Question de Mme LÉTARD Valérie (Nord - UC-UDF) publiée le 13/10/2004
Mme Valérie Létard attire l'attention de Mme la ministre déléguée à l'industrie sur la difficulté extrême que rencontrent les entreprises de la métallurgie pour se fournir en acier. Le décollage de l'économie chinoise, qui consomme à elle seule 45 % du marché mondial de l'acier, et l'extinction des exportations à partir du marché russe ont abouti à une augmentation très forte des prix, de l'ordre de 50 % depuis un an. Cette augmentation met évidemment en très grande difficulté les entreprises pour lesquelles cette matière première peut représenter jusqu'à 50 % du prix des produits. Dans certains cas, il est impossible pour les entreprises de répercuter ne serait-ce qu'une partie de ce coût supplémentaire sur les prix de vente. Pire encore, la pression sur la demande d'acier peut générer des pénuries empêchant certaines entreprises de travailler. Cette tension extrême du marché de l'acier en perdurant met en péril tout un pan de notre industrie. Face à cette situation, elle lui demande si, à l'instar des mesures prises par la Belgique, il serait possible d'envisager des dispositions pour inciter les donneurs d'ordre de marché public à examiner les difficultés de leurs fournisseurs au cas par cas pour les marchés en cours d'exécution et de demander aux producteurs d'acier européens de fournir en priorité leurs marchés. Si cela ne pouvait être fait, elle souhaite savoir quelles autres formes d'appui les entreprises concernées pourraient recevoir pour faire face à cette crise.
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Réponse du Ministère délégué au commerce extérieur publiée le 03/11/2004
Réponse apportée en séance publique le 02/11/2004
Mme Valérie Létard. Un grand quotidien économique titrait la semaine dernière : « La sidérurgie mondiale tout feu, tout flamme » pour évoquer la crise du marché de l'acier. Effectivement, monsieur le ministre, il y a bien le feu dans la maison pour des pans entiers de notre industrie métallurgique confrontée depuis deux ans à des hausses de prix de plus en plus vertigineuses.
Pour la période comprise entre les mois de décembre 2003 et d'août 2004, les augmentations relevées par la Fédération des industries mécaniques peuvent atteindre 63 %.
Si l'on exclut temporairement les constructeurs automobiles protégés par des contrats pluriannuels arrivant à échéance en 2005, toutes les autres entreprises se trouvent confrontées à une augmentation très forte de leur principale matière première. Pour certaines d'entre elles, en effet, l'acier peut représenter jusqu'à 50 % du prix de leur produit. Dans certains cas, il leur est impossible de répercuter ne serait-ce qu'une partie de ce coût supplémentaire sur leurs prix de vente.
Pis encore, la pression exercée sur la demande d'acier peut engendrer des pénuries empêchant certaines entreprises de travailler. Il en est ainsi, en particulier, de celles qui doivent s'approvisionner sur le marché « spot », c'est-à-dire en recourant à des contrats à trois mois.
La cause la plus régulièrement mise en avant pour expliquer ce dérèglement du marché de l'acier réside dans le « décollage » de l'économie chinoise qui a largement pesé sur le marché mondial ces dernières années. Au cours de la seule année 2003, la demande chinoise a augmenté de 38 millions de tonnes, soit l'équivalent de la consommation du Mexique et du Canada réunis.
Toutefois, cette explication ne saurait suffire à elle seule. Ainsi, depuis trois mois, l'on peut constater une décélération notable des importations d'acier chinoises. Pourtant, les prix restent toujours fortement orientés à la hausse.
Dans ce contexte difficile dont rien ne peut laisser penser qu'il se stabilise prochainement, les entreprises métallurgiques de notre pays sont, comme vous le savez, monsieur le ministre, très inquiètes, estimant à juste titre que les répercussions qu'elles pourraient être amenées à demander sur le prix de leurs produits inciteront certains de leurs clients à se tourner davantage vers la concurrence étrangère, en particulier vers des pays pratiquant des coûts peu élevés.
A terme, et si cette situation devait perdurer, c'est toute notre industrie métallurgique qui se trouverait fragilisée.
Les industriels concernés se sont adressés au Gouvernement pour lui demander de se préoccuper de cette question. Une table ronde s'est tenue voilà une dizaine de jours autour de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, pour étudier « une meilleure gestion de la hausse des prix de l'acier ».
Monsieur le ministre, à quelles décisions concrètes ces discussions ont-elles abouti ? Par ailleurs, à l'instar des mesures prises par la Belgique, envisagez-vous d'inciter les donneurs d'ordres de marchés publics à examiner les difficultés de leurs fournisseurs au cas par cas pour les marchés en cours d'exécution et de demander aux producteurs d'acier européens de fournir en priorité leurs marchés ? Quels seront vos axes d'action et, surtout, à quelle échéance seront-ils mis en oeuvre ?
Pour ne citer que le Valenciennois, de nombreux fournisseurs de notre pôle ferroviaire sont touchés par cette crise. Il serait souhaitable que les mesures de soutien qui pourraient éventuellement être prises n'interviennent pas trop tard.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur. Madame le sénateur, la question du prix de l'acier est effectivement préoccupante pour de nombreuses entreprises de notre pays. Plusieurs actions ont été menées par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie sur ce sujet depuis le mois d'avril dernier.
L'augmentation des prix de l'acier est due à deux facteurs : d'une part, la hausse de la demande, tirée par la Chine, que vous avez évoquée, madame le sénateur, et, d'autre part, les tensions pesant sur l'approvisionnement en matières premières nécessaires à l'industrie sidérurgique telles que le coke, les ferrailles et les minerais.
