Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 04/02/2004
Mme Marie-Claude Beaudeau attire à nouveau l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales sur la destruction du cheptel agricole subie depuis plus de huit ans par les agriculteurs et son refus de prendre des mesures sérieuses et conséquentes contre les insecticides Gaucho et Regent-TS dont les laboratoires publics et de recherche ont apporté des preuves irréfutables de l'hyper-toxicité sur la vie de l'abeille et la faune auxiliaire. Elle lui demande de lui faire connaître les mesures d'interdiction qu'il doit envisager compte tenu que " Gaucho " et " Regent-TS " s'ils tuent les abeilles sont également incompatibles avec les principes d'une agriculture dite raisonnée et contraires au concept de développement durable dont l'agriculture est l'actrice incontournable et qui pourrait conduire à un véritable désastre écologique.
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Réponse du Secrétariat d'Etat au développement durable publiée le 25/02/2004
Réponse apportée en séance publique le 24/02/2004
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voilà huit ans que j'interpelle les ministres de l'agriculture des gouvernements successifs sur la nécessaire interdiction du seul Gaucho, au début, puis étendue au Régent TS, mais sans grand succès, je dois bien le reconnaître.
Ont été constatées des mortalités anormales d'abeilles, parfois même de véritables hécatombes, comme ce fut le cas au printemps 2003, dans la région Midi-Pyrénées, faisant suite à ce qui s'est passé au cours de l'année 2002 dans tout le sud-ouest du pays.
Parmi les faits les plus marquants, il faut également noter la disparition de 21 % du nombre des ruches en Vendée après l'hiver de 2002, dont les conséquences économiques sont évidentes.
En huit ans, 10 000 apiculteurs et 500 000 ruches, soit le tiers du cheptel agricole, ont disparu. La production de miel est devenue déficitaire et nous devons importer 24 000 tonnes de miel. Toujours en Vendée, on a noté une baisse de 70 % de la récolte de miel.
Madame la secrétaire d'Etat, le sujet est grave.
Ma première question est simple, mais directe : pourquoi le Gouvernement français resterait-il le seul à ne pas reconnaître l'influence toxique du Gaucho et du Régent TS et de leurs molécules, l'Imidaclopride et le Fipronil, sur la vie ou plutôt sur la mort des abeilles et de la faune pollinisatrice ? La position du Gouvernement a-t-elle évolué ? Votre réponse nous le dira, mais si j'en crois les déclarations faites hier par plusieurs ministres, elle évolue et, croyez-le bien, je m'en félicite.
Nous avons appris lundi, par une dépêche d'agence, que Mme la ministre de l'environnement se prononçait pour la suppression totale du Gaucho et du Régent, y compris pour la suppression des stocks.
Quant à M. le ministre de l'agriculture, il s'est prononcé, lors d'une conférence de presse, hier après-midi, pour la suppression de l'utilisation du Régent TS, mais pour l'utilisation des stocks existants. Allez-vous, madame le secrétaire d'Etat, le confirmer ? Nous attendons de connaître la position officielle du Gouvernement, car entre la destruction et l'utilisation des stocks et des semences imprégnées, la différence est, vous le reconnaîtrez, de taille ! Enfouis en terre, le Gaucho et le Régent TS restent en effet actifs de nombreuses années.
Le Gouvernement est-il bien d'accord pour que l'interdiction porte sur la fabrication, la commercialisation et l'utilisation du Gaucho et du Régent TS, avec destruction immédiate des stocks existants ?
Ma deuxième question concerne l'indemnisation des 10 000 apiculteurs « ruinés » et de ceux - ils seraient aussi nombreux - qui connaissent un déclin d'activité. Que prévoit le Gouvernement pour assurer la survie de ces derniers et aider à la reprise d'activité des premiers ? Comment Bayer et BASF contribueront-ils à cette réparation ? Ces deux groupes en ont les moyens.
Vous le savez, Bayer envisage, d'une part, d'investir pour un montant de 6 milliards d'euros et, d'autre part, de créer de nouvelles activités en Chine, au Japon, en Asie du Sud-Est. BASF, quant à lui, compte 350 usines regroupant 100 000 salariés, avec une production répartie dans quarante pays. L'indemnisation des apiculteurs français ne mettrait donc pas en péril les profits colossaux réalisés par ces deux grands de l'agroalimentaire et de l'industrie chimique.
