Question de M. MASSON Jean Louis (Moselle - NI) publiée le 16/03/2006
M. Jean Louis Masson attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur le fait que sa question écrite n° 19932 du 20/10/2005 concernant la notion de gestion de fait n'a toujours pas obtenu de réponse, c'est-à-dire plus de quatre mois après qu'elle eut été posée. Il s'étonne tout particulièrement de ce retard important et il souhaiterait qu'il lui en indique les raisons.
- page 760
Erratum : JO du 31/08/2006 p.2297
Réponse du Ministère de la justice publiée le 24/08/2006
Le garde des sceaux, ministre de la justice, a l'honneur de faire connaître à l'honorable parlementaire qu'aucun principe ne s'oppose à ce que des élus locaux participent à la gestion d'associations. Toutefois, les liens mis en place avec les collectivités publiques emportent nécessairement des conséquences juridiques dès lors que des concours financiers publics sont accordés aux associations. En premier lieu, il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations et du décret n° 2001-495 du 6 juin 2001 pris pour son application et relatif à la transparence financière des aides octroyées par les personnes publiques, des obligations s'imposent selon le niveau des subventions allouées ; une convention doit être conclue entre l'autorité administrative et l'organisme de droit privé qui perçoit des subventions annuelles excédant 23 000 euros et lorsque celles-ci dépassent 153 000 euros, les comptes de l'organisme subventionné doivent en outre être déposés en préfecture. Les associations subventionnées relèvent de surcroît du contrôle facultatif de la Cour des comptes, des chambres régionales de comptes ou des chambres territoriales des comptes. L'étendue du contrôle qui peut être effectué varie alors selon le niveau relatif des subventions ainsi perçues dans les ressources totales de l'association bénéficiaire ; il se limitera au compte d'emploi si les subventions n'excèdent pas 50 % des ressources (art. L. 211-6, R. 133-4 et R. 211-3 du code des juridictions financières). S'agissant de la participation d'élus locaux au fonctionnement des organismes privés subventionnés par la collectivité publique, deux écueils doivent être évités : celui de la gestion de fait et celui des infractions pénales de prise illégale d'intérêts et de détournement de fonds publics. La notion de gestion de fait développée par les juridictions financières s'applique à toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans autorisation, s'immisce dans le maniement de deniers publics en méconnaissance du principe fondamental de gestion des finances publiques qu'est la séparation des ordonnateurs et des comptables, ces derniers ne pouvant notamment être élus. La participation d'élus à la gestion d'une association subventionnée n'est pas en elle-même de nature à les constituer gestionnaires de fait. Pour être applicable, la gestion de fait suppose que, pour les opérations en cause, l'association ne dispose d'aucune autonomie par rapport à la collectivité publique et notamment qu'elle prenne en charge certaines dépenses ou recettes qui sont normalement et légalement dévolues à la collectivité publique. Dans sa jurisprudence, le juge des comptes distingue trois formes fréquentes de gestion de fait tenant à l'extraction irrégulière de deniers publics, à l'ingérence dans l'encaissement de recettes publiques et au recours à une association transparente dont l'objet et l'activité sont fictifs. Ainsi, modifier l'affectation de subventions versées à une association, généralement en vue de financer son fonctionnement ou une action précise, en lui faisant supporter la charge financière d'une dépense incombant légalement à la personne publique, est constitutif d'une gestion de fait par extraction irrégulière des deniers publics. De même, le fait d'encaisser et de conserver les recettes afférentes à une activité organisée par une collectivité publique sans y être habilité par une convention est constitutif de la deuxième forme courante de gestion de fait par ingérence dans l'encaissement de recettes publiques. Dans la troisième forme fréquente de gestion de fait, un faisceau d'indices permet de caractériser la transparence d'une association : l'absence d'indépendance réelle à l'égard de la collectivité publique pour son financement, son organisation, son fonctionnement, sa gestion, un pouvoir de décision détenu en fait par l'autorité publique ou ses représentants et une activité qui en fait un démembrement du service public. L'objectif de l'autorité publique qui recourt à une structure associative transparente vise généralement à échapper aux règles du droit public au bénéfice du statut associatif, afin par exemple de se soustraire au contrôle des dépenses publiques, au code des marchés publics... Les subventions attribuées à une association transparente sont alors qualifiées de fictives par le juge des comptes et conservent leur caractère de deniers publics, de sorte que les personnes qui les manient sans disposer de la qualité de comptable public qui l'autorise, ou celles qui tolèrent qu'elles soient ainsi employées, peuvent alors être déclarées gestionnaires de fait. En outre, modifier l'affectation des subventions versées à une association, généralement en vue de financer son fonctionnement ou une action précise, en lui faisant supporter la charge financière d'une dépense incombant à la personne publique est constitutif d'une gestion de fait par extraction irrégulière des deniers publics. La gestion de fait ne tient donc pas à la participation d'élus à la gestion de l'association, mais au manque d'indépendance de ses activités, qui sont de fait un simple prolongement dans un autre cadre juridique des activités de la personne publique. Il peut ainsi y avoir gestion de fait sans qu'aucun élu ne dirige statutairement l'association. Afin de se prémunir de toute gestion de fait, il importe donc que les élus participant à l'animation d'associations déterminent précisément les relations entre la collectivité publique et l'association subventionnée, au travers notamment de conventions de partenariat qui déterminent très clairement les obligations réciproques de chacune des parties en particulier financières (recettes et dépenses), qui assurent l'indépendance de l'organisme subventionné et qui soient scrupuleusement respectées dans l'exercice concret de l'activité associative. Il convient en effet d'indiquer que le comptable de fait engage sa responsabilité sur ses biens personnels, supporte la même responsabilité que le comptable de droit et peut donc être condamné à une amende en sus du débet. Outre cette responsabilité pécuniaire, l'élu qui participe à l'animation du secteur associatif subventionné peut plus particulièrement engager sa responsabilité pénale dans deux hypothèses. Si un élu local prend un intérêt quelconque dans une association (en participant à son administration ou à sa surveillance, en étant employé par elle, en contractant avec elle...) et en même temps dispose d'un pouvoir général ou d'une délégation de pouvoir au sein d'un exécutif local qui lui permet de participer à la décision d'octroi d'une subvention à ladite association, une telle situation est de nature à caractériser une prise illégale d'intérêt, délit prévu et réprimé par l'article 432-12 du code pénal (voir les arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 juin 1995 association T., du 6 août 1996 association Expo marine et du 9 mars 2005 association Philolille). Le contrôle et la surveillance de l'organisme subventionné qui doivent s'exercer dans l'intérêt général pourraient en effet être compromis par un intérêt personnel, direct ou indirect, matériel ou moral, en pareille situation. Enfin, si l'argent d'une subvention publique est utilisé à d'autres fins que celles ayant motivé son octroi, le délit de détournement de fonds publics est susceptible d'être constitué.
- page 2220
Page mise à jour le