Politique fiscale :

donner la priorité à l’emploi et aux générations futures

Au moment où le gouvernement présente un énième plan d’allégement d’impôts, Alain Lambert (UC-Orne), Président, et Philippe Marini (RPR-Oise), rapporteur général, rappellent qu’une bonne politique budgétaire et fiscale doit donner la priorité à l’emploi et à l’avenir des Français, objectifs auxquels le gouvernement tourne désormais le dos, de même qu’il renonce à une réforme fiscale structurelle au profit de mesures hétérogènes.

Le gouvernement est confronté à ses premières vraies

difficultés économiques

La forte hausse des prix du pétrole, la poussée de l’inflation en Europe et la hausse des taux d’intérêt sont les conséquences de l’amélioration de la conjoncture économique. Le gouvernement s’est attribué la paternité de cette dernière. S’en attribue-t-il les effets ? La réalité est que la croissance économique est mondiale, et que le gouvernement français en profite, mais qu’il se retrouve aujourd’hui confronté à de vraies difficultés. La ponction pétrolière, la légère hausse du chômage et la baisse de la production industrielle montrent que rien n’est jamais acquis en ce domaine.

 Une " énième " annonce de baisse des impôts qui masque la réalité

de leur progression

Depuis la fin 1997, le gouvernement promet que les impôts vont baisser. Mais, ils n’ont pas cessé d’augmenter. Le taux des prélèvements obligatoires est passé de 44,8 % en 1996 à 45,7 % fin 1999, record absolu. Le gouvernement Juppé prélevait 3.558 milliards de francs en 1996. Le gouvernement Jospin a prélevé 4.027 milliards de francs en 1999 ; soit près de 470 milliards de francs de plus en trois ans ! Cela relativise un plan de baisse d’impôts de 120 milliards de francs sur trois ans.

 En mars dernier, en annonçant une réduction d’impôts de 40 milliards de francs en 2000, Lionel Jospin avait déjà présenté son plan comme exceptionnel. Mais, selon le théorème de Dominique Strauss-Kahn, que le gouvernement semble attentif à appliquer : " les impôts baissent, mais les prélèvements augmentent ". 71 % de la croissance économique ont été prélevés par les caisses publiques en 1999. Actuellement, les recettes fiscales augmentent sur un rythme plus rapide que la croissance. A fin juillet, les recettes fiscales nettes progressaient sur un rythme de 7 %, alors que la croissance est attendue à 3,6 % cette année. (A fin juillet, les recettes fiscales nettes étaient en augmentation de 60 milliards de francs par rapport à la même période de 1999). C’est pourquoi les Français n’ont aucun sentiment de voir leurs impôts baisser.

En réalité, le gouvernement n’annonce rien de nouveau et cette " plus forte baisse depuis cinquante ans " s’apparente à de la poudre aux yeux :

 - en mars dernier, en annonçant le précédent plan d’allégement, Lionel Jospin disait vouloir ramener, d’ici à 2002, le taux des prélèvements obligatoires à son niveau de 1995, soit 43,7 %. Cet objectif n’était déjà pas nouveau, il avait été annoncé par Christian Sautter le 25 janvier et figure dans le programme de stabilité de la France notifié à Bruxelles. Et il reportait d’un an l’objectif de baisse de prélèvements qui figurait dans le précédent programme (2000-2002). Or, ce prétendu nouveau plan de baisse de 120 milliards de francs de 2001 à 2003, soit 40 milliards de francs par an, ne fera, au mieux, qu’atteindre cet objectif (40 milliards de francs représentent environ 0,5 % du PIB d’aujourd’hui). Le gouvernement ne cesse donc de présenter comme nouvelles des annonces déjà faites.

- en outre, en guise de réductions d’impôt, le gouvernement ne fait que restituer aux Français les prélèvements excessifs effectués sur eux et à leur insu puisque les budgets 1999 et 2000 ont sous-estimés les recettes de plusieurs dizaines de milliards de francs (au moins 80 milliards de francs en 2000). Par exemple, la réduction annoncée de la taxe intérieure sur les produits pétroliers ne fait, au mieux, qu’effacer le surplus de TVA perçu sur les carburants.

 Des choix qui ne font pas une réforme et qui tournent le dos à l’emploi

Effectués sous la contrainte des circonstances (hausse des prix du pétrole) et de la concurrence fiscale en Europe (le plan allemand de réduction d’impôt est beaucoup plus ambitieux, puisqu’il prévoit une forte réduction du barème de l’impôt sur le revenu, avec un taux marginal à 42 % contre 52,5 % en France, et du taux de l’impôt sur les sociétés à 25 % en 2001 contre 33,1/3 % en France en 2003 seulement) ; les choix fiscaux du gouvernement sont hétérogènes et électoralistes, et tournent le dos aux objectifs d’une saine politique fiscale.

 Le 11 janvier 2000, Lionel Jospin déclarait que la réforme fiscale devait avoir " comme priorités la recherche de la justice sociale et le nécessaire encouragement au dynamisme économique, au travail et à l’innovation ". Dans le programme de stabilité, le gouvernement annonçait vouloir réduire les impôts en fonction de deux objectifs " favoriser le retour à l’emploi (...), encourager la croissance et l’emploi (...) ".

 L’objectif de " justice sociale " est oublié par ce plan, qui profitera, s’agissant des ménages, davantage aux revenus élevés qu’aux bas revenus. On peut l’apprécier notamment avec la suppression de la vignette.