Quels moyens le Gouvernement prévoit-il de prendre pour favoriser la renaissance de l'apiculture française ?
Ma troisième question sur laquelle le Gouvernement ne semble pas s'être exprimé concerne l'utilisation de nouvelles molécules semblables à celles qui sont incluses dans le Gaucho et le Régent TS. Je pense notamment aux molécules Poncho et Thiametoxam. Est-il vrai que ces molécules appartiennent à la même famille chimique que le Fipronil et qu'elles pourraient bien être mises sur le marché dans quelques mois ? Est-il également vrai, madame la secrétaire d'Etat, que l'utilisation de ces molécules produirait les mêmes effets ? L'utilisation des stocks existants permettrait-elle de faire la « soudure » ?
Ma quatrième question porte sur les procédures d'homologation et de mise sur le marché de produits qui se révèlent toujours dangereux, voire mortels.
Quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour que des comités d'experts indépendants et compétents en apidologie puissent désormais, dans la plus grande transparence, publier le fruit de leurs travaux et de leurs conclusions et puissent également faire l'objet d'un contrôle de la part des acteurs des filières intéressées ?
Le système actuel est laxiste, incohérent, incompétent, ce qui explique les atermoiements que nous connaissons depuis dix ans au sujet de la toxicité du Gaucho et du Régent TS.
Mais, madame la secrétaire d'Etat, nous sommes entrés dans le domaine non plus de la simple disparition d'espèces sauvages ou apprivoisées, mais du développement durable, que vous connaissez bien, et de la santé publique. Confirmez-vous, par exemple, que le lait des vaches mangeant le maïs traité soit à son tour contaminé ? L'exemple de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, ou du sang contaminé nous appelle à une prudence rigoureuse. Nous attendons donc les réponses du Gouvernement en la matière, madame la secrétaire d'Etat.
Enfin, à quelle date sera publié l'arrêté ministériel ou interministériel qui mettra fin à l'utilisation du Gaucho et du Régent, ces substances devenues aujourd'hui empoisonneuses publiques ? Ces questions sont d'actualité, madame la secrétaire d'Etat.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat au développement durable. Madame la sénatrice, la commission d'études de la toxicité a remis à la fin du mois de janvier, dans le cadre de la procédure communautaire de réévaluation de la molécule Fipronil, un avis accompagné d'une monographie dans lequel elle recommande de ne pas inscrire cette molécule sur la liste des substances autorisées.
Cet avis se fonde sur « l'insuffisance d'informations permettant de caractériser notamment le comportement de la substance dans l'environnement et ses conséquences sur la faune sauvage ». Mon collègue Hervé Gaymard a lui-même transmis un avis à l'Autorité européenne de sécurité des aliments, l'AESA, et proposé, en l'état actuel de nos connaissances, d'en suivre les préconisations.
Conformément aux principes généraux du droit, dès réception de cet avis, il a engagé parallèlement la procédure contradictoire destinée à permettre tant à l'industriel qui fabrique ce produit qu'aux utilisateurs concernés de faire valoir leurs observations.
A l'issue de cette procédure et après avoir procédé aux consultations interministérielles nécessaires, il a décidé, se fondant sur les articles L. 253-6 et R. 253-46 du code rural relatifs aux décisions de retrait ou de modification des autorisations de mise sur le marché, ainsi que sur l'article L. 110-1 du code de l'environnement, relatif au principe de précaution, de suspendre les autorisations de commercialisation des spécialités à usage agricole à base de Fipronil.
Cette décision concerne les produits suivants : le Régent TS, le Régent 5 GR, le Schuss, le Métis, le Texas et le Zoom. Elle s'appliquera, sauf fait scientifique nouveau dûment établi, jusqu'à ce que l'Autorité européenne de sécurité des aliments prenne position.
Concrètement, cette suspension entraîne l'interdiction de commercialiser ces produits et de les utiliser sur le territoire national. Cette décision s'appliquera à compter de sa notification à BASF, qui interviendra demain. Elle sera portée à la connaissance des utilisateurs de ces produits par publication au Journal officiel dans les meilleurs délais.
Dans ce type de décision, l'article R. 253-46 du code rural permet au ministre chargé de l'agriculture d'« accorder un délai pour supprimer, écouler, utiliser les stocks existants dont la durée est en rapport avec la cause du retrait ».
