Question de M. COURTEAU Roland (Aude - SOC) publiée le 29/11/2003
M. Roland Courteau attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales sur le mécontentement des anciens exploitants agricoles concernant les décrets relatifs à la mise en oeuvre du régime de retraite complémentaire obligatoire (loi n° 2002-308 du 4 mars 2002). Il lui indique que les textes des décrets d'application prévoient deux catégories de retraités : ceux qui ont fait valoir leur droit à la retraite avant le 1er janvier 1997 et pour lesquels il est exigé qu'ils justifient de trente-deux ans et demi de cotisations non salarié agricole dont dix-sept ans et demi de chef d'exploitation et ceux qui font valoir leur droit après le 1er janvier 1997, qui devront justifier de trente-sept ans et demi de cotisations tous régimes confondus dont dix-sept ans et demi de chef d'exploitation. Ainsi, se trouvent, de fait, exclus du bénéfice du régime de retraite complémentaire agricole, un grand nombre de ceux qui ont fait valoir leurs droits avant le 1er janvier 1997. Une telle situation est d'autant plus injuste qu'elle concerne nombre de personnes qui ont d'abord commencé à l'époque à être salariés agricoles chez leurs parents ou dans une entreprise agricole, avant de parvenir au statut de chef d'exploitation. Il lui demande donc si, afin de corriger en partie cette situation, il entend prendre toutes dispositions permettant l'accès à la retraite obligatoire complémentaire, de tous les retraités bénéficiaires d'une pension en qualité de chef d'exploitation, au prorata des années cotisées en tant que chef d'exploitation.
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Réponse du Ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales publiée le 14/01/2004
Réponse apportée en séance publique le 13/01/2004
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention, en mon nom et au nom de mon ami Raymond Courrière, sur le profond mécontentement des anciens exploitants agricoles du département de l'Aude et, de manière générale, du Languedoc-Roussillon, à la suite de la mise en oeuvre du décret n° 2003-146 relatif, lui, aux conditions d'application et à l'organisation du régime de retraite complémentaire obligatoire pour les non-salariés agricoles.
Force nous est, en effet, de constater, et nous le déplorons, que l'application de ce décret fait apparaître deux catégories de retraités non salariés agricoles : d'une part, ceux qui ont fait valoir leurs droits à la retraite avant le 1er janvier 1997, qui doivent justifier de 32,5 ans de cotisations en tant que non-salariés agricoles, dont 17,5 en tant que chef d'exploitation, et, d'autre part, ceux qui ont fait valoir leurs droits après le 1er janvier 1997 et qui devront, quant à eux, justifier de 37,5 ans de cotisation tous régimes confondus, dont 17,5 en tant que chef d'exploitation.
Il y a donc là deux régimes différents, dont l'un conduit à éliminer un très grand nombre de bénéficiaires de la retraite complémentaire. Légitimement, ceux-ci s'estiment particulièrement lésés, monsieur le ministre, et le président de la section FNSEA des anciens exploitants en Languedoc-Roussillon, M. Delpoux, vous l'a même écrit : pour lui, il s'agit là d'une injustice flagrante ! Voilà en effet des hommes et des femmes parmi les plus âgés des anciens exploitants, qui ont travaillé dur pendant toute leur vie et qui, de par la rédaction d'un décret « couperet », se trouvent écartés du bénéfice d'une loi que, nous, parlementaires, avions adoptée à l'unanimité parce que nous considérions précisément qu'il s'agissait d'une avancée sociale majeure et, à vrai dire, d'une simple mesure de justice et d'équité.
Aujourd'hui, nous ne retrouvons plus l'esprit de cette loi. Nous voulions que soit enfin assurée la parité avec les autres secteurs d'activité ; nous voulions que soit instaurée l'équité pour ces anciens exploitants, et nous sommes confrontés à une part d'arbitraire dans les règles d'application et, par voie de conséquence, à la création d'une distinction entre des bénéficiaires et des non-bénéficiaires. Nous, parlementaires qui avons adopté cette loi, nous ne reconnaissons plus notre enfant, monsieur le ministre !
