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N° 459
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er mars 2012 |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUATER DU RÈGLEMENT,
sur le projet de création du Fonds européen pour la démocratie ,
PRÉSENTÉE
Par Mme Bernadette BOURZAI,
Sénatrice
(Envoyée à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.)
(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM. Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, François Marc, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le Parlement européen a présenté en juillet dernier une proposition de recommandation à l'intention du Conseil sur la création d'un Fonds européen pour la démocratie. Ce projet répond à une initiative du ministre polonais des affaires étrangères, également appuyée par le Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité
Ce Fonds européen pour la démocratie, institué par une convention internationale signée par l'Union européenne, ses États membres et d'autres États européens, accorderait des financements à des partis politiques, des organisations non gouvernementales et d'autres institutions impliquées dans le soutien aux processus démocratiques, à la protection des droits de l'Homme et des minorités défavorisées, au journalisme indépendant et au développement des organisations de la société civile au sein d'États extérieurs à l'Union européenne. Le financement serait assuré par les contributions des parties. Un comité des représentants des parties et un conseil composé d'anciens responsables européens et de personnalités qualifiées seraient en charge de la gouvernance de ce Fonds.
Sa dotation globale pourrait s'élever à 100 millions d'euros par an.
1. Un énième instrument de l'Union européenne en faveur des droits de l'Homme ?
L'institution de ce fonds n'est pas sans susciter d'interrogations, tant de nombreux programmes existent déjà dans ce domaine à l'image de l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'Homme (IEDDH), de l'Instrument de coopération au développement pour les acteurs non-étatiques et les autorités locales, de l'instrument de stabilité, de la facilité pour la société civile, de la fondation Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures ou du Fonds pour la démocratie des Nations unies.
Programmes de l'Union européenne et instruments en faveur de la promotion des droits de l'Homme et de l'État de droit
Programme |
Domaine de compétence |
Régions concernées |
Dotation
|
Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'Homme (IEDDH) |
- Renforcer la démocratie, la bonne gouvernance et l'État de droit (soutien au pluralisme politique, à la liberté de la presse et au bon fonctionnement de la justice) ; - Abolir la peine de mort là où elle est encore en vigueur ; - Combattre la torture par des mesures préventives (formation et éducation de la police) et des mesures pénales (établissement de cours pénales et de tribunaux internationaux) ; - Lutter contre le racisme et la discrimination en garantissant le respect des droits civils et politiques. |
Monde entier |
1 100 (2007-2013) |
Instrument de stabilité |
- Court terme : Rétablissement de la stabilité en cas de situations d'urgence, de crise ou de crise émergente ; - Long terme : Renforcement de la capacité de préparation des pays tiers face aux crises et aux menaces mondiales et transrégionales ; |
- Pays partenaires de l'Union européenne |
- Volet à court terme : 1487 (2007-2013) - Volet à long terme : 484 (2007-2013) |
Facilité pour la société civile |
- Renforcement de la capacité de la société civile pour promouvoir les réformes ; - Renforcement des acteurs non-étatiques ; - Améliorer l'implication des acteurs non-étatiques dans le dialogue politique au niveau national et dans la mise en oeuvre des programmes bilatéraux |
- Voisinage Est : Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie, Ukraine ; - Voisinage Sud : Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Lybie, Maroc, Syrie, Territoires palestiniens, Tunisie |
- Voisinage Est : 11 (2011) - Voisinage Sud : 11 (2011) |
Fondation Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures |
- Soutien à l'action de la société civile dans les domaines jugés essentiels au dialogue humain et social |
- Région euro-méditerranéenne |
7 (2008-2010) |
Dans son projet de recommandation, le Parlement européen considère néanmoins que l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'Homme (IEDDH) n'a pas totalement réussi dans sa mission de soutien aux changements démocratiques au sein des pays tiers et appelle de ses voeux la mise en place d'un instrument plus souple et moins bureaucratique dans ce domaine.
Il paraît cependant paradoxal de juger que la solution aux insuffisances d'un premier instrument est de le doubler par un second doté de moyens quasiment équivalents pour les mêmes objectifs .
2. Une remise en cause du partenariat entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe ?
- Le Fonds européen pour la démocratie répond aux mêmes objectifs que le Conseil de l'Europe
La création du Fonds laisse songeur au regard de la coopération supposée entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, qui dispose à la fois de la légitimité et de l'expertise en matière de soutien à la démocratie. Il convient ainsi de rappeler que c'est au sein de cette Organisation que le premier élargissement a eu lieu au milieu des années quatre-vingt dix avec l'accueil des anciens satellites de l'Union soviétique puis de la Russie elle-même. La plupart de ces pays font encore l'objet de procédures de suivi ( monitoring ) qui pointent régulièrement les réformes restant à mener dans ces pays pour améliorer le cadre démocratique. Le Conseil de l'Europe y apporte son soutien aux défenseurs des droits de l'Homme et de l'État de droit. Il n'hésite pas à prendre des positions fortes à ce sujet comme en témoigne la résolution adoptée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur les institutions démocratiques en Ukraine le 26 janvier dernier.
