Question de M. MAGNER Jacques-Bernard (Puy-de-Dôme - SOC) publiée le 07/02/2013

M. Jacques-Bernard Magner attire l'attention de M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social sur les problèmes posés par les pratiques de sous-traitance en cascade auprès d'entreprises étrangères, en particulier dans le secteur du BTP. En effet, actuellement, de véritables réseaux s'organisent en vue d'offrir aux entreprises françaises une main d'œuvre « low cost » , au mépris des droits élémentaires normalement garantis par la législation tant européenne que française en matière de détachement de travailleurs étrangers. Et nombreux sont les cas de salariés qui travaillent sur le territoire français tout en étant soumis à un contrat de travail conclu dans leur pays d'origine, contrat non respectueux des minimas sociaux imposés par la législation française et les conventions collectives étendues. Ainsi, dans le Puy-de-Dôme, des salariés polonais travaillent sur le grand chantier du centre-ville et sont payés à la « tonne de ferraille »… Cette situation porte préjudice à l'ensemble des travailleurs du secteur du bâtiment. Elle est difficilement supportable pour les salariés soumis aux règles de droit françaises qui se sentent mis en concurrence dans leurs entreprises avec ces travailleurs « à bas coût », au mépris de la directive européenne 96/71/CE qui fixe les règles du détachement. Il lui demande donc de bien vouloir lui faire connaître ses propositions pour remédier à cet état de fait.

- page 371


Réponse du Ministère chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage publiée le 13/03/2013

Réponse apportée en séance publique le 12/03/2013

M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur les graves problèmes posés par les pratiques de sous-traitance en cascade impliquant des entreprises étrangères, en particulier dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, ainsi que dans celui du transport routier de marchandises.

Le principe de la liberté de prestation de services inscrit à l'article 49 du traité instituant la Communauté européenne a permis le développement des interventions sur le sol français d'entreprises étrangères et de leurs salariés.

Afin d'encourager l'exercice du principe de la liberté de prestation de services dans un cadre bien défini, de garantir une concurrence loyale entre les entreprises et de mieux protéger les travailleurs, les États membres de l'Union et le Parlement européen ont adopté, le 16 décembre 1996, la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

Malheureusement, au mépris complet de cette directive, de véritables réseaux ont été organisés afin d'offrir à des entreprises françaises une main-d'œuvre à bas coût. Une telle pratique bafoue les droits élémentaires normalement garantis par la législation, tant européenne que française, en matière de détachement de travailleurs étrangers.

En conséquence, de nombreux salariés travaillent sur le territoire français tout en étant soumis à un contrat de travail conclu dans leur pays d'origine et ne respectant pas les minima sociaux imposés par la législation française et les conventions collectives étendues.

Je peux citer, à cet égard, l'exemple d'un grand chantier du centre-ville de Clermont-Ferrand, où les activités de ferraillage ont été sous-traitées à des entreprises spécialisées dans le dumping social qui emploient des Africains ayant fui la misère de leur pays en transitant, le plus souvent, par le Portugal. Des ouvriers polonais travaillent aussi sur ce chantier.

En 2012, l'une de ces entreprises a été placée en redressement judiciaire, et les personnels intérimaires n'ont pas été payés pendant trois mois. En fait, les salariés sont rémunérés à la tonne de ferraille posée. En cas d'intempéries, ils ne sont donc plus payés... Aucune qualification n'est reconnue et les déplacements sont très faiblement indemnisés.

Cette situation porte préjudice à l'ensemble des travailleurs du secteur du bâtiment. Elle est difficilement supportable pour les salariés soumis aux règles de droit françaises, qui se sentent mis en concurrence, dans leurs entreprises, avec ces travailleurs à bas coût, au mépris des règles du détachement fixées par la directive européenne précédemment citée.

De telles dérives ne devraient pas exister. Plusieurs mesures sont nécessaires pour remédier à cette situation : il convient, en particulier, d'assurer la transparence sociale par la mise à disposition des fiches de paie et des contrats des salariés employés sur un chantier, et de vérifier le respect des règles légales et conventionnelles pour tous les salariés employés en sous-traitance ou en intérim.

Monsieur le ministre, ces pratiques, qui nuisent aux professions concernées, sont créatrices de chômage et ne respectent pas l'être humain. Je compte sur le Gouvernement pour les faire cesser.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Monsieur le président, je vous prie tout d'abord d'excuser mon retard : de fortes chutes de neige ont immobilisé de longues heures le TGV qui m'amenait à Paris !