 Quant à l’emploi, les travaux de la commission des finances, avec le centre d’observation économique, ont clairement montré que la politique la plus efficace était une réduction des cotisation sociales qui pèsent sur le coût du travail. Une baisse de l’impôt sur le revenu de 25 milliards de francs et des cotisations sociales de 40 milliards de francs permettrait de réduire le chômage de 2,4 % de la population active (l’équivalent de 600.000 chômeurs de moins aujourd’hui).

Vignette : baisser les impôts des autres

Pour tenter, sans y réussir jusqu’ici, de réduire les prélèvements, ce gouvernement s’est fait une spécialité de réduire non pas la fiscalité de l’Etat, qui ne cesse d’augmenter, mais celle des collectivités locales : taxe d’habitation, taxe professionnelle, droits de mutation à titre onéreux, et maintenant, suppression de la vignette automobile.

Il en résulte, pour les collectivités locales, une forte perte de l’autonomie fiscale, alors qu’on pourrait aussi bien réduire les impôts locaux en supprimant les frais que l’Etat perçoit pour le recouvrement de ces impôts.

TIPP : un simple rattrapage

En réduisant la TIPP, le gouvernement ne fait, sans y parvenir totalement, qu’essayer d’atténuer le surcoût de prélèvements que la hausse des prix du pétrole lui a permis d’obtenir. En outre, l’allègement de la taxe sur le fioul domestique de 3,5 milliards de francs sera financé par un nouvel impôt sur les compagnies pétrolières.

CSG et CRDS : des effets incertains sur l’emploi

Le gouvernement atténue la contribution sociale généralisée et la contribution au remboursement de la dette sociale sur les bas salaires. Cela permettra sans doute une augmentation du pouvoir d’achat des ménages modestes et peut-être une réduction des trappes à inactivité, mais avec des effets incertains sur le chômage : cette mesure peut inciter des personnes à revenir sur le marché du travail et ainsi devenir chômeurs. Alors qu’une mesure incontestablement efficace sur l’emploi serait de réduire les cotisations sociales, en particulier sur les bas salaires.

Impôt sur le revenu : la réforme inachevée

Contraint de trouver des biais pour lutter contre la hausse des prix des carburants, le gouvernement reste au milieu du gué pour l’impôt sur le revenu, qu’il ne réforme pas réellement. L’Allemagne réduira de 9 points environ les taux de son barème, contre 1,5 à 3,5 points en France. L’Allemagne n’hésite pas à réduire l’impôt sur le revenu des plus hauts revenus. En refusant de s’engager clairement sur cette voie, la France prend le risque de se priver de ses entrepreneurs les plus dynamiques.

Impôt sur les sociétés : donner d’une main ce qu’on prend de l’autre

Le gouvernement supprime certes la surtaxe de 10 %. Mais, il faut rappeler que le montant d’impôt sur les sociétés est passé de 143 milliards de francs en 1997 à 230 milliards de francs en 1999, soit + 61 %. Si " surtaxe Juppé " il y a eu, force est de constater que Jospin en a bien profité.

En outre le financement du passage aux 35 heures n’est aujourd’hui pas assuré. Le coût des 35 heures pourrait être de 10 milliards de francs de plus que prévu dès cette année. Dès lors, le gouvernement sera enclin à augmenter la nouvelle cotisation sociale sur les bénéfices des sociétés.

Des choix qui tournent le dos à l’avenir

Dans un pays qui connaît 5.200 milliards de francs de dette publique (fin 1999), dont 4.300 milliards de francs pour l’Etat, et des déficits publics de 200 milliards de francs, il n’est pas possible de réduire réellement les impôts sans réduire les dépenses, puisque celles-ci, malgré les importants surplus enregistrés (les " cagnottes ") restent aujourd’hui très supérieures aux recettes.

Le déficit, ce sont les impôts de l’avenir, et toute baisse d’impôt qui creuse le déficit n’est qu’un leurre : une baisse aujourd’hui qui sera une hausse demain. Le maintien d’un endettement public élevé est singulièrement contraire à l’objectif de " justice sociale " affiché par Lionel Jospin, car seuls les gros patrimoines possèdent des titres d’emprunt public auxquels les ménages modestes, par l’impôt, doivent payer des intérêts.

Or, le gouvernement ne fait aucun effort sur les dépenses. Pour parvenir à l’objectif du programme de stabilité, soit une hausse de 1 % des dépenses de l’Etat en 3 ans, il serait nécessaire de ne pas augmenter les effectifs de la fonction publique. Pourtant, le gouvernement vient d’annoncer que ces effectifs augmenteraient de 17.000 en 2001. Aucune mesure n’est encore prise sur les retraites, en particulier celles de la fonction publique, dont le coût va fortement augmenter dans un proche avenir, et qu’il faudra bien financer.

Faute d’un véritable effort sur les dépenses, le gouvernement ne peut réellement réduire les impôts, et c’est bien le cas depuis 1997.

Alain Lambert et Philippe Marini rappellent donc leurs priorités :

    Pour pouvoir réduire les impôts sans obérer l’avenir, réduire les dépenses de fonctionnement (non remplacement d’un départ de fonctionnaire à la retraite sur quatre) et les charges d’emprunt, par une réduction affirmée des déficits publics et une politique ambitieuse de désendettement par des cessions d’actifs publics (la vente des participations de l’Etat cotées en bourse permettrait de réduire son endettement de plus de 1 000 milliards de francs) ;

    Pour être efficace sur l’emploi, réduire par priorité les charges pesant sur le travail c’est-à-dire les cotisations sociales pesant sur les salariés et les entreprises, et ainsi réduire le chômage structurel.