Question de M. GODEFROY Jean-Pierre (Manche - SOC) publiée le 06/07/2006
M. Jean-Pierre Godefroy attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur le statut juridique des enfants nés sans vie. Conformément à l'article 79-1 du code civil, l'enfant sans vie est celui qui est mort-né après quatre mois et demi de grossesse ou l'enfant qui est né vivant mais non viable et décédé avant la déclaration de naissance ; ils sont entre 5 000 et 6 000 chaque année.
Comme le signale le Médiateur de la République dans son rapport annuel, le régime juridique applicable à ces enfants en matière de droits sociaux et d'état civil ne permet pas d'accompagner au mieux les familles concernées dans leur processus de deuil.
En matière d'état civil, le problème tient au fait que l'acte attestant que l'enfant est né sans vie n'est pas un acte de naissance : il ne détermine donc aucune filiation et ne valide aucune reconnaissance prénatale. Ainsi, les parents d'un enfant né sans vie peuvent prénommer leur enfant mais ne peuvent pas lui donner leur nom de famille. De même, l'inscription de cet enfant dans le livret de famille pose de véritables problèmes dans le cas des couples non mariés dont c'est le premier enfant et est extrêmement complexe pour les parents d'enfants naturels.
Plusieurs législations européennes prouvent qu'une réforme autorisant la reconnaissance légale d'un enfant né sans vie est envisageable. Ainsi, de nombreux États européens accordent une personnalité juridique à l'enfant né sans vie, avec les conséquences qu'une telle reconnaissance entraîne : possibilité de déterminer une filiation et d'attribuer un nom, inscription sans restriction sur le livret de famille,
Le droit français se caractérise par la faible portée qu'il attribue à l'acte d'enfant né sans vie. Jusqu'à présent, le ministère de la justice n'a donné aucune suite à la proposition du Médiateur de créer un groupe de travail chargé d'étudier ces questions. Il lui demande donc de lui indiquer l'état de sa réflexion à ce sujet.
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Réponse du Ministère délégué au tourisme publiée le 11/10/2006
Réponse apportée en séance publique le 10/10/2006
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question n° 1093, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Pierre Godefroy. Au mois de juin dernier, à l'occasion de l'examen de deux propositions de loi relatives à la législation funéraire et aux congés pour évènements familiaux, j'avais attiré l'attention du Sénat et du Gouvernement sur le statut juridique des enfants nés sans vie.
Aujourd'hui, je souhaite précisément attirer l'attention de M. le garde des sceaux sur ce sujet.
En effet, conformément à l'article 79-1 du code civil, l'enfant né sans vie est celui qui est mort-né après quatre mois et demi de grossesse ou l'enfant qui est né vivant mais non viable - il doit avoir respiré au moins une fois - et décédé avant la déclaration de naissance. Ces enfants sont entre 5 000 et 6 000 chaque année, c'est-à-dire un chiffre comparable au nombre des victimes d'accidents de la route ou de l'amiante. Cette comparaison a pour objet de vous montrer qu'il ne s'agit pas d'une question marginale.
Comme le souligne le Médiateur de la République dans son rapport annuel, le régime juridique applicable à ces enfants en matière de droits sociaux et d'état civil ne permet pas d'accompagner au mieux les familles concernées dans leur processus de deuil.
En matière d'état civil, le problème tient au fait que l'acte attestant que l'enfant est né sans vie n'est pas un acte de naissance ; il ne détermine donc aucune filiation et ne valide aucune reconnaissance prénatale. Ainsi, les parents d'un enfant né sans vie peuvent prénommer leur enfant, mais ils ne peuvent pas lui donner leur nom de famille. De même, l'inscription de cet enfant dans le livret de famille pose de véritables problèmes dans le cas des couples non mariés dont c'est le premier enfant, et est extrêmement complexe pour les parents d'enfants naturels.
Cela a des conséquences sur les droits sociaux. Ainsi les pères d'enfants nés sans vie ne peuvent bénéficier du congé de paternité puisque l'acte d'enfant sans vie n'est pas un acte de naissance.
Plusieurs législations européennes prouvent qu'une réforme autorisant la reconnaissance légale d'un enfant né sans vie est envisageable. Ainsi, de nombreux États européens accordent une personnalité juridique à l'enfant né sans vie, avec les conséquences qu'une telle reconnaissance entraîne : possibilité de déterminer une filiation et d'attribuer un nom, inscription sans restrictions sur le livret de famille.