Une question particulière se pose en cette période de l'année pour les semis de printemps. A cette date, en effet, la quasi-totalité des semences enrobées est déjà chez les distributeurs ou chez les agriculteurs.
Compte tenu des motifs sur lesquels se fonde l'avis de la commission d'études de la toxicité, il a paru possible d'autoriser les agriculteurs à utiliser pour les semis de printemps les semences déjà enrobées dont ils disposent.
Je rappelle que l'avis de la commission d'études de la toxicité se fonde sur les risques encourus pour l'environnement et les espèces sauvages. Ce même avis précise qu'il n'y a pas de risques d'effets nocifs pour le consommateur ni pour ceux qui appliquent ce produit s'ils respectent les précautions d'emploi.
L'ensemble de ces décisions concerne, je le rappelle, tous les produits à usage agricole à base de Fipronil.
La molécule qui entre dans la fabrication du Gaucho a des propriétés comparables à celles du Fipronil. C'est la raison pour laquelle M. Hervé Gaymard a décidé de demander à la commission d'études de la toxicité de rendre, dans le délai d'un mois, un avis permettant de mettre à jour ses avis précédents à la lumière de ce nouveau texte.
Parallèlement, il a demandé aux services de son ministère d'engager la procédure contradictoire qui permettra au fabricant du Gaucho et à ses utilisateurs de faire valoir leurs observations sur une éventuelle suspension d'autorisation de mise sur le marché de ce produit, en intégrant toutes les données disponibles.
Enfin, il a décidé, avec ses collègues chargés de la santé, de l'écologie et du développement durable, et de la consommation, de saisir l'AFSSA, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, et l'AFSSE, l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale, afin de lever les incertitudes liées à certains avis d'experts qui paraissent contredire celui de la commission des toxiques au regard du risque pour la santé humaine.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Mme la secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse. Toutefois, je suis un petit peu déçue par vos propos.
Alors que personne ne conteste plus la toxicité du Gaucho - seul le Régent TS est interdit pour le moment -, il est toujours autorisé. La décision que vous prenez est grave puisque le Gaucho a été utilisé bien avant le Régent TS.
En outre, M. le ministre de l'agriculture ne prend pas vraiment une position claire. Il demande, en effet, à la commission d'études de la toxicité, dans le cadre d'une procédure communautaire, de réaliser une nouvelle étude pour le Gaucho, ce que ne je comprends pas très bien.
S'agissant des stocks, si je vous ai bien comprise, les semences qui sont déjà commercialisées et sont déjà chez les agriculteurs vont être utilisées au printemps. Puisque la toxicité de ce produit est avérée, pourquoi n'interdit-on pas dès le printemps son utilisation ?
Je le réaffirme, tous les stocks doivent être détruits, y compris les semences imprégnées. Tout le monde l'aura bien compris, il s'agit non pas là d'un produit que l'on vaporise sur les cultures, mais bien d'une semence imprégnée de cette molécule.
En n'affichant pas une position claire, j'ai l'impression que le Gouvernement, par l'intermédiaire de M. le ministre de l'agriculture, est en train de gagner du temps dans l'attente de nouveaux produits qui se substitueraient au Gaucho et au Régent TS. Sinon son attitude ne s'explique pas ! Quoi qu'il en soit, les apiculteurs ne vont pas apprécier votre réponse, madame la secrétaire d'Etat, car, contrairement à ce qu'ils attendaient, la décision est reportée.
Par ailleurs, vous êtes restée silencieuse sur l'indemnisation des apiculteurs. Ne va-t-on pas vers la disparition de l'apiculture française ? Certaines régions sont déjà touchées et, même si certaines des mesures nouvelles sont intéressantes, elles ne visent en réalité qu'à renforcer certains contrôles qui auraient dus être réalisés depuis très longtemps. Il ne s'agit donc là que de simples mesures d'accompagnement.
Enfin, il est décevant que vous ne nous ayez pas donné la date de publication de l'arrêté ministériel au Journal officiel. Ne nous acheminons-nous pas vers de nouvelles procédures judiciaires, comme celle du sang contaminé ?
Je reconnais ce matin qu'un petit pas a été fait, mais l'urgence appelait des mesures radicales, qui n'ont toujours pas été prises. La situation étant particulièrement grave, nous craignons, je le répète, une multiplication du nombre des procédures judiciaires.
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