Question de M. DEMERLIAT Jean-Pierre (Haute-Vienne - SOC) publiée le 13/09/2007

M. Jean-Pierre Demerliat appelle l'attention de M. le secrétaire d'État chargé des transports sur les menaces graves qui pèsent sur l'avenir de l'activité fret SNCF dans la région Limousin et plus particulièrement dans le département de la Haute-Vienne.

La décision de la SNCF de supprimer le « wagon isolé » à compter du 30 novembre 2007, au prétexte de rentabilité insuffisante, aura pour conséquence la quasi disparition du trafic fret ferroviaire à destination ou au départ de la région Limousin. Cette décision prise sans concertation avec les élus locaux, les personnels de la SNCF et les clients fret aura de graves conséquences économiques et sociales dans plus d'une dizaine de sites et de gares, notamment ceux de Puy-Imbert à Limoges, de Verneuil, d'Ambazac…

La suppression du « wagon isolé » est d'autant plus inacceptable que le flux de marchandises ne cesse aujourd'hui de progresser et que les principaux axes routiers du Limousin comme de la Haute-Vienne (A 20, RN 141, RN 145, RN 147 …) voient déjà défiler des milliers de poids-lourds.

A l'heure où le développement durable est prétendument une priorité nationale, l'activité fret ferroviaire est une option particulièrement intéressante à développer.

Il souhaiterait donc connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre pour assurer l'avenir de l'activité fret SNCF en Haute-Vienne, en Limousin et sur l'ensemble du territoire national.

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Réponse du Secrétariat d'État chargé de l'écologie publiée le 24/10/2007

Réponse apportée en séance publique le 23/10/2007

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Demerliat, auteur de la question n° 29, adressée à M. le secrétaire d'État chargé des transports.

M. Jean-Pierre Demerliat. Madame la secrétaire d'État, la SNCF a pris la décision de fermer 262 gares au « wagon isolé » à compter du 30 novembre prochain.

Je rappelle que la SNCF parle de « wagon isolé » lorsqu'un convoi est constitué de wagons n'ayant pas le même chargement et la même provenance.

Je souhaite donc ici évoquer l'inquiétude et l'incompréhension de tous les entrepreneurs concernés, des élus et des cheminots face à cette décision.

En Limousin, quatorze gares sont actuellement ouvertes au « wagon isolé », dont sept en Haute-Vienne.

À compter du 30 novembre prochain, aucune de ces gares ne pourra plus accueillir de wagons de marchandises isolés.

Le trafic « wagon isolé » est pourtant parfaitement bien adapté au tissu industriel de la Haute-Vienne, du Limousin et, plus généralement, des régions de France où prédominent les PME dont on connaît l'importance économique. En effet, celles-ci n'ont souvent que des volumes limités à faire transporter. La possibilité de les expédier en un ou en quelques wagons correspond donc tout à fait à leurs besoins.

Madame la secrétaire d'État, si cette décision était maintenue, de très nombreuses petites et moyennes entreprises utilisant le fret ferroviaire seraient ainsi obligées de revoir le mode de transport de leur production, voire dans certains cas de se délocaliser pour se rapprocher des nouvelles plates-formes de tri mises en place ailleurs.

Dire, comme certains responsables de la SNCF, que le « wagon isolé » ne représente qu'une petite partie du trafic est faux. Cela dénote aussi de leur part une méconnaissance certaine de la réalité économique du pays.

L'activité de fret en « wagon isolé » reste, je le répète, fondamentale pour la plupart des PME. Son abandon fragiliserait le tissu économique et social en Haute-Vienne, en Limousin, comme d'ailleurs partout en France.

L'abandon du transport par « wagon isolé » se traduira également par une augmentation considérable du nombre de poids-lourds sur le réseau routier, déjà surchargé.

M. André Lejeune. C'est là le problème !

M. Jean-Pierre Demerliat. On assistera donc à un accroissement des accidents et de la pollution.

Cette décision, dont l'annonce se télescope avec la tenue du Grenelle de l'environnement, ferait sourire si elle n'était tragique !

