Question de Mme ASSASSI Éliane (Seine-Saint-Denis - CRC) publiée le 15/11/2007

Mme Éliane Assassi attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères et européennes sur les écueils importants que comporte le nouvel accord franco-roumain signé au mois de février 2007 et relatif à une protection des mineurs roumains isolés et à leur retour dans leur pays d'origine. Elle tient à faire part de sa vive inquiétude quant au contenu de cet accord qui doit faire prochainement l'objet d'un projet de loi en vue de sa ratification. Elle rappelle à cet égard que la mise en œuvre du premier accord de 2002 avait déjà mis gravement en danger certains jeunes rentrés en Roumanie dans le cadre du dispositif ainsi mis en place, en raison notamment du manque de préparation et de suivi social. Loin de corriger ces défauts inacceptables, le nouvel accord risque d'aggraver encore la situation actuelle en ouvrant la voie aux retours systématiques, en supprimant notamment les enquêtes préalables et l'audience chez le juge des enfants, sans aucune garantie d'amélioration de la prise en charge des mineurs en Roumanie. C'est pourquoi elle lui demande, avant de ratifier un nouvel accord, de bien vouloir procéder enfin à un bilan, qualitatif et approfondi du premier accord de 2002, seul capable de jeter les bases d'un nouveau dispositif juste et efficace pour le bien de ces enfants.


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Réponse du Secrétariat d'État chargé de la coopération et de la francophonie publiée le 16/01/2008

Réponse apportée en séance publique le 15/01/2008

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, auteur de la question n° 102, adressée à M. le secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite attirer votre attention sur les écueils importants que comporte le nouvel accord franco-roumain relatif à une protection des mineurs roumains isolés et à leur retour dans leur pays d'origine, signé en février 2007, et qui doit prochainement faire l'objet d'une ratification par le Parlement.

Déjà, la mise en oeuvre du premier accord de 2002 a mis gravement en danger certains jeunes rentrés en Roumanie dans le cadre de ce dispositif, en raison notamment du manque de préparation et de suivi social. C'est, en tout état de cause, le constat réalisé par l'association Hors la Rue, qui effectue, depuis 2002, un travail de repérage des mineurs isolés roumains dans les rues de la région parisienne, un travail d'accueil et d'accès au droit commun.

Cette association a ainsi observé que la majorité des mineurs rapatriés en Roumanie n'avaient bénéficié d'aucun suivi après leur retour, que certains d'entre eux étaient repartis à l'étranger dans des conditions dramatiques - prostitution et maltraitance - et, enfin, qu'aucune évaluation n'avait été réalisée sur la situation de ces jeunes après leur retour, et ce malgré les bilans d'étape prévus par l'accord.

Or, loin de corriger les défauts inacceptables de l'accord de 2002, celui de 2007 risque même d'aggraver la situation actuelle en ouvrant la voie au retour systématique des mineurs roumains sans aucune garantie d'amélioration de la prise en charge de ces derniers en Roumanie, puisqu'il prévoit la suppression des enquêtes préalables au retour des mineurs dans leur pays ainsi que de l'audience chez le juge des enfants.

L'expérience montre qu'un retour mal préparé est voué à l'échec. Si le jeune Roumain retrouve dans son pays les mêmes conditions que celles qui ont été à l'origine de son départ, il revient souvent très rapidement de son plein gré ou sous la pression de ses proches vers la France ou un autre pays européen. Aussi est-il nécessaire d'évaluer chaque situation, afin de déterminer avec précision si un retour est envisageable dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Si tel n'est pas le cas, l'installation en France s'impose.

En revanche, si un retour est envisageable, il convient de prévoir l'organisation d'un entretien avec le jeune, la prise de contact avec sa famille dans son pays, une évaluation sociale dans son pays, la préparation d'une reprise de la scolarité ou une formation, l'adhésion du jeune au projet, bien évidemment, une validation du projet par le juge des enfants et un suivi post-retour par des services sociaux ou une ONG, une organisation non gouvernementale.

Monsieur le secrétaire d'État, avez-vous fixé une date pour ratifier ce nouvel accord et le Gouvernement envisage-t-il auparavant de dresser un bilan qualitatif approfondi du premier accord de 2002 portant notamment sur la situation des mineurs retournés dans leur pays ? C'est, me semble-t-il, le seul moyen de jeter les bases d'un dispositif juste et efficace garantissant la sécurité et le bien-être de ces enfants.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie. Madame Assassi, vous posez une question concrète. En dehors de mes fonctions ministérielles, j'ai eu à traiter ce dossier, qui me tient à coeur, dans ma ville jumelée avec une ville roumaine.

En outre, en 2002, j'avais assisté, avec le Premier ministre de l'époque, M. Jospin, à une réunion au cours de laquelle ces questions avaient été évoquées avec les représentants du monde associatif français et roumain.

Cinq ans après, les problèmes que vous posez sont bien réels.

Un bilan général concernant l'amélioration des procédures a bien été réalisé dans le cadre du groupe de liaison opérationnel, même s'il n'a pas porté sur une analyse des situations au cas par cas, que vous souhaitez à juste titre, madame la sénatrice. Concernant cette analyse, une demande a été faite par l'assistante technique mise à disposition par la France auprès de l'Autorité nationale roumaine pour la protection des droits de l'enfant, au début de l'année 2007, pour faire une évaluation de la situation des mineurs rapatriés en Roumanie en 2006. Cette demande a été dernièrement réitérée par lettre de l'ambassadeur de France en Roumanie.

