Question de Mme BOUMEDIENE-THIERY Alima (Paris - SOC-R) publiée le 01/06/2006
Mme Alima Boumediene-Thiery attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les unités expérimentales de visite familiale, dites UEVF. Celles-ci n'existent toujours qu'à titre expérimental et n'ont pas encore été généralisées à l'ensemble de l'administration pénitentiaire. Pis, lorsqu'elles existent, leur accès est parfois restreint aux personnes incarcérées. A titre d'exemple, il existe des UEVF dans les établissements de Liancourt, Avignon et Toulon, mais elles ne sont pas mises à la disposition des détenus et de leur famille. La réinsertion commence en prison et elle passe notamment par la généralisation des UEVF qui permettent aux personnes incarcérées de maintenir un contact humain avec leur famille. D'ailleurs, de nombreux pays d'Europe ainsi que le Canada ont appliqué, de façon généralisée et avec succès, une telle politique. Elle lui demande donc ce qu'il compte mettre en oeuvre afin d'assurer une application effective et uniforme des dispositions relatives aux unités de visite familiale.
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Réponse du Ministère délégué à l'industrie publiée le 21/06/2006
Réponse apportée en séance publique le 20/06/2006
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, auteur de la question n° 1070, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, je regrette que M. le garde de sceaux ne soit pas présent pour répondre à une question sur les prisons.
Après le rapport du commissaire européen aux droits de l'homme, après le rapport 2005 de la Commission nationale de déontologie de la sécurité et après l'appel des « dix » de Clairvaux sur les longues peines, nous ne pouvons demeurer insensibles ou inactifs face aux zones de destruction des êtres, aux espaces de privation de liberté et, trop souvent, aux lieux de négation des droits que sont les prisons françaises.
À l'occasion des débats sur les nombreux projets de loi présentés récemment par le Gouvernement ainsi que lors de la séance consacrée à l'ordre du jour réservé sur le respect effectif des droits humains en France, je n'ai eu de cesse de répéter que la réinsertion commence dès le premier jour de la détention.
La mise en oeuvre de cette réinsertion pour une personne incarcérée passe, notamment, par le maintien effectif des liens avec sa famille, ce qui suppose que soient prises, le plus vite possible, une série de décisions courageuses et indispensables, car la réinsertion est une bonne garantie contre la récidive.
Parmi ces décisions, je citerai rapidement, sans m'attarder davantage, la fin de la politique de l'administration dite de « tourisme carcéral ».
Cette politique, trop largement répandue et qui vise à punir officieusement la personne incarcérée, consiste à déplacer le détenu de prison en prison sur l'ensemble du territoire national.
Les familles de personnes incarcérées se trouvent ainsi mises dans l'incapacité de continuer à visiter régulièrement leur proche.
Une famille qui vit à Marseille ne peut ni matériellement ni financièrement, convenablement rendre visite à un père, à une soeur, à un frère qui est déplacé de Moulins-Yzeure à Liancourt ou de Lons-le Saunier à Lorient-Ploemeur, puis à Lannemezan !
Trop de familles, parfois même à la demande expresse de la personne incarcérée, finissent par abandonner les visites et se résignent à ne plus les effectuer.
Cependant, le coeur de ma question vise essentiellement les unités expérimentales de vie familiale, les UEVF, qui sont le résultat d'un long processus que l'on peut faire remonter à 1985 et à l'ouverture des parloirs intimes au centre de détention de Mauzac-et-Grand-Castang.
Avancée après avancée, le régime des UEVF est aujourd'hui régi par une circulaire en date du 18 mars 2003.
Il n'est accessible qu'aux personnes incarcérées à Rennes, à Poissy et à Saint-Martin-de-Ré, et il sera bientôt accessible aux personnes incarcérées ailleurs également.
Seules les personnes incarcérées, condamnées à titre définitif et ne pouvant bénéficier de permissions de sortir ou d'autres aménagements de peine peuvent accéder aux UEVF.
L'accès aux UEVF n'est accordé par les autorités pénitentiaires qu'à l'issue d'un très long et complexe processus.
Une visite au sein d'une UEVF dure entre six et douze heures, pouvant aller jusqu'à vingt-quatre heures, parfois quarante-huit heures.
Une visite de soixante-douze heures pourra être accordée une fois par an.
Les visites au sein des unités ne peuvent avoir lieu qu'une fois par trimestre, et elles se font en fonction des possibilités de l'établissement.
De plus, elles ne sont possibles que sur décision de la direction de la prison. Dans les faits, elles sont donc non pas un droit, mais une récompense ou une sanction !
Monsieur le ministre, je me suis personnellement rendue à Moulins, puis à Poissy et à Rennes, pour constater sur place les différences et entendre les personnes concernées.
J'ai pris contact avec Saint-Martin-de-Ré. J'ai consulté le personnel pénitentiaire et les différentes organisations qui travaillent dans le domaine du monde carcéral.
J'ai enfin demandé au service juridique du Sénat de fournir une note de législation comparée entre le régime français de maintien des liens familiaux en prison et ceux du Canada ou de pays d'Europe. Connaissez-vous ces expériences ? Il me semble que l'on pourrait s'inspirer de certaines d'entre elles.
