N°87
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 25 novembre 1998
PROPOSITION DE RESOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT,
sur la communication de la Commission : proposition de lignes directrices pour les politiques de l'emploi des Etats membres pour 1999 (n° E-1171),
par M. Michel BARNIER,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires sociales sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Union européenne. - Emploi.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le traité d'Amsterdam a introduit dans le traité instituant la Communauté européenne un titre nouveau consacré à l'emploi. Il prévoit que les Etats membres considèrent la promotion de l'emploi comme une question d'intérêt commun et qu'ils coordonnent au sein du Conseil leur action dans ce domaine.
Les principaux aspects de la procédure sont les suivants :
- le Conseil européen examine, chaque année, la situation de l'emploi dans la Communauté et adopte des conclusions à ce sujet en s'appuyant sur un rapport conjoint du Conseil et de la Commission ;
- sur cette base, le Conseil, statuant a la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, adopte chaque année des « lignes directrices » dont les Etats membres « tiennent compte » dans leurs politiques de l'emploi ;
- chaque Etat membre transmet au Conseil et à la Commission un rapport annuel sur la politique de l'emploi qu'il a menée « à la lumière » de ces « lignes directrices » ;
- le Conseil procède, chaque année, à un examen des politiques de l'emploi sur la base de ces rapports ; il peut, à cette occasion, adopter à la majorité qualifiée, des recommandations aux Etats membres.
Par ailleurs, le Conseil peut, en codécision avec le Parlement européen, adopter des « actions d'encouragement » destinées à développer les échanges d'informations et à favoriser des expériences pilotes.
Le Conseil européen de Luxembourg (novembre 1997) a décidé d'appliquer par anticipation les dispositions du traité relatives à la coordination des politiques de l'emploi. Dans le cadre de cet arrangement pragmatique, la procédure fonctionne par consensus entre les Etats membres. Les premières lignes directrices ont été définies à la fin 1997 ; les « plans nationaux d'action pour l'emploi » de chaque Etat membre ont été communiqués au printemps 1998.
S'appuyant notamment sur les rapports de mise en oeuvre élaborés par les Etats membres, la Commission européenne a récemment présenté un projet de lignes directrices pour 1999.
Ce projet a été considéré par le Gouvernement comme une proposition d'acte communautaire entrant dans le domaine législatif et a donc été soumis aux deux assemblées dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution.
Ce texte a été transmis au Sénat le 10 novembre ; son adoption par le Conseil est prévue pour le début du mois de janvier. Cependant, le Conseil européen de Vienne, les 11 et 12 décembre, sera, à l'évidence, le moment le plus important de la réflexion communautaire sur l'emploi.
Il importe donc que le Sénat se prononce rapidement, s'il souhaite prendre position. La présente proposition de résolution a pour but de lancer le débat et de rendre possible une intervention de la Haute Assemblée.
Le contenu des lignes directrices proposées par la Commission paraît, dans l'ensemble, bien adapté à la problématique de l'emploi telle qu'elle se présente dans la Communauté et singulièrement en France.
En effet, le texte de la Commission européenne n'aborde pas seulement la question de l'insertion professionnelle (titre premier des lignes directrices), mais traite également des obstacles à la création d'emplois (titre II) et des moyens de prévenir la suppression d'emplois (titre III).
Or, les comparaisons internationales montrent que la Communauté rencontre effectivement des difficultés spécifiques en matière d'emploi, ce qui suggère qu'une amélioration des conditions d'insertion professionnelle ne peut constituer une approche suffisante.
La Communauté se caractérise tout d'abord par un taux de chômage élevé (10 %), qui est le double de celui observé aux Etats-Unis et plus du double de celui observé au Japon. Parallèlement, le taux d'emploi (c'est-à-dire le rapport entre le nombre de personnes en âge de travailler et le nombre d'emplois) est bien plus faible dans la Communauté (où il est de l'ordre de 60 %), qu'aux Etats-Unis et au Japon (où il est d'environ 75 %), ce qui traduit le fait que nombre de pays européens ont cherché à diminuer le taux de chômage affiché, en obtenant qu'une large partie des jeunes de moins de 25 ans (par le prolongement des formations) et une forte proportion des personnes de plus de 55 ans (par le développement des systèmes de préretraite) s'abstiennent de chercher un emploi.
