Question de M. FAUCHON Pierre (Loir-et-Cher - UC-UDF) publiée le 12/01/2007

Question posée en séance publique le 11/01/2007

M. Pierre Fauchon. Monsieur le garde des sceaux, nous avons assisté, lundi dernier, à la remarquable audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation consacrée au thème de l'Europe judiciaire. La Cour nous a ainsi donné un bel exemple du niveau élevé et de l'horizon élargi de ses réflexions.

Assez curieusement, M. le procureur général a cru devoir évacuer rapidement le sujet pour se livrer à un plaidoyer quelque peu fracassant en faveur de l'indépendance du parquet.

Après avoir recouru à des allusions transparentes pour dénoncer ce qu'il a appelé une « éventuelle mainmise politique », M. Nadal a rappelé qu'en transférant au parquet non seulement la poursuite mais, pour une part grandissante, le jugement des affaires pénales, le législateur avait, en quelque sorte, mis les juges du parquet en situation de revendiquer - et on les comprend - la même indépendance que celle de leurs collègues du siège, ce qui signifie une remise en cause du système des nominations et de la pratique des instructions individuelles.

Au sujet de ces dernières - ce fut le passage le plus intéressant ou le plus curieux de son discours -, le procureur général a précisé que le problème ne venait pas tant de celles qui sont données, mais plutôt et surtout de celles qui ne le sont pas - ah ! le danger des instructions qui ne sont pas données ! -, ce qui n'a pas manqué de faire sourciller quelques-unes des plus hautes autorités présentes et de faire sourire quelques autres, sans doute mieux averties.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, M. Fauchon a épuisé son temps de parole !

M. Pierre Fauchon. Rassurez-vous, monsieur le garde des sceaux, ma question n'aura pas pour objet de vous demander si vous renoncez à ces instructions, spécialement aux instructions qui ne sont pas données, parce que ce serait une espèce de supplice chinois, lequel, bien entendu, n'appartient pas à l'actualité dans mon esprit. (Rires et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.) Je ne suis pas assez méchant pour cela !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Fauchon !

M. Pierre Fauchon. Mais ne faudra-t-il pas, un jour ou l'autre, revenir à la distinction fondamentale entre les deux missions de poursuite et de jugement qui incombent traditionnellement à deux catégories de magistrats et qu'il reste important de ne pas confondre ? Cela implique, comme le Conseil constitutionnel nous l'a rappelé il n'y a pas si longtemps, de ramener effectivement au bercail des juges du siège le jugement de toutes les affaires pénales, ce qui englobe bien évidemment les procédures de composition et peut-être aussi le choix de l'orientation des dossiers entre les juridictions classiques et les formules alternatives dans la mesure où ces choix ne sont pas purement techniques. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 12/01/2007

Réponse apportée en séance publique le 11/01/2007

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur Fauchon, nous étions effectivement nombreux, lundi dernier, lors de la séance solennelle de rentrée de la Cour de cassation, dont le thème, qui avait été choisi par le Premier président, était « La justice et l'Europe ». Nous avons ainsi pu entendre avec bonheur le discours de M. le Premier président et celui de M. Franco Frattini, vice-président de la Commission européenne, chargé de la justice, de la liberté et de la sécurité Nous avons ensuite été quelque peu surpris par les réquisitions du procureur général qui, lui, a évoqué un autre sujet, l'indépendance du parquet, qui n'était pas, il est vrai, celui que nous attendions.

Votre question me permet - et je vous en remercie - de faire litière d'un certain nombre de critiques que je déplore. En effet, j'ai pu lire, ici ou là, que la réforme de la justice que j'ai proposée au nom du Gouvernement au Parlement serait une « réformette » au motif que je n'aurais pas pris la pleine mesure du sujet et que je n'aurais pas traité des grandes questions.

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas faux !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ce n'est peut-être pas faux, mais permettez-moi de m'expliquer !

L'une de ces grandes questions est précisément l'indépendance du parquet, serpent de mer s'il en est. Mettez-vous à la place - un seul instant, je vous rassure ! (Sourires.) - du garde des sceaux et interrogez-vous sur ce que vous devez faire.

Vous commencez, c'est de bon sens, par écouter le Premier président de la Cour de cassation. Celui-ci vous dit qu'il faut scinder le corps des magistrats en deux, les poursuiveurs d'un côté et les juges de l'autre. Le garde des sceaux que vous êtes se tourne ensuite vers le procureur général et celui-ci lui dit exactement l'inverse : nous devons avoir le respect de l'unicité du corps et nous devons faire en sorte que les procureurs soient indépendants, mais dans le même corps de magistrats que les magistrats du siège.

Vous êtes très avancé lorsque vous avez entendu les avis divergents du Premier président et du procureur général !

Mme Catherine Tasca. Tirez au sort !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. En homme prudent, vous vous dites alors qu'il est bon de renvoyer à la réflexion ce sujet, qui n'est pas mûr.

Par conséquent, je remercie le procureur général près la Cour de cassation, qui a illustré par ses propos que le problème ne pouvait pas encore faire l'objet d'une grande réforme législative, personne ne s'accordant sur ce qu'il convenait de faire.

Enfin, la question de savoir si le parquet doit être rattaché à l'exécutif a été résolue par le général de Gaulle. Dans une célèbre conférence de presse, à la question « quelle est la légitimité du magistrat ? », celui-ci a répondu que l'élection du Président de la République au suffrage universel lui conférait sa légitimité et que c'était la raison pour laquelle le Président de la République était le président du Conseil supérieur de la magistrature.

Donc, ceux qui veulent couper le lien hiérarchique entre l'élu et le magistrat considèrent que la légitimité se passe du suffrage universel et ne s'obtient que par la réussite au concours d'entrée dans le corps de la magistrature.

M. le président. Monsieur le ministre, je vous prie de conclure !

M. Jean-Pierre Sueur. C'est un bavard !

M. Jean-Pierre Michel. Arrêtez-le, il dit des bêtises !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Il est certain qu'en l'absence d'un gouvernement pour unifier toutes les politiques qui sont menées dans les parquets vous aurez autant de politiques que de procureurs ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) C'est honnêtement le sujet sur lequel les Français devraient se mettre d'accord.

Quant aux plaintes concernant les instructions, surtout, comme vous l'avez dit avec talent, monsieur Fauchon, celles qui n'existent pas, je le dis clairement : si un procureur général en France se plaint d'une instruction que lui aurait donnée son ministre, je serai heureux de l'entendre et de recueillir sa plainte. Jusqu'à présent, bien qu'ayant posé la question cent fois, je n'ai jamais entendu de réponse ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

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