À chacune de mes visites, à chacun de mes contacts, il m'a été répondu avec force et conviction que les UEVF étaient un excellent facteur de réinsertion des personnes incarcérées et qu'elles offraient des bénéfices non seulement pour ses dernières et leur famille, mais également pour l'administration et le personnel pénitentiaire, qui se félicite d'entretenir de meilleures relations avec les détenus, car il existe moins de tensions.
Or, les UEVF n'existent toujours qu'à titre expérimental et n'ont pas encore été généralisées à l'ensemble de l'administration pénitentiaire.
Pis, lorsqu'elles existent, elles ne sont pas utilisées, comme c'est le cas pour les établissements de Liancourt, d'Avignon et de Toulon où elles ne seront finalement mises à la disposition des familles que le 1er juillet prochain !
Monsieur le ministre, quand allez-vous faire dans un rapport un bilan sur les UEVF ?
Quand mettrez-vous un terme au caractère expérimental de ces unités et procéderez-vous à leur généralisation complète et uniforme sur l'ensemble du territoire ?
Il serait également important de revoir le règlement intérieur de ces UEVF.
Aujourd'hui, seules les personnes détenues peuvent « cantiner », et souvent elles commandent trop de nourriture, malgré le peu de moyens dont elles disposent, pour honorer du mieux possible des visites qu'elles sont si contentes de recevoir.
En outre, les familles souhaiteraient préparer et amener avec elles des « petits plats » que la personne incarcérée aime, quitte à se présenter une heure avant pour effectuer les contrôles et les vérifications nécessaires.
Par ailleurs, les détenus ne peuvent pas ramener avec eux l'excédent de nourriture non utilisé. Or, souvent, les familles refusent de repartir avec cet excédent, par dignité, sachant ce que le repas a coûté à leur proche. Ces aliments sont ainsi perdus alors que les détenus les payent un prix relativement élevé par le « cantinage ».
Pourrait-on revoir ce règlement intérieur ?
Enfin, quand allez-vous remédier à la cadence des visites, qui devraient être mensuelles plutôt que trimestrielles, comme cela est le cas chez nos voisins espagnols ?
Je terminerai par ce qui m'a été dit par plusieurs personnes, notamment par des membres de l'administration pénitentiaire, par des anciens détenus ou par leurs familles : tout ce qui est donné aux uns, n'est pas arraché aux autres !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Loos, ministre délégué à l'industrie. Madame la sénatrice, vous avez bien voulu appeler l'attention de M. le garde des sceaux sur les unités expérimentales de visite familiale - UEVF - dans les établissements pénitentiaires. Vous l'interrogez sur les mesures mises en oeuvre pour assurer une application effective et uniforme de ce dispositif. S'agissant des autres questions que vous posez, je ne manquerai bien évidemment pas de les transmettre à Pascal Clément.
Les unités de visite familiale ont été créées en 2003, à titre expérimental, par le ministre de la justice sur trois sites pilotes : le centre pénitentiaire pour femmes de Rennes ouvert en septembre 2003, la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, ouverte en avril 2004 et la maison centrale de Poissy ouverte en décembre 2005.
Afin de pouvoir décider en toute connaissance de cause de l'avenir de ce dispositif, l'expérimentation devait être accompagnée d'une évaluation après dix-huit mois de fonctionnement de chacune de ces structures : le bilan réalisé sur les deux premiers sites s'est avéré extrêmement positif ; les premiers éléments obtenus après quelques mois seulement de fonctionnement du dernier établissement le sont également.
En conséquence, M. le garde des sceaux a décidé de ne pas attendre la fin de la période expérimentale du dernier site pour prendre la décision de pérenniser les unités de visite familiale des trois sites pilotes. Il ne s'agira plus désormais d'unités expérimentales de visite familiale, mais d'unités de visite familiale, UVF.
Il a également été décidé d'ouvrir les unités de visite familiale dans les établissements où elles existent, mais dont l'opérationnalité dépendait des résultats de l'évaluation précitée. Ainsi, quatre établissements pénitentiaires sont concernés : les centres de détention ou quartiers de centres de détention d'Avignon-Le Pontet, de Liancourt, de Meaux-Chauconin et de Toulon-La Farlède. Ces ouvertures devraient avoir lieu dès l'automne 2006, un temps de préparation et de formation des personnels ainsi que l'aménagement des locaux étant nécessaires à la réussite du projet.
Enfin, les locaux d'unités de visite familiale seront intégrés dans la conception architecturale des futurs programmes immobiliers pénitentiaires, qui représentent 13 200 places.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, je me félicite qu'une évaluation très positive permette de pérenniser les unités de visite familiale.
En revanche, je regrette que leur ouverture à Avignon, à Toulon, à Liancourt et à Meaux, qui était prévue le 1er juillet, ait été reportée à l'automne. Je ne comprends pas très bien la raison de ce retard. Dans la mesure où le bilan est positif, pourquoi ne pas les ouvrir comme prévu au 1er juillet ?
En outre, il serait important de modifier le règlement intérieur de ces établissements. Vous m'avez répondu que vous transmettriez mes remarques à ce sujet à M. le garde des sceaux ; je compte sur vous.
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