Il convient de noter que cette situation, globalement défavorable, ne témoigne pas d'une « fatalité européenne », puisque la moyenne européenne recouvre de grandes différences entre les pays membres. Plusieurs Etats membres -le Danemark, le Royaume-Uni, l'Autriche- connaissent un taux de chômage de l'ordre de 6 % et un taux d'emploi supérieur à 70 %. La France se situe dans la moyenne européenne pour ce qui est du taux d'emploi ; en ce qui concerne le chômage, les résultats français sont moins bons que la moyenne (avec un taux de chômage de 12 %, la France compte 20 % de chômeurs de plus que la moyenne communautaire).
La situation globalement défavorable que connaît la Communauté en matière d'emploi est donc partiellement liée à des pesanteurs structurelles ; la Commission européenne est fondée à demander aux Etats membres d'entreprendre de les corriger.
• La première grande orientation
suggérée par la Commission, est
d'améliorer la
capacité d'insertion professionnelle
ou «
employabilité ». Les principaux objectifs regroupés sous
cette rubrique sont :
- d'offrir un « un nouveau départ » à tout jeune chômeur avant qu'il n'atteigne six mois de chômage, et à tout chômeur adulte avant douze mois de chômage ;
- de privilégier les mesures « actives » favorisant l'insertion professionnelle, par rapport aux dépenses « passives » d'indemnisation ;
- de réexaminer ce qui, dans les régimes fiscaux et les mécanismes d'indemnisation, a des effets dissuasifs sur le retour à l'emploi ;
- de «réévaluer d'une manière critique» les incitations à la cessation anticipée d'activité ;
- de développer les « possibilités d'apprentissage tout au long de la vie, notamment dans les domaines des technologies de l'information et de la communication »;
- de limiter les sorties prématurées du système éducatif et d'améliorer la capacité des jeunes à s'adapter aux mutations technologiques et aux évolutions du marché du travail, notamment par le développement de l'apprentissage ;
- d'accorder une attention particulière aux besoins des «personnes handicapées, des minorités ethniques et des autres groupes et individus défavorisés ».
Ces orientations paraissent judicieuses, en particulier quant à la priorité accordée à l'incitation au retour à l'emploi. A cet égard, il paraît souhaitable de souligner la nécessité de s'efforcer de réduire les obstacles à la mobilité géographique des demandeurs d'emploi. Par ailleurs, compte tenu de la situation de l'emploi dans la majorité des Etats membres, il doit être précisé que les mesures d'incitation au retour à remploi doivent concerner prioritairement les chômeurs (alors que le texte de la Commission met sur le même plan chômeurs et inactifs).
L'idée d'un examen critique des mécanismes de cessation d'activité anticipée paraît également justifiée : en effet, contrairement aux effets attendus de ces dispositifs, on ne peut établir une corrélation claire entre leur mise en oeuvre et un abaissement du taux de chômage, peut-être en raison de leur coût élevé, se traduisant par des prélèvements obligatoires pénalisants. Il paraît nécessaire, en tout état de cause, que le Parlement soit mieux informé du coût et des effets de ces mesures dans le cas de la France où elles sont particulièrement développées (le taux d'activité des 55-64 ans étant inférieur à 30 % dans notre pays).
L'accent mis sur la formation continue et l'apprentissage, ainsi que la volonté d'éviter les sorties sans qualification du système éducatif, doivent être approuvés, mais devraient être complétés, du moins dans le cas de la France, par l'objectif d'améliorer l'efficacité du système d'orientation scolaire et universitaire.