M. le président. Vous n'êtes pas en retard, monsieur le ministre, c'est nous qui avons pris de l'avance !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le sénateur, l'intervention d'entreprises prestataires procédant à des détachements de salariés dans notre pays s'est développée au cours de ces dernières années. Selon la dernière étude disponible sur le sujet, en 2011, le nombre de déclarations de détachement des entreprises prestataires de services en France s'est élevé à 45 000 et celui des salariés détachés à 145 000. Ces niveaux n'avaient jamais été atteints auparavant. Le secteur du BTP est le premier concerné. S'il ne s'agit pas de procéder à des généralisations, il est à souligner qu'un certain nombre de ces opérations sont à l'origine de difficultés d'application de notre réglementation du travail et faussent la concurrence entre les entreprises. Une partie de ces dérives sont liées à des pratiques de sous-traitance en cascade ou, parfois, au recours à l'intérim.

Le code du travail encadre pourtant les conditions d'intervention en France des entreprises établies hors de notre pays, conformément aux dispositions de la directive européenne du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services. Les entreprises étrangères sont ainsi tenues de respecter certaines règles françaises en matière de conditions de travail et d'emploi, notamment celles qui sont relatives à la rémunération, à la durée du travail, à la santé et aux règles de sécurité au travail. Elles doivent transmettre une déclaration préalable au détachement à l'inspection du travail concernée. Des obligations visent également le donneur d'ordres, qui doit se faire remettre par l'entreprise étrangère des documents préalablement à la conclusion de la prestation. Sa responsabilité solidaire peut être engagée.

Le Gouvernement, qui attache, comme vous, monsieur le sénateur, une grande importance à cette question, a présenté, conformément à la feuille de route de la grande conférence sociale de juillet 2012, un plan national de lutte contre le travail illégal. Il a été adopté le 27 novembre dernier, sous la présidence du Premier ministre, devant la commission nationale de lutte contre le travail illégal.

Ce plan pluriannuel, qui couvre la période 2013-2015, a défini des priorités pour concentrer les actions sur les secteurs et les situations les plus problématiques : travail dissimulé, sous-traitance en cascade, prestations de services internationales, faux statuts, emploi d'étrangers sans papiers. Il vise particulièrement les opérations complexes ou les fraudes organisées. Ce plan, qui tend à renforcer les actions de contrôle coordonnées entre les différents services pour accroître leur efficacité, met l'accent sur la coopération entre les services de contrôle, la formation de leurs agents, la constitution de véritables réseaux, à l'échelon tant national que territorial.

Le plan pluriannuel permettra aussi de développer les actions de prévention en direction des principaux acteurs économiques : branches, entreprises, salariés, donneurs d'ordres. Dans ce dessein, des conventions de partenariat vont être conclues avec les partenaires sociaux des principaux secteurs concernés et l'État. Ce plan sera décliné dans chaque région et chaque département. Préfets et procureurs devront, dans le cadre des comités opérationnels départementaux anti-fraude, les CODAF, élaborer et mettre en œuvre un plan d'action adapté à leur territoire. Le secteur du BTP, qui est l'un des secteurs prioritaires, sera particulièrement suivi.

Au-delà, notre action doit s'inscrire dans un cadre européen. Nous avons établi des relations avec plusieurs pays européens, par la constitution de bureaux de liaison ayant pour objet de faciliter les contrôles. La Commission européenne a adopté, le 21 mars 2012, une proposition de directive visant à renforcer l'effectivité de la mise en œuvre de la directive de 1996. Ce texte a pour objet de permettre une information plus précise et plus accessible des acteurs du détachement, ainsi que de faciliter le contrôle et la sanction des entreprises qui ne respectent pas les droits des salariés détachés et les règles encadrant la prestation de services transnationale. Michel Sapin, qui, retenu ce matin à l'Assemblée nationale, vous prie de bien vouloir excuser son absence, veillera activement à ce que le contenu de cette proposition de directive permette de lutter efficacement contre les fraudes et les abus.

Tels sont les éléments de réponse que je souhaitais vous apporter, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.

M. Jacques-Bernard Magner. Je vous remercie, monsieur le ministre, de cette réponse qui montre que le Gouvernement se préoccupe de cette question souvent soulevée lors de nos rencontres avec les professionnels du bâtiment et des travaux publics, les responsables d'entreprises ou d'organisations professionnelles. Dans le secteur du BTP, mais aussi dans celui du transport, on s'inquiète du développement d'une concurrence déloyale difficile à mettre en évidence, les services de l'État manquant de moyens pour effectuer les contrôles. Or ceux-ci sont nécessaires à la fois pour assurer la justice et pour éviter un préjudice économique à nos entreprises, qui, elles, respectent les règles.

- page 1683

Page mise à jour le