Question de M. DARNICHE Philippe (Vendée - NI) publiée le 19/12/2002
M. Philippe Darniche attire l'attention de M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie sur les conséquences graves du protocole de Londres adopté le 16 octobre 2000, modifiant la convention de Munich sur le brevet européen, outil essentiel de valorisation et de protection de l'innovation. Il lui rappelle que, suivant ce protocole qui tourne le dos à la francophonie, les brevets européens déposés pour l'essentiel en langue anglaise seront opposables aux tiers sans traduction préalable dans la langue de chaque pays signataire. Alors même qu'un tel texte ne répond nullement aux besoins français et qu'il crée une fracture linguistique sous la pression des Etats anglophones, il lui fait observer que des pays étrangers comme l'Italie et l'Allemagne ont déjà refusé de signer ce protocole favorable aux Etats-Unis, à l'Angleterre et au Japon qui, chaque année, déposent quatre à cinq fois plus de brevets que notre pays. En conséquence, et face à l'incompréhension et à la désapprobation de la plupart des chercheurs et créateurs de brevets, des industriels, des conseils en propriété industrielle, il lui demande quelle décision il entend prendre pour : (1) réduire le profond retard que connaît actuellement notre industrie en matière de dépôt de brevets français tout en favorisant activement le développement en France d'une véritable culture de propriété industrielle, (2) poursuivre les efforts de défense de la langue française et de notre culture dans le domaine scientifique, (3) refuser la ratification de ce texte qui n'a jamais suscité une large adhésion de la part des entreprises, chercheurs, inventeurs individuels, avocats, conseils en propriété industrielle, académies, parlementaires et élus nationaux.
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Transmise au Ministère délégué à l'industrie
Réponse du Ministère délégué à l'industrie publiée le 01/04/2004
Du point de vue juridique, et contrairement à ce qui est souvent affirmé, l'accord de Londres ne modifie pas la situation juridique actuelle : depuis 1973, par un traité ratifié par la France (convention de Munich, article 14), le seul texte qui fait foi en matière de brevets européens est le texte original déposé à l'Office européen des brevets (70 % en anglais ; 20 % en allemand ; 10 % en français). En cas de litige, le brevet est toujours - et le restera avec l'accord de Londres - intégralement traduit dans la langue exigée par le tribunal compétent. Les revendications - partie essentielle au plan juridique du brevet parce qu'elles fixent le champ de la protection - sont et resteront traduites dans les trois langues officielles de l'Office européen des brevets (allemand, anglais et français). C'est un avantage considérable pour l'usage de notre langue qui est pérennisé par l'accord de Londres. Trois arguments méritent débat. Tout d'abord, la non-traduction en français de la seule partie appelée " description " du brevet, qui expose les voies et moyens par lesquels le déposant est parvenu à l'invention qu'il souhaite breveter, porterait préjudice au rôle du droit français dans le système européen des brevets. Cette critique ne résiste pas à l'examen : la description ne crée pas de droit et se contente d'exposer des mécanismes techniques ; le droit européen des brevets est fixé : par la convention de Munich et par son règlement d'application, l'une et l'autre disponibles en français, anglais et allemand ; par les directives communautaires éventuelles (par exemple, la directive 98-44 sur les biotechnologies), disponibles dans toutes les langues de l'Union ; par les lois et règlements nationaux ; par les décisions des chambres de recours de l'OEB - disponibles en français - et les différentes décisions des juridictions françaises qui peuvent faire jurisprudence. Le maintien du français comme langue fondatrice du droit européen dépend de la présence française à l'Office européen des brevets, à la Commission et dans les chambres de recours de l'Office européen des brevets. Le fait que le français soit une des trois langues de dépôt et de travail de l'Office européen des brevets constitue la véritable garantie de notre présence en ce domaine et favorise les déposants français, surtout les PME. L'absence de traduction des descriptions engendrerait un véritable risque de contrefaçon de bonne foi de certaines entreprises françaises, notamment les PME, moins bien averties du contenu réel du brevet contrefait. L'un des éléments d'accompagnement de l'accord de Londres consistera à insérer une disposition législative dans le code de la propriété intellectuelle permettant de ne pas exiger de dommages et intérêts lorsque l'absence de traduction de la description laissera supposer la bonne foi du contrefacteur. Enfin, la question de la compatibilité de l'accord de Londres avec l'article 2 de la Constitution a été posée au Conseil d'Etat ; celui-ci a répondu par l'affirmative par un avis de septembre 2000. Du point de vue économique, le fait que dix pays européens représentant 75 % environ des déposants de brevets en Europe aient signé cet accord tend à démontrer qu'il présente quelque avantage. L'argument essentiel est simple mais incontournable : le brevet européen - et non le brevet français - est plus cher à l'obtention (50 % environ) que son homologue japonais ou américain. C'est un handicap fort pour l'industrie européenne, d'autant plus significatif que le déposant est petit, jeune et impécunieux. C'est un obstacle majeur au développement des PME européennes - et donc françaises - et à la prise de brevets par les centres de recherche et, au total, un frein à la création d'emplois, fondée de plus en plus sur l'innovation. Or, le coût des traductions représente 40 % du coût d'obtention du brevet européen : il faut donc le réduire, sans négliger d'autres pistes comme les taxes des offices. Celles-ci doivent diminuer ; l'Office européen des brevets a commencé en 1997, mais il pourrait aller plus loin. Cette opinion est partagée par l'ensemble des entreprises françaises - des plus grandes aux plus petites -, par les inventeurs indépendants et par les responsables de la valorisation de la recherche dans les organismes de recherche français. A cet argument économique s'ajoute - en raison même de sa pertinence - un argument politique dirimant : le coût du brevet européen dans une Europe élargie à trente sera insupportable. Il faudrait traduire tout brevet européen déposé en français dans vingt-cinq langues. C'est possible pour les grands groupes, quoique coûteux, et inenvisageable pour les PME. Un consensus existe déjà au sein de l'Office européen des brevets - y compris l'Allemagne et les pays du sud de l'Europe - et dans l'industrie pour accepter une seule langue : l'anglais. L'accord de Londres est donc - dans ce champ particulier du brevet - la dernière chance de préserver l'usage du français, lequel sera renforcé par le fait que les brevets européens déposés en français seront valables dans les pays acceptant l'accord de Londres sans avoir besoin d'être traduits. Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'accord de Londres en France a pour objectif essentiel d'augmenter le nombre de dépôts de brevets en France, encore insuffisant au regard de notre effort de recherche et développement. Le surcroît d'activité qui en résultera profitera aux professionnels français de la propriété industrielle et notamment aux conseils en propriété industrielle qui y trouveront une compensation à la perte de leur activité de traduction. La politique du Gouvernement consiste à aborder la question des brevets avec pour préoccupation d'améliorer la compétitivité des entreprises françaises, tout en veillant au respect de notre langue. L'accord dit " de Londres " devrait réduire les coûts liés à la traduction des brevets en s'appuyant sur les trois langues officielles de l'Office européen des brevets. La représentation parlementaire est très sensible, à juste titre, aux conséquences de cet accord sur le statut du français et sur le rôle de notre langue dans le domaine technologique. C'est également le souci du Gouvernement, dont la réflexion sur la ratification de l'accord de Londres intègre l'ensemble des dimensions de la question, y compris la création d'un brevet communautaire. Aussi le Gouvernement poursuit-il, en concertation avec le Parlement et l'ensemble des acteurs et opérateurs concernés, sa réflexion sur la ratification de l'accord de Londres.
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