Le droit français se caractérise en fait par la faible portée qu'il attribue à l'acte d'enfant sans vie. Jusqu'à présent, le ministère de la justice n'a donné aucune suite à la proposition du Médiateur de la République de créer un groupe de travail chargé d'étudier ces questions. Une réforme du statut juridique des enfants nés sans vie soulagerait ces quelques milliers de familles qui, chaque année, vivent ce douloureux événement.
Monsieur le ministre, pourriez-vous m'indiquer où en est la réflexion du ministère de la justice sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, qui va pour l'occasion remplir les fonctions de garde des sceaux.
M. Léon Bertrand, ministre délégué au tourisme. En qualité de maire, je suis aussi officier de l'état civil, monsieur le président. Je suis donc, d'une certaine façon, fondé à répondre à la question de M. Jean-Pierre Godefroy.
Monsieur le sénateur, la question du statut juridique des enfants nés sans vie est particulièrement délicate et sensible.
Je comprends le souhait exprimé par M. le Médiateur de la République de mieux répondre à la douleur des parents. Il convient cependant de prendre garde aux effets que pourrait entraîner une modification des équilibres actuels.
En effet, la personnalité juridique est conditionnée à la naissance d'un enfant vivant et viable. Il s'agit là de l'un des fondements du droit français. Ce double critère détermine le droit applicable, qu'il s'agisse du droit civil, des droits sociaux ou du régime de responsabilité médicale et pénale.
Pour tout enfant qui n'est pas né vivant et viable, un acte d'enfant sans vie peut être dressé par l'officier de l'état civil si la grossesse a atteint un seuil de développement suffisant. Ce seuil résulte de critères médicaux définis par l'Organisation mondiale de la santé.
Dans la mesure où la filiation et le nom constituent des attributs de la personnalité, l'acte d'enfant sans vie n'emporte aucune conséquence en matière de filiation et de nom, et il ne peut en être autrement.
On ne peut davantage reconnaître l'existence d'une famille du fait de l'enfant sans vie. En effet, lorsque les parents ne sont pas mariés, c'est la naissance d'un enfant qui fonde une famille. Les conditions de délivrance du livret de famille n'en sont que la conséquence.
Toutefois, monsieur le sénateur, je puis vous assurer que le Gouvernement a récemment apporté des améliorations sensibles à ces situations douloureuses.
D'une part, un décret du 1er août 2006 améliore la prise en charge, dans les établissements publics de santé, du corps des enfants pouvant être déclarés sans vie à l'état civil. D'autre part, à l'occasion de la réforme de la filiation, la circulaire du 30 juin 2006 a modifié le modèle de l'acte d'enfant sans vie. Ce nouveau modèle, qui permet d'indiquer le nom des deux parents, remédie ainsi à l'une des difficultés soulignées par le Médiateur de la République.
Ces éléments ont été portés à la connaissance du Médiateur de la République, dans le cadre du groupe de travail qu'il a mis en place et auquel le Gouvernement participe, bien évidemment.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.
Je rappelle tout de même que, pour ce qui concerne les enfants nés hors mariage - actuellement, c'est le cas d'un enfant sur deux -, l'inscription d'un enfant sans vie sur le livret de famille n'est possible que si un deuxième enfant vient à naître, ce qui pose un vrai problème. En effet, ce deuxième enfant peut être considéré par les parents - et c'est psychologiquement très douloureux - comme un enfant de substitution.
Il serait donc souhaitable que, par une procédure très encadrée, puisse être délivré un livret de famille portant la mention « enfant né sans vie ». Car, bien souvent, le père a fait une reconnaissance anticipée de paternité et cette déclaration devant un officier de l'état civil se trouve annulée puisqu'elle ne peut être transférée sur le livret de famille.
Pour ces parents, il s'agit d'un moment très douloureux. En effet, cet enfant, bien qu'il ne possède pas de réalité juridique, a existé dans le ventre de sa mère. Il a bien souvent reçu un prénom et son arrivée a été préparée.
La situation des couples non mariés, qui doivent attendre qu'un deuxième enfant naisse pour pouvoir faire figurer leur enfant né sans vie sur le livret de famille, devrait être prise en compte.
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