Question de M. MUZEAU Roland (Hauts-de-Seine - CRC) publiée le 14/02/2003

M. Roland Muzeau attire l'attention de M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité sur le retard pris à transposer dans le droit français des dispositions prises au niveau international, en ce qui concerne les discriminations syndicales dans les entreprises. En effet, si l'article 412-2 du code du travail stipule bien l'interdiction pour tout employeur de prendre en considération l'appartenance syndicale ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en ce qui concerne notamment l'avancement ou la rémunération, les sanctions encourues pour comportement discriminatoire ne portent trop souvent dans les faits que sur des indemnités de dommages et intérêts, et non sur le reclassement des salariés discriminés. Les juges ne disposent pas de moyens juridiques suffisants pour obliger les employeurs reconnus coupables à rétablir dans leurs droits les salariés victimes de discrimination dans leur déroulement de carrière. Or, le pacte des Nations-unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ratifié par la France le 15 mai 1970, reconnaît dans son article 7 : " le droit qu'a toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables, assurant un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction aucune ", en particulier " la même possibilité pour tous d'être promus, dans leur travail, sans autre considération que la durée des services accomplis et les aptitudes ". Les attaques contre les libertés syndicales et les droits fondamentaux se multipliant, une tendance lourde à criminaliser l'action syndicale se développant, il lui demande de lui faire connaître quelles sont les mesures législatives et réglementaires qu'il compte prendre pour dissuader fortement les chefs d'entreprise de recourir aux pratiques discriminatoires pour activité ou appartenance syndicale.

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Réponse du Ministère délégué à la parité et à l'égalité professionnelle publiée le 26/03/2003

Réponse apportée en séance publique le 25/03/2003

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, auteur de la question n° 182, adressée à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

M. Roland Muzeau. Madame la ministre, la condamnation par les tribunaux des attaques contre les libertés syndicales et contre les droits fondamentaux des salariés se limite le plus souvent à des sanctions consistant dans le versement par les employeurs de dommages et intérêts aux salariés. En effet, elle prévoit très rarement l'obligation de reclasser les salariés qui ont fait l'objet d'une discrimination.

Dans les faits, les juges sont démunis pour sanctionner comme il convient les employeurs responsables de cette grave remise en cause du droit du travail. Celui-ci interdit pourtant formellement de prendre des mesures discriminatoires en raison de l'appartenance d'un salarié à un syndicat ou de l'exercice d'une activité syndicale, en particulier s'agissant de l'avancement ou de la rémunération.

Les dispositions de l'article L. 412-2 du code du travail, qui font pourtant référence à la notion de discriminations syndicales, sont, semble-t-il, insuffisantes pour permettre aux juges de fonder un véritable droit à réparation pour le salarié à l'égard duquel l'employeur a eu une attitude reconnue coupable.

Ma question porte donc, madame la ministre, sur la nécessité de transposer dans le droit français des dispositions plus contraignantes envers les employeurs et plus favorables pour les salariés victimes de comportements discriminatoires, dispositions qui existent à l'échelon international.

En effet la législation française, pourtant réputée plus favorable dans le domaine du droit social, est en retard sur ce point.

Ainsi, le Pacte des Nations unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui a été ratifié par notre pays, reconnaît dans son article 7 « le droit qu'a toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables, assurant un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction aucune » et, en particulier, « la même possibilité pour tous d'être promus, dans leur travail, sans autre considération que la durée des services accomplis et les aptitudes ».

Dans une période où les remises en cause du droit du travail se multiplient, où existe une tendance lourde à criminaliser toute contestation, la mise à jour du code du travail sur ce point précis et sensible présente, à mon avis, un caractère urgent et constitue une impérieuse nécessité.

Aussi souhaiterais-je connaître les mesures que le Gouvernement compte prendre pour prévenir et dissuader les chefs d'entreprise de recourir, souvent de façon systématique, aux pratiques discriminatoires pour appartenance ou activité syndicale. De telles pratiques pèsent très fortement dans les entreprises à la fois sur la syndicalisation du personnel salarié et sur l'engagement des individus dans les organismes statutaires.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser M. François Fillon, retenu ce matin, qui m'a demandé de vous apporter les précisions suivantes.

