Question de M. LEFÈVRE Antoine (Aisne - UMP) publiée le 04/09/2014
M. Antoine Lefèvre attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement sur les conséquences de l'embargo d'un an, décidé au début d'août par la Russie en réaction aux décisions politiques de l'Union européenne concernant la situation en Ukraine, sur les produits alimentaires européens, et touchant particulièrement les filières françaises des secteurs des viandes porcines et bovines mais aussi les filières de la pomme de terre et des fruits et légumes frais.
La filière porcine était déjà fortement impactée par la décision de la Russie de suspendre, dès janvier 2014, ses importations de viande de porc en provenance de l'Union européenne (UE), en raison de deux cas de peste porcine africaine détectés sur des sangliers en Lituanie. La chute des cours du porc en France depuis le début de ce premier embargo se traduisait, selon l'interprofession nationale porcine (Inaporc), par une perte de plus de dix millions d'euros par semaine pour les éleveurs et les entreprises d'abattage et de découpe. Ce phénomène va en empirant fortement du fait de l'embargo récent.
Autre exemple : l'UE exportant vers la Russie 5,7 % de sa production de fromage et 9 % de sa production de beurre, un simple excédent de marchandises pourrait déstabiliser rapidement l'ensemble de la filière laitière et avoir des conséquences très graves sur les prix de l'ensemble des produits laitiers.
Par ailleurs, les producteurs de fruits et légumes doivent, quant à eux, faire face, depuis quelques jours, à des importations massives, notamment espagnoles et polonaises, de stocks très importants, ainsi écoulés, à prix bradés, sur le marché français.
Déjà durement touchés par la crise et par des perturbations climatiques fortes, les agriculteurs sont en droit d'obtenir une compensation à une décision unilatérale dont ils sont les premières victimes. Il est donc indispensable que le Gouvernement agisse pour éviter un désastre économique. Aussi lui demande-t-il comment peuvent être prévues des compensations en faveur des agriculteurs et quelle serait la nature de celles-ci.
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Réponse du Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt publiée le 22/10/2014
Réponse apportée en séance publique le 21/10/2014
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le ministre, je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur les effets de l'embargo russe sur les prix agricoles.
Décidé au début du mois d'août par la Russie, en réaction aux décisions politiques de l'Union européenne concernant la situation en Ukraine, cet embargo d'un an sur les produits alimentaires européens touche particulièrement les filières françaises des viandes porcines et bovines, mais aussi les filières de production de pommes de terre, fruits et légumes frais.
Les produits concernés représentent une valeur de 244 millions d'euros, soit un tiers des exportations agroalimentaires envoyées à la Russie.
Or, la filière porcine était déjà fortement impactée par la décision de la Russie de suspendre, dès janvier 2014, ses importations de viande de porc en provenance de l'Union européenne, en raison de deux cas de peste porcine africaine détectée sur des sangliers en Lituanie.
La chute des cours du porc en France depuis le début de ce premier embargo se traduisait, selon Inaporc, par une perte de plus de 10 millions d'euros par semaine pour les éleveurs et les entreprises d'abattage et de découpe. La situation ne fait qu'empirer du fait du second embargo décidé récemment.
Autre exemple, l'Union européenne exportant vers la Russie 5,7 % de sa production en fromage et 9 % de sa production en beurre, un simple excédent de marchandises déstabilise rapidement l'ensemble de la filière laitière, avec des conséquences très graves sur les prix de l'ensemble des produits laitiers.
Enfin, les producteurs de fruits et légumes doivent faire face depuis quelques semaines à des importations massives, notamment espagnoles et polonaises, de stocks très importants, écoulés à prix bradés sur le marché français.
Déjà durement touchés par la crise et par des perturbations climatiques fortes, les agriculteurs sont en droit d'obtenir une compensation à une décision unilatérale, dont ils sont les premières victimes.
Une première enveloppe d'aide de 200 millions d'euros avait été dégagée pour soutenir les cours des fruits et légumes et des produits laitiers. Mais des problèmes ont été rencontrés au niveau de sa répartition, du fait des surenchères de deux pays, à savoir la Pologne et l'Italie, en matière de demandes d'indemnisation. En conséquence, le premier dispositif de soutien au secteur maraîcher a été suspendu et il a été mis un terme aux mesures de soutien aux producteurs de fromage.
Ce 30 septembre, une autre enveloppe de 165 millions d'euros aurait été débloquée pour douze pays.
Pour éviter un désastre économique, il va sans dire que ces enveloppes sont bienvenues ! Je vous remercie donc, monsieur le ministre, de bien vouloir nous indiquer les sommes dévolues aux agriculteurs français et leur ventilation, mais aussi les éventuelles contraintes qui y seraient liées.
Je tiens aussi à mentionner l'inquiétude de certains qui, parallèlement, craignent une éventuelle ponction sur le budget de la politique agricole commune, la PAC. Ainsi, pouvez-vous nous préciser où cette somme de 365 millions d'euros a été prélevée ?
Si, comme certains l'annoncent, elle l'a été sur la réserve de crise spécifique prévue dans le cadre de la PAC, cette ponction risque de pratiquement vider ladite réserve, dotée à ce jour de 432 millions d'euros ! Ne resteraient donc que 88 millions d'euros pour pallier une autre crise agricole éventuelle, les perturbations climatiques que nous connaissons tous, entre autres facteurs, pouvant faire craindre le déclenchement d'une telle crise.