De plus, sur le plan de l'emploi, l'abandon de l'activité « wagon isolé » s'accompagnera d'importantes suppressions d'effectifs à la SNCF.

Madame la secrétaire d'État, pour toutes ces raisons, les entrepreneurs, les élus locaux, les élus nationaux et les cheminots ne peuvent ni comprendre ni admettre une telle décision. Ils ne comprennent pas et n'admettent pas que l'on puisse abandonner ainsi un outil performant !

Les nombreuses gares de fret SNCF ne sont pas un handicap. Elles constituent au contraire un atout au regard de l'urgence économique et environnementale.

La concurrence ne s'y trompe d'ailleurs pas et se félicite de l'aubaine que cela serait peut-être pour elle si rien n'est fait.

Les difficultés actuelles du fret résultent en grande partie d'une offre commerciale inadaptée, du mauvais état des lignes et du manque de créneaux horaires.

Le fret paye la rançon du « tout voyageur » et peut-être également celle du « tout TGV », en termes financiers.

La SNCF doit donc impérativement développer une politique de fret ambitieuse afin, notamment, de répondre aux besoins des petites et moyennes entreprises. Elle ne manque pas d'atouts pour cela. Encore faut-il qu'elle en ait vraiment la volonté !

Je demande donc au Gouvernement d'intervenir auprès de la direction de la SNCF afin que celle-ci décide d'un moratoire sur la réorganisation de sa branche fret et développe, en liaison avec Réseau ferré de France, un véritable plan de développement du fret non routier.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Monsieur le sénateur, M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports, accompagne le Président de la République au Maroc. Il m'a donc chargé de vous répondre en son nom.

En 2006, Fret SNCF a accusé une perte de 260 millions d'euros. La majeure partie de ce résultat est imputable à l'activité du « wagon isolé », qui engendre des coûts élevés.

La SNCF a donc prévu de ne plus utiliser 262 gares au trafic de « wagons isolés ». Cette décision s'inscrit dans le cadre du programme visant à améliorer son efficacité économique et opérationnelle, et à accélérer sa modernisation pour devenir un prestataire de services logistiques compétitif et de qualité à l'échelle européenne.

À ce titre, la plupart de nos voisins européens -l'Allemagne, la Suède, les Pays-Bas, la Belgique - ont déjà connu une restructuration de l'activité fret de leurs opérateurs historiques, ce qui leur a permis d'améliorer leur compétitivité face aux autres modes de transport.

L'un des objectifs de ce programme d'action est une meilleure allocation des moyens pour permettre à Fret SNCF de reconquérir des parts de marchés sur les segments où elle est performante, c'est-à-dire sur les grands axes de fret.

En effet, le trafic « wagon isolé » des 262 gares qu'il est prévu de fermer ne représente que 20 % du trafic transitant par les gares concernées et 2,5 % seulement des wagons chargés acheminés chaque année par Fret SNCF.

L'État a demandé à la SNCF de prendre des mesures pour répondre au cas par cas aux besoins des clients affectés par la fermeture de gares au traitement de « wagon isolé » et ayant un trafic significatif, et qu'elles fassent l'objet d'une étroite concertation avec les collectivités des territoires concernés.

En Limousin, le fret ferroviaire représente 5 % de l'ensemble du transport de marchandises. Ces transports sont réalisés à 88 % en trains complets et à 12 % en « wagon isolé ». Sur les seize gares de la région concernées par cette mesure de fermeture, six n'ont réalisé aucun trafic en « wagon isolé » en 2006.

S'agissant des dix autres gares, des solutions de transport alternatives à la technique de « wagon isolé », notamment par massification pour réaliser des trains entiers, ont été proposées par Fret SNCF à ses clients.

D'autres options doivent être développées.

Les exemples étrangers montrent que l'acheminement des trafics diffus et des wagons isolés ainsi que leur regroupement vers des points d'échanges avec les réseaux de longue distance est assuré plus efficacement par des opérateurs de petite taille que par de gros opérateurs comme la SNCF.

C'est pourquoi l'État souhaite encourager le développement de ces opérateurs ferroviaires de proximité en France sur le modèle des short lines, modèle déjà mis en application dans les pays du nord de l'Europe et couramment utilisé aux États-Unis.