Enfin, l'attention particulière portée aux publics défavorisés ne doit pas se traduire par l'introduction dans notre droit de la notion de « minorité ethnique » qui n'est pas compatible avec notre conception républicaine des Droits de l'Homme.
• La deuxième grande : orientation
proposée est le
développement de l'esprit d'entreprise,
notamment par
la diminution des obstacles à la création
d'entreprises et l'abaissement des charges de toutes natures pesant sur les
PME.
La Commission suggère dans le même sens une meilleure exploitation des possibilités de développement des emplois de proximité, ainsi que l'élimination des entraves à l'essor des emplois liés à la société de l'information.
Enfin, elle demande aux Etats membres de rendre le système fiscal plus favorable à l'emploi, en renversant «la tendance de long terme à l'alourdissement de la fiscalité et des prélèvements obligatoires sur le travail ». Concrètement, chaque Etat membre devrait fixer un objectif de réduction progressive de la charge fiscale totale et, en particulier, un objectif de réduction progressive de la pression fiscale sur le travail et des coûts non-salariaux du travail. A cet égard, la Commission suggère le remplacement d'une partie des prélèvements assis sur le travail par une taxe sur l'énergie ou sur les émissions polluantes.
La démarche de la Commission paraît particulièrement justifiée dans le cas de la France, qui connaît une situation préoccupante en matière de création d'entreprises et qui fait partie des Etats membres où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés. Le texte de la Commission européenne appelle cependant certaines précisions.
Tout d'abord, il convient non seulement de lever les obstacles à la création d'entreprises, mais aussi, dans le même ordre d'idées, de réduire la difficulté de la transmission des PME qui pose souvent des problèmes analogues.
Ensuite, parmi les mesures fiscales de nature à favoriser l'emploi, devrait être mentionnée la réduction éventuelle de la TVA sur les services à forte intensité de main-d'oeuvre et peu exposés à la concurrence transfrontalière.
Par ailleurs, si l'introduction d'une taxe sur l'énergie ou sur les émissions polluantes peut être défendue au nom d'impératifs environnementaux, elle ne paraît cependant pas pouvoir constituer une alternative réaliste aux modes actuels de financement des systèmes de sécurité sociale.
- La troisième grande orientation est le renforcement de la capacité d'adaptation des entreprises et de leurs travailleurs. Elle se traduit, dans le texte de la Commission, par trois principales suggestions :
- la négociation -par les partenaires sociaux «à tous les niveaux appropriés » d'accords tendant à moderniser l'organisation du travail pour atteindre «r l'équilibre nécessaire entre souplesse et sécurité » ;
- l'adaptation par les Etats de la législation du travail afin de définir des types de contrat « plus adaptables », de manière à tenir compte du fait que «l'emploi revêt des formes de plus en plus diverses » ;
- la réduction des obstacles au développement de la formation en entreprise et, plus généralement, à l'amélioration de la capacité des marchés du travail à s'adapter aux changements structurels.
Il est intéressant de noter que, à fort juste titre, la Commission européenne renvoie aux partenaires sociaux - seuls mentionnés à la ligne directrice 15 - la responsabilité d'assurer par la négociation, aux différents échelons appropriés, la modernisation de l'organisation du travail, notamment en ce qui concerne « l 9 amélioration du temps de travail, la réduction du temps de travail, la réduction des heures supplémentaires, le développement du travail à temps partiels, la formation tout au long de la vie et les interruptions de carrière ». Cela revient à reconnaître implicitement que l'intervention de l'Etat dans ces domaines doit être placée sous le principe de subsidiarité : ce n'est qu'en cas de carence durable des partenaires sociaux qu'une intervention de l'Etat est légitime, et à la condition d'éviter les formules exagérément rigides et uniformes. L'isolement du Gouvernement français dans le choix d'une approche autoritaire et générale de la réduction du temps de travail apparaît ainsi clairement. L'examen des lignes directrices pour l'emploi doit être l'occasion pour le Sénat de souligner, une fois de plus, les dangers du « cavalier seul » national dans ce domaine, et l'inadaptation de la formule retenue aux caractéristiques d'une économie immergée dans un grand marché unique.