Le Conseil de l'Europe détient, de fait, une compétence territoriale extrêmement large, puisque la Convention européenne des droits de l'Homme s'applique de l'Atlantique au Caucase. Il convient de noter, en outre, que l'attrait pour cette Organisation demeure extrêmement fort au sein des pays tiers. Les demandes d'octroi du statut de partenaire pour la démocratie formulées par le Maroc, les Territoires palestiniens, la Tunisie, la Jordanie ou le Kirghizstan auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) en témoignent. Ce statut permet aux parlements de ces États de bénéficier d'une coopération renforcée avec les structures du Conseil.
Au-delà de cette coopération avec les institutions d'autres États, le Conseil de l'Europe a su nouer de nombreux liens avec la société civile, à l'image du soutien qu'elle apporte aux opposants biélorusses.
Il convient également de rappeler que le Conseil de l'Europe est la seule institution internationale à avoir accordé un statut de partenaire à 400 organisations non gouvernementales internationales, par l'intermédiaire de la Conférence des OING, créée en 2005.
- Le Fonds européen pour la démocratie apparaît comme une nouvelle manifestation du souhait de l'Union européenne de se doter d'instruments identiques à ceux du Conseil de l'Europe
La création du Fonds européen pour la démocratie viendrait renforcer un sentiment de concurrence entre les deux Organisations, alors même que l'Union européenne s'était engagée à renforcer ses liens avec le Conseil de l'Europe.
Le cadre des relations entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe a, en effet, été rénové à la suite du troisième sommet des chefs d'État et de gouvernement des États membres du Conseil de l'Europe, réuni à Varsovie, en mai 2005 et la publication en avril 2006 du rapport du Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude JUNCKER « Conseil de l'Europe -Union européenne : une même ambition pour le continent européen ». Ce document formule quinze recommandations parmi lesquelles :
- la reconnaissance par l'Union du Conseil de l'Europe, et notamment de son Commissaire aux droits de l'Homme, comme référence continentale en matière de droit de l'Homme ;
- le développement d'un dispositif de promotion et de renforcement de a démocratie en liaison avec la Commission de Venise du Conseil de l'Europe ;
- la mise en oeuvre d'un espace juridique et judiciaire paneuropéen, espace normatif minimal fondé pour partie sur les travaux d'organes du Conseil de l'Europe : la Commission de Venise, la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) ou le Groupement des États contre la corruption (GRECO) ;
- le renforcement des réunions entre les directions des deux Organisations.
Un mémorandum d'accord entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe adopté le 30 mai 2007 a repris certaines recommandations du rapport Juncker et préconise le développement des relations dans sept domaines d'intérêt commun : droits de l'Homme et libertés fondamentales ; prééminence du droit ; coopération juridique et réponse aux nouveaux défis ; démocratie et bonne gouvernance ; stabilité démocratique ; dialogue interculturel et diversité culturelle.
Ce document venait renforcer une coopération déjà incarnée par la mise en place en 1993 des programmes conjoints. En 2011, 56 programmes conjoints ont ainsi été conduits, 7 dans le domaine des droits de l'Homme, 20 dans celui de l'État et 29 dans celui de la démocratie. L'Union européenne assure environ 82 % du financement de ces programmes soit environ 60 millions d'euros, par l'intermédiaire notamment de l'Instrument d'aide à la préadhésion et l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'Homme (IEDDH). Plusieurs de ces programmes recoupent évidemment les objectifs du futur Fonds européen pour la démocratie.
Les récentes déclarations de la commissaire en charge de l'Agenda numérique appelant le Conseil de l'Europe à émettre un avis sur la législation hongroise sur les médias peuvent laisser penser que la coopération entre les deux Organisations est pertinente.
Le Fonds européen pour la démocratie apparaît pourtant comme une remise en cause de cette collaboration supposée entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. La création en 2007, par l'Union européenne, d'une Agence européenne des droits fondamentaux avait déjà été appréhendée comme la mise en place d'une structure concurrençant les travaux du Conseil de l'Europe. L'accord de coopération entre l'Agence et le Conseil signé le 15 juillet 2008 a, néanmoins, permis de limiter le risque de chevauchement entre les deux institutions. L'Agence n'a toutefois pas été mise à la disposition du Conseil de l'Europe comme elle l'est de l'Union européenne. Il convient de rappeler en outre que les rapports de cette Agence ne sont disponibles qu'en anglais. Son budget annuel est pourtant supérieur à celui de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (20 millions d'euros contre 15) dont tous les documents sont traduits en français.