Un premier opérateur ferroviaire de proximité devrait prochainement voir le jour en région Centre, en partenariat avec la SNCF et la Caisse des dépôts et consignations.

Le secrétaire d'État chargé des transports, M. Dominique Bussereau, a présidé à Orléans, le 26 septembre dernier, la séance de signature du protocole d'accord « Proxirail » entre les chargeurs regroupés dans l'association PROFFER Centre, la SNCF et la Caisse des dépôts et consignations.

Au-delà, la politique ferroviaire du Gouvernement a pour objectif de redonner une nouvelle ambition au fret ferroviaire. Ce mode constitue en effet un atout majeur pour le renforcement de l'attractivité et de la compétitivité des territoires, pour un accès élargi aux transports, mais aussi pour la conduite d'une politique pérenne en faveur du développement durable.

C'est pourquoi le Gouvernement agira pour conforter un environnement favorable au fret ferroviaire. Il sera particulièrement à l'écoute des propositions qui sont actuellement présentées dans le cadre du Grenelle de l'environnement et qui seront débattues demain et après-demain, notamment en ce qui concerne la concurrence intermodale avec le mode routier.

Le Gouvernement examinera avec attention toutes les mesures qui permettront de tirer avantage du mode ferroviaire en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, ...

M. Jacques Blanc. Très bien !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. ... de rééquilibrer, dans certains cas, les conditions de la concurrence et d'atteindre l'objectif fixé par le Président de la République d'augmenter d'un quart, d'ici à 2012, la part de marché du fret non routier. (M. Jacques Blanc applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Demerliat.

M. Jean-Pierre Demerliat. Madame la secrétaire d'État, je suis au regret de vous dire que vous ne m'avez pas convaincu, mais vous vous en doutiez un peu.

Le Président de la République a dit, voilà quelque temps, qu'il souhaitait soulager le trafic routier de 25 % par an. Dans les régions pauvres en canaux, dépourvues de littoral et de port, le réseau ferroviaire est donc le seul mode de transport permettant d'aider le Président de la République à tenir sa promesse.

Au regard des économies d'énergie et de la lutte contre la pollution, je souligne que cinq kilogrammes de carburant fossile permettent d'acheminer une tonne de marchandise sur 100 kilomètres par la route et sur 333 kilomètres par le rail.

Nous ne nous convaincrons pas mutuellement, mais permettez-moi simplement de vous demander - je n'attends d'ailleurs pas de réponse - si le fait de supprimer le wagon isolé, et donc de fermer les gares accessibles aux wagons isolés, ne s'inscrit pas dans la politique générale du gouvernement auquel vous appartenez et de sa majorité, c'est-à-dire la libéralisation. L'idée est que les quelques wagons isolés qui continueront à circuler sur les rails devront être pris en charge par des opérateurs privés, le reste du fret étant laissé aux transporteurs routiers, qui, nous le savons, ne sont pas des adeptes du service public puisque ce sont des opérateurs purement privés.

Par conséquent, madame la secrétaire d'État, vous me confortez dans mes convictions, et je vous en remercie !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je suis extrêmement déçue de ne pas vous avoir convaincu. (M. Jean-Pierre Demerliat rit.)

Le travail que nous faisons en ce moment dans le cadre du Grenelle de l'environnement vise à un rééquilibrage des. Conditions de la concurrence. Ainsi, nous réfléchissons sur une éco-redevance qui serait applicable aux transports routiers et qui pourrait être affectée au développement de modes de transports alternatifs comme le fret ferroviaire ou fluvial. Ce travail ainsi que les réalisations que nous nous apprêtons à engager devraient vous convaincre de notre volonté d'agir. J'espère que les conclusions du Grenelle de l'environnement, lequel prendra fin jeudi soir, sauront rattraper mon échec de ce matin à vous convaincre !

M. le président. Monsieur Demerliat, il n'est pas si fréquent de voir un membre du Gouvernement faire preuve d'humilité. Nous pouvons en savoir gré à Mme la secrétaire d'État, au demeurant, je le rappelle, polytechnicienne. (Sourires.)

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