Vous appelez l'attention sur un retard dans la transposition des dispositions prises à l'échelon international, en ce qui concerne les discriminations syndicales dans les entreprises. Nous sommes, comme vous, attachés à la garantie des droits liés à l'exercice du droit syndical. Je rappelle que les dispositions du droit international garantissant l'exercice du droit syndical ont été transposées en droit français, qu'il s'agisse de la convention de l'Organisation internationale du travail n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, ou de la convention n° 98 sur le droit d'organisation et de négociation collective qui prévoit une protection des salariés notamment contre le refus d'embauche et contre le licenciement en raison de leur affiliation syndicale ou de leur participation à des activités syndicales.

La France s'est également engagée à garantir, dans le cadre de la Charte sociale européenne du Conseil de l'Europe, la liberté pour les travailleurs de constituer des organisations syndicales locales, nationales ou internationales, pour la protection de leurs intérêts.

Le code du travail prévoit, par conséquent, les dispositions protectrices nécessaires et sanctionne les discriminations en raison de l'exercice d'une activité syndicale ainsi que les entraves à l'exercice du droit syndical.

Je donnerai un exemple parmi d'autres : en vertu de l'article L. 122-45, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une formation en entreprise ; aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en raison de ses activités syndicales. Le cinquième alinéa de cet article précise que « toute disposition ou tout acte contraire à l'égard d'un salarié est nul de plein droit », ce qui signifie que la mesure défavorable au salarié du fait de son activité syndicale devra demeurer sans effet.

La jurisprudence de la Cour de cassation va dans le même sens en accordant au salarié des dommages et intérêts, mais aussi une réintégration dans tous ses droits. La jurisprudence a également admis une répartition de la charge de la preuve plus favorable au salarié.

J'ajoute que le respect de l'application de ces règles dans l'entreprise est la mission première des inspecteurs et contrôleurs du travail, qui relèvent les infractions à l'exercice du droit syndical.

Au vu de ces éléments, vous comprendrez, monsieur le sénateur, que je considère comme suffisant notre arsenal juridique. En revanche, il me paraît fondamental d'inciter l'ensemble des partenaires sociaux à développer à tous les niveaux une culture de la négociation et du dialogue social : tel est le véritable enjeu.

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse, que j'ai écoutée avec attention.

Quand vous dites souhaiter que la culture de négociation progresse avec les organisations syndicales et les employeurs, nous sommes parfaitement d'accord. Mais, pour négocier, pour discuter de sujets difficiles, il faut être au moins deux. Or vous reconnaîtrez qu'il manque souvent l'un des deux partenaires, à savoir l'employeur.

La réalité sociale de ces dernières années montre qu'il a bien fallu, malheureusement, que les organisations syndicales se mobilisent. Or cette mobilisation est toujours difficile car les preuves de la discrimination pour activité syndicale ou pour exercice d'un mandat syndical sont extrêmement difficiles à réunir, et cela exige un travail titanesque, comme disent certains syndicalistes.

Le premier exemple qui me vient à l'esprit est l'action qui a été menée par la CGT à Peugeot-Sochaux. Il a fallu des années de travail pour apporter la preuve de la discrimination envers des dizaines et des dizaines de salariés, qu'ils soient militants syndicaux détenant un mandat ou simplement syndicalistes affiliés à une organisation syndicale. C'est seulement au terme de ce travail considérable qu'a pu être établie la preuve et qu'ont pu être rétablis dans leurs droits les salariés. Mais, si ces salariés ont été rétablis dans leurs droits et ont reçu les indemnités dont vous avez parlé, ils n'ont pas été réintégrés au niveau hiérarchique qui aurait dû être le leur s'ils n'avaient pas subi pendant des années et des années une discrimination du fait de leur activité ou de leur appartenance syndicale.

Par conséquent, à votre propos qui se veut rassurant, je me vois contraint de répondre que, malheureusement, notre droit est insuffisant. C'est mon sentiment, mais il est corroboré par les nombreux contentieux qui subsistent et dans lesquels les salariés sont victimes de ces discriminations.

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