En outre, d'autres échos venant de Bruxelles nous font redouter des ponctions sur la réserve dite des « recettes additionnelles », d'environ 450 millions d'euros actuellement et destinées au financement de la PAC, vers les dossiers d'urgence humanitaire, tels que ceux de la Syrie ou du virus Ebola.
Il n'est bien sûr pas question de sous-estimer l'urgence de certains dossiers, en particulier les dossiers concernant des épidémies ou des conflits que l'Europe non seulement ne peut pas ignorer, mais se doit d'accompagner. Toutefois, monsieur le ministre, pouvez-vous également nous rassurer sur cet autre aspect ? Le budget de la PAC doit être essentiellement consacré à l'agriculture et ne peut servir de « ballon d'oxygène » face aux conséquences financières des déséquilibres commerciaux engendrés par les sanctions que l'Occident a prises pour répondre aux ingérences russes en Ukraine.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll,ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Sachez tout d'abord, monsieur le sénateur, que je partage l'ensemble de votre analyse.
Effectivement, l'embargo russe a un impact sur la production agricole et agroalimentaire de l'Europe et de notre pays. Dès l'été, après avoir pris contact avec ma collègue espagnole pour tenter de gérer une crise sur les pêches et les nectarines, puis avec mes homologues polonais et allemands pour définir une stratégie commune à l'échelle européenne, j'ai salué la réaction relativement rapide de la Commission européenne et le déblocage des fonds mentionnés dans votre intervention.
Mais, très vite, nous avons connu les difficultés habituelles. J'avais bien indiqué, au moment du Conseil extraordinaire des ministres de l'agriculture de l'Union européenne, organisé au début du mois de septembre, que, si des mesures devaient être mises en uvre, elles devaient être coordonnées et cohérentes à l'échelle européenne. Prenons l'exemple des pommes : la question des volumes de pommes précédemment exportés de la Pologne vers la Russie - 700 000 tonnes - n'est pas le seul problème des Polonais, car ces marchandises se retrouvent désormais sur notre marché intérieur. L'enjeu est donc bien celui de la cohérence.
Au-delà même des enveloppes financières, si nous commençons, les uns et les autres, à vouloir régler chacun nos problèmes sans penser à la nécessaire gestion collective du marché, nous en reviendrons immanquablement à ce qu'il s'est passé dernièrement : deux pays ont été au-delà des limites raisonnables pour éviter la chute des prix sur le marché et la Commission a mis un terme à son dispositif.
Aujourd'hui, les fonds commencent à être distribués, au travers de trois outils principaux : le retrait de production en cas de situation excédentaire, le soutien à la promotion commerciale pour accroître et soutenir la consommation, le soutien aux exportations.
Ce que je cherche à faire - et c'est le véritable problème que nous rencontrons, monsieur le sénateur -, c'est à accorder à chaque pays une souplesse beaucoup plus grande au niveau de la gestion des retraits, en particulier des prix de retrait, ce qui implique de donner plus de pouvoir aux organisations professionnelles afin de permettre les ajustements nécessaires. Cette gestion ne peut être identique partout en Europe ! Que ce soit au niveau des filières porcine et bovine ou du secteur des fruits et légumes, les situations peuvent être différentes et des produits affectés de manière indirecte peuvent être plus touchés par les problèmes liés à l'embargo russe que certains produits directement concernés.
Enfin, comme vous l'avez indiqué, se pose une question budgétaire. La proposition de la Commission portait initialement sur le recours à des marges de gestion, mais cette solution a été remise en cause, au sein même de la Commission, par la direction générale du budget.
La question soulève un vrai débat.
L'embargo a été décidé par la Russie à la suite des sanctions prises par l'Union européenne à son encontre. Je ne reviens pas sur la situation géopolitique, qui est connue de tous. À cet égard, je n'espère qu'une chose, que l'on se dirige vers une solution politique, permettant de sortir de cette crise ayant un fort impact, y compris sur la croissance de la zone euro.
En conséquence, je ne suis pas d'accord avec l'idée consistant à gérer cet embargo, non pas avec les marges budgétaires qui étaient disponibles pour le faire, mais avec le fonds de gestion de crise. Ce fonds de 430 millions d'euros est en partie pris sur le premier pilier de la PAC. Si un problème survient demain, alors que nous l'avons consommé pour régler les conséquences de l'embargo russe, nous risquons d'avoir de vrais soucis !
Une discussion est donc en cours sur le sujet. Dans le même temps, la Commission nous explique qu'il faut gérer les problèmes liés au virus Ebola, aux grandes crises géostratégiques, mais aussi, semble-t-il - je cherche à vérifier ce point -, aux fonds de cohésion. Comme, en outre, les États ne veulent pas augmenter leur contribution budgétaire, la situation est très difficile.
C'est pourquoi je pense sincèrement qu'il nous faut nous coordonner - je retourne en Espagne samedi prochain - et faire preuve de cohérence. Chacun doit cesser de chercher à tirer le maximum de la situation, immédiatement et sans se préoccuper de la cohérence générale, et il faut accroître la subsidiarité.
Telle est la ligne que nous suivons et allons suivre, et selon laquelle je procéderai dans les semaines à venir pour tenter de régler ce problème spécifique de l'embargo russe.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Je vous remercie de ces explications, monsieur le ministre. Nous partageons effectivement la même analyse. Je reste néanmoins inquiet quant aux affectations du budget de la PAC. Vous avez avancé quelques pistes de travail et nous ne pouvons que vous encourager à poursuivre dans ce sens, afin de sauver ce modèle de cohésion qui existe au niveau de l'agriculture européenne.
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