Aucun de ces deux paramètres ne trouvera de solution rapide. Ainsi, on n'assistera pas, tout à coup, à l'effondrement d'un marché ou à un approvisionnement bien supérieur. Il faut donc s'attendre à supporter pendant un certain temps des prix élevés de l'acier. La croissance de la Chine, bien que contrôlée par son gouvernement, est sans aucun doute durable. Aujourd'hui, les prix de l'acier pratiqués dans ce pays sont plus élevés que ceux que l'on enregistre en Europe.
L'augmentation de l'offre mondiale de matières premières afin de pallier ces difficultés nécessite des investissements extrêmement lourds en ce qui concerne les mines et les infrastructures de transport dans les pays producteurs et, par conséquent, demande du temps.
Ces déséquilibres structurels ont conduit à des hausses ininterrompues du prix de l'acier depuis 2003 dans tous les pays du monde. Cependant, il est à noter des disparités. L'Europe continue ainsi de bénéficier de prix sensiblement moins élevés que ceux de la zone américaine, tarifs équivalents à ceux qui sont pratiqués en Asie.
Dans ce contexte, la France, sur ma requête, a demandé au commissaire européen chargé du commerce, au mois d'avril dernier, d'engager toutes les actions possibles pour lever les barrières s'opposant à la circulation des matières premières et des produits finis.
Depuis lors, chacune des pistes évoquées dans le courrier qu'avait envoyé à cette fin M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a été explorée. Plusieurs résultats notables doivent être relevés, en particulier l'assouplissement du système de licences d'exportation de coke mis en place par la Chine, qui contribuait à la hausse très rapide des prix de cette matière. En effet, les Chinois n'exportaient pas suffisamment de coke par rapport aux besoins de l'industrie européenne.
La Commission européenne a aussi supprimé les droits antidumping sur les bobines à chaud et entame actuellement la renégociation des « accords acier » avec l'Ukraine et la Russie, pays dont la croissance est très forte et qui consomment une importante quantité de ferraille.
La France a besoin de ferraille, de coke. Elle ne doit plus se heurter aux droits antidumping qui ne font qu'entraîner une hausse des prix. Sur tous ces points, le Gouvernement a agi avec tous les moyens disponibles dans le cadre de l'Union européenne. Il reste déterminé à exploiter encore davantage toutes les possibilités d'action.
Par ailleurs, il a été demandé aux services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie d'être extrêmement attentifs à l'exercice correct de la concurrence dans le secteur de la distribution d'acier en France. En dehors du problème des quantités de production et de consommation, les circuits de distribution doivent en effet être transparents à l'égard des moyens de production existants.
Cette vigilance, bien que nécessairement peu visible, est très importante pour éviter que des ententes ne se créent à l'occasion de la hausse des prix et qu'une spéculation ou des stockages ne soient pratiqués pour accentuer encore la tendance. La situation est d'ailleurs similaire s'agissant du pétrole.
Madame le sénateur, en ce qui concerne plus précisément les suggestions que vous faites, je vous signale que des actions ont aussi été menées dans le domaine des marchés publics, l'Etat se devant d'être un client exemplaire à l'égard de ses fournisseurs. La « théorie de l'imprévision », qui veut que les marchés puissent être révisés en cas d'événements extérieurs imprévisibles bouleversant l'équilibre des contrats, a été rappelée aux services concernés. Le ministère de l'équipement a envoyé une circulaire aux préfets en ce sens. Cependant, nous constatons que peu d'entreprises ont fait appel à cette possibilité pour l'instant. Celles qui l'ont fait ont vu leurs difficultés examinées au cas par cas.
Enfin, M. le ministre délégué à l'industrie a organisé le 22 octobre dernier une table ronde consacrée spécifiquement à la filière automobile, au cours de laquelle les participants se sont notamment engagés sur la mise en chantier d'un tableau de bord du prix de l'acier et sur le principe d'une prise en compte de la hausse du prix de l'acier le long de la chaîne de sous-traitance. Il est en effet primordial que les entreprises touchées par l'augmentation des prix aient la possibilité de répercuter cette hausse, au moins partiellement, sur leurs clients.
Comme vous le constatez, le Gouvernement est très attaché à ce que les conséquences de la hausse du prix de l'acier sur le tissu industriel français soient maîtrisées au maximum. Il utilise tous les leviers d'action de l'Etat pour y remédier.
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Je vous remercie, monsieur le ministre, de la précision et de la clarté de votre réponse, laquelle a porté sur tous les points soulevés au travers de ma question.
Je tiens tout de même à rappeler très fortement que l'industrie liée à la production d'acier représente un pan non négligeable de l'activité de la région que je représente. C'est même un secteur considérable qui, s'il continue de faire face à des hausses de coût de cette nature, rencontrera de sérieuses difficultés - cela commence d'ailleurs à être déjà le cas.
J'ai bien entendu ce que vous avez dit à propos du marché de l'acier, monsieur le ministre. Ce marché paraît en effet particulièrement fermé. Il serait souhaitable d'analyser les mouvements de concentration que l'on observe au niveau mondial, notamment la création du groupe Mittal Steel, laquelle, selon moi, n'arrangera pas la situation. Il est important d'anticiper ces évolutions et leurs effets, qui, à mon avis, ne manqueront pas de se faire sentir à l'avenir.
J'ai bien compris, monsieur le ministre, que vous avez déjà entrepris cette anticipation par une série de mesures. D'autres devront intervenir. Certaines dispositions concernant notamment la révision des marchés publics sont trop peu connues des entreprises productrices, et il importe de remédier à cela.
Des mesures importantes devront être prises afin de soutenir fortement les entreprises qui, aujourd'hui, pour rester chez nous, sont obligées de consentir des efforts considérables.
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