En France, le travail de repérage et de contact avec ces mineurs est essentiellement assuré par les services de police et, dans les grandes métropoles, par des associations, dont celle que vous avez citée. Leur prise en charge par le dispositif de protection de l'enfance relève ensuite très majoritairement des services départementaux sur décision judiciaire. Ces services ont donc aussi connaissance de ces mineurs et de leur situation.

Le rapport de la mission sur les conditions d'accueil des mineurs isolés en France réalisé en 2005 par l'Inspection générale des affaires sociales suggère plusieurs pistes d'amélioration, en incitant à ne pas opérer de dichotomie entre les mineurs qui recherchent une intégration et ceux qui la fuient, le droit à être protégés leur étant commun.

En Roumanie, les autorités nationales soulignent que le travail accompli par le groupe de liaison opérationnel a eu une influence favorable sur les politiques mises en oeuvre dans le pays : plan d'action contre les trafics d'enfants et en faveur des victimes, programme de prévention des départs, création d'un réseau de onze centres d'accueil, dont le centre d'accueil Gavroche à Bucarest. Les autorités roumaines revendiquent la reconnaissance de leur responsabilité et de leur capacité à assurer la protection de leurs mineurs. Depuis une quinzaine d'années, j'ai pu m'en rendre compte par moi-même, les choses ont bien évolué. Un arrêté gouvernemental instaure notamment une obligation pour les services départementaux de diligenter une enquête sociale en urgence et de faire le suivi de la situation des enfants rapatriés pendant au moins six mois après leur retour.

La France continue d'apporter un soutien important dans ce domaine à la Roumanie dans le cadre d'une coopération bilatérale. Des actions de prévention et d'accompagnement du retour des mineurs, par exemple, sont, à ce titre, soutenues par le ministère des affaires étrangères.

Pour ces mineurs isolés, la recherche de l'amélioration de leur protection et de la coopération judiciaire dans la lutte contre les trafics peut également se poursuivre avec la Roumanie dans le cadre de l'accord bilatéral.

Cet accord, signé le 1er février 2007 à Bucarest, a pour objectif de permettre la poursuite du travail entrepris dans le cadre de l'accord de 2002, entré en vigueur au début de 2003, et qui avait été signé pour une durée de trois ans. Ce travail a pu être réalisé grâce au groupe de liaison opérationnel, structure réunissant des professionnels de terrain de toutes les institutions concernées en France et en Roumanie.

Le texte de l'accord est parfaitement conforme à la législation française, elle-même conforme aux conventions internationales. L'article 375 du code civil définit la notion de mineur en danger et dispose que des mesures judiciaires d'assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice pour sa protection. L'article 375-1 attribue au juge des enfants la compétence en la matière, mais l'article 375-5 dispose que, en cas d'urgence, le procureur de la République a les mêmes pouvoirs que le juge des enfants à charge de saisir celui-ci dans les huit jours.

C'est pour couvrir ces cas d'urgence que le texte de l'accord a été modifié, afin d'inclure le cas où le procureur, dès qu'il est saisi, lance la procédure d'évaluation de la situation du mineur en Roumanie en lien direct avec les autorités de ce pays, et peut éventuellement lever la mesure en vue du rapatriement.

Il convient, par ailleurs, de souligner que les autorités roumaines sont très demandeuses du rapatriement des mineurs en Roumanie, au motif notamment que le système de protection des droits de l'enfant roumain permet aujourd'hui d'assurer la protection des enfants victimes et d'effectuer un travail de prévention. Elles reconnaissent que les délais accordés pour conduire les enquêtes sociales étaient trop longs. Elles ont prouvé depuis lors qu'elles pouvaient, si nécessaire, répondre plus vite.

Il importe que, conformément à la loi, la protection judiciaire du mineur en danger soit assurée. La loi française interdit l'expulsion et la reconduite à la frontière des mineurs, et l'accord ne revient pas sur ces interdictions. Il appartiendra toujours à l'autorité judiciaire, qui doit être saisie de toute situation de mineur étranger isolé, d'évaluer la mesure à mettre en oeuvre dans l'intérêt supérieur de l'enfant.

Enfin, en ce qui concerne la mise en oeuvre concrète du texte de 2007, la prochaine visite officielle du Président de la République en Roumanie sera mise à profit pour souligner auprès de la partie roumaine l'attachement de tous les acteurs français au renforcement de la concertation entre les autorités roumaines et françaises, pour agir le plus efficacement possible dans l'intérêt des enfants. Ce sera aussi l'occasion de voir si se posent encore des problèmes d'application concrète des textes et si des dysfonctionnements subsistent. En concertation avec les élus et avec les associations, nous allons bien préparer cette visite de manière à dissiper les éventuelles incompréhensions et à résoudre les difficultés concrètes qui peuvent encore exister dans la pratique.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le secrétaire d'État, je relirai avec attention votre réponse.

Cela dit, je suis satisfaite de constater que cette question vous préoccupe, car nous sommes face à des mineurs en grand danger. En la matière, il convient que le Gouvernement prenne ses responsabilités parce que notre pays a le devoir, comme il s'y est engagé en signant la Convention internationale des droits de l'enfant, de protéger tous les mineurs présents sur son sol, quels qu'ils soient et d'où qu'ils viennent. Il ne faudrait pas que l'accord de 2007 conduise la France à abandonner son devoir de protection.

Par ailleurs, l'association Hors la Rue a le projet de réaliser elle-même une étude sur le devenir des jeunes après leur retour en Roumanie. Le Gouvernement serait bien inspiré d'attendre la publication des résultats de cette étude avant de proposer au Parlement de ratifier l'accord de février 2007 et, surtout, de tenir compte de la teneur de cette enquête, qui, j'en suis certaine, ne manquera pas d'intérêt.

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