Par ailleurs, pour favoriser les évolutions recommandées par la Commission européenne en matière de législation sur les types de contrat de travail, on peut estimer que la définition à l'échelon européen de formules de référence, de valeur indicative, pourrait avoir un effet d'entraînement et favoriser une convergence spontanée des législations.
• La dernière grande orientation retenue par la Commission européenne concerne l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. La Commission demande en particulier aux Etats membres d'agir contre la sous-représentation des femmes dans certaines professions et leur sur-représentation dans d'autres. Pour favoriser une augmentation globale de l'emploi des femmes, elle préconise notamment des mesures facilitant la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, ainsi que la reprise de la vie active rémunérée après une interruption.
C'est à juste raison que la Commission Insiste sur la nécessité d'une politique familiale ambitieuse pour assurer l'égal accès à l'emploi entre les hommes et les femmes, et d'une manière plus générale entre les personnes ayant des enfants ou des ascendants à charge et les autres. Les suggestions annoncées ne paraissent pas d'appeler d'autre observation que la nécessité pour les Etats membres de les mettre en oeuvre avec détermination, compte tenu, par ailleurs, de la situation démographique préoccupante de la Communauté.
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Au total, sous réserve de certaines précisions et de certains compléments, les « lignes directrices » proposées par la Commission européenne méritent d'être approuvées et il paraît souhaitable que le Sénat incite le Gouvernement à les soutenir et à les mettre en oeuvre.
C'est pourquoi il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution qui suit :
PROPOSITION DE RESOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition d'acte communautaire E 1171 : proposition de lignes directrices pour les politiques de l'emploi des Etats membres pour 1999 (COM (1998) 574 final),
Invite le Gouvernement à approuver les orientations proposées par la Commission européenne sous les réserves suivantes :
- les mesures destinées à inciter réellement les personnes sans emploi à chercher et à saisir les possibilités d'emploi ou de formation (ligne directrice 4) doivent concerner prioritairement les chômeurs ;
- le réexamen des mesures incitant les travailleurs à quitter relativement tôt le monde du travail (ligne directrice 4) doit se traduire par le dépôt, avant la fin de la session ordinaire 1998-1999, d'un rapport au Parlement sur le coût et les effets de ces mesures dans le cas de la France;
- la ligne directrice 4 doit reconnaître la nécessité de prendre des mesures pour réduire les obstacles à la mobilité géographique des demandeurs d'emploi ;
- la ligne directrice 8 doit mentionner également le réexamen des dispositifs d'orientation scolaire et universitaire ;
-dans la ligne directrice 9, la référence aux « minorités ethniques » doit être supprimée ;
- la ligne directrice 10 doit mentionner également la réduction des obstacles à la transmission des entreprises ;
- si l'on peut justifier l'introduction d'une taxe sur l'énergie ou sur les émissions polluantes (ligne directrice 11) au nom d'impératifs environnementaux, une telle taxe ne paraît pas pouvoir constituer une alternative réaliste aux modes actuels de financement des systèmes de Sécurité sociale ;
- la ligne directrice 14 doit être complétée pour mentionner une réduction de la TVA sur les services à forte intensité de main-d'oeuvre et peu exposés à la concurrence transfrontalière ;
- la ligne directrice 15, dès lors qu'elle reconnaît que la modernisation de l'organisation du travail est de la responsabilité essentielle des partenaires sociaux, doit souligner plus explicitement que l'intervention des Etats dans ce domaine doit respecter le principe de subsidiarité ;
- la ligne directrice 16 pourrait prévoir la définition à l'échelon communautaire de formules de référence pour les nouveaux types de contrat, afin d'encourager les évolutions et de favoriser un rapprochement spontané des législations.