommation énergétique ;
S'interroge, par ailleurs, sur la faisabilité technique du
système de certification des bâtiments et de contrôle des
installations de chauffage et de climatisation envisagé par le
présent texte ;
Demande en conséquence au Gouvernement :
- de s'opposer à l'adoption de cette proposition de directive en
l'état ;
- de suggérer à la Commission, compte tenu de
l'intérêt financier et environnemental incontestable qui s'attache
à limiter la consommation énergétique européenne,
qu'elle procède par voie de recommandation en ce sens aux États
membres.