Les responsables des anciens exploitants de mon département me rappelaient, il y a seulement quelques jours, une dure et injuste réalité : sur 15 5000 chefs d'exploitation, 1 067 bénéficient d'une retraite complémentaire obligatoire complète, soit 6,8 % seulement, tandis que 14 % perçoivent une retraite proratisée. Pour le département voisin des Pyrénées-Orientales, les chiffres ne sont guère meilleurs. Sur 15 000 chefs d'exploitation, 5,6 % bénéficiaient d'une retraite complémentaire obligatoire, et 11 % d'une retraite proratisée. A peu de chose près, nous retrouvons des pourcentages identiques pour les autres départements du Languedoc-Roussillon. Mes collègues MM. Peyronnet et Demerliat me signalaient une situation similaire dans le département de la Haute-Vienne.
En revanche, dans d'autres régions, où les grandes exploitations étaient plus nombreuses à l'époque, le pourcentage des bénéficiaires serait plus élevé, m'a-t-on dit, et se situerait entre 60 % et 70 %. Il est vrai que, dans nos régions, les exploitations étant de taille bien plus modeste, les jeunes, sur les conseils de la MSA, préféraient souvent passer d'abord par le stade de salarié avant d'accéder au statut de chef d'exploitation. Mais, aujourd'hui, les voilà pénalisés. Convenons, monsieur le ministre, que le décret suscite un sentiment d'injustice mêlé d'incompréhension. Tel agriculteur, par exemple, a travaillé vingt-quatre ans en qualité de chef d'exploitation et quinze ans comme salarié agricole : il n'a pas le droit à la retraite complémentaire. Son épouse n'a exercé en qualité de chef d'exploitation que durant sept ans, pourtant, elle perçoit la retraite complémentaire proratisée.
Mais je prends un autre exemple : tel ancien exploitant actuellement assujetti à l'impôt de solidarité sur la fortune et n'ayant jamais été, et pour cause, salarié agricole, perçoit actuellement la retraite complémentaire obligatoire, pendant que tel autre bénéficiant, quant à lui, d'une pension de retraite tout à fait modeste - 450 euros par mois environ - se la verra refuser.
Le président Delpoux m'a fait part d'un cas exemplaire dans l'Aude. Des jumeaux sont nés en 1938. L'un, Pierre, s'est engagé dans l'armée à vingt ans et a pris sa retraite quinze ans après, en 1973. Son frère Paul est, lui, resté salarié agricole du père pendant quinze ans, jusqu'en 1973, année au cours de laquelle le père partage l'exploitation : les deux fils deviennent chefs d'exploitation.
En 1996, Paul prend sa retraite. Il n'aura pas droit à la retraite complémentaire obligatoire, bien qu'il ait exercé pendant vingt-trois ans son activité d'exploitant agricole.
En 1997, Pierre fait valoir à son tour ses droits à la retraite, après avoir été vingt-quatre ans chef d'exploitation. Il aura droit, lui, à la retraite complémentaire obligatoire.
Comment voulez-vous, monsieur le ministre, que cela ne suscite pas incompréhension et colère ?
Non, ce qu'il faut, c'est modifier le décret, en proratisant la retraite, afin d'en rendre bénéficiaires tous les anciens exploitants, qu'ils aient été salariés agricoles ou non.
Monsieur le ministre, vous ai-je convaincu de le faire ?
M. René-Pierre Signé. Nous allons le voir !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur le sénateur, notre gouvernement est pleinement conscient de la situation des retraites agricoles : nous nous attachons à les revaloriser.
La mise en place et le financement de la retraite complémentaire obligatoire des exploitants agricoles, à hauteur de 142 millions d'euros pour 2004, contre 28 millions d'euros en 2003, apporte déjà un complément de revenus à plus de 450 000 retraités du régime agricole.
Les premiers versements sont intervenus à compter de la mensualité d'avril 2003, soit au début du mois de mai 2003. La création de ce régime de retraite complémentaire obligatoire pour les non-salariés agricoles constitue la traduction d'une forte demande de la profession agricole, et s'inscrit dans la continuité de l'ensemble des mesures prises depuis 1994, sous plusieurs gouvernements, en faveur de la revalorisation des retraitres agricoles.
