Question de M. DAUNIS Marc (Alpes-Maritimes - SOC) publiée le 27/05/2010
M. Marc Daunis attire l'attention de M. le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire sur les conséquences du projet de loi relatif à l'immigration, l'intégration et la nationalité présenté en conseil des ministres le 31 mars 2010. Rédigé pour transposer trois directives communautaires, ce projet de loi instaure des dispositions qui restreignent les pouvoirs du juge judiciaire en matière d'expulsion et, par conséquence, les protections dont bénéficient les immigrés. D'une part, le projet de loi prolonge de deux à cinq jours le délai accordé à l'administration pour saisir le juge des libertés et de la détention (JLD). Par conséquent, les personnes pourront être soumises à une procédure de reconduite à la frontière sans qu'un juge n'ait contrôlé la légalité de leur arrestation et les conditions de leur détention. D'autre part, ce projet de loi restreint les critères d'appréciation dont dispose le juge judiciaire pour déterminer le prolongement de la rétention. Un individu pourra donc être maintenu en rétention même s'il apporte des garanties suffisantes quant à sa présentation devant le juge lors de sa convocation. La lutte contre l'immigration clandestine ne doit pas se faire au détriment des libertés et des droits fondamentaux dont dispose chaque individu. Il lui demande de bien vouloir réexaminer ces différents points afin de garantir préserver les droits dont chaque individu arrivant sur le territoire français doit pouvoir bénéficier.
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Transmise au Ministère de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration
Réponse du Ministère de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration publiée le 10/02/2011
Les dispositions du projet de loi relatif à l'immigration, l'intégration et la nationalité relatives aux conditions d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention et en zone d'attente n'ont pas pour objet de restreindre ses pouvoirs dans son office, ni pour effet de limiter les droits des étrangers. Elles réforment les règles d'intervention du juge judiciaire statuant en matière de rétention et de maintien en zone d'attente, selon les préconisations, notamment, du rapport rendu par la commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d'immigration sous la présidence de M. Mazeaud, dit ci-après « rapport Mazeaud ». L'office du juge des libertés et de la détention s'exerce dans les limites fixées par le caractère civil de la procédure et par le principe de séparation des autorités judiciaires et administratives. Deux juges interviennent sur la procédure d'éloignement d'un étranger en situation irrégulière : le juge administratif sur la légalité des décisions administratives d'éloignement et de placement en rétention, le juge judiciaire, juge des libertés et de la détention, pour le maintien en rétention et le contrôle des droits de la personne retenue. Actuellement, l'autorité préfectorale doit saisir le juge des libertés et de la détention au terme des 48 heures suivant la notification de sa décision de placement en rétention pour en solliciter la prolongation. Le juge doit statuer sans délai sur cette saisine. Ce délai extrêmement bref n'est pas satisfaisant pour une bonne administration de la justice comme l'a souligné le rapport Mazeaud. En outre, le juge judiciaire peut prolonger la rétention alors même que le juge administratif, saisi de la légalité de cette mesure l'éloignement, peut annuler cette dernière postérieurement. Ainsi, le juge judiciaire aura prolongé une mesure tendant à l'exécution d'une décision illégale. Par ailleurs, si le juge des libertés et de la détention exerce son contrôle sur les droits de la personne retenue, les limites de son office lui interdisent de contrôler la légalité de la décision de placement en rétention. Or, le juge administratif intervient postérieurement et parfois tardivement sur la requête en annulation de la décision de placement en rétention lorsque cette mesure a pris fin. Il en résulte une certaine dépossession du juge administratif de son office par l'ordonnancement actuel de la procédure. Au-delà, se trouve méconnue l'exigence, posée par l'article 15 de la directive 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive « retour », d'un contrôle juridictionnel effectif et accéléré de la légalité de la décision « qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question ». L'effectivité d'un tel contrôle n'est pas suffisamment garantie par les procédures en vigueur. Or l'exigence posée par la directive est celle prévue à l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui prévoit que toute personne privée de sa liberté, par arrestation ou détention, a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. Le projet de loi réorganise et rationnalise donc les interventions respectives du juge judiciaire et du juge administratif. Il prévoit que le juge administratif, juge de la légalité de la mesure de reconduite à la frontière, mais également de la légalité de la décision administrative de placement en rétention, statue en premier. C'est pourquoi le délai de saisine du juge des libertés et de la détention est porté à cinq jours par le projet, soit autant que les délais actuellement impartis au juge administratif pour être saisi et statuer (48 heures + 72 heures). À l'avenir, le juge des libertés et de la détention ne sera donc plus susceptible de prolonger les effets d'une décision illégale. Le projet de loi ne remet aucunement en cause l'étendue du contrôle de l'autorité judiciaire sur la prolongation de la rétention. Particulièrement, l'extension de la durée du maintien en rétention respecte pleinement le principe constitutionnel et conventionnel selon lequel l'étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet. L'autorité judiciaire conservera la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient. Le champ d'appréciation du juge des libertés et de la détention et son pouvoir d'appréciation souverain sur la régularité de la mesure dont il est saisi ne sont aucunement affectés. Mais, en parallèle, le juge administratif, seul juge de la légalité de la décision de placement en rétention, recouvrera l'effectivité de son office : le contrôle qui lui incombe est aussi un contrôle de la nécessité de la mesure ; le Conseil d'État a rappelé que l'existence d'une mesure d'éloignement ne justifie pas à elle seule de la nécessité du placement en rétention administrative. Ainsi, le projet de loi ne peut aucunement s'analyser comme instaurant une restriction des pouvoirs du juge judiciaire.
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