L'ouverture en juin 2010 par l'Union européenne d'un Institut européen pour l'égalité des sexes à Vilnius a également pu créer un certain étonnement, tant le Conseil de l'Europe a su développer depuis de nombreuses années des programmes pertinents et reconnus en la matière.
Plus récemment, la création d'une Assemblée parlementaire multilatérale EuroNest, dans le cadre du Partenariat oriental de l'Union européenne n'avait pas été non plus sans susciter des doutes sur la réalité du partenariat entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. Cette nouvelle institution, dont la première session s'est tenue le 3 mai dernier, réunit 60 membres du Parlement européen et 10 membres de chacune des 5 délégations des pays adhérant au Partenariat oriental (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie, Moldavie et Ukraine). L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe réunit pourtant déjà les représentants des pays membres de l'Union européenne et ceux concernés par le Partenariat oriental. On relèvera également le projet du Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de créer un poste de Représentant spécial de l'Union européenne sur les droits de l'Homme qui viendrait concurrencer directement le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe.
- Un coût indéniable pour le contribuable européen
Avec une dotation annuelle de 100 millions d'euros, le Fonds européen pour la démocratie constitue une nouvelle charge pour le contribuable européen, alors même que les objectifs de ce Fonds ne sont pas sans rappeler ceux de divers instruments de l'Union européenne ou ceux du Conseil de l'Europe. Alors que l'Union européenne se dote d'un cadre destiné à renforcer la discipline budgétaire des États membres, l'ouverture de cette nouvelle ligne de crédits peut apparaître paradoxale.
Les commissions des affaires européennes et des finances du Sénat avaient dénoncé en octobre 2009 le phénomène d'agenciarisation de l'Union européenne, pointant l'absence de cohérence d'ensemble. Le cas du Fonds européen pour la démocratie apparait comme une nouvelle illustration de ce phénomène. Les deux commissions appelaient à un encadrement plus strict de ces structures au stade de leur création comme dans leur fonctionnement.
Alors que les États membres du Conseil de l'Europe, dont les 28 de l'Union européenne, soulignent régulièrement que cette Organisation doit s'imposer une cure d'austérité budgétaire, il est, par ailleurs, regrettable de constater que cette politique de rigueur ne s'applique pas dès lors qu'il s'agit de créer un nouvel outil communautaire, dont le coût à lui seul, représenterait bien plus que les économies demandées au Conseil de l'Europe.
Au regard de ces observations, la commission des affaires européennes a conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution européenne suivante :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
Le Sénat
Vu l'article 88-4 de la Constitution ;
Vu la proposition de recommandation du Parlement européen à l'intention du Conseil sur les modalités de l'éventuelle création d'un Fonds européen pour la démocratie ;
Vu le Mémorandum d'accord entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne du 30 mai 2007 ;
Vu le Règlement CE n° 1889/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 instituant un instrument financier pour la promotion de la démocratie et des droits de l'Homme dans le monde ;
S'interroge sur l'opportunité de la création d'un Fonds européen pour la démocratie dont les objectifs sont déjà poursuivis par plusieurs instruments de l'Union européenne, en particulier l'instrument financier pour la promotion de la démocratie et des droits de l'homme dans le monde ;
Constate que ce nouvel instrument viendrait concurrencer une nouvelle fois les activités du Conseil de l'Europe, alors même que l'Union européenne s'était engagée en 2007 à nouer un partenariat avec cette Organisation, dont la compétence en matière de droits de l'Homme est unanimement reconnue ;
Rappelle le coût budgétaire de la création d'un Fonds dont la valeur ajoutée demeure incertaine ;
Craint que l'ajout d'un nouvel outil trouble un peu plus la lisibilité de l'action de l'Union européenne en matière de droits de l'Homme.
Invite en conséquence le Gouvernement à :
- ne pas soutenir plus avant ce projet ;
- encourager l'Union européenne à rationaliser son action en matière de défense des droits de l'Homme en réformant si nécessaire l'instrument financier pour la promotion de la démocratie et des droits de l'Homme dans le monde, jugé insuffisamment souple par les promoteurs du Fonds européen pour la démocratie ;
- oeuvrer pour que le mémorandum d'accord entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe adopté le 30 mai 2007 soit pleinement mis en application.