Ainsi, les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricoles dont la retraite de base a pris effet avant le 1er janvier 1997 doivent justifier de 32,5 années, soit 130 trimestres, d'activité non-salariée agricole, dont 17,5 années - soit 70 trimestres - en qualité de chef d'exploitation à titre exclusif ou principal, pour bénéficier de points de retraite complémentaire sans contrepartie contributive.
Les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricoles qui ont pris leur retraite à compter du 1er janvier 1997 doivent justifier de 37,5 années - soit 150 trimestres - d'assurance ou de période équivalente, tous régimes confondus, dont 17,5 années - 70 trimestres -, en qualité de chef d'exploitation à titre exclusif ou principal pour bénéficier également de points gratuits.
La différenciation des conditions d'accès au bénéfice de l'attribution de droits gratuits de retraite complémentaire pour les assurés retraités avant le 1er janvier 1997 et pour ceux dont la pension a pris effet après cette date est liée au maintien d'une certaine continuité et d'une certaine cohérence avec les conditions d'ouverture des droits à revalorisation des retraites de base, qui ont privilégié les personnes non salariées ayant effectué une carrière longue en agriculture.
Le décret auquel vous faites référence à cet égard, monsieur le sénateur, est donc la traduction de la loi de 2002, que vous avez également évoquée, et qui, je le rappelle, toute polémique mise à part, n'était pas du tout financée. Nous avons dû trouver ces financements, soit 28 millions d'euros pour 2003 et 142 millions d'euros pour 2004, afin de transformer une avancée sociale virtuelle en une avancée sociale réelle.
M. Jean Bizet. Très bien !
M. Hervé Gaymard, ministre. Quant à la modification des seuils permettant l'attribution de droits gratuits, elle entraînerait une dépense justifiée, certes, mais importante. Sur ce point, le Gouvernement reste ouvert à la discussion. Lors de l'élaboration de la loi de finances pour 2005, dans le cadre des arbitrages qui concerneront mon ministère, entre les crédits de l'agriculture au sens strict, de la pêche, de la protection sociale agricole et de l'enseignement agricole, nous pourrons tenter de résoudre les problèmes que vous avez illustrés de manière fort éclairante au moyens de cas individuels. Cela montre une fois de plus que, lorsqu'on met en place des règles, la situation individuelle des personnes peut faire apparaître la nécessité d'apporter un certain nombre d'améliorations.
Je souhaite, bien entendu, que nous puissions résoudre les problèmes que vous avez fort opportunément soulevés, monsieur le sénateur, mais, aujourd'hui, je ne peux pas vous apporter d'autre réponse que celle qui met en avant les choix budgétaires qui seront faits pour 2005.
Sachez que, s'agissant de la protection sociale agricole, notamment des retraites, mon ambition au sein de ce ministère est d'apporter, année après année, une amélioration constante. Ce qui a été fait depuis dix ans est important mais encore insuffisant. Il faut poursuivre dans cette voie.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Nous avons échangé nos arguments et nous verrons si les anciens exploitants auront été convaincus par les vôtres.
Concernant le précédent gouvernement, puisque vous avez vous-même évoqué son action, et cela, avez-vous dit, hors de toute polémique, il convient tout de même de rappeler qu'il est à l'origine d'un plan de revalorisation des pensions de l'ordre de 3,2 milliards d'euros.
Monsieur le ministre, je profite de votre présence à la Haute Assemblée ce matin pour vous signaler un problème bien précis dont je viens de prendre connaissance. Selon les informations dont je dispose, du fait de restrictions budgétaires, l'ONIVINS, l'Office national interprofessionnel des vins, vient de fermer son antenne de Narbonne. C'est un choc qui va susciter bien des turbulences. Alors que Narbonne est un véritable symbole pour la viticulture et le Languedoc-Roussillon, le plus grand vignoble du monde, cette décision de fermeture apparaît plus que surprenante : scandaleuse.
Elle sera vraisemblablement considérée comme un camouflet infligé à la viticulture méridionale au moment où tous les regards sont tournés vers l'avenir.
Monsieur le ministre, je vous demande de vous saisir personnellement de cette question afin que l'ONIVINS revienne d'urgence sur cette décision particulièrement regrettable.
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